Le film de gangsters ou le film de mafieux est un genre cinématographique caractérisé par une intrigue racontée du point de vue d'un criminel ou d'une organisation criminelle. Il naît en France et en Allemagne, avec des films comme Fantômas (1913) de Louis Feuillade et Docteur Mabuse le joueur (1922) de Fritz Lang[1]. Mais il se développe réellement aux États-Unis, prenant comme thèmes le crime organiséaméricain des années 1920 et ses héros comme Al Capone. Le contexte historique est généralement celui de la prohibition ou de la Grande Dépression[1]. Il se poursuit notamment en Italie pendant les années de plomb sous la forme de film de mafieux ou de poliziottesco.
En France, il constitue un sous-genre du film policier (qui se confond avec le genre du film criminel, terme davantage utilisé dans les pays anglo-saxons et au Québec).
Les films de gangsters américains apparaissent vers 1930, au lendemain de la crise économique qui frappe les États-Unis et prolifèrent durant la décennie qui suit. Ces films sont en lien étroit avec le contexte américain de l'époque et tiennent compte de la fascination du public pour la figure du gangster, après une vague de meurtres. Dans les années 1920, le gangstérisme est à la fois un problème et un spectacle national, à la suite de l'instauration de la prohibition. Les films de gangsters jouent sur ce dernier thème pour s'en moquer.
Problème national
La loi de prohibition (interdisant l'alcool) entre en vigueur en , entrainant son lot de trafic et tueries ; dont le bootlegging. Ce trafic implique une grande organisation, qui touche de nombreuses structures dans tout le pays. Il représente aussi une puissance et des enjeux économiques considérables, le tout contrôlé par les mafieux. La presse présente à l'époque la guerre des gangs comme un « fléau apocalyptique, destructeur de la société moderne ».
Spectacle national
Les gangsters deviennent des figures de légende, souvent en tête d'affiche dans les magazines. La presse, mais aussi les gangsters eux-mêmes tirent profit de ce voyeurisme de masse. Howard Hawks dénonce la responsabilité des médias dans ce genres d'affaires, surtout la presse avide de sensations, dans son film Scarface de 1932.
Les films de gangsters ont eu une influence certaine sur les comics américains de la fin des années 1930 aux années 1950. En effet, les auteurs des crime comics s'inspirent de ces films qu'ils pouvaient voir à l'époque au cinéma et présentent aussi des histoires dans lesquelles le criminel est le personnage principal, bien qu'il soit toujours puni à la fin de l'histoire[2].
Le cinéaste considéré généralement comme le maître du polar à la française est Jean-Pierre Melville[6]. Même si ses films comportent des personnages marquants de policiers, c'est surtout les gangsters qui sont à l'honneur, de Bob dans Bob le flambeur (1955) à Simon dans Un flic (1972) en passant par le Silien du Doulos (1962)[6], « Gu » du Deuxième Souffle (1966), Corey dans Le Cercle rouge (1970) et Jef Costello alias Le Samouraï (1967). Portant une expression guindée, inexpressive jusque dans les situations les plus critiques, les crapules melvilliennes se définissent par le tragique qu'elles portent en elle[6]. Elles évoluent dans un univers vénéneux, où le noir et blanc ou les couleurs épurées sont de rigueur. La façon documentaire de filmer de Melville, la rigueur de sa mise en scène a redéfini les codes du film noir et inspiré de nombreux cinéastes du genre[7], de l'Italien Fernando Di Leo pour sa Trilogie du Milieu[8] aux Américains Jim Jarmusch, Martin Scorsese ou Quentin Tarantino en passant par les Hong-kongais Johnny To ou John Woo[9].
Les poliziotteschi constituent un genre à la lisière du film policier, du film de gangsters et du film de justiciers. Mais l'âge d'or des polliziotteschi dans la décennie 1970-1980 a aussi nourrit les films de mafieux, que le liste ci-dessous recense de façon non-exhaustive.
Alors que les films soviétiques sur les activités criminelles prenaient plus souvent le point de vue policier comme dans Le Retour de saint Luc (Возвраще́ние Свято́го Луки́) en 1970 ou dans Il ne faut jamais changer le lieu d'un rendez-vous (Место встречи изменить нельзя) en 1979, L'Obier rouge (Калина красная) évoque déjà en 1974 un personnage sorti de prison confronté à ses anciens complices. Mais c'est le film de Iouri KaraLes Voleurs dans la loi (Воры в законе), qui fait sensation en 1988 en présentant de façon franche le crime organisé russe, les Voleurs dans la loi du titre, qui prend le contrôle d'une station balnéaire.
C'est dans les années 1990 que naît véritablement le film de gangsters à la russe. Le relâchement du contrôle de l'état et l'explosion du crime organisé dans la société russe vont produire ces « années effrénées » (Лихие 90-е) qui vont être fréquemment transposées au cinéma[11]. Le Frère (Брат) en 1997 et Le Frère 2 (Брат 2) en 2000 d'Alekseï Balabanov seront les plus grands succès du genre. Ayant joué dans le rôle principal dans ces deux films, Sergueï Sergueïevitch Bodrov réalisera lui-même un film de tueurs, Les Sœurs (Сёстры) en 2002. D'autres films notables de cette période sont Antikiller (Антикиллер) en 2002 d'Igor Kontchalovski ou le film russo-français Un nouveau Russe (Олигарх) en 2001 de Pavel Lounguine.
« La Grande dépression a ébranlé les fondements même de l'Amérique, elle a changé le pays en profondeur et par conséquent également son cinéma. [...] La romance du crime et de l'argent facile, la confrontation entre une police sans merci et des criminels rusés, la Prohibition, l'affrontement mafieux, Al Capone, Dillinger, Bonnie et Clyde - sans cela, la mythologie américaine est impensable. Et la décennie effrénee que sont nos années 1990 (Лихие 90-е) sont notre Grande Dépression, avec des conséquences non seulement socio-économiques, mais aussi cinématographiques. »
Dictionnaire du cinéma, éd. Larousse-Bordas, Paris, 1998. p. 182, entrée Criminel (cinéma).
Sophie Djigo, L’éthique du gangster au cinéma : Une enquête philosophique, Presses universitaires de Rennes, , 184 p. (ISBN9782753590113, lire en ligne)