Par la diversité et la modernité de son œuvre, qui renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques, elle est une figure majeure de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle.
Ses parents se portent volontaires pour travailler dans la colonie de Cochinchine. Son père, Henri Donnadieu (certains lui donnent comme prénom « Émile »[2]), est directeur de l’école de Gia Định, banlieue nord de la Saïgon d'alors, aujourd'hui quartier du district de Binh Thanh de Hô Chi Minh-Ville. Sa mère, Marie Donnadieu-Legrand (1877-1956)[3], est institutrice. Ils ont trois enfants, Pierre, Paul et Marguerite. Ignorant les préjugés raciaux et bravant les interdits sociaux, les enfants jouent et se lient avec leurs semblables « indigènes » et, contrairement à leurs parents, parlent vietnamien.
Gravement malade, son père part en métropole pour y être hospitalisé. Il y meurt le [2], à l'âge de quarante-neuf ans. Il est inhumé dans le petit cimetière de Lévignac-de-Guyenne, près de Duras, en Lot-et-Garonne[4].
Son épouse bénéficie d’un congé administratif et retourne en métropole avec ses trois enfants. Ils habitent pendant deux ans dans la maison familiale du Platier, dans la commune de Pardaillan, près de Duras. En juin 1924, Marie Donnadieu repart avec ses enfants rejoindre sa nouvelle affectation à Phnom Penh, au Cambodge. Elle ne veut pas y rester et elle est envoyée à Vĩnh Long. C'est là que la petite Marguerite, enthousiaste, apprend le piano. Son professeur, une collègue de sa mère, bâcle les leçons et la déclare inapte[5]. L'écrivaine s'en souviendra dans Moderato cantabile. Sa mère est ensuite affectée à Sa Đéc.
En 1926, Marie perçoit enfin le premier versement de sa pension de réversion. En 1927, lasse de cette vie de nomade, elle achète, poussée par l’administration coloniale, pour ses fils, une friche du district rural de Prey-Nop, à quatre-vingts kilomètres de Kampot, au Cambodge. La culture de ce polder régulièrement inondé par les hautes marées ne donne rien, à cause des infiltrations de sel, et Marie, ruinée, doit reprendre l’enseignement. Cette expérience marquera profondément Marguerite[6] et va lui inspirer nombre d'images fortes de son œuvre (Un barrage contre le Pacifique, L'Amant, L'Amant de la Chine du Nord, L'Éden Cinéma).
En 1928, elle est inscrite en classe de troisième au collège puis au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon (aujourd'hui lycée Lê Quý Đôn), pour suivre des études secondaires[7]. Sa mère ambitionne pour sa fille l'enseignement des mathématiques. L'internat du lycée étant réservé aux garçons, Marguerite entre alors, rue Barbé (rue Lê Quý Đôn), dans une pension dirigée par une amie de sa mère[8].
En 1931, après la vente de la propriété familiale du Platier, sa mère rachète un appartement de la Ville de Paris au 16, avenue Victor-Hugo à Vanves, dans la banlieue sud de la capitale[9]. Elle obtient un congé administratif. Raison invoquée auprès de l'administration : l'état de santé de son fils Pierre, dépendant à l'opium, renvoyé à Paris en 1929[10].
Marguerite poursuit ses études en France, dans une école privée, l’école technique Scientia à Auteuil, dans le 16e arrondissement de Paris sous la direction de Charles-Jérémie Hemardinquer[9]. Printemps 1932, Marguerite tombe enceinte. La famille du jeune homme, assez fortunée, arrangera l'avortement (d'où la signature, en 1971, du fameux Manifeste des 343). Elle est reçue à la première partie du baccalauréat, choisissant comme langue vivante en série B le vietnamien qu'elle maîtrise parfaitement depuis l'enfance. En vacances, elle découvre Trouville-sur-Mer et la côte normande qu'elle retrouvera plus tard en 1963[11].
De retour à Saïgon fin 1932, sa mère est nommée professeure à l'École primaire supérieure des garçons, elle achète une villa dans le quartier européen, 141, rue de la Testard, à proximité du lycée ainsi qu'une voiture. Marguerite passe les épreuves de la deuxième partie du baccalauréat, option Philosophie au lycée Chasseloup-Laubat[12].
Automne 1933, munie d'une bourse, la jeune femme quitte l’Indochine définitivement pour la métropole s'inscrivant à la faculté de droit de Paris, rue Saint-Jacques. Marguerite s'installe dans une pension de famille. Par ailleurs, elle mène de front des études de mathématiques et dit suivre des cours de mathématiques spéciales, en parallèle, à la faculté des Sciences[13].
