Jacques Deprat est un géologue et écrivain français né à Fontenay-aux-Roses le et mort le à Lescun[1]. Accusé de forfaiture en 1917 et exclu de la communauté scientifique, il est le seul exemple connu de radiation puis de réhabilitation (posthume) dans l'histoire de la géologie française.
À l'été 1913, il est nommé vice-président pour l'Indochine du Congrès mondial de la géologie organisé à Toronto. Les comptes rendus de ses synthèses géologiques qui parviennent à l'Académie des sciences lui valent rapidement les honneurs. Il reçoit un prix de la Société géologique de France (SGF) en 1914 et le prix Tchihatchef de l'Académie des Sciences qu'il partage avec le paléontologue du SGI, Henri Mansuy. En 1917, il est soupçonné de fraude par son supérieur hiérarchique Honoré Lantenois et son collègue Henri Mansuy qui lui reprochent d'avoir introduit des fossiles apocryphes (des trilobites européens en l'occurrence[2]) et d'en avoir fait un usage "considérable" dans ses publications scientifiques. Il refuse de se soumettre à une procédure de vérification, et tombe sous le coup d'une procédure administrative le . Il est suspendu de ses fonctions par le Gouverneur Général d'Indochine pour refus d'obéissance. Une enquête administrative est menée durant l'année 1918 au cours de laquelle il dénonce un complot et au terme de laquelle le rapporteur (Habert) recommande le recours à un comité de savants parisiens. La décision est acceptée par les parties.
Un ensemble d'auditions sont menées en à l'issue desquelles le Comité de Savants présidé par Emmanuel de Margerie[3] conclut à l'unanimité à sa culpabilité. Le , l'affaire rebondit en tombant dans le cadre de la loi d'amnistie. Jacques Deprat et Honoré Lantenois s'obstinent dans une lutte interpersonnelle. Le , il est exclu de la Société géologique de France au motif d'indignité, ce qui met un terme à sa carrière scientifique.
Début 1919, il quitte l'Indochine et rentre en France où il se fixe avec sa famille à Moulins. Réduit au chômage, il entreprend au cours des années 1920 une nouvelle carrière d'écrivain sous le pseudonyme d'Herbert Wild[4]. Il publie en 1926 un roman auto-biographique à clefs (Les Chiens aboient) où il transpose son drame de géologue. Il poursuit ensuite une carrière littéraire à succès, durant laquelle il publiera près de 20 romans, principalement chez Albin Michel. Il remporta notamment le Grand Prix des Français d'Asie avec son roman La Paroi de Glace (1927), face à La Voie Royale d'André Malraux.
Adepte de ski, alpiniste chevronné, il trouve la mort lors de l'ascension du pic de Pétragème dans le massif d'Ansabère à Lescun (Pyrénées) le [5], dans des circonstances curieusement proches de celles qu'il décrit dans l'un de ses romans.
Réhabilitation posthume
Au terme d'un long cheminement, « l'affaire Deprat » fait l'objet d'un mémoire écrit par l'ancien Président de la SGF, Michel Durand-Delga. À la lumière des avancées géologiques et tectoniques du XXe siècle, la suspicion de fraude perd de plus en plus de sa consistance. Le , la Société Géologique de France décide de réintégrer officiellement Jacques Deprat comme membre de la SGF à titre posthume.
En 1999, l'écrivain anglais Roger Osborne fait de The Deprat Affair un roman à succès.
