Le système est fondé sur la construction de plusieurs forts polygonaux enterrés (qualifiés de « forts Séré de Rivières »), formant soit une ceinture fortifiée autour de certaines villes, soit un rideau défensif entre deux de ses places, soit des forts isolés. Ces éléments ont été partiellement modernisés de la fin du XIXe siècle jusqu'en 1918, pour former ce que les Allemands ont appelé la « barrière de fer ». Son équivalent est en Allemagne la série des forts Biehler, au Royaume-Uni les forts Palmerston et en Belgique les forts Brialmont.
Les forts Séré de Rivières subirent l'épreuve du feu lors de la Première Guerre mondiale, soit quarante ans après le début de leur construction : ils démontrèrent par leurs résistances l’intérêt de la fortification (Douaumont, Moulainville, Vaux, etc.). La grande majorité d'entre eux sont déclassés pendant l'entre-deux-guerres, leur rôle étant repris par les ouvrages de la ligne Maginot. Les forts, rendus aux communes, sont maintenant le plus souvent laissés à l'abandon. Néanmoins, certains restent propriété du ministère de la Défense car toujours potentiellement dangereux (les bombardements reçus pendant les guerres rendant la dépollution pyrotechnique quasi impossible).
Genèse du système
Bouleversements
À partir de la fin du XVIIIe siècle, la fortification doit répondre aux avancées techniques dans le domaine de l'artillerie : l'augmentation de la portée des pièces (qui passe de 600 à 3 000 mètres au début du XIXe siècle), de la cadence de tir (grâce au chargement par la culasse), de la précision (grâce au canon rayé) et de la puissance des projectiles (obus cylindro-ogival muni d'une fusée percutante et rempli d'explosif) rendent inefficaces toutes les fortifications érigées selon les principes de la fortification bastionnée. Montalembert avait théorisé de nouvelles formes de fortification (qu'il appelle la « fortification perpendiculaire », correspondant à la fortification polygonale) protégeant des ouvrages d'artillerie se soutenant mutuellement[1]. Si ces idées sont appliquées dès le début du XIXe siècle par les Piémontais (pour les forts de la barrière de l'Esseillon en Maurienne) et par les Prussiens (pour le fort Constantin à Coblence), les Français restent d'abord fidèles aux principes de Vauban et de ses successeurs (tel que Cormontaigne).
En 1832, la prise de la citadelle d'Anvers est due au pilonnage de la place par les mortiers du général Haxo (plus de 39 000 obus et bombes sont tirés en 19 jours de siège)[2]. Une solution à l'augmentation des portées est de construire une ceinture de « forts détachés » pour maintenir le centre-ville à protéger hors de portée de l'assiégeant. Cette solution est appliquée autour de Lyon en 1831-1852 (avec treize forts bastionnés et neuf redoutes), puis autour de Paris en 1840-1846 (avec quinze forts bastionnés et onze batteries placés de 1,5 à 5 kilomètres de l'enceinte)[3].
En 1863, des expériences sont menées au fort Liédot (sur l'île d'Aix) en tirant dessus avec les nouveaux obus explosifs : le fort ne résiste pas. La solution envisagée est de recouvrir les structures par des masses de terre. En 1867, le Comité des fortifications propose de moderniser les places fortes ; des travaux sont lancés à Metz, Belfort et Langres[4]. À Metz, l'ancienne enceinte est complétée par une ceinture de forts imaginés par le lieutenant-colonel Séré de Rivières (alors commandant du génie à Metz) : les forts du Saint-Quentin, de Plappeville, de Saint-Julien et de Queuleu. Ces forts de forme trapézoïdale avec des bastions, le tout recouvert de terre, sont chargés de maintenir l'artillerie d'un assiégeant hors de portée de la ville ; les travaux sont terminés en urgence pendant le siège de Metz de 1870 (deux autres forts sont encore à peine ébauchés : ceux des Bordes et de Saint-Privat)[5].
Parallèlement à l’évacuation des dernières troupes d'occupation allemandes en 1873, est créé le « Comité de Défense » qui siège de 1872 à 1888. Ce comité a pour mission la réorganisation défensive de toutes les frontières de France, aussi bien terrestres que maritimes. Pour cela, il fallait boucher la brèche laissée par la perte des places fortes de l'Est, moderniser les anciennes places qui se montrèrent dépassées pendant les affrontements de 1870 et recréer de nouveaux forts adaptées aux nouvelles techniques de combat et notamment aux grands progrès qu'avait fait l'artillerie. Ce comité est créé par un décret présidentiel le . Il compte à sa création neuf membres dont le ministre de la Guerre et des représentants de l’artillerie et du génie.
Séré de Rivières, général de brigade depuis , commandant du génie du 2e corps d’armée de Versailles (il vient de diriger la prise des forts d'Issy, de Vanves et de Montrouge défendus par les Communards), est présent dès le début dans ce comité, avant d'en être nommé secrétaire en . Le , il est promu à la tête du Service du génie au ministère de la Guerre[6]. Séré de Rivières est désormais la tête pensante du Comité en ayant tous les pouvoirs nécessaires pour faire admettre ses idées et les réaliser sans réelle opposition. Il expose ses idées dans deux rapports : Considérations sur la reconstruction de la frontière de l'Est () et Exposé sur le système défensif de la France ()[7]. Le rôle de ce système est :
de freiner ou d'empêcher une nouvelle offensive ennemie ;
de faciliter la mobilisation et le déplacement des troupes en cas d’attaque ;
de faciliter la reprise des territoires perdus pendant la guerre de 1870.
« Créer sur la frontière qui s'étend de Calais à Nice, en arrière de cette frontière et jusqu'à Paris, un système défensif général en tenant compte des conditions de la guerre moderne, des effectifs mis en ligne, de l'importance des chemins de fer et des progrès de l'artillerie. »
Le programme complet des fortifications proposé au Comité de Défense est estimé à 400 millions de francs. Le , l'Assemblée nationale vote le financement d'une première tranche de travaux[9] à hauteur de 88 millions, dont 29 au titre de l'année 1874. Les études et les terrassements commencent en fait avant le vote du financement, car il y a urgence à la suite des menaces de guerre avec l'Allemagne : à Toul et à Verdun sont élevées durant l'hiver 1874-1875 respectivement trois et six « redoutes de la panique » en terre[10]. En 1880, alors que les travaux sont déjà bien avancés et à la suite de rivalités internes, de manœuvres politiques et de critiques de son système défensif[11], le général Séré de Rivières est évincé du Comité le et mis à la retraite. Malgré cela, on continue les travaux prévus, tranche par tranche, sous la direction de Cosseron de Villenoisy.