En , elle fait la connaissance de Robert Antelme, étudiant en droit, fils de sous-préfet et de milieu bourgeois[14].
Après avoir obtenu une licence en droit public, elle poursuit un cursus juridique et économique à l'université, (et non pas, malgré la légende, à l'École libre des sciences politiques), et obtient un double diplôme d'études supérieures (DES) de droit public et d'économie politique[15]. Elle trouve un emploi comme secrétaire au service d'information du ministère des Colonies début juin 1937. Robert Antelme est mobilisé dans l'armée à la fin de l'été suivant. Donnadieu et Antelme se marient le .
Guerre et entrée en écriture
Marguerite Donnadieu cosigne au printemps 1940, avec Philippe Roques, L'Empire français, une commande de propagande du ministre des Colonies Georges Mandel dans laquelle est cité Jules Ferry : « On ne peut pas mêler cette race jaune à notre race blanche », il est du devoir « des races supérieures de civiliser les races inférieures ». Retenant que l'indigénat a été aboli en 1903 en Indochine mais occultant que l'Empire reste divisé entre « citoyens » et « sujets », elle affirme dans un article sur le même sujet publié dans l'Illustration : « Notre conception impériale est, en effet, la négation même du racisme. La France a donné à tous ses sujets d’outre-mer, sans faire de distinction entre les races, les mêmes possibilités de développement et les mêmes espoirs. L’indigène n’a jamais été traité en vaincu ; non seulement nous avons des devoirs envers lui, mais nous lui reconnaissons des droits sociaux et politiques et surtout celui d’acquérir des connaissances nouvelles. Certes, ce n’est pas à lui qu’il appartient de décider à quel moment il pourra user de ses capacités. C’est à nous, au moment voulu, d’alléger notre tutelle »[16]. Marguerite Duras désavouera ensuite ce livre signé Marguerite Donnadieu[17]. Elle démissionne du ministère des colonies en novembre 1940. Dans la capitale occupée, Robert Antelme est engagé à la préfecture de police de Paris. Marguerite est enceinte et accouche d'un garçon mort-né. En 1942, elle est recrutée comme secrétaire générale du Comité d’organisation du livre.
Le couple s'installe 5, rue Saint-Benoît, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Au COIACL, elle préside, sous le contrôle des autorités allemandes, un comité de lecteurs chargé d'autoriser, ou non, l'attribution aux éditeurs agréés par Vichy d'un quota de papier, lequel par ailleurs est rationné. C'est là qu'elle fait la connaissance de Dominique Aury[18] et de Dionys Mascolo qui devient son amant. Au mois de décembre, elle apprend la mort de son frère Paul, en Indochine.
En 1943, l’appartement du couple devient un lieu de rencontres informelles où des intellectuels comme Jorge Semprún discutent littérature et politique, le groupe de la rue Saint-Benoît. Marguerite se met à l'écriture et publie son premier roman Les Impudents. Elle le signe du nom de Duras, le village où se trouve la maison paternelle. Robert, Dionys et elle-même, se mettant au service de la Résistance, se lient à François Mitterrand, alias Morland, qui dirige le RNPG, réseau qui fabrique des faux papiers pour les prisonniers de guerre évadés.
Le , son groupe tombe dans un guet-apens. Robert Antelme est arrêté par la Gestapo, tandis que Marguerite Duras s'échappe. Au lendemain du débarquement des alliés, elle apprend que son mari a été emmené à Compiègne d’où partent les trains pour les camps de concentration. Robert est déporté à Buchenwald et ensuite à Dachau. Marguerite entretient une relation ambiguë avec Charles Delval, l'agent de la Gestapo qui a fait arrêter son mari et qu'elle affirme avoir séduit pour sauver ce dernier[19].
À cette époque, elle écrit les Cahiers de la Guerre qui serviront de contenu au livre La Douleur publié en 1985. À l’automne, elle s’inscrit au Parti communiste français ; son nouveau roman, La Vie tranquille, est publié en décembre. Marguerite attend le retour de son époux. Alors que la Libération se poursuit, Dionys, en avril 1945, informé par Mitterrand, va chercher Robert au camp de Dachau et le trouve moribond. Ces douze mois durant lesquels elle le soigne, avec le secours d'un médecin, Marguerite Duras les racontera dans La Douleur.
Après guerre, une première manière de romans
En 1945, elle fonde avec son mari les éphémères éditions de la Cité Universelle, qui publieront trois ouvrages : L'An zéro de l'Allemagne d'Edgar Morin (1946), les Œuvres de Saint-Just, présenté par Dionys Mascolo (1946) et L'Espèce humaine de Robert Antelme (1947)[21]. Le couple divorce le . Duras épouse Dionys Mascolo, dont elle se sépare quelques années après. Leur fils Jean — surnommé « Outa » — naît le .
