Les réunions familiales durant la période estivale amenaient au Danemark les principaux souverains d'Europe (hormis le Kaiser, la guerre des Duchés qui avait fait perdre au Danemark une grande partie de son territoire ayant laissé de profondes séquelles dans l'âme danoise). Christian X régna pendant les deux guerres mondiales mais malgré ses liens étroits avec les monarques européens, il sut rester neutre tout en accueillant sa tante la tsarine douairière en exil. On lui attribua une résistance aux nazis, qui fit de lui l'un des monarques danois les plus populaires de la monarchie moderne.
Si son grand-père a été surnommé le beau-père de l'Europe, lui-même aurait pu être appelé le cousin de l'Europe. Il est le neveu de nombreux monarques et prétendants européens : de la reine Alexandra de Danemark (1844-1925), épouse du roi britannique Édouard VII, de Guillaume, devenu roi de Grèce sous le nom de Georges Ier (1845-1913), de la tsarine Dagmar de Danemark (1847-1928), épouse de l'empereur russe Alexandre III, et de la princesse royale Thyra de Hanovre (1853-1933). Lorsqu'il monta sur le trône en 1912, ses cousins régnaient sur la Russie, le Royaume-Uni et les Indes, le roi de Grèce était son oncle et le roi de Norvège son frère.
L'enfant grandit aux côtés de ses parents et ses trois frères et quatre sœurs à la résidence de ses parents, le palais Frédéric VIII[note 2], lui-même intégré au palais d’Amalienborg, résidence principale de la famille royale de Danemark dans le quartier de Frederiksstaden au centre de Copenhague, et à leur rèsidence d'été, le palais de Charlottenlund au nord de la ville[6]. Contrairement à la pratique habituelle de l'époque, où les enfants royaux étaient élevés par des gouvernantes, les enfants étaient élevés par la princesse héritière Louise elle-même. Christian et ses frères et sœurs ont reçu une éducation privée à dominance chrétienne, caractérisée par la sévérité, l'accomplissement des devoirs, les soins et l'ordre[7].
Le prince Christian avait moins de deux ans de plus que son frère le prince Charles, et les deux princes ont eu une confirmation commune à la chapelle du palais de Christiansborg en 1887[8]. Après avoir réussi l'examen artium (le nom au Danemark et en Norvège de la certification académique permettant à un étudiant d'être admis à l'université) en 1889 en tant que premier prince danois[8], il a commencé une formation militaire comme c'était la coutume pour les princes à cette époque. Ensuite il a servi dans le 5e régiment de dragons et a ensuite étudié à l'Académie des officiers de Randers de 1891 à 1892[6].
En 1905, son frère devint roi de Norvège, tout comme son oncle Georges Ier de Grèce avait été élu roi des Hellènes en 1867.
Début du règne
Accession au trône
Le , le roi Frédéric VIII meurt après s’être effondré alors qu’il se promenait dans un parc de Hambourg, en Allemagne. Il revenait d’un séjour de repos qu'il avait effectué pendant quelques jours à Nice, en France, et séjournait anonymement dans la ville, prévoyant de rentrer sous peu à Copenhague. Christian était à Copenhague quand il a appris de la mort de son père. Il lui a alors immédiatement succédé et devient roi de Danemark à l'âge de 41 ans. Proclamé roi depuis le balcon du palais d’Amalienborg par le président du conseilKlaus Berntsen, il devint le roi Christian X, montant sur le trône en tant que troisième monarque appartenant à la maison de Glücksbourg.
Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale éclate peu après l'accession du roi au trône. En 1905, sa belle-sœur Cécilie de Mecklembourg-Schwerin avait épouse le Kronprinz Allemand Guillaume de Prusse. Le souverain danois était également le neveu de la reine douairière du Royaume-Uni née Alexandra de Danemark, de la tsarine douairière née Dagmar de Danemark et de la Duchesse de Hanovre dont le fils épousa en 1913 l'unique fille du Kaiser. Il est donc un proche parent des futurs belligérants.
Le roi, avec son gouvernement, a convenu que le Danemark devrait poursuivre une politique de neutralité. En fait, le roi et son gouvernement ont réussi à maintenir le pays hors de la guerre, y compris par la fermeture de la mine des eaux danoises en 1914. Le roi soutient également la politique de neutralité en participant à la rencontre des Trois Rois ; le , Christian X de Danemark rencontre à Malmö les rois Gustave V de Suède et Haakon VII de Norvège, tous accompagnés de leurs ministres des Affaires étrangères, afin de définir et souligner une politique commune de neutralité face à l'Europe en guerre. Dans une déclaration commune, les trois souverains confirment la stricte neutralité des trois Etats pendant la guerre[10],[11]. La réunion de 1914 est suivie d'une autre réunion des trois rois, tenue à Kristiania en .
