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Rébellion du groupe Wagner
Extension maximale (en gris) du territoire contrôlé par le groupe Wagner au cours de la rébellion.
Elle se déroule dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine, menée par l'armée russe avec l'appui du groupe Wagner, au cours de laquelle les relations entre ces deux entités n'ont cessé de se dégrader.
Dans une allocution télévisée le matin du 24 juin, Vladimir Poutine condamne la « trahison » d'Evgueni Prigojine. Il promet une intervention « sévère » contre les « insurgés ».
Dans la soirée du 24 juin, après l'annonce d'une médiation du président biélorusse Alexandre Loukachenko, Evgueni Prigojine fait savoir qu'il renonce à marcher sur Moscou et que ses troupes rejoignent leurs quartiers. Les poursuites judiciaires contre Prigojine et ses hommes sont déclarées comme abandonnées. Le 26 juin, il déclare que le but de la marche était d'empêcher la dissolution du groupe Wagner, ainsi que de traduire en justice ceux « qui ont commis un grand nombre d'erreurs lors de l'opération militaire spéciale »[6].
Au début des années 1990, Evgueni Prigojine, qui a purgé près d'une décennie de prison pour plusieurs vols dans les années 1980, se lance dans une carrière d'entrepreneur. Avec ses multiples restaurants réputés, il devient une figure importante de la vie économique de Saint-Pétersbourg et rencontre dans ce cadre Vladimir Poutine, qui est alors activement engagé dans la politique municipale[7],[8]. Les deux hommes se rapprochent progressivement, jusqu'à ce que Prigojine devienne un confident de Poutine au cours de son accession au pouvoir[9].
En 2014, Prigojine fonde le groupe Wagner, une société militaire privée. Malgré l'interdiction théorique des sociétés militaires privées en Russie, Wagner peut opérer sans entrave avec un soutien implicite[9], voire le financement du pouvoir russe[10],[11]. De nombreux analystes ont estimé que le gouvernement russe a employé les services de Wagner pour permettre un déni plausible de ses ingérences et masquer le bilan réel humain et financier des interventions de la Russie à l'étranger[12].
Outil de la politique étrangère et militaire russe, Wagner est devenu au fil des années une force de combat très impliquée dans diverses régions, notamment dans le conflit du Donbass (2014)[13] ; mais aussi lors de l'intervention militaire de la Russie dans la guerre civile syrienne aux côtés du président syrien Bachar el-Assad (2015)[14],[15]. La société d'Evgueni Prigojine a également participé à des conflits au Mali (2018), en Libye (2021) et en République centrafricaine (2018). Sur tous ces théâtres d'opérations, le groupe Wagner s'est distingué par ses méthodes brutales et sa participation à de nombreux crimes de guerre[15],[16],[17]. Le groupe noue cependant des liens étroits avec de nombreux gouvernements africains, bénéficiant d'une autonomie considérable pour exploiter les ressources naturelles de ces États en échange d'un soutien dans leur lutte contre les divers rebelles antigouvernementaux auxquels ils font face[18],[19]. Cette main-mise économique de Wagner sur les ressources africaines permet au groupe de financer ses opérations dans le monde, et particulièrement en Ukraine après le déclenchement de l'invasion russe[19].
Montée des tensions
Tentatives de limitation de l'influence de Prigojine
Selon des responsables américains, des différends de longue date existent entre Prigojine et le ministre russe de la DéfenseSergueï Choïgou avant l'invasion de l'Ukraine, mais ces tensions se sont aggravées et ont été rendues publiques au cours de cette phase de la guerre russo-ukrainienne[20],[21]. Ces tensions ont émergé lors de l'intervention russe en Syrie entre 2015 et 2019, lors de laquelle le groupe Wagner a été la principale force terrestre déployée[22]. Les mercenaires d'Evgueni Prigojine et l'armée régulière rechignaient généralement à travailler ensemble, voire entraient en compétition pour le contrôle de la production pétrolière[22]. L'implication des mercenaires de Wagner dans des opérations importantes comme la reprise de Palmyre aux djihadistes de Daesh en 2017 n'est pas assez récompensée par la Russie selon Prigojine[23]. La fracture entre ce dernier et Sergueï Choïgou s'accentue encore l'année suivante, lorsque des forces de Wagner sont frappées par l'aviation américaine au cours de la bataille de Khoucham[23]. Le gouvernement russe ne prend aucune mesure de représailles et nie ses liens avec Wagner, malgré la mort d'entre 200 et 300 combattants russes[23]. Dans le même temps, Choïgou restreint l'accès des entreprises de Prigojine aux lucratifs contrats militaires qui lui ont rapporté près de 2 milliards de dollars entre 2011 et 2018[23]. Toujours en 2018, le ministère russe de la Défense crée Patriot, une société militaire et de sécurité privée en concurrence directe avec Wagner en Syrie et en Afrique[23].