En 1950, elle subit la chasse aux intellectuels. La guerre d'Indochine contraint la mère de Marguerite à revenir en France. Début mars, un des camarades, qui serait Jorge Semprún, dénonce Marguerite Duras auprès du Comité central du PCF : elle aurait, lors d'une soirée en compagnie d'autres écrivains, formulé de nombreuses critiques à l'égard de Louis Aragon. Il lui est reproché des « inconvenances envers certains membres du parti et une ironie trop appuyée »[22].
Un soupçon généralisé s'installe et Marguerite Duras décide de ne plus reprendre sa carte de militante. Elle déclare que le parti cherche à salir sa réputation en lui donnant une image sulfureuse. Dès lors, « les rumeurs » se multiplient : esprit politique pervers, Duras serait aussi une traînée qui fréquente assidûment les boîtes de nuit […], une traîtresse du parti, une décadente petite-bourgeoise ».
Le , elle reçoit une lettre qui lui signifie son exclusion pour tentative de sabotage du parti par usage de l'insulte et de la calomnie, fréquentation de trotskistes et fréquentation des boîtes de nuit. Dans une ultime lettre adressée au parti, elle écrit : « Je reste profondément communiste. Ai-je besoin de dire dans ces conditions que je ne m'associerai jamais à rien qui puisse nuire au Parti ? » Son mari Robert Antelme sera lui aussi exclu[23].
Malgré sa rupture avec le parti communiste, Marguerite Duras s'engage dans de nombreuses causes : le féminisme, la lutte contre la guerre d'Algérie et la revendication du droit à l'avortement. La même année, son roman d'inspiration autobiographique, Un barrage contre le Pacifique, paraît en juin. Il est sélectionné pour le prix Goncourt mais n'obtient qu'une voix.
En 1954, elle participe au comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Algérie[24].
Dans les années 1950, Marguerite Duras collabore également au magazine Constellation, sous le pseudonyme de Marie-Joséphine Legrand[25].
Les romans qu’elle publie dans les années 1950 sont relativement traditionnels, comparativement à sa production romanesque postérieure. À cette époque, ses écrits sont également marqués par l’influence du roman américain[26].
Cinéma et théâtre
Elle se sépare de Dionys Mascolo en 1956 et rencontre Gérard Jarlot[27], journaliste à France-Dimanche, en 1957, année où meurt sa mère. Jarlot travaille avec elle pour diverses adaptations cinématographiques et théâtrales. Pour la première fois, l'un de ses romans est adapté au cinéma, le Barrage contre le Pacifique que réalise René Clément[28].
En automne 1960, elle milite activement contre la guerre d'Algérie, et signe le Manifeste des 121, déclaration sur le « droit à l'insoumission ». La même année, elle devient membre du jury du prix Médicis[29]. En 1961, sa relation avec Gérard Jarlot prend fin. En 1963, elle achète un appartement dans l'ancien hôtel « Les Roches noires » à Trouville-sur-Mer[30].
Elle connaît son premier succès au théâtre avec Des journées entières dans les arbres, joué par Madeleine Renaud en 1965. Ses talents multiples la font maintenant reconnaître dans trois domaines : littérature, cinéma et théâtre. Elle met en scène des personnages puisés dans la lecture des faits divers. Elle innove sur le déplacement des acteurs, sur la musicalité des mots et des silences. Fatiguée par l'alcool, elle fait une cure et arrête de boire. Pendant les « évènements » de mai 1968, elle se trouve en première ligne aux côtés des étudiants contestataires et participe activement au comité des écrivains-étudiants[24].
Marguerite Duras aborde la réalisation cinématographique parce qu’elle est insatisfaite des adaptations que l’on fait de ses romans. Elle tourne en 1966 son premier film La Musica, coréalisé avec Paul Seban, puis Détruire, dit-elle, en 1969. Ce titre évocateur définit son cinéma : celui du jeu des images, des voix et de la musique. « Ce n'est pas la peine d'aller à Calcutta, à Melbourne ou à Vancouver, tout est dans les Yvelines, à Neauphle. Tout est partout. Tout est à Trouville […] Dans Paris aussi j'ai envie de tourner, […] L'Asie à s'y méprendre, je sais où elle est à Paris… » (Les Yeux verts).