En , une délégation dano-islandaise parvint à un accord pour la mise en place d'une union personnelle qui permit à l'Islande de devenir un État indépendant et souverain, tout en conservant Christian X comme roi d'Islande[12]. Après son approbation par référendum, l'Acte d'Union dano-islandais entra en vigueur le [13]. L'Acte d'Union est constitué de 20 articles, dont le premier est le suivant :
« Le Danemark et l'Islande sont deux souverainetés libres, alliées par le fait qu'elles ont le même Roi et par l'accord que formule la présente loi d'union.
Les noms des deux États figurent dans le titre du roi. »
Le gouvernement de l'Islande établit une ambassade à Copenhague, demandant au Danemark de gérer sa politique étrangère. Les ambassades danoises dans le monde entier affichaient alors deux blasons et deux drapeaux : ceux du Royaume de Danemark et du royaume d'Islande.
Crise de Pâques
En , Christian X de Danemark fut l'instigateur de la Crise de Pâques, peut-être fut-elle la plus décisive dans l'évolution de la monarchie danoise au XXe siècle. La cause principale fut l'éclatement d'un conflit entre le roi et le cabinet au cours de la réunification du Schleswig septentrional (aujourd'hui Jutland-du-Sud) au Danemark, ancien fief danois perdu au profit de la Prusse lors de la guerre des Duchés (-), et que le Danemark revendiqua durant les cinq décennies qui suivirent. La défaite des Allemands à la suite de la Première Guerre mondiale permit de régler ce différend. Selon les termes du traité de Versailles (), deux plébiscites devaient statuer sur le sort du Schleswig ; l'un dans le Schleswig septentrional, l'autre dans le centre du Schleswig (aujourd'hui partie de l'État allemand). Aucun plébiscite ne fut prévu pour le Schleswig du Sud dominé par une majorité ethnique allemande et qui faisait partie de l'État allemand, au terme du conflit.
Dans le Nord du Schleswig, 70 % des votants votèrent en faveur de la réunification avec le Danemark et 25 % votèrent pour l'Allemagne. Dans ce vote, l'ensemble du Schleswig du Nord fut considéré comme un tout indivisible, la totalité fut attribuée au Danemark (1919). Dans le centre du Schleswig, la situation fut inverse, 80 % des votants furent favorables à l'Allemagne et 20 % au Danemark. Dans ce vote, chaque municipalité décida de son propre avenir, une grande majorité d'Allemands peuplait l'ensemble du centre du Schleswig. À la lumière de ces résultats, le gouvernement de Carl Theodor Zahle détermina que le Schleswig du Nord serait danois, le centre serait sous le contrôle allemand.
Beaucoup de nationalistes danois, indépendamment des résultats des plébiscites, estimèrent que la ville de Flensburg devait être rendue au Danemark, en raison de l'importante majorité de Danois et une volonté générale d'affaiblir l'Allemagne pour un long moment. En accord avec ces sentiments, Christian X de Danemark ordonna à son Premier ministre, Charles Théodore Zahle, d'inclure Flensburg dans le processus d'unification. Depuis le gouvernement de Johan Henrik Deuntzer (1901), le Danemark fonctionnait comme une démocratie parlementaire, Charles Théodore Zahle après un vif échange avec le roi donna sa démission (1920).
Ultérieurement, Christian X de Danemark congédia le reste du Cabinet Zahle et le remplaça de facto par un gouvernement conservateur. Ce congé provoqua des manifestations, une atmosphère presque révolutionnaire régna sur le Danemark, et, pendant plusieurs jours, l'avenir de la monarchie danoise parut incertain. Compte tenu des évènements, les négociations furent ouvertes entre Christian X et les membres sociaux-démocrates. Face au péril menaçant la couronne danoise, Christian X de Danemark congédia son propre gouvernement et installa un compromis avec le gouvernement social-démocrate jusqu'aux élections.
Ce fut l'ultime fois qu'un souverain danois tenta de prendre des mesures politiques sans le plein et entier soutien du Parlement. À la suite de cette crise, Christian X de Danemark accepta de réduire considérablement son rôle politique et devint un chef d'État symbolique.