Le conflit latent entre Wagner et le ministère de la Défense s'intensifie encore avec l'invasion de l'Ukraine en 2022. Dans les premiers jours de l'invasion, 400 mercenaires de la société Redut (dépendant directement du ministère de la Défense comme Patriot) tentent sans succès d'assassiner Volodymyr Zelensky, tandis que le patron de Wagner est tenu à l'écart des opérations militaires[24]. Cependant, après les pertes importantes subies par les forces terrestres russes lors des premières phases de l'invasion, les autorités cherchent à enrôler des mercenaires pour éviter d'avoir à déclencher une mobilisation. Le groupe Wagner passe ainsi de 1500 hommes en à 7000 le mois suivant, en recrutant des vétérans, des sportifs, ainsi que des gens ordinaires dans une soixantaine de centres régionaux[25]. En , le groupe reçoit l'autorisation de recruter dans les prisons russes : de cette façon, près de 40000 hommes rejoignent les rangs de l'organisation d'Evgueni Prigojine[25].
Malgré l'absence de position officielle ou d'autorité légale[26], Evgueni Prigojine acquiert dans le processus une stature internationale, et le groupe Wagner est rapidement perçu comme sa propre armée privée[26]. Cette situation accroît encore les tensions avec le ministère de la Défense et l'armée, qui cherchent à limiter l'influence du chef de Wagner[26]. Au début de l'année 2023, Prigojine annonce que Wagner cesse de recruter des prisonniers[27], ce que le ministère britannique de la Défense interprète comme une interdiction venue du Kremlin de telles pratiques[28]. Cette mesure, censée poser des problèmes de main d’œuvre à Wagner[29], a plutôt permis à Evgueni Prigojine de se présenter comme une figure populiste opposée un certain establishment militaire[30]. À plusieurs reprises au cours de l'invasion, il critique le commandement russe et est l'une des rares figures publiques à se plaindre directement à Poutine des commandants militaires[31]. Ses critiques virulentes visent principalement le ministère de la Défense, dont il qualifie les fonctionnaires de corrompus[20],[21], mais il attaque aussi d'autres segments de l'élite russe[32], leur reprochant de jouir d'une vie luxueuse alors que des gens « ordinaires » meurent sur le front. Selon l'Institut pour l'étude de la guerre, ses sorties acerbes lui ont valu une influence notable dans la communauté ultranationaliste des blogueurs militaires russes[33].
Le groupe Wagner combat principalement dans l'oblast de Louhansk, et joue un rôle important dans la prise de Popasna, Sievierodonetsk et Lyssytchansk en 2022, puis de Soledar (dans l'oblast de Donetsk cette fois) en [34]. Le groupe n'est jamais publiquement remercié ou célébré par des dirigeants russes pour son implication dans les combats mais s’institutionnalise progressivement : son existence n'est plus niée, des bâtiments officiels sont inaugurés à Saint-Pétersbourg en , et l'entreprise est officiellement déclarée comme une société de conseil en [34].
Les tensions entre le groupe Wagner et le ministère de la Défense atteignent un point critique au cours de la bataille de Bakhmout[33]. Evgueni Prigojine exprime à plusieurs reprises au cours de cette dernière son mécontentement quant à l'approvisionnement inadéquat de ses hommes par l’État russe. Confronté selon ses dires à une pénurie de munitions, il menace de se retirer de la bataille si ses demandes ne sont pas satisfaites[35]. L'arrivée de Valeri Guerassimov le à la tête des opérations en Ukraine en remplacement de Sergueï Sourovikine fragilise la position de Prigojine : tandis que Sourovikine est perçu comme proche de Wagner, Guerassimov est un proche de Vladimir Poutine et Sergueï Choïgou[36]. Sourovikine agit notamment comme médiateur pour que le groupe Wagner puisse obtenir des munitions pour soutenir ses opérations.