Elle tourne ensuite Nathalie Granger, dans sa maison de Neauphle-le-Château, India Song, dans le Palais Rothschild à Boulogne, avec la musique de Carlos d'Alessio. Comme dans son travail pour le théâtre, elle réalise des œuvres expérimentales. Par le décalage entre l'image et le texte écrit, elle veut montrer que le cinéma n’est pas forcément narratif : La Femme du Gange est composé de plans fixes, Son nom de Venise dans Calcutta désert est filmé dans les ruines désertes du palais Rothschild en reprenant la bande son d'India Song, Les Mains négatives, où elle lit son texte sur des vues de Paris désert la nuit. La limite extrême est atteinte dans L'Homme atlantique, avec sa voix sur une image complètement noire pendant trente minutes sur quarante. Après un voyage en Israël, en 1978, elle réalise Césarée, où elle évoque la ville antique sur des images du jardin des Tuileries.
Alcool et succès
Duras vit alors seule dans sa maison de Neauphle-le-Château. Depuis 1975, elle a renoué périodiquement avec l’alcool. Elle rencontre Jean Pierre Ceton au festival de cinéma de Hyères 1979 qui lui parle d'un groupe d'amis de Caen (dont Yann). Elle préfacera son premier roman Rauque la ville[33]. En 1980, elle est transportée à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye et reste hospitalisée pendant cinq semaines. À son retour, elle écrit à Yann Lemée, un jeune admirateur rencontré cinq ans plus tôt à Caen — à l’issue d’une projection-débat d’India Song[34].
Après six mois d’abstinence, elle sombre une nouvelle fois dans l’alcool. Serge July, rédacteur en chef de Libération, lui propose d’y tenir une chronique hebdomadaire tout l’été[35]. Un soir, Yann Lemée lui téléphone. Ils se retrouvent à Trouville-sur-Mer. Elle l’héberge, en fait son compagnon et lui donne le nom de Yann Andréa. Marguerite Duras vit avec le jeune homme — bisexuel et de trente-huit ans son cadet — une relation à la fois passionnée et tourmentée. Yann Andréa, qui est à la fois le compagnon et le secrétaire particulier de Marguerite Duras, restera auprès d'elle jusqu'à sa mort en 1996 : il racontera ensuite l'histoire de leur relation dans le livre Cet amour-là[36].
En 1981, elle se rend au Canada pour une série de conférences de presse à Montréal et filme L’Homme atlantique en prenant son compagnon comme acteur. Parce que sa main tremble, Yann écrit sous sa dictée La Maladie de la mort. Elle accepte de faire une cure de désintoxication à l’hôpital américain de Neuilly en octobre 1982[37]. L'année suivante, Duras dirige Bulle Ogier et Madeleine Renaud dans la pièce de théâtre, Savannah Bay, qu'elle a écrite pour cette dernière.
En 1984, L’Amant est publié et obtient le prix Goncourt. C'est un succès mondial[38]. Il fait d'elle l'un des écrivains vivants les plus lus.
En 1985, elle suscite l’hostilité et déclenche la polémique en prenant position dans une affaire judiciaire qui passionne l'opinion publique : l’affaire Grégory Villemin. En effet, dans une tribune à la limite du délire publiée par le quotidien Libération du 17 juillet, elle se montre convaincue que la mère, la « sublime, forcément sublime Christine V. », est coupable du meurtre de son enfant, trouvé noyé dans la Vologne en octobre 1984.
La même année, elle réalise des entretiens avec François Mitterrand pour le périodique L'Autre Journal, à l'initiative de son directeur Michel Butel. Le premier a lieu chez l'écrivaine, rue Saint-Benoît, puis les rendez-vous se poursuivent à l'Elysée. Duras voudrait en faire un livre, intitulé Le bureau de poste de la rue Dupin, mais le Président cesse de la convier, finissant par se méfier du projet[39].
De nouveau prisonnière de l’alcool, elle tente en 1987 de donner une explication à son alcoolisme dans son livre La Vie matérielle.
Après avoir vainement tenté l'expérience chez Gallimard et Minuit, Marguerite Duras devient éditrice aux éditions P.O.L, au sein desquelles elle dirige une collection littéraire nommée « Outside »[40]. Paul Otchakovsky-Laurens, directeur de la maison, déclare : « L'idée est venue tout naturellement. Elle me disait qu'elle voulait aider de jeunes auteurs à se faire connaître. Elle voulait les publier et les protéger. Je lui ai donné carte blanche. » Après avoir aidé à la publication des œuvres de Jean Pierre Ceton, Catherine de Richaud et Nicole Couderc, l'expérience cesse en raison de désaccords littéraires entre Duras et la maison P.O.L[41].
Écrit et silence
En mai 1987, Marguerite Duras, citée comme témoin au procès de Klaus Barbie, refuse de comparaître[42]. En juin de la même année, elle publie La Vie matérielle, suivi en septembre par Emily L.
