Le Requiem, ou plus exactement la Grande Messe des morts (opus 5) H 75, d'Hector Berlioz (1803–1869) a été composé en 1837. Cette partition est l'une des œuvres les plus connues du musicien en raison de son énorme effectif orchestral de bois et de cuivres comprenant quatre ensembles de cuivres antiphoniques placés dans les coins de la scène. L’œuvre dure environ 90 minutes et tire son texte de la messe latine traditionnelle de Requiem.
Histoire
Adrien de Gasparin, ministre de l’Intérieur français, voulait remettre au goût la musique religieuse. Il décida donc de financer chaque année un compositeur pour l’écriture d’une messe ou d’un oratorio de grande dimension. Le ministre commença en 1837 avec Berlioz en lui demandant de composer une messe de Requiem en mémoire des soldats de la Révolution de juillet 1830[1].
Berlioz, voulant composer une œuvre avec une grande orchestration, a accepté avec joie cette demande : « Le texte du Requiem était pour moi une proie dès longtemps convoitée, qu’on me livrait enfin, et sur laquelle je me jetai avec une sorte de fureur[2] ».
La représentation initialement prévue pour la commémoration de la révolution de 1830 fut annulée et la première eut finalement lieu lors d’un service funèbre pour les soldats morts lors de la prise de Constantine[3]. Berlioz avait pour habitude de diriger ses œuvres mais on lui imposa de prendre François-Antoine Habeneck, avec qui il était brouillé, comme chef d’orchestre[2].
La première, qui obtint un grand succès[2], fut donc dirigée par Habeneck le dans l’Église des Invalides pour les obsèques du général Charles-Marie Denys de Damrémont[3]. Selon les Mémoires de Berlioz, à l’arrivée d’un moment critique du Tuba mirum, « Habeneck baisse son bâton, tire tranquillement sa tabatière et se met à prendre une prise de tabac » ; Berlioz se rua sur le podium pour diriger l'orchestre, sauvant ainsi le concert d’un désastre. Cette anecdote est jugée peu crédible par divers critiques[4],[5],[6],[7],[8], toutefois il s'agit de commentateurs qui n'étaient pas des contemporains de Berlioz et n'avaient pas assisté au concert. En effet, des témoins de l'époque, comme Charles Hallé[9] et Eugène de Mirecourt[10], ont attesté l'incident. Il y aurait aussi le témoignage de Julien Tiersot, l'un des plus sérieux biographes de Berlioz au début du XXe siècle[11]. David Cairns ne conteste d'ailleurs pas le fait lorsqu'il dit : « incident attesté par des témoins indépendants »[12], mais il ajoute en note : « Je spécule en situant l'incident à la répétition générale publique plutôt qu'à la cérémonie elle-même, car je suppose qu'un musicien relativement peu connu comme Hallé aurait plutôt assisté à la générale qu'à cette grandiose manifestation, parmi tous ces hauts personnages »[13].
Berlioz a dédié son Requiem à Gasparin. Il le plaçait au premier rang de toutes ses œuvres[6], et il a écrit : « Si j’étais menacé de voir brûler mon œuvre entier, moins une partition, c’est pour la Messe des morts que je demanderais grâce[14] ».
Au sujet du nombre de musiciens et de chanteurs, Berlioz a écrit sur la partition que « ce nombre est relatif et si possible, si la place le permet, il faut doubler ou tripler le nombre de voix et augmenter le nombre d’instruments dans les mêmes proportions ».
La messe fut interprétée par 440 musiciens et chanteurs lors de sa création[15].
Curieusement il y a 603 barres de mesure dans les cinq premiers mouvements et autant dans les quatre derniers. Les premier et quatrième mouvements sont à . Le sixième mouvement, Lacrimosa, est à et a 201 mesures, le tiers de 603. Ces proportions, voulues ou non, donnent un état d’équilibre et de stabilité.
Analyse
Premier mouvement
Le Requiem ouvre gravement avec les violons, les cors, les hautbois et les cors anglais entrant graduellement avant les chœurs. La musique devient ensuite plus agitée et désespérée. Le premier mouvement contient les deux premières sections de la messe de Requiem (Introit et Kyrie).
Deuxième mouvement
La Séquence commence dans le second mouvement avec le Dies iræ qui décrit le jugement dernier. Les quatre ensembles de cuivres placés dans les coins de la scène apparaissent dans ce mouvement un par un ; ils sont rejoints par 16 timbales, 2 grosses caisses et 4 gongs. La montée du son est suivie par l'entrée des chœurs. Les vents et les cordes terminent le mouvement.
Troisième mouvement
Le troisième mouvement, Quid sum miser, est court et décrit ce qui se passe après le jugement dernier. L'orchestre est réduit à deux cors anglais, huit bassons, et aux violoncelles et contrebasses.
Quatrième mouvement
Le Rex tremendæ contient des oppositions contrastées. Le chœur chante à la fois d'un air suppliant comme pour demander de l'aide et majestueusement.
Cinquième mouvement
Quærens me est un mouvement doux, calme, entièrement a cappella.