Principes généraux
Places et rideaux
Le système défensif de Séré de Rivières s'appuie sur le concept des places fortes (appelés antérieurement des « camps retranchés »), en y rajoutant le principe des rideaux défensifs et des trouées.
La place forte de Toul et sa ceinture de fortifications : les forts sont indiqués par des carrés bleus, les ouvrages par des ronds rouges (le fond de carte est celui de l'état-major de 1866).
Les nouvelles places fortes doivent s'adapter aux progrès de l'artillerie. Finies les citadelles et les enceintes englobant les villes, maintenant les forts sont rejetés à l’extérieur des cités (d'où l'appellation de « forts détachés »), à environ une dizaine de kilomètres, voire plus, du centre urbain dans le but de laisser l’artillerie et l’ennemi suffisamment loin. On crée désormais autour des places fortes une ceinture de forts distants entre eux de seulement quelques kilomètres, de façon que leurs moyens défensifs puissent couvrir efficacement les intervalles. Ces forts ont la capacité de se défendre mutuellement : chaque fort peut ainsi tirer vers son voisin pour l’aider à se dégager d’une avancée de l’infanterie. En plus des principaux forts, il existe toute une série d’installations destinées à servir aux troupes d’intervalles. On retrouve ainsi des réduits défensifs (ou ouvrage d’infanterie) destinés à recevoir de l’infanterie, des « abris de combats » permettant aux troupes d’intervalles de s'abriter pendant les bombardements et servant également de casernement, des batteries intermédiaires destinées à recevoir de l’artillerie supplémentaire (prévues dès l’origine) ou en remplacement de l'artillerie des forts (en 1915, on avait décidé de désarmer en partie les forts Séré de Rivières que l’on jugeait trop concentrés, donc faciles à atteindre).
En arrière de la ligne de forts, on retrouve toute une série de bâtiments destinés au soutien logistique. Ainsi au centre des places on trouve les magasins centraux de vivres, de matériels et de munitions. Ces magasins permettent de ravitailler les forts et la ligne de front. Ce ravitaillement s’effectue au moyen d’un vaste réseau de chemin de fer militaire à voie de 60 cm (le système Péchot adopté par l’artillerie en 1888 est d’ailleurs développé sur la place forte de Toul) propre à chaque place. Le long de ces lignes de chemins de fer, on retrouve des dépôts intermédiaires de munitions destinés aux troupes d’intervalles.
Rideaux défensifs
Tirant les leçons du siège de Metz de 1870 qui avait montré qu'une armée pouvait se retrouver assiégée dans un camp retranché et qu'on ne pouvait pas se limiter à fortifier uniquement quelques places fortes, Séré de Rivières développe le principe des rideaux défensifs entre ces places. Ces rideaux défensifs utilisent des obstacles naturels (les côtes de Meuse pour le rideau défensif dit « des Hauts-de-Meuse » et le sud-ouest du massif des Vosges pour le « rideau de la Haute-Moselle ») qui sont ainsi valorisés par la présence des forts érigés sur les points hauts.
Trois rideaux défensifs sont aménagés, composés d'une ligne de plusieurs forts (par exemple le fort de Troyon) distants chacun de quelques kilomètres, permettant de défendre le passage entre deux places. Aux extrémités de chaque rideau défensif se trouve une place forte (pour le rideau des Hauts-de-Meuse : Verdun au nord et Toul au sud ; pour le rideau de la Haute-Moselle : c'est Épinal au nord et Belfort au sud). Ces rideaux ne forment pas une ligne continue le long des frontières, il n'y en a que trois : entre Lille et Maubeuge (le long de la frontière avec la Belgique), entre Verdun et Toul (rideau des Hauts de Meuse) et entre Épinal et Belfort (rideau de la Haute-Moselle).
Sont ainsi volontairement aménagées des trouées pour « canaliser » les percées ennemies. Ces trouées débouchent toutes sur des places fortes de seconde ligne destinées à fixer l'avancée ennemie pendant que les troupes manœuvrent sur les flancs de ces armées pour pouvoir les prendre à revers. Quatre trouées sont prévues :
la trouée de l'Oise[12] (entre les places de Maubeuge et de Verdun, au nord des Ardennes), bloquée par les places de La Fère et de Laon ;
la trouée de Stenay (entre Maubeuge et Verdun, au sud des Ardennes), bloquée par la place de Reims ;
la trouée de Charmes (entre Toul et Épinal), bloquée par la place de Langres ;
En plus de ces dispositifs, de puissants forts isolés (« forts d'arrêt ») sont disséminés pour contrôler les axes de transport sur les flancs des trouées (dans les Ardennes et en Lorraine : par exemple le fort de Manonviller ou celui de Bourlémont sur les flancs de la trouée de Charmes) afin de gêner la progression de l'envahisseur, permettant d’obtenir des délais suffisants à la mise en place des armées chargées de le combattre.
Forts polygonaux
Les forts développés de 1874 à 1880 selon l'Instruction de Séré de Rivières du [15] sont construits en maçonnerie, soit de pierre de taille, soit de moellons, soit de briques (selon les disponibilités locales), le tout recouvert de terre. La couche de terre sert de protection, dissipant la puissance explosive des premiers obus.
Défense rapprochée
Les forts que les Français construisent à partir de 1874 n'ont plus de bastions érigés à leurs saillants, le bastion étant devenu obsolète du fait des avancées des armements. Toutefois, nombre de ces forts présentent un front semi-bastionné qui est généralement celui situé à la gorge de l'ouvrage (à l'opposé du côté supposé de l'attaque). Le tracé des forts est un polygone (d'où le terme de « fortification polygonale ») souvent proche du trapèze, délimité par un fossé. Les différents côtés du polygone sont appelés « faces », « flancs » et « gorge » (ce dernier côté où se trouve la porte étant dirigé vers l'intérieur de la place). Ce fossé est d'une profondeur de six mètres pour douze de large (selon les instructions, il y a des variations locales), délimité par deux murs, l'un d'escarpe du côté du fort et l'autre de contrescarpe du côté extérieur. Le fossé est défendu par les tirs venant des caponnières, des casemates tirant en flanquement : elles sont placés aux angles, au niveau du fond du fossé. Elles sont simple (une direction de tir), double (deux directions) voire triple (un cas au fort du Lomont)[16]. Ces caponnières, situées en fond de fossé et donc moins vulnérables aux projectiles d'artillerie, remplacent les bastions qui prévalaient dans la fortification depuis trois siècles et demi.