L'Amant devient un projet de film du producteur Claude Berri. À la demande de ce dernier, elle s'attelle à l'écriture du scénario, bientôt interrompu par une nouvelle hospitalisation, le . Souffrant de crises d'emphysème, elle subit une trachéotomie et est plongée dans un coma artificiel dont elle ne sortira que cinq mois plus tard.
Pendant ce temps, le réalisateur Jean-Jacques Annaud est contacté, accepte de réaliser le film et en commence l’adaptation. Marguerite Duras sort de l'hôpital en automne 1989 et reprend le projet en cours, après une rencontre avec le cinéaste. Mais la collaboration tourne court et le film se fait sans elle. Se sentant dépossédée de son histoire, elle s'empresse de la réécrire : L'Amant de la Chine du Nord est publié en 1991, juste avant la sortie du film. Duras a désormais des difficultés physiques pour écrire. Cependant d’autres livres paraissent ; ils sont dictés ou retranscrits. C'est le cas de Yann Andréa Steiner (1992) et d'Écrire (1993).
Le dimanche , à huit heures, Marguerite Duras meurt au troisième étage du 5, rue Saint-Benoît. Elle allait avoir quatre-vingt-deux ans. Les obsèques ont lieu le 7 mars en l’église Saint-Germain-des-Prés. Elle est enterrée au cimetière du Montparnasse. Sur sa tombe figurent son nom de plume, deux dates et ses initiales : M D. Lorsque Yann Andréa meurt en 2014, il est enterré à ses côtés ; la pierre tombale porte leurs deux noms[44].
Pierre tombale de Marguerite Duras sur laquelle sont gravées ses initiales (cimetière du Montparnasse, 2009).
Pierre tombale de Marguerite Duras en octobre 2019.
Devenue « un mythe littéraire et même une mythologie »[45], Marguerite Duras fait partie des auteurs français les plus connus de par le monde. Certains de ses textes sont traduits dans plus de 35 langues (dont le géorgien, le cingalais et l'arménien). L'ensemble des œuvres, édité par Gallimard, approchait en 2008 les 5 millions d'exemplaires écoulés[46].
L'Amant, traduit dans 35 pays, s'est vendu toutes éditions confondues, en 2011, à plus de 2 400 000 exemplaires[47].
En 2007, est retrouvé un roman, Caprice, publié en 1944 sans nom d'auteur et identifié par Dominique Noguez comme étant l'« un de ces romans écrits pendant la guerre « pour acheter du beurre au marché noir », dont Duras parlait elle-même dans l'avant-propos d'Outside en 1980 »[50].
Le a lieu l'inauguration du lycée français international Marguerite-Duras, à Hô Chi Minh-Ville[51].
En , Marguerite Duras fait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade. Deux premiers volumes rassemblant les écrits de 1943 à 1973 sont dès lors publiés[52]. Les tomes III et IV, qui rassemblent l'ensemble des écrits de 1973 à 1996 ainsi que de nombreux textes inédits, paraissent en 2014, accompagnés d'un album consacré à l’auteur.
En 2013, les studios Tale of Tales commercialisent un jeu vidéo, Bientôt l'été, fondé sur l'œuvre et la personnalité de Marguerite Duras[53].
En 2014, à l'occasion du centenaire de sa naissance, des textes inédits paraissent, dont Le Livre dit et Deauville la mort. La presse note alors : « Duras est morte il y a dix-huit ans mais elle vit toujours, intensément, à travers ses textes et à travers ceux, nombreux, qui s'en inspirent »[54].
Le prix Marguerite-Duras est créé en 2001 par le conseil général de Lot-et-Garonne. Après le départ de son Président, M. François-Poncet puis la mort de son successeur, M. Diefenbacher, l'équipe nouvelle ne finance plus le Prix qui, sous la mandature de M. François-Poncet s'élevait à 15 000 euros. Il est alors délocalisé et financé par la mairie de Trouville-sur-Mer et la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent[61]. À la mort de Pierre Bergé, ses héritiers ne souhaitent plus soutenir le Prix Marguerite-Duras et le privent ainsi de sa dotation de 15 000 euros[réf. souhaitée]. La Mairie de Trouville le prend dès lors seul en charge avec une dotation de 5 000 euros. Puis, à la suite de changements d'équipe municipale, la dotation est définitivement supprimée et remplacée par des mécénats plus modestes (cartons de vins issus de cépages de la région de Duras en Lot-et-Garonne par exemple). Mais la réputation du Prix et la qualité de ses lauréats font de lui un Prix très recherché et estimé dans l'édition française[réf. nécessaire].
En 2004, Gérard Streiff publie Camarade Duras (L'Harmattan), une pièce de théâtre qui met en scène l'exclusion de Marguerite Duras du Parti communiste.
