« Ζ » (zêta) est l'initiale du mot grec ancien « ζῇ / zi », qui signifie « il vit » ou « il est vivant ». Les opposants inscrivaient cette lettre sur les murs pour protester contre l'assassinat de Grigóris Lambrákis.
Le nouveau et charismatique chef de l'opposition parlementaire, surnommé « le Docteur », quitte la capitale et arrive dans la grande ville du nord du pays pour tenir une conférence en faveur du désarmement. Avant même le début de la conférence, une contre-manifestation commence. Des heurts ont lieu entre les partisans du Docteur et les contre-manifestants, tandis que les forces de l'ordre font preuve d'une passivité évidente. Un député, membre du même parti que le Docteur, est tabassé. Lorsque le Docteur, après son allocution, traverse la place au milieu de la confusion, un triporteur surgit. Au moment du choc, le Docteur s'écroule. Il va décéder à l'hôpital de ses blessures. La préfecture publie immédiatement un communiqué officiel : il s'agirait d'un malheureux accident, causé par deux ivrognes.
Un jeune juge d'instruction est chargé de l'enquête. Le jeune magistrat n’éprouve aucune sympathie pour la gauche politique, ni pour le communisme, ni même pour le parti du « Docteur ». Mais, intègre, il tient à faire toute la lumière sur l'incident. Il découvre rapidement des indices et des contradictions qui lui font conclure qu'il s'agit en fait d'un assassinat, exécuté par des membres d'une organisation d'extrême droite, les CROC (Combattants royalistes de l'Occident chrétien). Surtout, alors que, dans son entourage, tous lui demandent de s'en tenir à la thèse de l'accident, il comprend que toute l'affaire a été préméditée, montée et planifiée par les commandants de la gendarmerie de la région. Au cours de l'enquête, il s'avère que même les plus hautes autorités de l'État sont impliquées. Malgré tous les obstacles, le jeune magistrat ne renonce pas à poursuivre son enquête.
Les résultats de celle-ci obligent bientôt le pouvoir politique à reconnaître les faits. La hiérarchie militaire est accusée d'avoir organisé, puis couvert, l'assassinat. Le procès a lieu, mais le jugement se révèle très clément envers les prévenus. Surtout, les sanctions touchant les officiers supérieurs ne sont pas rendues publiques. Ce verdict déclenche une vague d'indignation générale et le gouvernement démissionne. Mais, alors que les sondages prévoient une large victoire de l'opposition aux élections, les militaires prennent le pouvoir.
Georges Rouquier : le procureur général (voix doublée par Jacques Monod)
Habib Reda : le substitut
La voix du procureur général est celle de Jacques Monod. (selon Costa-Gavras, l'accent de Georges Rouquier était trop prononcé)[réf. nécessaire]
Production
Genèse et développement
Vassílis Vassilikós publie en 1966 le roman Z retraçant l'assassinat du député grec Grigóris Lambrákis en 1963 et l'enquête menée par le juge d'instruction Chrístos Sartzetákis. La Grèce possède alors un gouvernement démocratique mais fait preuve d'autoritarisme envers les communistes et la gauche en général. La mort du député — un choc dans l'opinion — avait été présentée comme accidentelle et l'enquête révèle qu'il s'agit d'un meurtre perpétré par une organisation d'extrême droite[7]. Le roman, fondé sur les documents de l'instruction, raconte en détail le complot et sa découverte[7]. Costa-Gavras, réalisateur grec travaillant en France, découvre le roman lors d'un court séjour auprès de sa famille, en [7]. Son frère avait connu Vassilikós à l'armée[7]. Costa-Gavras lit le roman dans l'avion du retour[7]. Deux jours plus tard, le , survient le coup d'État instaurant la dictature des colonels, rendant d'autant plus forte la résonance de l'affaire Lambrákis[7]. La prise du pouvoir des colonels entraîne la réhabilitation des policiers et militaires accusés dans l'affaire[8].
