Roger II de Sicile naît le [2]. Il est le second fils du comte Roger de Hauteville et d’Adélaïde de Montferrat. Lorsque le comte meurt en 1101, son successeur Simon est encore un enfant. Mais ce dernier meurt prématurément le et Adélaïde prend la régence du comté de Sicile au nom de Roger II[3]. Pendant sa régence, la capitale est transférée de Mileto à Messine[4]. Roger est éduqué par l'amiral Christodoulos à partir de 1105, puis par Georges d'Antioche[5]. En 1112, Roger est fait chevalier dans la ville de Palerme[6]. Dans un acte de la même année, il est nommé « comte de Sicile et de Calabre[7] ». L'année suivante, il donne son accord au remariage de sa mère avec le roi Baudouin Ier de Jérusalem[5]. Ce dernier trouve dans ce mariage le moyen d'accaparer les richesses immenses d'Adélaïde, avant de la répudier en 1117. Roger II n'oubliera jamais cet affront[8],[9].
« [Le retour d'Adélaïde en Sicile] plongea son fils dans la plus grande consternation, et lui inspira pour jamais une violente haine contre le royaume de Jérusalem et ses habitants. Tandis que tous les autres princes chrétiens de l'univers n'ont cessé de faire les plus grands efforts […] pour protéger et faire prospérer notre royaume, comme une plante récemment sortie de terre, ce prince et ses successeurs n'ont pas même cherché jusqu'à ce jour à nous adresser une parole d'amitié […]. Ils paraissent avoir conservé à jamais le souvenir de cette offense, et font injustement peser sur tout un peuple la peine d'une faute qu'ils ne devraient imputer qu'à un seul homme. »
Dès le début de son règne, suivant les conseils de son amiral et principal conseiller Georges d'Antioche, Roger II entame une politique d'expansion en Afrique du Nord[5]. En , une flotte normande de vingt-quatre vaisseaux débarque à Gabès en Tunisie afin de soutenir un sujet indocile de la dynastie ziride, mais l'expédition échoue. En 1118-1119, la flotte normande attaque les côtes tunisiennes et s'empare de plusieurs vaisseaux. En 1121, une flotte musulmane dirigée par un prince almoravide attaque les côtes de Calabre et pille la ville de Nicotera. Une expédition punitive, forte de trois cents vaisseaux, et commandée par Georges d'Antioche et Christodoulos, quitte Marsala en . Une partie des troupes débarque près de Mahdia et parvient à s'emparer du château de Ras Dimass. Les soldats musulmans font une sortie durant la nuit et isolent la garnison normande. Malgré plusieurs tentatives afin de libérer la garnison, le mauvais temps force la flotte normande à s'éloigner sans pouvoir porter secours à la garnison. Ce désastre de la Mahdia a un grand retentissement dans le monde musulman[10].
En Italie continentale, Roger entre en conflit dès 1121 avec son petit-cousin Guillaume, duc d'Apulie et de Calabre[5]. Peu après son échec à Mahdia, il s'empare de Montescaglioso, près de Matera, pour récupérer l'héritage de sa demi-sœur Emma[5]. Prenant l'ascendant sur son petit-cousin, Roger récupère la souveraineté de la moitié de Palerme qui appartenait encore aux héritiers de Robert Guiscard, et se fait désigner en 1125 comme héritier du duché d'Apulie et de Calabre[5]. Le , Guillaume meurt sans héritier[5]. Roger II en profite pour réclamer la succession du duché. Mais le pape Honorius II s'oppose à l'union du comté de Sicile au duché d'Apulie. En , le pape prêche la croisade et monte contre Roger une ligue dirigée par Robert II d'Aversa et Rainolf d'Alife, le beau-frère de Roger. Le comte de Sicile débarque en Italie du Sud en et soumet successivement les villes de Tarente, Otrante, puis Brindes[11]. Les coalisés abandonnent le pape Honorius, et celui-ci est contraint de conférer à Roger II le titre de duc d'Apulie, de Calabre et de Sicile à Bénévent en . Roger II tente ensuite de châtier la ville de Troia, qui résiste, mais parvient à soumettre Melfi avant de retourner en Sicile[12].