Après la proclamation de la victoire russe à Bakhmout fin mai 2023, Wagner commence à se retirer de ses positions pour céder la place aux troupes régulières russes[37]. Des conflits internes persistent cependant entre Wagner et les militaires pendant cette transition[38]. Prigojine affirme à plusieurs reprises que des militaires russes ont attaqué ses forces. Sa popularité augmente également considérablement lorsqu'il accuse publiquement des « personnes influentes » de saboter activement sa très rentable entreprise de restauration en association avec l'armée russe. Cette dernière accusation tourne l'image publique de Prigojine davantage vers le monde politique, qu'il commence à dénoncer[39],[40].
Intégration de Wagner dans l'armée russe
Le , le ministère de la Défense russe ordonne à Wagner de signer des contrats avec l'armée pour tout ses membres avant le . Cette mesure aurait pour effet d'intégrer la société militaire privée à la chaîne de commandement régulière et de saper l'influence d'Evgueni Prigojine. Ce dernier refuse cependant cet ordre et en profite pour accuser une nouvelle fois le ministre Choïgou d'incompétence[41],[42]. Selon Meduza (un média en lignerussophone basé à Riga en Lettonie), l'intégration de Wagner dans l'armée russe pourrait aussi mettre en péril les lucratives activités du groupe en Afrique[43]. Prigojine s'oppose donc activement à cet ordre en redoublant de virulence dans ses critiques contre le Ministère de la Défense[44], allant jusqu'à appeler à l'exécution de Sergueï Choïgou et faisant allusion à un soulèvement populaire contre les « fonctionnaires ineptes »[45]. Il semble également penser qu'en cas de soulèvement de son groupe, Vladimir Poutine se rangera à ses côtés[45],[46],[43].
Préparation de la rébellion
Les services de renseignement américains observent après cette montée des tension une accumulation progressive des forces de Wagner près de la frontière russo-ukrainienne ainsi que des preuves que Wagner stocke du matériel et des ressources en vue de la rébellion[47],[48]. Bien qu'ils obtiennent grâce à des interceptions de communications et à l'analyse d'images satellites[48] des informations sur le lieu et le déroulement de la rébellion, le moment exact de son déclenchement reste inconnu des Occidentaux[47]. Plusieurs semaines avant la rébellion, les services américains estiment cependant qu'elle se produira après le . Prigojine semble avoir accéléré sa préparation après la décision prise le 10 d'incorporer Wagner dans l'armée russe[47].
Des responsables américains anonymes révèlent après la rébellion[Note 1] au New York Times que le général d'arméeSergueï Sourovikine avait eu connaissance du projet de rébellion[49], aurait servi d'intermédiaire entre Prigojine et la hiérarchie militaire[50] et qu'il était globalement perçu comme ayant des liens étroits avec le patron du groupe Wagner[50]. CNN a en outre obtenu des documents indiquant que Sourovikine disposait avant la rébellion d'un numéro d'enregistrement personnel auprès de Wagner et qu'il était membre « VIP » clandestin du groupe, aux côtés d'au moins 30 autres hauts responsables de l'armée et des services de renseignement russes[51]. Il est également possible que d'autres hauts-gradés inconnus aient soutenus le projet de Prigojine : ce dernier n'aurait pas lancé la rébellion sans avoir la conviction du soutien d'une partie du pouvoir russe[49].
