La variante du dragon ou Sicilienne dragon ou simplement le dragon[1] est une ouverture du jeu d'échecs.
C'est une variante extrêmement audacieuse et agressive de la très populaire défense sicilienne. Son code ECO est B7X : très analysée, elle occupe à elle seule les références B70 à B79, soit une cinquantaine de pages de l'Encyclopédie des ouvertures d'échecs (quatrième édition).
La variante du dragon s'obtient après les coups 1. e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 g6.
La variante du dragon ne doit cependant pas être confondue avec la variante du dragon accéléré (code ECO B34), une ouverture à la stratégie complètement différente, où les Noirs ne jouent pas le coup ...d6 :
La variante du dragon semble être l'une des plus vieilles variantes de la défense sicilienne ouverte[2].
Elle aurait été baptisée variante du dragon en 1901 à Kiev par le maître russe Fiodor Douz-Khotimirski, qui s'intéressait beaucoup à l'astronomie et trouvait que la structure de pions d6-e7-f7-g6-h7 avait quelque ressemblance avec la constellation du Dragon[3].
La variante du dragon est étudiée très en profondeur par la théorie. Aujourd'hui, sans être abandonnée, elle est relativement peu jouée à haut niveau, et les avis à son sujet sont presque aussi tranchés que sont tranchantes les parties auxquelles elle donne lieu.
La variante du dragon classique (avec Fe2 et Cc6)
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Variante classique. Position après 7...Cc6. 8. 0-0 0-0
La variante classique s'obtient habituellement après 6.Fe2 :
1. e4 c5 2. Cf3 Cc6 3. d4 cxd4 4. Cxd4 Cf6 5. Cc3 d6 (la Sicilienne classique) 6. Fc4 Fd7 7. Fb3 (ou 7. O-O) g6 qui est classée avec le code ECO B57.
L'attaque yougoslave
L'attaque yougoslave, apparue dans les années 1950, est caractérisée par les coups f3, Fe3, Dd2, Fc4 et le grand roque.
L'attaque yougoslave (aussi appelée attaque Rauzer, du nom de son inventeur, Vsevolod Rauzer dans le monde russophone[5]) est la variante la plus violente et la plus fréquente de la variante du dragon[6] : les deux camps, après des roques opposés, font une course de vitesse pour mater le Roi adverse en premier.
Plus encore que sa victoire sans appel avec les Blancs en 31 coups, ce sont les commentaires assassins de Fischer dans son livre Mes 60 meilleures parties qui ont marqué les esprits[7]. Fischer a d'ailleurs sous-titré cette partie « Le Massacre du Dragon » :
« Larsen était un des obstinés qui avaient refusé d'abandonner la variante Dragon jusqu'à ces derniers temps. L'attaque des Blancs se joue pratiquement toute seule... même les débutants peuvent battre des grands maîtres avec cette attaque. J'ai parcouru un jour plusieurs numéros de Chakhmatny Bulletin, alors que l'attaque Yougoslave débutait, et j'ai trouvé que le pourcentage en faveur des Blancs était de 9/10 environ. Les Noirs réussiront-ils à renforcer la variante ? Le temps en décidera. »
— Bobby Fischer, Mes 60 meilleures parties, p.18.
Commentant le 16e coup blanc, Fischer ajoute ce qui deviendra l'une de ses piques les plus connues :
« J'avais gagné des douzaines de parties dans des positions analogues, et j'avais élaboré une science : ouvrir la colonne « h », sacrifice, sacrifice... mat ! »
— Bobby Fischer, Mes 60 meilleures parties, p. 21.
Malgré son appréciation peu favorable, Bobby Fischer a aussi joué une variante du dragon avec les Noirs en 1992, dans la 24e partie de son match-revanche contre Boris Spassky à Sveti Stefan-Belgrade. La partie s'est terminée sur une nulle[8].
Karpov - Kortchnoï (1974)
La deuxième partie qui a marqué les esprits fut la brillante victoire d'Anatoli Karpov acquise avec les Blancs contre Viktor Kortchnoï lors de la deuxième partie de la finale du match des candidats à Moscou en 1974. La défaite de Kortchnoï fut, elle aussi, sans discussion après la nouveauté théorique de Karpov au 19e coup de la variante[9].