Les environs immédiats sont occupés par l'habituel glacis, qui s'étend au-delà du terrain militaire sur la « zone de servitude militaire », délimitée par des bornes respectivement à 250 (zone inconstructible), 487 (constructions uniquement en bois) et 974 mètres (constructions sans altération du relief) du fort[17]. L'entrée du fort se fait par un pont, généralement escamotable. L'infanterie du fort peut prendre place dans des positions d'infanterie spécialement aménagées en surplomb du fossé.
Photographie aérienne du fort de Douaumont en 1916 (place forte de Verdun), montrant sa forme polygonale caractéristique.
L'artillerie des forts type 1874 est disposée à l'air libre sur des plateformes de tir encadrées par des traverses-abris (appelées également abri-traverse ou abri-sous-traverse). Ces traverses-abris sont des petits locaux destinés au stockage du matériel nécessaire aux pièces et pour les obus prêts à l’emploi. Les plateformes de tir peuvent se retrouver soit sur la caserne (fort à cavalier), soit le long d’un chemin parcourant tout le périmètre du fort (appelé rue du rempart), dans ce cas, certaines traverses sont « enracinées » et communiquent directement avec la caserne.
L'artillerie des tout premiers forts est celles existant antérieurement, c'est-à-dire des pièces en bronze à âme lisse ou rayée ; ces canons sont modernisés par le système Reffye, consistant à rayer le tube et à permettre le chargement par la culasse. Le principal modèle est le canon de siège et de place Reffye modèle 1874, qui est la modernisation d'un ancien canon de 16 livres (calibre 138 mm, portée 7,7 km), en service à partir de 1875 progressivement retiré à partir de 1900[18].
À l'intérieur du périmètre du fort, on retrouve une ou plusieurs casernes (parfois à plusieurs étages) dont les façades débouchent sur des cours intérieures. Dans ces casernes, semi-enterrées (seule la façade apparaît), destinées au logement de la troupe, on retrouve une cuisine, des citernes pour l'eau potable (alimentées par la récupération des eaux de pluie, des captages de sources ou par des puits) et parfois des fours à pains.
Autre lieu important d'un fort, le magasin à poudre centralise le stockage des différents explosifs et artifices du fort. Cette pièce fermée par deux portes à trois serrures différentes était construite de façon à isoler du mieux possible la poudre de l’humidité et des flammes. Recouvert d'une forte épaisseur de terre, ce magasin était éclairé par un système de lampes à pétrole isolées de la poudre par des vitres blindées de forte épaisseur et accessibles uniquement de l'extérieur du magasin à poudre.
Jusqu'en 1882[20], la plupart des forts communiquaient entre eux par poste optique (avec un système d'héliostat-héliographe). De grands pigeonniers militaires sont implantés dans chaque place forte dès le temps de paix.
Variations
On peut décrire trois types de fort différents, dont le plan et l'équipement sont adaptés à la mission : les forts d'arrêt, les forts de rideau (ou de liaison) et les forts de place (ou de ceinture). En plus de cela, on peut différencier les forts ayant été modernisés et ceux restés dans leur état d’origine. Le fort d’arrêt est par définition isolé du reste du système ; il doit donc être capable de fonctionner en autonomie totale et être capable d’assurer sa défense. Souvent de grande dimension, ce fort peut tirer dans toutes les directions. Il est destiné à protéger les trouées (de Charmes ou de Stenay notamment), barrer les voies de communications et à ralentir l'avancée des troupes ennemies, le temps nécessaire à la mise en place d'une nouvelle ligne de défense. Neuf forts de ce type ont été construits dans l'Est et deux dans le Sud-Est de la France.
Les forts de rideau et les forts de place peuvent, quant à eux, compter sur l'aide de leurs voisins et ne doivent se défendre en général que sur un seul front. C’est pourquoi leur artillerie était concentrée sur les directions occupées par leurs voisins et sur la zone qu'ils étaient censés contrôler, la face arrière étant leur point faible. Les forts de rideau sont des ouvrages alignés entrant dans la constitution de rideaux défensifs tandis que les forts de place permettent de protéger une place fortifiée.
Évolutions après 1880
Crise de l'obus-torpille
Dans la décennie 1880, une série d'innovation se combinent pour multiplier la puissance de l'artillerie. En 1880, un nouveau modèle d'obus équipé d'une fusée-détonateur chronométrique permet le « tir fusant » qui consiste à faire éclater le projectile au-dessus de l'objectif, criblant ce dernier d'éclats ou de shrapnels.
En 1884 le Français Paul Vieille met au point la première poudre sans fumée, à base de nitrocellulose (d'où le nom de coton-poudre ou de fulmicoton). Elle est rapidement imitée ; en 1887 Alfred Nobel crée la ballistite, améliorée par les Britanniques Frederick Abel et James Dewar sous le nom de cordite. Toutes ces préparations sont très supérieure à la poudre noire comme propulseur des munitions d'armes de tous calibres. Notamment, elles ne produisent pratiquement pas de résidus solides, alors qu'ils forment près de 60 % des produits de l'explosion de la poudre noire, ne contribuant en rien à l'effet propulsif (seuls les produits gazeux ont cet effet) et encrassant rapidement les tubes.
La poudre noire est également supplantée comme charge explosive des obus par de nouveaux explosifs, notamment la mélinite (appelée lyddite en anglais) mise au point en 1885 par Eugène Turpin.
Les nouveaux modèles d'obus permis par ces innovations rendent les fortifications existantes très vulnérables, comme démontré lors d'une expérience de tir réel sur le fort de la Malmaison (au sud de Laon) en 1886. D'une part, il devient nécessaire de protéger les artilleurs de la place-forte contre les effets du tir fusant (il leur faut donc un toit suffisamment solide pour les protéger), d'autre part les terrassements et les voûtes traditionnels s'effondrent sous l'effet des « obus-torpille » (expression due à la forme de plus en plus allongée des munitions), explosant après avoir pénétré la cible ou le sol à proximité. Cette période du milieu des années 1880 est appelée la « crise de l'obus-torpille »[21].
Tous les ouvrages antérieurs sont obsolètes (même les plus récents comme le fort de Douaumont, dont la construction commence en 1884), ils sont déclassés ou, pour ceux qui conservent une position stratégique, modernisés. Les forts construits après 1885 sont nettement moins étendus que leurs prédécesseurs, avec des formes plus rectangulaires ; le béton et l'acier sont expérimentés comme solution.