Au printemps 1129, il mène une nouvelle campagne de pacification en Italie du Sud. En septembre, Roger convoque l'ensemble de ses vassaux d'Apulie et de Calabre à Melfi ; l'assemblés des barons, évêques et abbés prête serment de fidélité au duc et à ses fils, Roger et Tancrède, et reconnaît la souveraineté du Normand sur l'ensemble de l'Italie du Sud. Le duc interdit les guerres privées, ordonne aux barons de soumettre les criminels à la justice ducale, et exige que l'on respecte les biens des marchands, des pèlerins et des voyageurs[13].
Pendant dix années, Roger II entreprend une longue campagne contre les barons qui profitent du schisme de l'Église afin de tenter de retrouver leurs anciennes libertés[16]. En 1131, le roi de Sicile annexe la ville d'Amalfi et y installe une garnison normande[5]. Il soumet ensuite les barons Godefroy d'Andria, Grimoald de Bari et Tancrède de Converano. Le , Roger II est cependant vaincu à Nocera par une coalition dirigée par Rainolf d'Alife et Robert de Capoue. Réfugié dans un premier temps à Salerne, le roi reconquiert une grande partie de la péninsule l'année suivante[5]. En , sa formidable énergie et la sauvagerie de ses contingents musulmans forcent Rainolf d'Alife et Serge VII, duc de Naples, à la soumission. Roger II soumet définitivement la ville de Capoue ; il expulse Robert II, et place à la tête de la ville son fils cadet Alphonse[18].
En France, l'abbé Bernard de Clairvaux forme une coalition composée des rois Louis VI de France, Henri Ier d'Angleterre, des empereurs Lothaire III, Jean II Comnène, et des républiques de Gênes, Pise et de Venise, contre Roger II[19]. En , Lothaire III descend en Italie, se joint aux forces de Rainolf d'Alife, et s'empare de la totalité du Mezzogiorno[20]. À San Severino, après une campagne victorieuse, l'empereur et le pape investissent Rainolf en tant que duc d'Apulie en [21]. Lothaire meurt peu après, en décembre, lors de son retour en Allemagne. Débarrassé des forces impériales, Roger II reprend le terrain perdu, pille les villes de Nocera et de Capoue, ravage Alife et Telese, et force Serge VII à reconnaître sa souveraineté sur Naples[22].
Le , Roger est à nouveau vaincu par Rainolf d'Alife à Rignano. Le roi de Sicile, avec une poignée de rescapés, est contraint de s'enfuir en Campanie[23]. La mort du pape Anaclet II le détermine Roger à demander la confirmation de son titre à Innocent II, qui refuse et prononce son excommunication[5]. La mort de Rainolf d'Alife le et la défaite des forces pontificales le à Galluccio sur le Garigliano forcent la main du pape. Fait prisonnier, ce dernier signe le à Mignano un traité reconnaissant à Roger II le titre de roi de Sicile, duc d'Apulie, et prince de Capoue[24].
Cette trêve donne l'occasion à Roger de doter son royaume d'institutions stables. Il est épaulé par son bras droit Georges d'Antioche, un Grec de Syrie, qui demeure pendant quarante ans son « amiral », une distinction d'origine sarrasine. En , Roger II convoque tous ses vassaux à Ariano afin de promulguer les « Assises », un ensemble de lois traitant du droit ecclésiastique, des finances, du commerce, de la monnaie, du droit privé, du droit pénal, et enfin du droit public et du pouvoir royal. Il fonde une administration strictement dépendante du souverain, faisant du royaume de Sicile un État bureaucratique et centralisé[16],[25]. Roger II ordonne l'émission d'un standard de monnaie de basse qualité pour le royaume : le ducat d'argent[26].