Anatoli Karpov a jugé bon d'incorporer cette fameuse partie dans son ouvrage Mes plus belles victoires. Non sans raison puisqu'à son propos, il relève :
« Cette partie remporta le trophée de l'Informateur, de la meilleure partie du second trimestre 1974, obtenant d'ailleurs 89 points sur 90 ! Au cours des trente années d'existence de ce concours, personne n'a jamais fait une telle unanimité devant un jury de grands maîtres. »
— Anatoli Karpov, Mes 64 plus belles victoires, partie n°6, p. 27
Il remarque aussi au début de cette partie :
« Dans ma longue carrière, j'ai joué une vingtaine de fois contre la variante du Dragon et un seul adversaire a réussi à obtenir la nullité... Bien que tant d'années se soient écoulées depuis, cette partie reste d'ailleurs un des exemples les plus convaincants de toute l'histoire de cette variante. »
Toutefois, dans une autre variante du dragon, qui ouvre ce même ouvrage, Karpov ajoute :
« La grande variante du Dragon, l'une des plus aiguës et des plus captivantes de la théorie échiquéenne. L'objectif des deux camps est le même : atteindre au plus vite le Roi adverse. Pour cela, il ne reste aux Blancs qu'à attaquer à l'aile-Roi et, aux Noirs, à l'aile-Dame. Les parties jouées avec cette variante sont presque toujours animées et intéressantes et on peut, sans crainte, leur décerner des prix de beauté ! »
Après les commentaires acerbes de Bobby Fischer et les critiques plus mesurées d'Anatoli Karpov, on pourrait penser que la variante du dragon a été complètement délaissée. Ce n'est pas exactement le cas, et certains de ses aficionados lui vouent même un culte exclusif [11]. Joe Gallagher relève[12] : « Practitionners regard the variation as their private property, and defend it with an almost religious fervour against the many players who wish to commit the heresy of mating Black down the h-file. »
Dans les années 1970 et 1980, la variante du dragon a été très controversée : réfutée et enterrée une semaine, ressuscitée et réhabilitée la semaine suivante[13]. De fait, malgré le poids respectable des analyses théoriques qui lui sont consacrées, beaucoup de joueurs de tous niveaux apprécient cette variante de la défense sicilienne. John Watson explique sa popularité auprès des amateurs par sa relative simplicité stratégique et son caractère direct[14] : mater le roi ennemi à tout prix.
Le match Anand - Kasparov 1995 (variante Soltis)
En 1995, Garri Kasparov a contribué à sa réhabilitation au plus haut niveau en l'employant à plusieurs reprises[15] contre Viswanathan Anand lors du championnat du monde à New York (voir la 11e partie ci-dessous). Kasparov a utilisé quatre fois la variante du dragon contre Anand avec un score de deux victoires et deux parties nulles.
(excellent coup en raison de l'effet de surprise ; Anand ne pouvait pas le prévoir, alors que Kasparov connaissait tout du répertoire d'Anand sur cette ouverture)
(coup intéressant ; c'était à l'époque une variante mineure ; on voit ici qu'a joué la peur de la préparation adverse, et d'une « nouveauté théorique » dans les grandes lignes de l'ouverture ; Anand a préféré dévier le premier de la théorie)
17. ... Rxg7 18. Cf4 Tfc8 19. Ccd5 Dxd2 20. Txd2
(Anand a ici refusé la proposition de nulle de Kasparov)
(coup légèrement douteux ; le logiciel Rybka donne un léger avantage aux Blancs sur 28. Cxe7 ; il ne donne qu'un très léger avantage aux Noirs sur 28. b4)
28. ... axb4 29. axb4 Tc4 30. Cb6?
(mauvais coup ; Rybka conseille 30. c3 Fxd5 31. Txd5 Txc3 32. Te2 Tc1 avec un très léger avantage aux Noirs)
La variante Levenfish (fruit du travail du champion soviétique Grigory Levenfish[16]) recèle quelques pièges, mais elle est rarement jouée à haut niveau.
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Variante Levenfish. Position après 6.f4.
Variante du fianchetto (B70)
La variante du fianchetto est très positionnelle ; elle est constituée après :
L'ordre des coups y est important : un déplacement trop précoce du fou-roi Noir serait immédiatement sanctionné, par exemple[17].
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Variante du fianchetto. Position après 7.Cde2.
Notes
↑Gabor Kallai, Traité moderne des ouvertures, Caissa Chess Books, Kecskemét, 1997. p. 153
↑John Watson, Maîtriser les ouvertures, Volume 1, p. 234
↑Plutôt dubitatif, Chris Ward fait aussi allusion à cette origine à la page 9 de WwtD1, mais ajoute aussitôt « but who cares, the title « Dragon » sounds cool! ».
↑Reuben Fine, Les idées dans les ouvertures d'échecs, 1983, p. 112.
↑Nicolas Giffard, Le Guide des échecs, page 561. Cette partie est également analysée par Chris Ward dans Winning with the Dragon, page 35 et Winning the Dragon 2, page 39.
↑Un avis que le Britannique Chris Ward ne partage pas.
↑Voir par exemple, les préfaces des livres de Ward et de Dearing, pour n'en citer que deux.
↑John Watson, Mastering the Chess Openings, page 194. Le dragon contrasterait ainsi avec la variante Najdorf (entre autres) qui permet un plus grand choix de plans de jeu, et de ce fait, serait plus attirante aux yeux de l'élite échiquéenne.