Selon les révélations faites par des responsables occidentaux au Wall Street Journal, le Service fédéral de sécurité russe découvre le plan de Wagner deux jours avant son exécution. Cette découverte entraîne un déclenchement précipité des opérations par Prigojine le , alors qu'il aurait dû avoir lieu au plus tard le 25 selon Viktor Zolotov, le commandant de la Garde nationale russe[48]. Autre conséquence de la découverte : le plan doit être revu. En effet, le dirigeant de Wagner comptait initialement capturer Sergueï Choïgou et Valeri Guerassimov lors d'une visite conjointe dans le sud de la Russie, près de l'Ukraine. Selon les renseignements occidentaux, ce plan initial avait de bonnes chances de réussir s'il n'avait pas été découvert. Après son éventement cependant, Evgueni Prigojine doit improviser une alternative, comptant toujours sur le soutien d'une part assez large de l'armée[48]. La réaction des services de sécurité en Russie est cependant assez mitigée. Selon des témoignages anonymes transmis à Meduza, il est possible que les services de sécurité « n'aient pas eu le courage de dire au président qu'il y avait un problème avec Prigojine [...] parce que s'ils signalaient le problème, des décisions devraient être prises. Et comment prendre cette décision ? ». Selon les sources de Meduza, après que Prigojine n'a pas réussi à se soustraire à l'ordre d'intégrer Wagner dans l'armée régulière, « un mauvais pressentiment s'est répandu dans l'air [au niveau du gouvernement russe], que quelque chose était sur le point de se produire ». Les fonctionnaires du Kremlin« en ont parlé lors de réunions et sont arrivés à la conclusion que [Prigojine] est un opportuniste audacieux qui ne respecte pas les règles ». Malgré tout, les haut-responsables entourant Vladimir Poutine ont estimé que le risque d'une insurrection armée était « nul » et sont partis du principe que les actions de Prigojine n'étaient qu'un vaste bluff, jusqu'à ce qu'il s'empare de Rostov-sur-le-Don[44]. Cette erreur d'appréciation va considérablement retarder la réponse loyaliste le jour de la rébellion.
Selon le Moscow Times, Evgueni Prigojine prévoyait quelques heures seulement avant d'entrer en rébellion d'assister à une table ronde à la Douma menée par Sergueï Mironov, président du parti Russie juste (opposition fantoche à Poutine) au cours de laquelle des députés devaient critiquer la conduite de la guerre en Ukraine. Prigojine devait donner à cette occasion une nouvelle critique du commandement militaire et regagner le soutien de Vladimir Poutine. Ces plans sont cependant abandonnés sans explication à la dernière minute avant le déclenchement de la rébellion de Wagner[52].
Déroulement
Déclarations de Prigojine
Remise en cause du gouvernement et prétexte d'une attaque contre Wagner
Dans une vidéo publiée le , Evgueni Prigojine affirme que les justifications du gouvernement russe pour envahir l'Ukraine sont basées sur des mensonges, et que l'invasion a été conçue pour favoriser les intérêts des élites russes[53]. Il accuse le ministère de la Défense de tenter de tromper le public et le président Poutine en présentant l'Ukraine comme un adversaire agressif et hostile qui, en collaboration avec l'OTAN, préparait une attaque contre les intérêts russes. Plus précisément, il nie qu'une escalade du côté ukrainien ait eu lieu avant le , ce qui était l'un des points centraux de la justification russe de la guerre[54]. Prigojine prétend également que Sergueï Choïgou et le « clan oligarchique » avaient des motivations personnelles pour déclencher la guerre[55]. En outre, il affirme que le commandement militaire russe dissimule le nombre réel de soldats tués en Ukraine, les pertes journalières s'élevant à 1 000 hommes certains jours[56].
Dans le but de créer un prétexte à la rébellion[57],[58], toujours le 23 juin, Prigojine diffuse une vidéo qui avait déjà circulé précédemment sur des chaînes Telegram associées à Wagner et qui aurait montré les conséquences d'une frappe de missile russe sur un camp arrière de Wagner. Prigojine a accusé le ministère de la Défense d'avoir mené cette frappe qui, selon lui, aurait tué 2 000 de ses combattants[59],[60],[61]. Le ministère de la Défense russe nie ces allégations d'attaque, et l'Institut pour l'étude de la guerre ne parvient pas à confirmer la véracité de la vidéo, notant qu'elle « peut avoir été fabriquée à des fins d'information »[61].
D'autres observateurs ont également mis en doute la véracité de la vidéo : Meduza, dans son enquête du , affirme par exemple que la vidéo de l'attaque au missile était une mise en scène, citant le comportement inhabituel des hommes qui filmaient et les incohérences de la séquence par rapport aux véritables conséquences d'une grande explosion[62]. Un correspondant de guerre pour Novaïa Gazeta, estime également que la vidéo des conséquences du bombardement n'est pas crédible, notant qu'il « n'y a pas de cratères évidents provenant des impacts. Pas de fragments de corps évidents. Pas de fumée. Les incendies ne ressemblent pas à des restes d'impacts de roquettes. »[63].