À ce titre, Roger II peut être considéré comme le promoteur d’un nouveau modèle politique. Synthèse d’éléments féodaux normands, italo-lombards et arabes, le pouvoir de Roger II s’inspire de formes orientales et plus particulièrement de la monarchie et de l’administration byzantine. Roger II puise aussi dans les traditions fatimides qui prévalaient alors en Sicile. Ce royaume a un centre décentré, la Sicile qui est à la fois une île de refuge et de commandement, qualifiée dans les sources de « jardin secret des rois ».
Expéditions en Méditerranée et en Afrique
Roger II mène une série de conquêtes en Ifriqiya, alors en pleine anarchie, conquêtes que facilite la politique de bon voisinage entretenue avec les Fatimides d’Égypte. Une relation épistolaire entre le souverain normand et le califeAl-Hafiz, en 1135, prouve cette entente de fait. Roger II s'empare de Djerba en 1134, avec le soutien du calife[27], puis de nombreux points d'appui sur la côte africaine : Tripoli en 1146, puis Gabès, Sfax, Sousse, et enfin Mahdia en 1147. Avec l'aide de Philippe de Mahdia, successeur de Georges d'Antioche à la tête de la flotte sicilienne, Roger s'empare également de Bône en 1153[5]. À partir de là, son expansion s'arrête, et les conquêtes sont perdues progressivement sous la pression des Almohades[28]. Tenu un temps en échec, il est conduit à s’allier avec le comte de Barcelone contre les Almoravides, alliance qui inaugure une politique méditerranéenne, renforcée par des alliances matrimoniales, qui devait permettre au roi d’Aragon de prendre possession de la Sicile à la fin du XIIIe siècle[29].
En 1147, Roger II profite de la deuxième croisade pour mener plusieurs raids contre l'Empire byzantin. Une flotte, composée de soixante-dix galères et commandée par Georges d'Antioche, est envoyée en Grèce à l'automne 1147[30]. Elle s'empare de Corfou puis ravage les côtes de la Grèce, saccageant entre autres Thèbes, Athènes, Chalcis et Corinthe[5]. La flotte regagne la Sicile au début de l'année 1148[31]. L'empereur Manuel Comnène s'allie avec Venise et remporte une victoire navale contre les Siciliens près du cap Malée[5].
Au printemps 1149, tandis que les forces byzantines assiègent Corfou, Georges dirige une campagne de diversion contre Constantinople ; les soldats normands pillent la rive asiatique du Bosphore et parviennent à lancer plusieurs flèches à travers les fenêtres du palais des Blachernes[32]. Cette campagne infructueuse ne permet pas de sauver Corfou, qui est prise par les Byzantins en automne 1149[33].
De la symbiose culturelle, une exception médiévale
L'une des caractéristiques du règne de Roger II réside dans le brassage unique des cultures, dont il fait de la Sicile une plateforme de tolérance. Peu au goût des autres États d'Occident dans un contexte de croisade, ce sont pourtant tous les domaines qui vont bénéficier de cette ouverture.
Tandis que les Assises d'Ariano sont d'inspiration aussi bien byzantine qu'arabe, la cathédrale de Cefalù et la chapelle palatine de Palerme réalisent une alliance somptueuse et unique entre les influences occidentales et orientales par les peintures, mosaïques, boiseries qui content la chrétienté comme l'histoire de Roger II.
Le manteau de couronnement de Roger II, lui-même le produit de tisserands byzantins, en est un autre reflet par ses broderies qui comportent des inscriptions arabes, mais le joyau en demeure la mappemonde d'Al Idrissi, cartographe originaire de Ceuta, qui représente le monde connu de cette époque avec une précision inégalée[16].
Cependant, à la fin du règne de Roger II, l'équilibre entre les groupes culturels qui peuplent le royaume se détériore[34] ; l’immigration latine, notamment lombarde, est fortement encouragée. Depuis la conquête de la Sicile par les Hauteville, les juifs et les musulmans sont par ailleurs contraints de payer un impôt de capitation, l’équivalent inversé de la jizia[34]. Le premier signe des tensions grandissantes est le sort de l'eunuque Philippe de Mahdia, amiral tombé en disgrâce à la suite de la prise de Bône en 1153 et condamné à être brûlé vif devant le palais royal de Palerme la même année[34]. Sous le règne des successeurs de Roger sur le trône de Sicile, la situation des musulmans de l'île se dégrade progressivement : désarmés, puis victimes de violences collectives, ils sont finalement déportés à Lucera sous le règne de Frédéric II[34].