Dès la lecture, Costa-Gavras pense tirer un film du roman[7]. Il a déjà réalisé deux films : Compartiment tueurs (1965), particulièrement remarqué, et Un homme de trop (1967). Il propose à son ami écrivain Jorge Semprún, scénariste de La Guerre est finie d'Alain Resnais, d'adapter le roman avec lui[7]. Le livre n'étant pas encore paru en français, Costa-Gavras lui lit en le traduisant et l'écrivain espagnol accepte[9]. Pour Costa-Gavras, cette histoire lui permettrait de tourner un film sur son pays natal, en plus d'une œuvre politique forte[9]. Semprún, lui, voit l'occasion de traiter une fois de plus de l'Espagne franquiste, qu'il a dû fuir adolescent, à travers cette nouvelle dictature qui se profile dans un autre pays méditerranéen et, communiste et ancien résistant, garde un souvenir meurtri de l'écrasement par l'armée britannique de la résistance grecque à la fin de Seconde Guerre mondiale[9].
Costa-Gavras et Semprún obtiennent pour l'écriture une avance d'un million de francs de la société de production franco-américaine Les Artistes associés[9]. Ils s'enferment dans une maison du Loiret à l'automne 1967[8]. S'ils imaginent d'abord des choix de mise en scène radicaux (le noir et blanc, une distribution entièrement constituée d'acteurs inconnus, et même faire parler les personnages dans une langage incompréhensible « pour accentuer la force des images »), ils s'orientent finalement vers une réalisation plus conventionnelle et accessible au grand public, afin de mieux diffuser leur réquisitoire contre la répression politique[8]. Le scénario est prêt au bout d'un mois[9]. Simone Signoret et Yves Montand, proches des deux auteurs, sont les premiers à le lire[9]. Montand, acteur principal de Compartiment tueurs, accepte de suite le court mais central rôle du député Lambrákis[9]. Proche de nombreux acteurs, Costa-Gavras parvient à réunir une prestigieuse distribution de comédiens connus et de seconds rôles appréciés[8]. Jean-Louis Trintignant choisit le rôle du juge, après avoir hésité avec celui du journaliste révélant l'affaire, ce dernier rôle étant finalement confié à Jacques Perrin ; tous deux étaient présents dans Compartiment tueurs[8].
Les producteurs des Artistes associés se retirent du projet, gênés par le ton politique[9],[8]. Ils réclament même le remboursement de l'avance d'un million[8]. Le réalisateur propose son film à toutes les sociétés de productions possibles, en vain[9]. Parmi les refus, une collaboratrice de Darryl F. Zanuck explique qu'il ne se passe rien d'intéressant dans le scénario et va jusqu'à dire que, quitte à produire un film politique, un film sur Che Guevara, sujet vraiment vendeur, aurait été préférable[9]. Costa-Gavras relate aussi que « les Italiens ont eu très peur, les Yougoslaves ont refusé net, quant aux Roumains, ils n'ont jamais répondu »[8]. Au milieu de cette déroute, le centre national du cinéma accepte la demande d'avance sur recettes, à la surprise de Costa-Gavras, mais elle ne représente qu'un dixième du budget prévu, trop peu pour concrétiser le projet[8]. En informant ses acteurs de l'abandon du projet, Costa-Gavras reçoit le soutien de Jacques Perrin, qui commence à s'intéresser au métier de producteur, et part à la recherche de financements[9],[8]. Il obtient l'accord des acteurs de diminuer leurs cachets ou de les transformer en participation pour alléger le budget et permettre au film d'exister[9],[8].
Lors de l'éphémère festival de Cannes 1968, Jacques Perrin, Costa-Gavras et Jorge Semprún rencontrent Ahmed Rachedi et Mohammed Lakhdar-Hamina, représentants du cinéma algérien[8]. En un rien de temps, l'office du cinéma algérien, dépendant du ministère de l'Information, prend en charge la production du film, et le pays servirait également de décor principal[8]. Jacques Perrin souligne ce « choix d'un pays de prendre position contre la Grèce, parce que c'est, en fait, une prise de position au niveau ministériel — non pas comme en France par une production privée »[8]. Un distributeur pour la France est trouvé tardivement, à trois jours du tournage, en la personne d'Hercule Mucchielli et sa société Valoria Films[10],[8].
C'est lors d'un déjeuner de Jacques Perrin et Éric Schlumberger à Plonéour-Lanvern que le photographe de plateau Félix Le Garrec est engagé, les deux producteurs étant agréablement surpris de la qualité de travail du photographe en découvrant ses œuvres présentées dans la vitrine de son magasin[11].