Sixième mouvement
Le Lacrimosa est en 9/8 et est considéré comme le centre du Requiem. C'est le seul mouvement écrit sous une forme sonate reconnaissable et c'est le dernier mouvement exprimant la peine. L'effet dramatique de ce mouvement est amplifié par l'ajout de nombreux cuivres et percussions. Ce mouvement conclut la section Séquence de la messe.
Septième mouvement
Ce mouvement commence avec l'Offertoire. Domine Jesu Christe est basé sur un motif de trois notes : la, si♭ et la. Ce motif chanté par le chœur s'entremêle avec la mélodie de l'orchestre. Il dure environ dix minutes, presque jusqu'à la fin du mouvement qui se termine calmement. Robert Schumann fut très impressionné par les innovations de ce mouvement.
Huitième mouvement
La conclusion de l'Offertoire, l'Hostias, est courte et écrite pour les voix masculines, huit trombones, trois flûtes et les cordes.
Neuvième mouvement
Le Sanctus est chanté par un ténor. Les flûtes jouent de longues notes tenues. Les voix féminines chantent également, répondant peut-être au ténor. Les cordes graves et les cymbales les rejoignent ensuite. Une fugue chantée par tout le chœur, accompagné par tout l'orchestre, termine le mouvement. Dans la version originale, Berlioz utilise 10 ténors pour la partie solo.
Dixième mouvement
Le mouvement final contient l'Agnus Dei et la Communion de la messe joués par les cordes et les vents. Le mouvement réutilise les mélodies et les effets des mouvements précédents.
Réception
Alfred de Vigny, dans son Journal d'un poète en date du déclare : la musique « est belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse. »
Parmi la presse, plusieurs dizaines de journaux rendirent compte de la soirée et seuls deux ou trois articles furent hostiles. Encore faut-il souligner que leurs auteurs n'avaient probablement pas assisté au concert, car ils donnèrent des informations fausses[16]. Le bibliothécaire du Conservatoire, Bottée de Toulmon – spécialiste de musique médiévale –, écrivit un article dans la Gazette musicale pour reconnaître les innovations du musicien[17],[18].
Le journaliste Christophe Deshoulières, collaborateur du magazine Diapason, écrit[19] : « Le Requiem de Berlioz est une méditation intime sur le néant mise en perspective avec des moyens gigantesques. [...] Seuls Brahms et Mahler l'égaleront par la suite ».
"J'ai toujours considéré que cette œuvre était la plus significative et la plus belle de tout ce qu'a écrit Berlioz ; et cet enregistrement de Charles Munch en est la meilleure interprétation. Berlioz possède une hardiesse colossale, mais parfois il en abuse ; pas ici cependant ; ici règne l'harmonie et l'équilibre. J'aime tout particulièrement les premier et dernier numéros, avec le motif qui se répète aux sopranes, comme un point d'orgue. Magnifiquement audacieux sont le Lacrimosa et le Sanctus dans l'interprétation du jeune Schreirer." Richter, carnets, Van de Velde/Arte éditions/Actes Sud, Bruneau Monsaingeon 1998 p.307.
↑Hector Berlioz, Mémoires de Hector Berlioz: l'autobiographie du célèbre compositeur français, BoD - Books on Demand, (ISBN978-2-322-20081-8, lire en ligne)
↑Jacques-Gabriel Prod'homme, Hector Berlioz (1803-1869) : sa vie et ses œuvres d'après des documents nouveaux et les travaux les plus récents, Paris, Delagrave, (1re éd. 1904), 348 p. (OCLC9048834, lire en ligne), p. 114
« Aucune relation contemporaine, aucune des lettres du compositeur lui-même écrites au lendemain de l'exécution du Réquiem, n'autorise à ajouter foi. »
↑Barraud 1979, p. 85 : l'auteur met sur le compte de l'imagination et l'usure du musicien âgé, rédigeant ses mémoires.
« Eh bien, encore une fois, tout cela est inventé. Car sur l'instant, Berlioz écrivant à son fidèle ami, Humbert Ferrand, ne fait aucune mention du coup de théâtre. »
↑David Cairns cite Hallé comme témoin de l'incident dans sa traduction en anglais des Mémoires de Berlioz : The « Mémoires » of Hector Berlioz, p. 520-521, Everyman's Library/Random House. (ISBN0-375-41391-X). L'ouvrage de Hallé auquel se réfère Cairns est The Autobiography of Charles Hallé, with correspondence and diaries, 1896, Londres, Elek, rééd. 1972, p. 88
↑Eugène de Mirecourt dans sa biographie Berlioz, parue en 1856 à Paris, chez Gustave Havard, p. 52 de la réédition de l'ouvrage en 1976 chez La Flûte de Pan
Paul Prévost, « Grande messe des morts (Requiem), op. 5 d'Hector Berlioz », dans Marc Honegger et Paul Prévost (dir.), Dictionnaire des œuvres de la musique vocale, t. II (G-O), Paris, Bordas, , 2367 p. (ISBN2040153950, OCLC25239400, BNF34335596), p. 821–824.
David Cairns (trad. de l'anglais par Dennis Collins), Hector Berlioz, vol. II : Servitude et grandeur 1832–1869, Paris, Fayard, , 942 p. (ISBN2-213-61250-1, OCLC614742526), « La lueur visionnaire : 1837 », p. 147–164.