Appels directs à la rébellion
Toujours dans la même série de messages publiés pendant la soirée du , Prigojine déclare sur le canal Telegram de son service de presse le début d'un « conflit armé » contre le ministère de la Défense[64]. Il appelle en outre tous les volontaires à le rejoindre, présentant sa rébellion comme une juste vengeance pour la mort de ses hommes dans la frappe qu'il évoque plus tôt[65]. De plus, vers 21h40, Prigojine accuse Sergueï Choïgou d'avoir « fui lâchement »Rostov-sur-le-Don, le principal centre logistique et stratégique servant à commander les opérations russes en Ukraine[64]. En conséquence, le service fédéral de sécurité entame des poursuites judiciaires contre Prigojine en vertu de l'article 279 du code pénal, qui concerne la rébellion armée[66].
De nombreux membres de Wagner n'ont pas été informés à l'avance du projet de rébellion. L'appel aux armes de Prigojine dans la soirée du les a laissés perplexes et ils n'ont pas su immédiatement à quelle faction se rallier[43]. Les vétérans démobilisés de Wagner ont quant à eux reçu l'ordre de se tenir prêts à intervenir et d'attendre les ordres de Prigojine. À Moscou, des personnes n'ayant aucune affiliation avec Wagner reçoivent des appels, apparemment du groupe de mercenaires, les incitant à se joindre à un rassemblement de soutien à la rébellion. Des appels similaires ont été passés à des habitants de Rostov-sur-le-Don, dans le même but[43].
Sergueï Sourovikine (le commandant chargé des opérations militaires en Ukraine) et Vladimir Alekseïev(en) (un général impliqué dans la supervision des compagnies militaires privées en Russie) tentent d'appeler les combattants de Wagner au calme, sans succès[67]. En réponse aux propos d'Evgueni Prigojine, l'armée russe et la garde nationale déploient des troupes et des véhicules blindés à Moscou et Rostov-sur-le-Don[68]. Cette dernière ville est d'une importance toute particulière dans le projet de Prigojine : proche de la frontière ukrainienne (les troupes de Wagner se trouvent encore de l'autre côté au soir du ), militairement importante et connectée directement à Moscou par l'autoroute M4[69].
Capture de Rostov-sur-le-Don
Le au petit matin, les forces de Wagner traversent la frontière russo-ukrainienne vers l'oblast de Rostov depuis celui de Louhansk et s'emparent rapidement de Rostov-sur-le-Don, sans rencontrer d'opposition apparente, avant d'ériger des barrages dans les rues et de disposer des mines[70]. Les mercenaires réussissent à prendre le contrôle du quartier général du district militaire sud, établissant un périmètre de sécurité dans les rues adjacentes[71]. Evgueni Prigojine s'affiche lui-même en vidéo vers 7h30 dans la cour du quartier-général du district militaire sud[72]. Il rencontre peu après Iounous-bek Evkourov (vice-ministre de la Défense) et le général Vladimir Alekseïev(en) dans le quartier-général, mais les deux hommes ne réussissent pas à le convaincre de se retirer[73]. Prigojine ne parvient pas à obtenir une entrevue avec Sergueï Choïgou et Valeri Guerassimov, ce qui le pousse en partie à continuer ses actions agressives[74]. Il se retranche ensuite dans un bunker de Rostov pour superviser un détachement de quelques milliers d'hommes qui commence à remonter l'autoroute M4 sur Moscou[48]. Ses appels aux militaires russes à rejoindre ses forces restent également sans réponse : pire encore pour lui, ses soutiens potentiels comme le général Sourovikine condamnent ses actions[75].
Au cours de la journée, quelques affrontements sporadiques semblent avoir lieu entre l'armée et les troupes de Wagner dans Rostov : des tirs et des explosions sont entendus, et le bâtiment de Rostelecom essuie des tirs[71]. Les forces de police locales, elles, reçoivent l'ordre d'éviter toute effusion de sang, et laissent donc les rues à Wagner[71]. Globalement, la population civile reste calme : dans les quartiers excentrés, la vie suit son cours, tandis que dans le centre-ville, un bon nombre de civils ralliés à la cause de Wagner vient saluer les troupes, qui les reçoivent bien. Cependant, dans l'après-midi, les mercenaires invitent de plus en plus souvent les civils à rentrer chez eux pour leur propre sécurité[71].
