Ce théorème généralise celui d'Euclide, d'après lequel il existe une infinité de nombres premiers et qui correspond donc au cas où la raison n de la progression arithmétique est égale à 1. Il indique que si l'on construit un tableau comme le suivant (qui correspond au cas n = 9 : c'est le nombre qui figure dans la première ligne et deuxième colonne), alors :
certaines lignes possèderont au plus un nombre premier (indiqué en rouge sur la figure) et il sera, s'il existe, toujours en première colonne. Cette configuration se présente ici pour les lignes commençant par 0, 3 et 6 ;
les autres contiendront toujours une infinité de nombres premiers. Ces lignes sont celles qui commencent par un entier compris entre 0 et n – 1 et premier avec n (ici : 1, 2, 4, 5, 7 ou 8) ; il y en a donc φ(n), où φ est l'indicatrice d'Euler.
On peut aller plus loin. La répartition statistique est presque la même dans chaque ligne. Et plus la ligne est longue, plus les répartitions statistiques se ressemblent, pour devenir exactement les mêmes. Vu sous cet angle, les nombres premiers sont remarquablement bien ordonnés. Ce résultat est démontré par le théorème de densité de Chebotarev, une généralisation du travail de Dirichlet. Dans l'exemple cité, les lignes commençant avec un entier premier avec 9 en contiennent entre 7 et 5, soit une variation inférieure à 40 %. En revanche, si le tableau est prolongé jusqu'à la valeur 1 000, alors le nombre de nombres premiers dans les lignes en contenant une infinité ne varie plus que de 26 à 29, soit une variation de moins de 10 %.
Une autre analyse est réalisée sur l'apparition du premier nombre premier dans une ligne ; elle est l'objet du théorème de Linnik.
En 1735, à la suite d'une étude pour la résolution du problème de Mengoli, Euler étudie des produits infinis. Deux ans plus tard, il utilise une étrange formule maintenant nommée produit eulérien[3]. Son écriture en série est celle de la fonction ζ de Riemann. Elle offre la première information statistique sur la distribution des nombres premiers.
Dix ans plus tard, Adrien-Marie Legendre énonce le théorème de la progression arithmétique dans le cas général[7]. Il croit le démontrer en 1808[8], via un lemme (faux)[4],[9] qui affirmait qu'étant donnés deux entiers m et n premiers entre eux, et k nombres premiers impairs ne divisant pas n, il existe au moins un entier j compris (au sens large) entre 1 et pk (le k-ième nombre premier, à partir de p1 = 2) tel que –m + jn ne soit divisible par aucun de ces k nombres premiers.
En 1837, Dirichlet démontre une première version[10] de son théorème de la progression arithmétique, en supposant que n est premier. Il démontre l'année suivante le cas où n n'est pas premier et en 1841, généralise la démonstration aux entiers de Gauss.
La démonstration est d'un intérêt considérable en arithmétique. Elle relie la nouvelle théorie de Gauss aux idées, apparemment si éloignées, d'Euler. Il enrichit de plus chacune des deux branches.
L'apport algébrique pour la théorie des nombres consiste essentiellement dans le développement de l'analyse harmonique. Dirichlet a travaillé[11] sur les découvertes de Joseph Fourier (1768-1830). Pour la démonstration de son théorème, il utilise les mêmes méthodes, cette fois pour un groupe abélien fini. Jacobi dit de lui : « En appliquant les séries de Fourier à la théorie des nombres, Dirichlet a récemment trouvé des résultats atteignant les sommets de la perspicacité humaine[12] ». La théorie des caractères d'un groupe fini pour le cas abélien est pratiquement complète.
Son apport en analyse est non moins innovateur. À chaque caractère, il associe un produit infini analogue à celui d'Euler. Il montre l'équivalence de ces produits à des séries, maintenant nommé série L de Dirichlet dont un cas particulier est la fonction ζ de Riemann. L'essentiel de la démonstration consiste alors à déterminer si l'unité est oui ou non une racine de ces séries. On reconnait là, l'analogie profonde avec l'hypothèse de Riemann. Cet article marque la naissance d'une nouvelle branche des mathématiques : la théorie analytique des nombres avec ses outils fondamentaux : les produits eulériens, ou les séries L de Dirichlet et son intime relation avec l'arithmétique modulaire.
Version quantitative
La Vallée Poussin a démontré la version quantitative suivante du théorème, conjecturée par Dirichlet et Legendre. Il s'agit de l'équirépartition, évoquée plus haut, des nombres premiers dans les classes [m] modulo n, pour n non nul et m premiers entre eux :
Le nombre de nombres premiers inférieurs ou égaux à x, dans la suite m + an, est équivalent à Li(x)/φ(n).
En dépit de ce résultat, on constate (c'est le biais de Tchebychev) que pour les valeurs de m qui ne sont pas des carrés modulo n, ce nombre, souvent noté π(x; n, m), est presque toujours supérieur aux π(x; n, p) où p est un carré modulo n ; ce résultat n'est actuellement démontré que si l'on suppose vraie l'hypothèse de Riemann généralisée[15].