Par le décret du pris par le général Boulanger, alors ministre de la Guerre, les bâtiments militaires sont rebaptisés du nom d'une « gloire » (nom d'une personnalité), si possible militaire et locale[22]. Ainsi, les forts prennent de nouveaux noms, surnommés les « noms Boulanger », qui sont inscrits sur le fronton au-dessus des entrées.
Mais dès le , le général Théophile Ferron, successeur de Boulanger au ministère, abroge ce décret et les forts reprirent officiellement leur nom d'origine[23], tout en conservant l'autre nom gravé.
Béton et cuirassements
Une solution est rapidement trouvée grâce à la découverte quelques années auparavant du béton spécial qui permet d’offrir suffisamment de résistance aux nouveaux explosifs. En plus du béton spécial, en 1885, le béton armé est découvert et permet aux fortifications françaises de rester d'actualité, à condition de les moderniser. On commence donc à ajouter sur certains forts une carapace de béton pour protéger les organes essentiels, enterrant un peu plus les forts. Dans certains de ces forts modernisés, on peut observer une bande rouge parcourant certains murs : cela servait à signaler aux occupants du fort que le lieu marqué comme tel était protégé contre l'impact des nouveaux obus créés après la crise de l'obus-torpille.
Ainsi les casernes maçonnées reçoivent une carapace de béton supplémentaire pour les mettre à l'abri des nouveaux moyens de destruction. Dans certains cas, on reconstruit de nouvelles casernes entièrement en béton tout en conservant les anciennes en maçonnerie. Les magasins à poudre avaient montré leur fragilité et leurs points faibles durant les essais effectués, entre autres, au fort de la Malmaison : on décida donc de supprimer ces magasins en répartissant au mieux le stock de poudre dans tout le fort et surtout en créant de nouveaux magasins profondément enfouis pour les mettre à l'abri des obus les plus destructeurs. On creuse ainsi de nouveaux magasins à poudre appelés magasins sous roc ou magasins caverne. On peut également noter l'apparition, dans tous les forts de grande importance qui sont modernisés, d'une centrale de production d’électricité.
Les caponnières jugées trop fragiles sont également supprimées au profit de coffres de contre-escarpe. Moins saillants que les caponnières, ces coffres sont « encastrés » dans le mur de contre-escarpe et le plus souvent reliés au fort via une gaine souterraine passant sous le fossé. Dans certains forts, on crée même de nouvelles entrées mieux protégées des tirs et situées au fond des fossés du fort (appelées aussi entrées de guerre). Restait le problème des protections de l'artillerie.
Cuirassements en fonte
Les progrès que fait l’industrie en matière de sidérurgie aident grandement les ingénieurs attachés aux problèmes des cuirassements. Ainsi en 1875, avec entre autres, les travaux du commandant Mougin, les cuirassements prennent forme.
Casemate Mougin
Les premiers à être installés sont les casemates en acier laminé (système Mougin). Construites au nombre de quatre dans trois des forts du rideau de la Haute-Moselle, elles sont prévues pour recevoir un canon de 138 mm Reffye et blindées contre le canon de campagne.
Le fer laminé se révélant un peu faible contre les nouveaux types d’armement et notamment les armes de siège, le commandant Mougin propose une évolution de sa casemate en fer laminé. Cette fois, elle est en fonte dure et prévue pour résister au canon de siège. Dix exemplaires de cette casemate sont installés et équipés avec un canon de 155 mm long modèle 1877.
Tourelle Mougin
Mougin propose également une tourelle tournante en fonte dure pour deux canons de 155 mm long modèle 1877. Ce cuirassement fort novateur pour l’époque est construit à 25 exemplaires. Malheureusement, la fonte dure montre ses limites avec la crise de l’obus-torpille : ces cuirassements sont trop faibles pour protéger efficacement les pièces et les artilleurs des nouvelles menaces (la fonte casse quand elle est percutée par des obus de gros calibre). On tenta de moderniser certaines de ces tourelles mais la plupart restèrent dans leur état d'origine bien que complètement dépassées. On abandonna la fonte dure en 1882.
Apparition de l'acier
À partir de 1885, on commence sérieusement à reprendre le problème du cuirassement. Au cours de cette reprise, divers prototypes de cuirassement (essentiellement des tourelles) voient le jour et sont testés très durement pour trouver un successeur à la tourelle Mougin en fonte dure. L’acier spécial (mis au point dans ces années là par Schneider et Cie) est, cette fois-ci, largement employé. Parmi tous les prototypes proposés, on peut noter la tourelle tournante pour deux canons de 155 mm long du commandant Mougin (une évolution de sa précédente tourelle) et une tourelle à éclipse du lieutenant-colonel Bussière pour deux tubes de 155 mm long. La différence fondamentale dans ces deux tourelles réside dans le principe de protection des embrasures des cuirassements. Pour les tourelles tournantes de Mougin, seule la rotation permanente de la tourelle permet de protéger ses embrasures. Dans le cas des tourelles à éclipse, la tourelle s’efface pour ne laisser à la surface du fort que sa calotte fortement blindée. Ce système montre sa supériorité lors des essais menés au camp de Châlons entre 1887 et 1888.
Tourelle Galopin
Mais la tourelle qui est finalement retenue est la tourelle modèle 1890 pour deux 155 mm long conçue par le capitaine Galopin. Cette tourelle, techniquement très complexe, se montra d’une redoutable efficacité. On en installa seulement cinq en raison du coût de fabrication très élevé.
Cependant, les prototypes des tourelles développés pour les différents essais furent conservés et installés dans différents forts du système Séré de Rivières.
En raison du coût de la tourelle Galopin bi-tube, Galopin développa une version plus petite et, surtout, moins chère de sa tourelle. Elle est adoptée en 1907, sous le nom de tourelle Galopin de 155 mm R modèle 1907, avec un seul canon de 155 mm raccourci. Il était prévu d’en installer vingt-deux mais, en 1914, seuls douze exemplaires étaient prêts au combat, notamment au fort de Douaumont. Efficace, cette tourelle à éclipse de 37 tonnes (qui monte pour tirer et redescend aussitôt) se révéla le meilleur cuirassement de son époque, mais de sérieux problèmes de ventilation alliés au bruit à l'intérieur (la résonance était infernale), en freinaient considérablement la cadence de tir.
Cuirassements légers
À côté des cuirassements que l’on peut considérer comme lourds, on peut également trouver toute une série de cuirassements plus légers destinés à l’observation ou la protection d’armes d’infanterie ou plus lourdes. En effet, il est décidé de mettre à l’abri aussi bien les observateurs que les moyens de défense rapprochée des forts et de flanquement. Parmi tous ces cuirassements, on retrouve toute une série de guérites et de cloches blindées d’observation ainsi que des projecteurs à éclipse sous tourelle.