Avancée vers Moscou
Dans les premières heures du également, un convoi de troupes et de véhicules de Wagner s'élance vers Moscou le long de l'autoroute M4. Composé d'un grand nombre de pièces d'équipement divers, le convoi comporte surtout des véhicules blindés de type GAZ 2330 TIGR et des véhicules de combat d'infanterie, mais aussi des systèmes plus lourds : chars T-80 et T-90, lance-roquettes multiplesBM-21 Grad et systèmes anti-aérien Pantsir[75]. La colonne venue de Rostov capture la base aérienne de Millerovo (à 190 km de Rostov)[76]. La base aérienne est autorisée à fonctionner normalement, mais les combattants de Wagner surveillent les opérations pour s'assurer qu'elles ne sont tournées que vers l'Ukraine, et pas vers eux[76]. Pendant ce temps, une autre colonne arrive des territoires ukrainiens occupés et s'enfonce sans rencontrer de résistance dans l'oblast de Voronej, au nord de Rostov et à mi-chemin entre cette dernière et Moscou[77]. Vers 10h30 (heure de Moscou), la première colonne franchit la frontière de l'oblast de Voronej au niveau de Bougaïevka, où un certain nombre de militaires russes déposent les armes devant les mercenaires[78].
Le nombre total des forces de Wagner impliquées dans la montée vers Moscou est difficile à évaluer. Le jour de la rébellion, Evgueni Prigojine mentionne 25 000 hommes impliqués, mais ce chiffre désigne probablement l'ensemble des effectifs de Wagner, en Europe comme en Afrique. Le nombre de mercenaires est probablement plus proche des 5 000 hommes avancés par des responsables de la république populaire de Donetsk[79], ou 4000 selon des blogueurs militaires russes[80]. En tout, entre 5 et 10 000 hommes ont pu participer à la rébellion dans son intégralité selon Filip Bryjka[75].
Sur leur chemin, les troupes de Wagner ne font que traverser les agglomérations, et ne cherchent à prendre le contrôle que des bases aériennes pour y appliquer le même régime qu'à celle de Millerovo[81]. Quelques heures après avoir franchi la frontière de l'oblast, la colonne de Wagner est à 85 km de Voronej.
Arrivée au niveau de Voronej (450 km de Moscou), la colonne de Wagner rencontre pour la première fois une vraie résistance de la part de l'armée régulière russe. Des combats contre l'armée de l'air russe endommagent des routes, quelques infrastructures (un dépôt pétrolier notamment) et des maisons[82]. En réponse, les forces loyaliste subissent des pertes importantes : plusieurs hélicoptères auraient été abattus dans le secteur (un transport de troupes Mil Mi-8 confirmé par le service de vérification des faits de la BBC[83] ainsi que peut-être trois hélicoptères de guerre électronique Mi-8MTPR-1, un hélicoptère d'attaqueMi-35, un Mi-28 un Ka-52 Alligator et un autre Mi-8)[84],[78]. En plus de ces pertes en hélicoptères, Wagner réussit à abattre un avion de transportIliouchine Il-28 et surtout un poste de commandement aéroportéIliouchine Il-22. Ce dernier avion est l'un des douze de ce type déployés contre l'Ukraine, et représente donc une pièce importante du dispositif russe dans la guerre. Au moins treize militaires russes sont tués dans ces destructions. Jane's estime que ce bilan pouvait atteindre 29 tués, sur la base d'une estimation du nombre de personnes nécessaires pour faire fonctionner l'ensemble des équipements détruits[85]. Ces lourdes pertes font du la journée la plus meurtrière pour l'aviation russe depuis le début de la guerre russo-ukrainienne[78].
Vers le début d'après-midi, le convoi de Wagner franchit la frontière de l'oblast de Lipetsk. Malgré les tentatives loyalistes d'endiguer leur avancée en creusant des tranchées en travers de l'autoroute M4, les mercenaires atteignent la localité de Krasnoïe (à 330 km de Moscou), vers 18h00[78]. Il s'agit de leur avancée maximale documentée par des vidéos, mais des témoignages de civils non authentifiés par l'Institut pour l'étude de la guerre indiquent que les éléments de tête ont potentiellement atteint Kachira, à seulement 95 km au sud de Moscou[78]. Aux alentours de ces horaires, un règlement pacifique de la rébellion est annoncé, si bien que les mercenaires n'atteignent pas la capitale russe : ils ont parcouru en tout plus de 700km depuis la matinée (plus de 960 km s'ils ont vraiment atteint Kachira)[78].