Dans la bande dessinée Paris, secteur soviétique de la série uchronique Jour J, Marguerite Duras est l’une des protagonistes de l'histoire, sous le nom de « capitaine Donnadieu »[63].
Dans le roman Je rêve que Marguerite Duras vient me voir d'Isabelle Minière, Marguerite Duras apparaît en rêve à un homme qui n'arrive pas à écrire et lui dévoile le secret pour devenir écrivain[64].
Dans le roman Marguerite Duras, une jouissance à en mourir[65], Olympia Alberti se glisse dans la peau de l'écrivaine.
dans le roman Cet été-là de braise et de cendres (Fayard, 2016), Alain Vircondelet signe un roman mettant en scène Marguerite Duras. Il y raconte la naissance de l'écrivaine, au sortir de la guerre, au cours de l'été 1945.
En 1977 paraît Parodies chez Balland, ouvrage coécrit avec Michel-Antoine Burnier, qui pastiche le style d'une trentaine d'écrivains, dont Marguerite Duras.
En 1988, Patrick Rambaud publie Virginie Q., chez Balland, dont le titre évoque Emily L., et, en 1996, Mururoa mon amour, chez Jean-Claude Lattès, qui rappelle, lui, Hiroshima mon amour. Éditées sous le pseudonyme de Marguerite Duraille, les deux œuvres adoptent la même présentation que les œuvres des Éditions de Minuit (l'éditeur de Duras), à savoir titre bleu et nom d'auteure noir sur fond blanc.
En 2008, Laurent Nunez pastiche Duras dans son roman Les Récidivistes (éditions Champ Vallon ; rééd. Payot, 2014).
Le style de Duras a été parodié par l'auteur de bandes dessinées Pochep.
En juillet 1985, dans une tribune du journal Libération, Marguerite Duras prend position dans l’affaire Grégory contre la mère de l'enfant, Christine Villemin — la « sublime, forcément sublime Christine V. », selon ses mots, qui feront le titre de l'article — dont elle semble convaincue d'infanticide. L'article provoque de nombreuses réactions d'indignation, ainsi qu'une plainte pour diffamation de Christine Villemin. Celle-ci sera totalement innocentée par la cour d'assises de Dijon en 1993, une réhabilitation totale provenant d'un non-lieu pour « absence totale de charge » à son encontre. Marguerite Duras ne reprend pas la parole sur ce sujet depuis ce verdict.
« Marguerite Duras refusée par ses propres éditeurs »
En 1992, après un dîner d'amis où Marguerite Duras a été consacrée auteur le plus surfait du moment, le journaliste Guillaume P. Jacquet (alias Étienne de Montety) recopie L'Après-midi de Monsieur Andesmas, un livre primé de Marguerite Duras, en ne changeant dans le texte que les noms des personnages et en remplaçant le titre par « Margot et l'important ». Il envoie le résultat aux trois principaux éditeurs de Duras : Gallimard, POL et les Éditions de Minuit. Les Éditions de Minuit répondent à Guillaume P. Jacquet que « [son] manuscrit ne peut malheureusement pas entrer dans le cadre de [leurs] publications » ; Gallimard que « le verdict n'est pas favorable » ; POL que « [le] livre ne correspond pas à ce qu'[ils] cherchent pour leurs collections ». Le fac-similé des lettres de refus est publié dans le Figaro littéraire sous le titre « Marguerite Duras refusée par ses propres éditeurs »[67].
La biographie romancée
En 1994, à la suite de la parution, chez Grasset, de Duras ou le Poids d'une plume, biographie romancée de Duras signée Frédérique Lebelley. Marguerite Duras poursuit l'auteure en justice[68].