Tournage
En pleine dictature des colonels, il est impossible de tourner le film en Grèce. Le tournage a lieu principalement à Alger (après une suggestion de Jacques Perrin), facilité par les conditions du ministère de l'Information algérien (chargé des Affaires culturelles)[12]. Toutefois, par rapport au régime, l'Algérie pose aussi problème puisque, dans ce pays, la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif est loin d'être établie et les libertés publiques sont limitées. La ville d'Alger, par son architecture, ressemble beaucoup à Athènes[8]. Des scènes sont notamment tournées dans l'hôtel Saint-George. Les scènes de ballet sont cependant filmées au théâtre des Champs-Élysées à Paris[12].
Par amitié et solidarité, afin d'alléger le budget, Jean-Louis Trintignant accepte un petit cachet, tandis que Yves Montand le convertit en participation[8]. Le tournage commence en [8]. En août, Yves Montand prend une pause dans les répétitions de sa rentrée à l'Olympia pour ce bref tournage à Alger[7]. Il n'apparaît au total que douze minutes à l'écran[9].
Bande originale
Costa-Gavras choisit Míkis Theodorákis, compositeur et homme politique grec, pour réaliser la musique du film. Alors emprisonné par le régime des colonels en raison de son opposition à la dictature, il ne peut que difficilement contribuer au film. Il transmet ce mot au cinéaste : « Prends ce que tu veux dans mon œuvre. »[13]. Costa-Gavras et le musicien Bernard Gérard choisissent donc des morceaux dans son œuvre. Theodorakis ne découvrira le film et sa musique qu'une fois libéré et exilé en France[14].
Grigóris Lambrákis était aussi parfois surnommé « l'enfant souriant » (το γελαστό παιδί / to ielastó pedhí), d'où le titre de l'une des chansons du film[15].
Au tout début du film on peut lire : « Toute ressemblance avec des événements réels, des personnes mortes ou vivantes n'est pas le fait du hasard. Elle est volontaire. »
Z est en effet un réquisitoire contre la dictature des colonels instaurée le en Grèce, adapté du roman de Vassilis Vassilikos fondé sur un fait réel : l'assassinat du député grec Grigóris Lambrákis en 1963 à Thessalonique, assassinat organisé par des éléments de la police et de la gendarmerie et camouflé au départ en accident. Même si le nom du pays n'est pas expressément mentionné, des références évidentes à la Grèce apparaissent dans le film, par exemple les panneaux publicitaires pour la compagnie aérienne Olympic Airlines[18] ou la bière Fix, ou encore dans la bande originale.
Le personnage de journaliste incarné par Jacques Perrin est un composite de plusieurs personnes réelles[8].
Le sujet du film est le passage de la démocratie à un régime autoritaire de type dictatorial, au travers notamment des rapports entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif.
Le député dirigeant un mouvement d'opposition au régime en place (Yves Montand) est gênant : il dénonce les impostures du régime. Pacifiste et progressiste, opposé à la course aux armements, il heurte les milieux réactionnaires liés au palais royal, au gouvernement et aux forces de l'ordre qui craignent qu'il ne fasse basculer politiquement le pays et souhaitent entraver sa progression. On choisit de le faire disparaître sous l'apparence d'un accident. Des manifestants déterminés, membres d'une association d'extrême droite, perturbent dans l’indifférence de la police sa réunion politique en agressant ses participants puis le député lui-même. Puis sortant de la réunion, il est heurté par un véhicule dissimulant un extrémiste lui portant discrètement un violent coup à la tête. Hospitalisé, le choc entraîne sa mort malgré plusieurs opérations.
Un simple juge d'instruction intègre et motivé (Jean-Louis Trintignant) conduit, malgré les pressions et malgré son absence de sympathie politique pour le parti du député assassiné, une enquête minutieuse qui établit un vaste réseau de complicités ; il le démantèle en inculpant pour assassinat des cadres importants du régime. L’espace d’un moment plane un semblant de justice. Le procès sera toutefois torpillé par le régime qui, confronté aux protestations populaires, finira par mettre fin à l'État de droit, en instaurant une dictature militaire.
Malgré la normalisation finale du récit (les forces réactionnaires mises en difficulté instaurant une dictature militaire), Z reste le symbole de la déstabilisation que l’on peut faire subir à un ordre établi mais contesté.
Le juge d'instruction Chrístos Sartzetákis, incarcéré par la dictature des colonels comme précisé à la fin du film, sera réintégré en 1974 puis, candidat à l’élection présidentielle de 1985, il sera élu président de la République de Grèce. Costa Gavras le rencontre en 2009 à l'Institut français d'Athènes à l'occasion des quarante ans de la sortie du film Z, en présence de Vassilis Vassilikos, Mikis Théodorakis et Irene Papas[19].