Réponse des forces de sécurité
Dès le début de la rébellion, le maire de Moscou Sergueï Sobianine déclare l'instauration d'un « régime anti-terroriste » dans la capitale[86]. La Rosgvardia est mobilisée, ainsi que les OMON (les unités de forces spéciales du ministère de l'Intérieur russe) et les SOBR (unité de réaction rapide de la Rosgvardia)[78]. Ces troupes sont visibles dans la journée du dans l'oblast de Moscou ainsi que sur la route vers Rostov. La Rosgvardia est l'entité qui succède aux troupes internes de Russie, et est donc censée assurer la sécurité intérieure du pays en luttant contre le terrorisme, le crime organisé, mais doit aussi protéger des infrastructures gouvernementales[78]. Placée sous les ordres de Viktor Zolotov, un fidèle de Vladimir Poutine auquel il est d'ailleurs le seul à répondre, elle est cependant largement vue comme une « armée privée » au service du président pour empêcher toute révolution de couleur en Russie[87]. La plupart des unités de l'armée régulière qui sont activées pour faire face à la rébellion sont composées de conscrits, ce qui suscite des questionnements en Russie, afin de savoir pourquoi le Kremlin n'a pas pu mobiliser des combattants plus expérimentés[78]. De manière notable, il n'y eut aucun engagement terrestre entre Wagner et les forces de sécurité loyaliste, pourtant dédiées à empêcher un scénario semblable à la rébellion du groupe Wagner.
Le FSB perquisitionne cependant dans la journée de nombreux locaux affiliés à Evgueni Prigojine, dont le QG de Wagner à Saint-Pétersbourg, pour saisir tous les ordinateurs et documents possibles. Au cours de ces fouilles, les agents trouvent 5 kg d'or, la même quantité de « poudre blanche », plusieurs armes, de grosses sommes d'argent liquide en dollars américains ainsi qu'une série de faux papiers portant la photo de Prigojine ou de sosies vaguement ressemblants[88]. Les services de renseignement menacent également dans la journée les familles des meneurs de Wagner, ce qui a pu joué un rôle dans l'arrêt de la rébellion[89]. À un niveau plus élevé, Nikolaï Patrouchev (secrétaire du Conseil de sécurité de Russie et ancien directeur du FSB), sollicite un soutien militaire du Kazakhstan dans le cas où l'armée russe ne réussirait pas à stopper le groupe Wagner, mais le président Kassym-Jomart Tokaïev refuse[90].
Événements en Syrie
En Syrie, où les forces Wagner font partie de la présence militaire russe dans la guerre civile, les autorités militaires locales et russes lancent une répression rapide contre le groupe Wagner afin d'empêcher la propagation de la rébellion dans cette zone[91].
Dans les premières heures de la rébellion, une douzaine d'officiers Wagner déployés dans le gouvernorat de Homs et dans d'autres régions sont convoqués à la base militaire russe de Hmeimim, dans l'ouest du pays. Les services de renseignement militaire syriens coupent également les communications pendant la nuit du dans les zones où opèrent les forces de Wagner, afin de les empêcher de communiquer entre elles et avec leurs contacts en Russie. Les combattants de Wagner ont ensuite été incités à signer des contrats les plaçant sous le contrôle du ministère russe de la Défense et à accepter une réduction de salaire, ceux qui refusent étant expulsés immédiatement de Syrie à bord d'avions de transport russes[91].
Prigojine annonce alors le retrait de ses troupes afin d'éviter de faire « couler le sang russe »[92]. Il déclare : « Nos colonnes font demi-tour et nous partons dans la direction opposée, nous rentrons dans les camps. Il y était de l’intérêt supérieur d’éviter un bain de sang »[92]. Les poursuites judiciaires contre Prigojine et ses hommes sont abandonnées[92],[93]. Le Kremlin annonce que les hommes de Wagner qui n'ont pas participé à la mutinerie pourront signer un contrat avec le ministère de la Défense, tandis que les autres doivent rejoindre leurs camps de base[4]. Prigojine assure cependant le soir du 24 juin que le Groupe Wagner ne sera pas démantelé[4]. Selon les termes de l'accord, Prigojine devrait quant à lui quitter la Russie pour se rendre en Biélorussie[92].