Pour les armes d’infanterie, on peut citer la tourelle à éclipse de 57 mm conçue en 1890 par le lieutenant-colonel Bussière et équipée de deux canons de 57 mm. Seuls quatre exemplaires sont construits et installés : deux au fort de Manonviller, une à l’ouvrage de Bouvron et la dernière à l’ouvrage Est du Vieux-Canton près de Toul. Cette dernière est d’ailleurs transformée pour recevoir deux canons de 75 mm.
La tourelle de mitrailleuses modèle 1899 est initialement prévue pour recevoir une mitrailleuse Gatling à sept canons rotatifs, remplacée par deux mitrailleuses Hotchkiss. Cent-un exemplaires de cette petite tourelle sont installés. Le prototype de tourelle Gatling termina au fort de Manonviller.
La tourelle de 75 mm R modèle 1905, équipée du célèbre canon de 75 mm en version raccourcie, est construite à 73 exemplaires dont seulement 55 sont installés en 1914 ; elle continue sa carrière au sein de la ligne Maginot.
On peut également citer les casemates Pamard, du nom de leur inventeur. Ce sont de petits cuirassements fixes pouvant recevoir une ou deux mitrailleuses. Ces casemates sont installées en 1916 et 1917 principalement dans les forts de Verdun.
Casemate de Bourges
Dès les premiers travaux, on essaya d’installer des pièces d’artillerie (essentiellement des mortiers) sous des casemates maçonnées. Malheureusement, dans beaucoup de cas, la maçonnerie ne résista pas au souffle des tirs et l’idée est abandonnée jusqu'à l’apparition des « casemates de Bourges ».
Ces casemates bétonnées doivent leur nom au lieu d'invention : inventées par le commandant du génie Laurent, en 1895, et testées puis adoptées au polygone de Bourges en 1899, elles contiennent deux canons de 75 mm tirant en flanquement. Ces casemates bétonnées, toutes construites sur un plan similaire, ont pour mission de battre les intervalles entre les différents forts. Elles sont souvent préférées aux tourelles de 75 mm modèle 1905 car d’un coût largement inférieur[24].
Dispersion et enfouissement
Une des solutions retenues face aux nouveaux progrès de l'artillerie au tout début du XXe siècle est la dispersion des organes de combat sur une vaste surface. Les grands forts concentrés, véritables « nids à obus », sont remplacés par une multitude de petites batteries et d'abris, organisés autour d'un réduit central (parfois un ancien fort plus ou moins modernisé).
À la suite des combats de la bataille de Verdun, les forts servent à protéger les troupes françaises comme allemandes. Craignant pour la résistance du béton, celles-ci creusèrent encore plus profondément des réseaux de galeries sous les forts pour relier les différents organes mais également pour s'en servir comme casernement. Les entrées sont aménagées en chicane, les fossés et dessus défendus par des mitrailleuses.
Le génie profite de ces travaux pour créer de nouveaux accès aux forts, plus en arrière et moins exposés (au tir d'artillerie mais aussi aux gaz de combat), ainsi que pour ajouter des blocs de combats avec des blindages légers (casemates Pamard) pour mitrailleuses, ou des casemates d'artillerie (notamment pour canon de 155 mm R). Ces travaux appelés « travaux de 17 » (car réalisés pour la plupart en 1917)[25],[26] préfigurent en fait l’amorce de l’évolution des fortifications vers le tout souterrain que l’on retrouve en 1930 avec la ligne Maginot.
Les principales places fortifiées françaises entre 1874 et 1918.
L'état des fortifications françaises juste avant la déclaration de guerre de 1914 est assez différent de ce que Séré de Rivières avait proposé dans son programme de 1874 : des places fortes entières n'ont pas été construites, un grand nombre d'ouvrages non prévus à l'origine ont été élevés tandis que les travaux de modernisation ont transformé une partie des forts.
Plusieurs termes sont utilisés pour désigner les fortifications de cette période. Pour celles qui sont permanentes, c'est-à-dire construite en temps de paix, il y a des différences chronologiques mais aussi d'échelle et de fonction entre les forts (les plus grands et souvent les plus anciens, équipés de pièces d'artillerie longue portée), les ouvrages (théoriquement d'infanterie, plus petits et tardif), les redoutes (d'infanterie, terme plus ancien), les réduits (petit), les batteries (d'artillerie, de petites dimensions), les abris (d'infanterie, de petite taille) et les magasins enterrés (servant uniquement au stockage). Les terrassements de la période de guerre y rajoutent d'autres ouvrages et abris, ainsi que des tranchées et des réseaux de fils de fer barbelés.
Au total, 212 forts, 18 redoutes et 156 ouvrages ont été construits de 1870 à 1914, sans compter plusieurs centaines de batteries. Uniquement sur la période 1870-1885, c'est 196 forts, 16 redoutes et 42 ouvrages qui sont dus à Séré de Rivières[27].
Première ligne
Frontière belge
Le débouché en France de la plaine belge est barré par deux places fortifiées, celles de Lille (vingt forts et ouvrages) et de Maubeuge (douze forts et ouvrages) avec un rideau de trois forts entre les deux (les forts de Maulde et de Flines en aval de Condé-sur-l'Escaut et le fort de Curgies au sud-est de Valenciennes). Les places de Condé, de Valenciennes, du Quesnoy et d'Avesnes sont déclassées.
Le massif des Ardennes sépare deux axes allant de l'est vers Paris : les trouées de l'Oise au nord et de Stenay au sud, dont les nœuds ferroviaires sont contrôlées par les forts d'arrêt d'Hirson, de Charlemont (en amont de Givet) et des Ayvelles (au sud de Charleville-Mézières). Les places de Givet, Rocroi, Mézières et Sedan sont déclassées, mais pas celles de Montmédy et de Longwy (ces deux dernières sont légèrement modernisées).
Frontière allemande
La frontière franco-allemande de 1914 est contrôlée par la portion la plus solide du système défensif, avec quatre puissantes places fortes reliées deux par deux par de solides rideaux défensifs et séparées par la trouée de Charmes.
Au nord, les deux places de Verdun (45 forts et ouvrages) et de Toul (38 forts et ouvrages) sont reliées par le rideau des Hauts de Meuse, profitant de la cuesta du même nom. Le rideau est composé de huit ouvrages : forts de Génicourt, de Troyon, des Paroches, du Camp-des-Romains (au sud de Saint-Mihiel) et de Liouville, batterie de Saint-Agnant, forts de Gironville et de Jouy-sous-les-Côtes.