À la fois film politique et thriller, Z correspond à l'air du temps, dans ces années de l'après mai 68[9]. L'Express titre « Le premier grand film politique français » et applaudit « L'efficacité sans la complaisance, la démonstration sans la pédanterie : c'est le rare équilibre entre le film d'opinion et le film d’action, le cinéma d'idées et le cinéma spectacle »[20]. À l'inverse, cet aspect déplaît à la critique cinéphilique de gauche[20]. Jean Narboni, dans les Cahiers du cinéma, fustige le « système Z » : « Une heure et demie du système le plus racoleur, accrocheur, complaisant, tape-à-l'œil »[20]. Les tenants d'un cinéma politique nouveau tentent à l'époque d'inventer une autre façon de faire des films, un nouveau langage, quitte à se marginaliser du système de production, tandis que Costa-Gavras fait le pari opposé de créer une œuvre politique attirante pour le spectateur, adaptée au circuit commercial, afin de faire circuler les idées auprès d'un large public[20].
En plus de le rapprocher de l'esthétique de n'importe quel « film bourgeois », la presse cinéphile politisée analyse une mauvaise approche[20]. Jean Narboni voit dans le film une « idéologie petite bourgeoise », ignorant « les analyses concrètes, l'étude objective des rapports sociaux, le démontage des mécanismes politiques […], au profit de seuls critères moraux, qui en constituent à la fois le substitut-fétiche et la censure[21] ». Il accuse le film de rapporter les enjeux de la lutte politique pour le pouvoir en Grèce à de seuls rapports moraux entre individus[20]. Par ailleurs, Positif dénonce un film au point de vue bourgeois négligeant la place de la classe ouvrière : « Aucune analyse sociale, aucune vision réelle de la lutte des classes, aucune indication sur le rôle joué par le prolétariat, par l'avant-garde de la révolution »[20].
Box-office
Z sort en salles en et remporte un important succès[9]. Le film reste sur les écrans pendant trente-six semaines[9]. Il réunit 3,5 millions d'entrées sur sa seule première année d'exploitation[22]. Aux États-Unis, le film a rapporté 27,3 millions de dollars avec 21 496 000 spectateurs[23]. En France, le film compte au total 3 952 913 spectateurs, ce qui en fait le quatrième film le plus vendeur en France parmi ceux sortis en 1969[24].
BAFTA Awards 1970 : meilleur film, meilleur scénario, meilleur montage et UN Award
Polémique
En 1970, la veuve de Grigóris Lambrákis attaque en justice le producteur du film, ainsi que l'éditeur du roman, pour deux motifs : « atteinte à la mémoire de son mari, pour avoir déformé sa vie privée » et « avoir porté sa vie à l'écran sans autorisation ». Les deux demandes sont rejetées par le tribunal de grande instance de la Seine le [25].
↑ a et bCommentaire audio du DVD de Z - Wellspring Media.
↑[1] Costa-Gavras, à l'émission L'autre séance, sur LCP, à la suite de la diffusion de Z, janvier 2008.
↑« La musique de Z », sur grecealouest.eklablog.com (consulté le ).
↑Point à clarifier : la chanson to yelasto pèdi a été composée par Théodorakis vers 1962 pour une pièce de l'auteur irlandais Brendan Behan, Un otage. Cf. Christian Pierrat, Théodorakis, Albin Michel, 1977, p. 117.
↑« Z (1969) », sur www.soundtrackcollector.com (consulté le ).
↑Cf. Nathalie Mallet-Poujol, « Archives orales et vie privée », 2006, sur Google Books, p. 131.
Voir aussi
Bibliographie
Propos de Casta-Gavras, Jacques Perrin, Vassilis Vassilikos et Julien Guiomar recueillis par Pierre Acot-Mirande, Pierre Loubière et Gilbert Salachas, « Z », Téléciné no 151-152, Paris, Fédération des Loisirs et Culture Cinématographique (FLECC), , p. 4-16, (ISSN0049-3287).
L'année indiquée est celle de la cérémonie. Les films sont ceux qui sont proposés à la nomination par l'Algérie ; tous ne figurent pas dans la liste finale des films nommés.
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