Les « faux écrivains »
La vie littéraire de Marguerite Duras est émaillée par de nombreuses confrontations avec d'autres « grands écrivains » de son époque. Ses propos sur ses « confrères » se font souvent radicaux. Pour illustration, à Bernard Pivot qui l'interroge, elle déclare :
« Des gens très très célèbres, pour moi, n’ont pas écrit. Sartre, il n’a pas écrit. Pour moi il n’a pas su ce que c’était, écrire. Il a toujours eu des soucis annexes, des soucis en second, de secondes mains. Il n’a jamais affronté l’écriture pure. C’est un moraliste, Sartre. Il a toujours puisé dans la société, dans une espèce d’environnement de lui. Un environnement politique, littéraire. Ce n’est pas quelqu’un de qui je dirais : « Il a écrit. » Je n’y penserais même pas. J’ai lu une chose de lui qui m’intéressait dans Situations, il parlait de la littérature américaine, oui. Sans ça, rien. Je dirais que Maurice Blanchot écrit, Georges Bataille a écrit… Mais vous savez ce n’est pas un jugement de valeur que je porte là. Il y a des gens qui croient écrire, et puis des gens qui écrivent. C'est rare, c'est très rare[69]. »
Cherchant à distinguer les écrivains (qui écrivent au sens strict du terme) et ceux qui singent l'écriture (qui se contentent de publier des livres), Duras fustige publiquement ce qu'elle nomme « le faux de l'écrit », notamment chez Roland Barthes :
« Roland Barthes était un homme pour lequel j'avais de l'amitié mais que je n'ai jamais pu admirer. Il me semblait qu'il avait toujours la même démarche professorale, très surveillée, rigoureusement partisane […] J'ai essayé de lire Fragments d'un discours amoureux mais je n'y suis pas parvenue. C'est très intelligent très évidemment. Bloc-notes amoureux, oui, c'est ça, amoureux, s'en tirant de la sorte en n'aimant pas, mais rien, il me semble, rien, charmant homme, charmant vraiment, de toute façon. Et écrivain, de toute façon. Voilà. Écrivain d'une certaine écriture, immobile, régulière[70]. »
« Je vous ai dit aussi que je n'arrivais pas du tout à le lire, que Roland Barthes pour moi c'était le faux de l'écrit et que c'était de cette fausseté qu'il était mort. Je vous ai dit plus tard que Roland Barthes, un jour, chez moi, m'avait gentiment conseillé de « revenir » au genre de premiers romans « si simples et si charmants ». J'ai ri[71]. »
Escarmouches entre écrivains
Les prises de positions littéraires de Marguerite Duras lui vaudront, dans une certaine mesure, quelques inimitiés.
Si Angelo Rinaldi s'en est longtemps pris à elle dans ses chroniques littéraires, Jean-Edern Hallier écrira, dans Le Refus, que Marguerite Duras n’est qu’une « vieille dame indigne des lettres françaises ». Il argue alors que sa « littérature Tampax à l’usage des attachés de direction et des divorcées sur la quarantaine » et « l’indigence de sa prose » ont donné « l’illusion de mettre l’avant-garde à la portée des classes moyennes sans culture. » Avant de conclure : « Vieux corbeau littéraire. À jeter dans la Vologne. »
L'humoriste Pierre Desproges la décrit quant à lui dans ses Chroniques de la haine ordinaire comme la « papesse gâteuse des caniveaux bouchés », une « apologiste sénile des infanticides ruraux » qui n’écrit que des « feuilletons de cul à l’alcool de rose » et, aussi, « Marguerite Duras, qui n'a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé »[73].
« La Duras ne se gêne pas ! cette crapaudule rongée d’alcool ose t’attaquer d’une manière aussi vulgaire, aussi laide qu’elle ? La jalousie rageuse qu’elle montre ainsi finit presque par être innocente. »
En 1999, Jean Mascolo, le fils de Marguerite Duras, publie La Cuisine de Marguerite, par le biais de sa maison d'édition Benoît Jacob. Dès sa parution, le livre fait l'objet d'une demande d'interdiction d'exploitation de la part de Yann Andréa, exécuteur littéraire de Marguerite Duras.
Œuvres écrites
Romans et récits
Les récurrences de thèmes et de figures de styles ont conduit la critique à repérer dans l’œuvre écrite et filmée de Marguerite Duras des étapes qui, marquées entre 1972 et 1980 par un silence durant lequel l'écrivain se consacre à la réalisation cinématographique, correspondent à des ruptures dans sa vie personnelle mais qui, pour pratique que soit une classification conventionnelle, n'ont rien de définitif[74].
1977 : Baxter, Vera BaxterLe scénario du film a été publié, quelque peu remanié, sous le titre de Vera Baxter ou les Plages de l'Atlantique (Albatros, 1980).
1973 : Ce que savait Morgan, de Luc Béraud (adaptation de la nouvelle de Henry James, The Pupil), épisode de la série télévisuelle Nouvelles d'Henry James
Un article bibliographique spécifique serait utile (mars 2023). Compte tenu du nombre d'ouvrages ou d'études relatives au sujet de l'article, il serait utile de créer un article bibliographique spécifique. On ne garderait alors dans l'article que les ouvrages biographiques ou de référence principaux, ainsi que ceux utilisés pour écrire l'article.
Robert Harvey, Alazet Bernard et Hélène Volat, Les Écrits de Marguerite Duras : bibliographie des œuvres et de la critique, 1940-2006, éditions IMEC, 2009.
Aliette Armel, Marguerite Duras. Les Trois Lieux de l'écrit, Christian Pirot, 1998.