La trouée de Charmes, entre les places de Toul et d'Épinal, est un appât évident, proposant une route directe des territoires allemands vers Paris. Les nœuds ferroviaires y sont contrôlés par cinq forts d'arrêt : de Manonviller (à l'est de Lunéville), de Frouard (au nord de Nancy), de Pont-Saint-Vincent (au sud de Neuves-Maisons), de Pagny (au sud-ouest de Toul) et de Bourlémont (à l'ouest de Neufchâteau).
Les vallées donnant accès à Nice sont surveillés par quatre forts, ceux de la Forca et des Milles-Fourches (dans le massif de l'Authion) pour la vallée de la Vésubie, du Pic-Charvet pour la vallée du Var et du Barbonnet (au-dessus de Sospel) pour la vallée de la Bévéra. Enfin, la route littorale est barrée par la place fortifiée de Nice (six forts, quatre ouvrages et quinze batteries).
Seconde ligne et camps retranchés
La seconde ligne de places fortes complète la première, soit en cas de chute d'une place frontalière, soit en cas de débouché d'un ennemi à travers une trouée. La côte champenoise forme une position censée arrêter une offensive provenant de la trouée de l'Oise ou de celle de Stenay. Séré de Rivières avait proposé de fortifier les places de Péronne, de La Fère, de Laon, de Reims, d'Épernay, de Nogent et de Montereau, formant ainsi un arc de cercle protégeant Paris. La réalisation de ce programme se limite aux places de La Fère (trois forts et une batterie), Laon (cinq fort et trois batteries) et Reims (sept forts, deux ouvrages et trois batteries), avec uniquement des forts type 1874 non modernisés faute de moyens financiers. Ces trois places sont déclassées en 1912[28].
Plus au sud, la seconde ligne de fortifications est complétée par les places de Langres (sept forts, neuf ouvrages et sept batteries) et de Dijon (six forts, deux ouvrages et une batterie) doit bloquer une offensive débouchant de la trouée de Charmes.
Enfin, la place de Grenoble (six forts, un ouvrage et trois batteries) sert de place de seconde ligne aux fortifications savoyardes, profitant du relief pour barrer ce carrefour de vallées alpines.
La place de Paris est protégée par une vaste ceinture de 18 forts et 38 batteries construits depuis 1874, auxquels se rajoutent une autre ceinture plus réduite de forts bastionnés construits en 1840-1846. Le tout doit servir en cas d'invasion de « camp retranché », voir de « réduit national », pour protéger la capitale (ce qui en fait un objectif militaire très symbolique) qui est le principal nœud ferroviaire français (au centre du réseau en étoile de Legrand).
La place de Lyon est l'équivalent de celle de Paris, avec une ceinture extérieure de 14 forts et 70 batteries de type polygonal, doublant la ceinture de forts bastionnés construits en 1831-1848.
L'Espagne n'est pas considérée comme un voisin dangereux, d'où peu de travaux de modernisation des anciennes fortifications bloquant les accès pyrénéens. La route littorale passant par le Roussillon est tout de même surveillée par les deux forts polygonaux du Cap-Béar (à Port-Vendres) et del Serrat d'en Vaquer (à Perpignan). Le vieux fort bastionné de Bellegarde sur le col du Perthus est déclassé en 1907.
Les principaux ports métropolitains sont défendus par un grand nombre de batteries de défense côtière, notamment autour de Dunkerque, Calais, Boulogne, Le Havre, Cherbourg, Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Rochefort, Bordeaux, Marseille et Toulon. Les ports proches des frontières terrestres sont protégés côté terre par des forts, formant les places fortes de Dunkerque et de Toulon. Dunkerque bénéficie d'un arrière-pays facilement inondable, défendu par trois ouvrages modernes, le fort de Mardyck (« ouvrage de l'Ouest »), l'ouvrage de Petite-Synthe et le fort des Dunes (« ouvrage de l'Est »), complétés par quatre batteries pointées vers la mer (Mardyck, Risban, Musoir et Zuydcoote)[29].
La place de Toulon doit à son rôle de principal arsenal de la Méditerranée et à sa proximité avec l'Italie d'avoir une double ceinture de fortifications. À la première ceinture de forts bastionnés (Napoléon, Malbousquet, Saint-Antoine, Faron, Lamalgue, Cap-Brun, etc.), Séré de Rivières a rajouté une seconde ceinture de forts polygonaux (Six-Fours, Gros-Cerveau, Pipaudon, Mont-Caume, Croix-Faron, Coudon et Colle-Noire). En complément, une foule de batteries couvre la rade, le littoral et les îles d'Hyères[30].
Ports des colonies
Les ports coloniaux sont protégés par de nombreuses batteries côtières. S'y rajoutent quelques ouvrages modernes :
Dakar au Sénégal est défendu par quatre tourelles blindées pour chacune deux canons de 240 mm des batteries du Cap Manuel et de Bel-Air ;
Saïgon (Hô Chi Minh-Ville depuis 1975) en Indochine a en aval de l'estuaire l'ouvrage de Rach-Cat(de) (deux tourelles blindées, chacune pour deux canons de 240 mm M modèle 1893-1896 Colonies, complétés par deux canons de 75 mm et deux de 95 mm), tandis que la rade du Cap Saint-Jacques (Vũng Tàu, servant d'avant-port) est protégée par une série de batteries côtières, la presqu'île du Cap Saint-Jacques étant elle-même protégée par l'ouvrage de la Route de Baria (une tourelle de 75 mm épaulant une série de blockhaus d'infanterie, le tout situé à l'emplacement actuel de la base aérienne)[31].
Garnisons
Pour assurer la défense des fortifications, des unités d'infanterie, d'artillerie et du génie sont casernées dès le temps de paix dans les places fortes, capables d'occuper tous les forts, ouvrages et batteries dès le premier jour de mobilisation. Toutes ces unités sont renforcées lors des jours suivant par des réservistes et des territoriaux. C'est le cas pour le 145e régiment d'infanterie à Maubeuge, les 164e, 165e et 166e à Verdun, les 167e, 168e et 169e à Toul, le 170e à Épinal, les 171e et 172e à Belfort, le 159e à Briançon, le 163e à Nice et le 173e à Bastia. En cas de mobilisation, les renforts d'infanterie sont d'une part une pleine division de réserve pour chaque place de l'Est (72e DIR à Verdun, 73e à Toul, 71e à Épinal et 57e à Belfort) et d'autre part des régiments d'infanterie territoriaux (par exemple pour Verdun les 15e, 36e, 44e, 45e, 46e et 48e RIT).