Lutte contre le Saint-Siège
Depuis la mort d'Anaclet II, l'élection des prélats du royaume de Sicile demeure une pomme de discorde entre le pape et Roger II. Le royaume de Sicile comprend une quinzaine d'évêques nommés par Roger II avec l'accord d'Anaclet. Cependant, Innocent II refuse obstinément de reconnaître les actes de son prédécesseur. D'autre part, Innocent II, de retour à Rome, éprouve des difficultés à gagner les faveurs des citoyens romains. En 1143, une assemblée de citoyens s'empare du Capitole et restaure le Sénat[35].
La mort d'Innocent II le est suivie de l'élection du pape Célestin II. Le nouveau pape fait appel à l'empereur Conrad III de Hohenstaufen afin de lutter contre Roger II. Ce dernier lance par représailles ses troupes contre la ville de Bénévent et s'empare des trésors du Mont Cassin. La mort de Célestin II et l'élection d'un nouveau pape en la personne de Lucius II laisse espérer un rapprochement entre les deux parties. Roger II rencontre effectivement le pape à Ceprano mais le pontife exige la rétrocession de Capoue, ce que le Normand juge inacceptable. Une nouvelle campagne, au cours de laquelle les fils de Roger ravagent les États pontificaux, aboutit à une trêve de sept ans en . Selon un accord conclu en 1149, Roger II fournit au nouveau pape Eugène III des troupes et de l'argent en vue de s'emparer de Rome. Enfin, la rencontre du pape Eugène III avec le Normand en à Ceprano aboutit à un accord diplomatique entièrement favorable au Saint-Siège[36].
Dans le respect de la tradition des souverains normands d'être inhumés au cœur d'une église, Roger II avait souhaité être inhumé dans un sarcophage déposé par lui dans la cathédrale de Cefalù[38], mais son corps est d'abord déposé à l'archevêché de Palerme, puis, avant 1172, transféré à la cathédrale de Palerme, dans un tombeau de porphyre où il demeure depuis, malgré plusieurs suppliques des chanoines de Cefalù auprès de Guillaume Ier et Guillaume II[39].
À la cour de Palerme, Roger II attire auprès de lui plusieurs personnages de grand renom, comme le cartographe arabe Al-Idrissi. Ce dernier s'installe à Palerme en 1139, et entreprend à la demande de Roger II une enquête qui durera quinze ans[42]. Cette œuvre, le Livre de Roger (al-Kîtab al-Rudjâri) est rédigée en arabe, à la gloire du roi normand, et achevée probablement à la mi-janvier 1154[16],[43],[42].
↑Le père est mort le 26 février 1154, et sa fille posthume est née le 2 novembre 1154. Elle a donc été conçue dans les derniers jours de la vie de son père.
↑ abcd et ePierre Aubé, « Roger II de Sicile. Un normand en Méditerranée », La pensée de midi - Revue littéraire et de débat d’idées, Actes Sud, no 8, , p. 115-119 (ISBN978-2742738373, lire en ligne).
↑ abc et dAnnliese Nef, « La déportation des musulmans siciliens par Frédéric II », Le monde de l’itinérance, Ausonius Éditions, Pessac, 2009, p. 455-477. [lire en ligne].
↑Lucien Musset, « Huit essais sur l'autorité ducale en Normandie (XIe – XIIe siècles) », Annales de Normandie, vol. 17, no 1, , p. 3–148 (DOI10.3406/annor.1985.6662, lire en ligne, consulté le ).
Guilhem Dorandeu-Bureu et Annliese Nef, « Le passage à la royauté de Roger II de Sicile en 1130 : propositions pour l’analyse d’une révolution symbolique », Tabularia. Sources écrites des mondes normands médiévaux, (ISSN1630-7364, DOI10.4000/tabularia.6540, lire en ligne).
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