Pierre Assouline, « Duras, l'Indochinoise », L'Histoire, no 203, , p. 46-47
Danielle Bajomée, Duras ou la douleur, De Boeck Université, 1989.
Françoise Barbé-Petit, Marguerite Duras au risque de la philosophie, Kimé, 2010.
Llewellyn Brown, Marguerite Duras, écrire et détruire : un paradoxe de la création, Lettres modernes – Minard, coll. « Archives des Lettres modernes », 2018.
Suzanne Lamy et André Roy, Marguerite Duras à Montréal, éditions Spirale, 1981.
Najet Limam-Tnani (dir.), Marguerite Duras : altérité et étrangeté ou la douleur de l'écriture et de la lecture, Presses universitaires de Rennes, 2013.
Sylvie Loignon, Le Regard dans l'œuvre de Marguerite Duras : circulez y'a rien à voir, Éditions L'Harmattan, 2001.
Janine Ricouart, Écriture féminine et violence : une étude de Marguerite Duras, Summa publications, 1991.
Michelle Royer, L’Écran de la passion Une étude du cinéma de Marguerite Duras. Brisbane: Boombana Publications. 1997.
Michelle Royer, « Le Spectateur face au bruissement sonore des films de Marguerite Duras et à ses images », In Jean Cléder (dir.), Marguerite Duras le Cinéma, (p. 43-54). Paris: Garnier Classiques, 2014.
Alexandra Saemmer, Duras et Musil, Rodopi, 2002.
Maïté Snauwaert, Duras et le cinéma, collection Le cinéma des poètes, Nouvelles éditions Place, 2018.
Sandrine Vaudrey-Luigi, La Langue romanesque de Marguerite Duras, Classiques Garnier, 2013.
Philippe Vilain, Dans le séjour des corps. Essai sur Marguerite Duras, éditions La Transparence, 2010.
Philippe Vilain, Dit-il. D'après « L'Été 80 » de Marguerite Duras, éditions Cécile Defaut, 2011.
Deux entretiens enregistrés de juillet 1985 à avril 1986, autour de faits marquants de la vie politique : la deuxième guerre mondiale, l'Afrique, les États-Unis, etc.
2 CD, Gallimard, Collection à voix haute /France Culture, 2007.
Trois entretiens enregistrés au début de 1987, autour de faits marquants de la vie politique : la cohabitation, le terrorisme, la peine de mort, l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, les fondements du racisme…
suivi de À propos de Nathalie Granger, entretien croisé avec Geneviève Dufour, Benoît Jacob et Luc Moullet, et L'écriture filmique de Marguerite Duras, entretien avec Madeleine Borgomano.
Agatha et les lectures illimitées , film écrit et réalisé par Marguerite Duras (1981) suivi de Duras filme(1981), produit et réalisé par Jean Mascolo et Jérôme Beaujour Benoît Jacob Vidéo 2009.
Agatha, pièce écrite par Marguerite Duras (1981) mise en scène par Jacques Malaterre, avec Anne Richard et Jean-Marc Richard
suivie de Ma sœur, mon amour, le film making of de la pièce.
↑« Marguerite Duras refusée par ses propres éditeurs », par Renaud Matignon, Le Figaro, 14 septembre 1992. Voir un exposé détaillé dans Daniela VERES, Duras et ses lecteurs (Étude de la réception de l’œuvre dans le paysage littéraire et journalistique français), Thèse à l'université Lumière- Lyon 2, 2008, en ligne. Voir aussi Frédéric Rouvillois, Le collectionneur d'impostures, Paris, Flammarion, 2010, p. 206-208, qui renvoie à Guillaume P. Jacquet, « Marguerite Andréas Duras », Réaction, no 7, automne 1992, et à Hélène Maurel-Indard, Du Plagiat, Paris, PUF, 1999.
↑Apostrophes, émission de Bernard Pivot consacrée à Marguerite Duras, diffusée le 28 septembre 1984 sur Antenne 2, production Antenne 2 et Bernard Pivot, réalisation de Jean-Luc Leridon.
↑Le nom du personnage est la juxtaposition des premières syllabes de trois noms : "AN-telme", son premier époux, "DES-Forêts", un ami et "MAS-colo", son second mari.
↑Témoignage d'un ami intime sur Duras et le cinéma (les tournages, les festivals de films, etc.).
↑Ouvrage publié à l’occasion de la première grande exposition consacrée à Duras : Marguerite Duras, une question d’amour, conçue par l’écrivain Dominique Noguez et présentée par l’Institut mémoires de l'édition contemporaine à l’Abbaye d'Ardenne, 14280 Saint-Germain-la-Blanche-Herbe près de Caen, du samedi 4 novembre 2006 au dimanche 21 janvier 2007.