Le soir du , les combattants du groupe Wagner commencent à se retirer de Rostov-sur-le-Don[92]. Ces derniers sont applaudis et acclamés par un attroupement d'habitants[5]. Des voitures de police viennent ensuite prendre position autour du QG, mais la foule les accueille par des huées, en traitant les agents de « traîtres »[5].
Pertes
D'après des blogueurs militaires russes, les pertes de l'armée russe sont de treize à vingt hommes dans les rangs de l’armée, quasiment tous tués à bord de six hélicoptères et d'un avion abattus[4]. Le Monde indique que des sources proches d'Evgueni Prigojine et du ministère de la Défense russe convergent pour faire état de la perte de six hélicoptères et d'un avion Il-18[5]. La chaîne Telegram pro-Kremlin Readovka donne un bilan de 15 militaires russes tués dans les environs de Voronej[5].
Du côté de Wagner, Prigojine donne le 26 juin un bilan d'environ 30 morts dans le bombardement du 23 juin[2] et d'au moins deux tués dans la journée du 24 juin[94]. Il affirme qu'aucun homme de l'armée russe n'a été tué lors de combats au sol[2]. Il dit « regretter d’avoir été forcé de frapper des moyens aériens [russes] mais c’est parce qu’ils larguaient des bombes »[2].
D'après le site d'analyse de défense basé sur les sources ouvertes Oryx[3], les pertes militaires sont :
Vladimir Poutine s'exprime à nouveau le soir du 26 juin[97]. Il remercie « ceux qui sont restés fidèles et loyaux » et affirme avoir donné l'ordre « d'éviter une effusion de sang »[97]. Il dénonce des « traîtres à la nation », mais sans les nommer précisément, et déclare que « les gens qui travaillent pour Wagner sont des patriotes, ils l’ont déjà montré »[97]. Il annonce alors que les hommes de Wagner peuvent signer un contrat avec le ministère de la Défense, rentrer chez eux ou partir pour la Biélorussie[97].
Le , le Moscow Times annonce l'arrestation du général Sergueï Sourovikine en raison de ses liens présumés avec le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, dans le cadre de la rébellion avortée de celui-ci, les 23 et 24 juin derniers[98]. Il est officiellement démis de ses fonctions militaires le [99]. Le même jour, Evgueni Prigojine et son associé Dmitri Outkine meurent dans un accident d'avion présumé.
Relais d'influence russe, le groupe Wagner serait devenu une menace pour le Kremlin depuis la mutinerie, qualifiée de trahison par Vladimir Poutine[100].
Le chef de la République tchétchèneRamzan Kadyrov condamne les évènements, qu'il qualifie de « vile trahison », et appelle à « écraser la rébellion »[102]. Ramzan Kadyrov affirme son soutien au président russe Vladimir Poutine et propose l'envoi de ses hommes pour contrer Wagner[103].
Le gouverneur de l'oblast de Koursk Roman Starovoït a appelé Prigojine à « abandonner ses plans »[104].
Le président serbe, Aleksandar Vučić, déclare que la Serbie « ne soutient pas ce coup d'état »[112] et affirme que « la mutinerie de Wagner a reçu une implication et un soutien de l'étranger »[113].
Le , le président ukrainienVolodymyr Zelensky a notamment déclaré : « celui (en faisant référence à Vladimir Poutine) qui choisit le chemin du mal s’autodétruit, envoie des centaines de milliers de personnes à la guerre pour finalement se barricader dans la région de Moscou pour se protéger de ceux qu’il a lui-même armés. La faiblesse de la Russie est évidente. Une faiblesse totale, il est tout aussi évident que l’Ukraine est capable de protéger l’Europe contre une contamination par le mal et le chaos russe. La Russie a utilisé la propagande pour masquer sa faiblesse et la stupidité de son gouvernement. Et maintenant, le chaos est tel que plus personne ne peut mentir à son sujet »[116].
↑Le New York Times note cependant que les responsables américains auraient tout intérêt à diffuser de manière sélective des informations préjudiciables à Sourovikine, qu'ils estiment plus efficace que d'autres membres du commandement militaire russe, et donc plus dangereux pour leurs intérêts[49].
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