L'artillerie des places est servie par le personnel des onze régiments d'artillerie à pied, qui encadrent 64 batteries en temps de paix, plus 8 d'Afrique et 18 coloniales. En cas de guerre, l'arrivée des mobilisés les fait passer à 326, plus 21 d'Afrique et 28 coloniales.
Répartition des unités d'artillerie affectées aux fortifications[32]
Le génie détache dans les places des « bataillons de sapeurs-mineurs de place » : le 25e bataillon à Verdun, le 26e à Toul, le 21e à Épinal et le 28e à Belfort[33]. S'y rajoutent les hommes affectées au parc de place (stocks de munitions, d'armes, d'outils et de matériaux), ceux s'occupant des colombiers militaires (les sapeurs colombophiles), ceux des compagnies d'aérostation (une pour chaque place de l'Est) et ceux des escadrilles aéronautiques (composées de 5 ou 6 avions).
Répartition des escadrilles aéronautiques (localisation de paix puis de mobilisation)[34]
Le système défensif sert pendant la Première Guerre mondiale, d'abord de couverture pour la mobilisation d', ensuite de base de départ pour les offensives françaises du tout début du conflit, enfin surtout d'appui pour résister à l'invasion, notamment lors du siège de Maubeuge et lors de la bataille de Verdun.
Couverture de la mobilisation
La mobilisation générale ordonnée à compter du appelle sous les drapeaux les réservistes et les territoriaux, faisant passer l'armée française de 736 000 à 3 580 000 hommes en quinze jours. Cette mobilisation préparée de longue date ne pouvant se faire à proximité du territoire allemand qu'à l'abri derrière des fortifications et des troupes, cette couverture est donc assurée par une partie des troupes d'active (essentiellement composées d'appelés) concentrée en temps de paix le long de la frontière franco-allemande : le 6e corps s'appuyant sur Verdun et les Hauts de Meuse, le 20e corps sur Toul, le 21e corps sur Épinal et le 7e corps sur la Haute-Moselle et Belfort, chaque place en plus de sa garnison abritant une pleine division d'infanterie (la 42e division à Verdun, la 39e à Toul, la 43e à Épinal et Saint-Dié et la 14e à Belfort)[35].
La concentration aux frontières se fait par voies ferrées, le plan prévoyant dix lignes ferroviaires réservés aux militaires : chaque ligne, prévue pour deux corps d'armée, est verrouillée par une des places fortes. Cinq armées françaises sont ainsi créées selon les prévisions du plan XVII, avec la 1re armée en avant de Belfort et d'Épinal, la 2e armée en avant de Toul, la 3e armée en avant de Verdun, la 4e armée en réserve sur Sainte-Menehould et Bar-le-Duc et la 5e armée de Maubeuge à Montmédy.
Dès la déclaration de guerre, les divisions d'active sont déployées en avant des places fortes et sont chargés de dresser des retranchements sur les Hauts-de-Meuse, sur le Grand-Couronné de Nancy et aux débouchés de la forêt de Charmes ; ces unités sont remplacées à cette tâche par des unités de réservistes puis de territoriaux au fur et à mesure de leur débarquement. L'apport massif d'hommes et de matériel met les places sur le pied de guerre, complétant leurs effectifs et leurs approvisionnements, portant les garnisons de places à un total de 821 400 hommes. Chacune des places de l'Est reçoit en plus une division de réserve (à 14 500 hommes)[36] affectée à la « défense mobile » : 72e division à Verdun, 73e division à Toul, 71e division à Épinal et 57e division à Belfort[37].
Premiers combats de 1914
À partir de la mi-août, les places fortes doivent servir de bases de départ aux offensives françaises vers le territoire allemand, comme prévu par le plan XVII. Si les forces françaises sont repoussées en Lorraine lors de la bataille de Morhange, la contre-offensive allemande est arrêtée lors de la bataille de la trouée de Charmes (validant le principe de l'attaque par les deux flancs d'un ennemi aventuré dans une trouée).
Fin , l'aile droite allemande, évitant les fortifications françaises modernisées de l'Est de la France, traverse la Belgique et le Luxembourg, encerclant les places fortes belges (Liège, Namur et Anvers) et débouchant dans le Nord de la France (appliquant le plan Schlieffen). Les places fortes et les forts d'arrêt du Nord et des Ardennes, non modernisées, freinent seulement la progression allemande : les forts sont matraqués par l'artillerie lourde allemande (210, 305 et 420 mm, ce dernier obusier surnommé Grosse Bertha). Lille est déclarée ville ouverte à la fin d'août et ses forts évacués ; les 50 000 défenseurs de Maubeuge se rendent après un siège qui dure du au .
Le fort de Manonviller, un fort d'arrêt modernisé avec des tourelles, isolé en avant de la trouée de Charmes, est pris par les Allemands après un puissant bombardement (du 23 au : 979 coups de 150 mm, 4 596 de 210 mm, 134 de 305 mm et 59 de 420 mm)[39]. La ligne de front se stabilise après les batailles du Grand-Couronné et de la Haute Meurthe hors de portée de tir des places fortes de l'Est.
Le commandement français perd toute confiance envers les fortifications à la suite des constations de l'état du fort de Manonviller, une fois repris par les Français le : les Allemands ayant fait sauter les galeries avant d'évacuer, les officiers français constatent d'énormes trous dans les voûtes, dégâts attribués à tort aux obus de 420 mm. En conséquence, les troupes sont massivement retirées des places et surtout tous les forts sont désarmés en 1915, d'autant que le front a besoin des canons de place des forts.
Malgré cela, les forts autour de Verdun se révèlent en 1916 des môles importants de résistance lors des combats (bataille de Verdun), notamment ceux de Vaux, de Froideterre et de Moulainville. La confiance dans le béton revient, bien que les obus de 420 mm allemands et de 400 mm français (contre le fort de Douaumont) arrivent à percer la carapace des forts et que les garnisons souffrent du manque d'eau (les citernes sont fissurées par les bombardements) et d'asphyxie (due aux gaz en milieu confiné). L'ouvrage de Thiaumont, totalement détruit, témoigne de la capacité de destruction de l'artillerie lourde.