Œuvres
Œuvres originales
Publications scientifiques
Étude géologique du Yun-Nan oriental ; I : Géologie générale, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. I, fasc. 1, 1912
Étude géologique du Yunnan oriental ; III : Étude des Fusulinidés de Chine et d'Indochine et classification des calcaires à Fusulines, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. I, fasc. 3, 1912
Sur la découverte de l'Ordovicien à Trinucleus et du Dinantien dans le Nord—Annam et sur la géologie générale de cette région, « C.R. Acad. Sci. », Paris, t. CLIV,
Les fusulines des calcaires carbonifériens et permiens du Tonkin, du Laos et du Nord-Annam (Deuxième mémoire), « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. II, fasc. 1, 1913
Étude comparative des fusulinidés d’Akasaka (Japon) et des fusulinidés de Chine et d’Indochine (Troisième mémoire), « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. III, fasc. 1, 1914
Étude des plissements et des zones d'écrasement de la moyenne et basse Rivière-Noire, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. III, fasc. 4, 1914
Notes sur les terrains primaires dans le Nord-Annam et dans le bassin de la Rivière-Noire, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. II, fasc. 2, 1914
Les Fusulinidés des calcaires carbonifériens et permiens du Tonkin, du Laos et du Nord-Annam (Quatrième mémoire), « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. IV, fasc. 1, 1915
Le Trias et le Lias sur les feuilles de Son-Tay et de Phu-Nho-Quan, « Bulletin du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. II, fasc. 2, 1915
Études géologiques sur la région septentrionale du Haut-Tonkin : feuilles de Pa-Kha E., Ha-Giang, Ma-Li-Po, Yèn-Minh, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. IV, fasc. 4, 1915
Le Trias et le Lias sur les feuilles de Son-Tay et de Phu-Nho-Quan, « Bulletin du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. II, fasc. 2, 1915
Les terrains paléozoïques dans le Haut—Tonkin et le Yunnan, « Mémoires du Service géologique de l'Indochine », Hanoï, vol. V, fasc. 3, 1916 (inédit)
L’Ordovicien et le Gothlandien dans le Nord du Tonkin et le bassin du haut Iou-Kiang (Chine méridionale), « C.R. Acad. Sci. », Paris, t. CLXIV,
Romans et récits
Le Conquérant, Éditions du Chevalier, 1924
Dans les replis du dragon, nouvelles d'Asie, A. Michel, 1926
Les Chiens aboient, A. Michel, 1926
Le Colosse endormi, A. Michel, 1927
Histoire de partout, in Les Amitiés, 1927
L'acquittement de Lao-Toung-Po, in La Revue de Paris, 1928
Les Corsaires, A. Michel, 1928
Le Retour interdit, A. Michel, 1929
L'Autre race, A. Michel, 1930
Le Regard d'Apollon, A. Michel, 1930
L'Ambassade oubliée, A. Michel, 1931
Le Dernier avatar de Sambor Rutland, A. Michel, 1932
Le Capitaine du Faï-tsi-long, A. Michel, 1935
Les Skis invisibles, in La Revue Hebdomadaire, 1935
Monsieur Joseph, A. Michel, 1936 (Préface de Claude Farrère)
La Paroi de glace, Éditions de France, 1936
La Prise de Brisach
Le Chasseral
En marge du Pacifique
Rééditions
Le Conquérant, A. Michel, 1925 (Présenté par Claude Farrère)
La Paroi de glace, Éditions de France, coll. « Le Livre d'aujourd'hui », 1937
Dans les replis du dragon, Kailash, coll. « Les exotiques », 1997 (Postface de Alain Quella-Villéger) (ISBN2-84268-013-8)
L'Autre race, Kailash, coll. « Les exotiques », 2000 (Préface de Alain Quella-Villéger ; postface de Henri Copin) (ISBN2-84268-047-2)
Yvonne Rebeyrol, Jacques Deprat, l'homme démoli, in Le Monde,
M. Millet, L'Affaire Deprat, in Geochronique, 1991, no 40, p. 19
Michel Durand-Delga, L'Affaire Deprat (pour la réhabilitation d'un géologue proscrit), in Livre Eugène Wegmann, Mémoire hors-série de la Société Géologique de France, 1995
Jean Béhue Guetteville, Pour la Patrie, les Sciences...et la Fraude ! L'affaire Deprat dans le tourbillon des changements de gouvernance, in Gérer et Comprendre, Annales des Mines, no 89, , www.annales.org
Michel Durand Delga, L'affaire des Trilobites: retour sur l'affaire Deprat, in Geochronique, 2007, no 101 Texte en ligne
↑Le géologue et géographe Emmanuel de Margerie (1862-1953) fut nommé président du comité qui condamna Deprat car à l'époque il présidait la prestigieuse Société Géologique de France. Ce piètre scientifique fut même nommé membre de l'Académie des sciences en 1939. Voir à son sujet une biographie critique
↑Michel Durand-Delga. L'Affaire Deprat. Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, 1990
↑Durand-Delga, Michel, « Michel Durand-Delga L'Affaire Deprat », sur annales.org, Travaux du Comité français d'histoire de la géologie (COFRHIGEO), (consulté le ), p. 117–212.