Problème connexe
Si on note où m et n sont comme dans l'énoncé, le théorème de la progression arithmétique dit qu'il y a une infinité de nombres premiers dans la suite lorsque k varie dans .
En particulier, il existe une infinité de nombres premiers p tels que soit multiple de p pour un certain k, une propriété vraie en général pour tout polynôme non constant à coefficients dans , et beaucoup plus simple à démontrer que le théorème de Dirichlet.
On se pose alors la question inverse: un polynôme non constant P à coefficients dans étant donné, est-il possible qu'il existe seulement un nombre fini de nombres premiers p, pour lesquels ne soit pas multiple de p quel que soit k ?
Il est d'abord évident que si P est de degré 1, c'est-à-dire de la forme la réponse est affirmative puisque n est inversible modulo p pour tout nombre premier ne divisant pas n.
Par ailleurs, en utilisant la loi de réciprocité quadratique, on peut exhiber certains polynômes de degrés > 1 et réductibles sur , tels que pour tout nombre premier p, soit multiple de p pour un certain k : tel est par exemple le polynôme .
La question se pose alors pour les polynômes irréductibles sur et de degrés strictement supérieurs à 1. La réponse négative est fournie par le théorème de densité de Frobenius : Si P est irréductible sur et de degré strictement supérieur à 1, alors il existe une infinité de nombres premiers p pour lesquels n'a aucune racine modulo p.
Ici, n désigne un entier strictement positif et m une classe du groupe des unités, noté U, de l'anneau ℤ/nℤ. L'objectif est de montrer que m contient une infinité de nombres premiers. désigne l'ensemble des nombres premiers et S le demi-plan des complexes de partie réelle strictement supérieure à 1. Si c désigne un nombre complexe, c désigne son conjugué.
Si est fini, ψ1 est une simple fonction entière, définie sur le plan complexe tout entier.
Délocalisation des nombres premiers
La difficulté réside dans le fait que la sommation dans ω(s, m), contrairement à celle dans ζ(s), n'est réalisée que sur les nombres premiers appartenant à m.
Si χ n'est pas le caractère principal, sa série L de Dirichlet est définie et continue en 1 avec une valeur non nulle (une démonstration est donnée dans le paragraphe « Comportement au point un » de l'article détaillé). En revanche, si χ est le caractère principal, sa série L (dont le log est affecté, dans le développement de ω(s, m), du coefficient χ(m) = 1) est égale à , où est la fonction zêta de Riemann, qui diverge au point 1. Ceci permet d'énoncer la proposition suivante, qui termine la démonstration comme annoncé ci-dessus :
Pour toute classe m dans U, la fonction ω(s, m) diverge quand s tend vers 1.
Notes et références
↑(en) Ho Peng Yoke, Li, Qi, and Shu An Introduction to Science and Civilization in China, Hong Kong University Press, 1985, p. 89.
↑Remarques de Pierre de Fermat, dans l’Arithmetica éditée par Pierre Samuel, fils de Fermat, 1670.
↑En donnant comme exemple la suite 1 + 100a : p. 241 de (la) L. Euler, « De summa seriei ex numeris primis formatae 1/3 - 1/5 + 1/7 + 1/11 - 1/13 - 1/17 + 1/19 + 1/23 - 1/29 + 1/31 etc. », dans Opuscula Analytica, vol. 2, (lire en ligne), p. 240-256 (E596, présenté à l'Académie de Saint-Pétersbourg en 1775).
↑Annoncée dans (de) G. Lejeune Dirichlet, « Beweis eines Satzes über die arithmetische Progression », Ber. K. Preuss. Akad. Wiss., , p. 108-110 (lire en ligne) (Werke I, p. 307-312) et développée dans (de) G. Lejeune Dirichlet, « Beweis des Satzes, dass jede unbegrenzte arithmetische Progression (…) », Abhand. Ak. Wiss. Berlin, vol. 48, , p. 45-81 (lire en ligne) (Werke I, p. 313-342).
↑Lejeune-Dirichlet, « Solution d'une question relative à la théorie mathématique de la chaleur », J. reine angew. Math., vol. 5, , p. 287-295 (lire en ligne).
↑(de) W. Ahrens(de), « Briefwechsel zwischen C. G. J. Jacobi und M. H. Jacobi », Math. Gazette, vol. 4, no 71, , p. 269-270.
↑(en) A. Selberg, « An elementary proof of Dirichlet's theorem about primes in an arithmetic progression », Ann. Math., vol. 50, no 2, , p. 297-304 (JSTOR1969454, zbMATH0036.30603).
Nombre premier de Pythagore, où figure une preuve élémentaire des cas particuliers (m, n) = (3, 4) et (5, 8)
Bibliographie
(en) Tom M. Apostol, Introduction to Analytic Number Theory, Springer, (lire en ligne), chap. 7 (« Dirichlet's Theorem on Primes in Arithmetical Progressions »), p. 146-156
(en) Władysław Narkiewicz, The Development of Prime Number Theory: From Euclid to Hardy and Littlewood, Springer, (1re éd. 2000) (lire en ligne), chap. 2 (« Dirichlet's Theorem on Primes in Arithmetical Progressions »), p. 49-96