État actuel des forts
La fin de la Première Guerre mondiale entraîne le déclassement de la majeure partie des forts et batteries du système défensif imaginé par Séré de Rivières. D'une part il est vrai que les forts et batteries du XIXe siècle sont technologiquement dépassés, tandis que ceux ayant subi les combats sont généralement des tas de ruines inutilisables pour la plupart ; d'autre part la frontière avec l'Allemagne s'est déplacée loin des anciennes places fortes, laissant les fortifications modernes de Metz, de Thionville, de Bitche, de Strasbourg et de Neuf-Brisach aux mains des forces armées françaises. Toutefois une exception existe dans le cas de la place de Verdun, dont les forts ne sont que partiellement déclassés en 1926.
Si quelques forts à Maubeuge, dans le Jura et dans les Alpes, ainsi que les batteries côtières continuent à être utilisées par l'armée française pendant la Seconde Guerre mondiale (en servant de simple caserne ou en étant partiellement intégrés à la ligne Maginot), les autres forts sont le plus souvent laissés à l'abandon. Dès l'entre-deux-guerres, des ouvrages sont proposés pour des activités civiles (par exemple une usine est installée dans la batterie de Bouviers de 1933 à 1990) voire vendus à des particuliers. À la fin du XXe siècle, de nombreux forts sont confiés aux collectivités locales (départements et communes), qui parfois les aménagent soit pour servir à de nouvelles fonctions (par exemple pour Emmaüs dans l'ouvrage de Wambrechies) soit pour accueillir quelques visites. Plusieurs ouvrages sont ouverts plus ou moins régulièrement au public :
↑Marc-René de Montalembert, La Fortification perpendiculaire, ou essai sur plusieurs manières de fortifier la ligne droite, le triangle, le quarré et tous les polygones, de quelqu'étendue qu'en soient les côtés, en donnant à leur défense une direction perpendiculaire, Paris, impr. de P.-D. Pierres, 1776-1784, in-quarto, 5 tomes en 3 volumes (lire en ligne) (BNF30967829).
↑Martin Barros, Les fortifications en Île-de-France, 1792-1944, Paris, Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France, (1re éd. 1993), 219 p. (ISBN2-7371-1533-7), p. 36.
↑Vaincre la défaite : 1872-1881, Armée de terre : document présentés par le prof. Guy Pedroncini, Vincennes et Paris, Service historique de l'Armée de terre et Institut d'histoire des conflits contemporains, coll. « La défense sous la Troisième République », , 723 p. (ISBN2-86323-051-4).
↑L'existence des trouées de l'Oise et de Belfort font l'objet de débats. La première est couverte en 1874 par la neutralité belge, la seconde est très étroite.
« La Trouée de Belfort est bien loin de constituer un véritable défilé ; dans cette situation, il faut suppléer par l’art à ce qui fait défaut naturellement. La droite de la ligne en est la partie la plus faible ; en la retirant en arrière, sous la protection de la place, nous constituerons un défilé artificiel, à l’extrémité de la droite de la ligne. Dans cet ordre d’idées, la droite de la ligne, entre Belfort et le Doubs, devra être établie sur la ligne droite de la Lisaine. Le Mont Vaudois et la hauteur de Lachaux, en avant de Montbéliard, constituent les bastions naturels du centre de cette ligne, dont la Lisaine formerait la courtine ; l’ensemble de la ligne affecterait la forme d’une crémaillère, espèce d’entonnoir dont l’étranglement constituerait un véritable défilé, entre le Mont de La Chaux et Audincourt. Dans ce système, Belfort et ses défenses avancées du côté du Sud formeraient avec la ligne de la Lisaine un vaste rentrant, circonstance essentiellement favorable à la défense proprement dite de la place. »
— Séré de Rivières, Exposé sur le système défensif de la France, 20 mai 1874, conservé au SHD.
↑Philippe Truttmann (ill. Frédéric Lisch), La Muraille de France ou la ligne Maginot : la fortification française de 1940, sa place dans l'évolution des systèmes fortifiés d'Europe occidentale de 1880 à 1945, Thionville, Éditions G. Klopp, (réimpr. 2009), 447 p. (ISBN2-911992-61-X), p. 22.
↑Note no 5285 le du ministre de la Guerre Boulanger aux généraux commandant les régions militaires ; décret présidentiel du pour les nouvelles dénominations des forts, batteries et casernes sur proposition du ministre de la guerre, M. le général Boulanger.
↑Lettre no 14980 bis le de M. le ministre de la Guerre, M. le général Ferron, abrogeant le décret présidentiel du 21 janvier.
↑Répartition et emplacement des troupes de l'armée française, Paris, Imprimerie nationale, .
↑Instruction général sur l'exécution de la concentration du 15 février 1909, cité dans « Le plan XVII », sur 1914ancien.free.fr.
↑Maurice Naërt, Lefranc, Gratien Laxague, Jean Courbis et J. Joubert, Les armées françaises dans la Grande guerre, t. 1, Paris, Impr. nationale, , 602 p., p. 581-582, lire en ligne sur Gallica.
↑Jean-Claude Laparra, La machine à vaincre, de l'espoir à la désillusion : Histoire de l'armée allemande 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18 éditions, , 323 p. (ISBN2-9519539-8-4), p. 77.
Raymond-Adolphe Séré de Rivières, Réponse aux attaques dirigées contre le service du Génie, lors de la discussion du budget ordinaire de 1880, Paris, impr. de E. Plon, , 45 p., in-8° (BNF34075650).
Hippolyte Plessix et Émile Legrand-Girarde, Manuel complet de fortification : rédigé conformément au programme d'admission à l'Ecole supérieure de guerre (4e édition refondue), Paris, Berger-Levrault, , 927 p. (lire en ligne).
Alain Hohnadel et Philippe Bestetti, La Bataille des forts : Metz et Verdun de 1865 à 1918, Bayeux, éditions Heimdal, , 80 p. (ISBN2-84048-087-5).
Philippe Truttmann, La Barrière de Fer : l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914, Thionville, Gérard Klopp, , 542 p. (ISBN2-911992-37-7).
Guy Le Hallé, Le système Séré de Rivières ou le Témoignage des pierres : la France et Verdun, Louviers, Ysec Éditions, , 224 p. (ISBN2-84673-008-3).
Henri Ortholan, Le général Séré de Rivières : le Vauban de la revanche, Paris, Bernard Giovanangeli, , 921 p. (ISBN2-909034-33-X).
Jean-François Pernot, « Éléments pour une mise en perspective de la défense de Bucarest à la fin du XIXe siècle », Revue historique des armées, no 244, , p. 22-29 (lire en ligne).
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