Contrairement au roi de Norvège et à la reine des Pays-Bas, partis en exil, Christian X de Danemark, âgé de 70 ans, demeura à Copenhague pendant toute la durée de l'occupation par les Allemands. Les adversaires de l'Allemagne voyaient cela comme une attitude faible et conciliante. Le Washington Post accusait directement le roi d'être une victime consentante de l'occupation[réf. nécessaire]. Mais, pour la population danoise, il fut un symbole visible de la cause nationale. En dépit de la précarité de la situation, bien que septuagénaire, seul, il parcourut chaque jour la ville à cheval[réf. souhaitée].
En 1942, Adolf Hitler lui envoya un télégramme de félicitations pour son soixante-douzième anniversaire, Christian X lui répondit simplement par télégramme : Meinen besten dank. Christian Rex (mes meilleurs remerciements. Roi Christian). Cette réponse indigna fortement Hitler qui rappela immédiatement son ambassadeur à Copenhague et expulsa l'ambassadeur danois en Allemagne. La pression allemande aboutit à la destitution du gouvernement danois dirigé par Vilhelm Buhl et à la mise en place d'un nouveau gouvernement dirigé par le diplomate Erik Scavenius. Les Allemands pensèrent que ce dernier se montrerait plus coopératif. Or, Erik Scavenius était ministre des affaires étrangères sur proposition du roi, qui était donc, dans ce choix, en accord avec les Allemands.
Comme la population et le gouvernement, il s'opposa aux mesures discriminatoires des nazis à l'égard de la population juive du Danemark, mais il n'a jamais protesté officiellement. Les Juifs danois purent cependant dans leur majorité quitter le Danemark pour la Suède.
Après une chute de cheval, le , Christian X de Danemark resta plus ou moins infirme pour le restant de sa vie. Le rôle joué par Christian X de Danemark lors de la Crise de Pâques en 1920 avait réduit considérablement sa popularité, mais l'occupation allemande fit de lui un monarque populaire et un symbole national.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Christian X devint le héros d'une série de légendes - récits de propagande plutôt - qui faisaient souvent intervenir le sauvetage des juifs danois. L'histoire qui fut la plus répandue, et qui circule encore en dehors du Danemark, était celle du roi Christian portant l'étoile juive en public pour montrer sa sympathie avec la cause juive. Cette légende, qui est pure fiction, naquit pendant la guerre, mais elle connut une deuxième jeunesse en 1952 par son insertion dans le roman Exodus de Leon Uris. En une dizaine de lignes, le roman raconte que le roi non seulement portait l'étoile mais incitait la population danoise dans son ensemble à suivre son exemple pour protester contre le racisme de l'occupant allemand. Le récit est présenté comme une vérité historique et beaucoup de lecteurs y ont cru. La légende fut répétée dans le film Exodus. Mais l'origine de cette histoire ne se situe pas dans l'œuvre de Leon Uris. Elle provient d'outre-Atlantique chez des Américains d'origine danoise qui se trouvaient, en 1942, dans une situation très particulière. Ceci a été démontré par Vilhjálmur Örn Vilhjálmsson, un historien islandais, dans The King and the Star. Myths created during the Occupation of Denmark (Le Roi et l'Étoile. Des mythes créés durant l'occupation du Danemark)[15].
Quel but visait-on avec ces fictions? En ce qui concerne Leon Uris, il était lancé dans une entreprise sioniste à un moment où le jeune état d'Israël n'était pas très populaire aux États-Unis. Mais pour les véritables créateurs du mythe, le but était autre. Il s'agissait de sauver la réputation du Danemark et d'éviter que le pays ne fût perçu comme un allié de l'Allemagne. Le Danemark avait signé le pacte Antikomintern au moment de l'agression allemande contre l'Union soviétique et des voix s'étaient élevées aux États-Unis qui accusaient directement le roi Christian d'être une victime consentante des nazis. Il était donc naturel de choisir le même terrain pour la riposte.
La toute première version de la légende fut publiée par une agence juive de Londres, mais Vilhjalmsson montre que c'était très probablement une personne engagée par un club danois de New York qui envoya l'histoire à une agence de presse londonienne. Cette personne a depuis gagné en notoriété en tant qu'inventeur d'un nouveau genre de campagne de presse - le premier Spin doctor. Plusieurs journaux ont ensuite retransmis l'histoire incluant l'ambassadeur du Danemark à Washington, Henrik Kauffmann. Ce diplomate œuvrait alors indépendamment de son pays et se trouvait sous une condamnation de haute trahison - ayant pris le parti des Alliés. Il n'y a donc pas lieu de croire que le roi ou le gouvernement danois fut impliqué dans la dissémination de l'histoire qui, néanmoins, finit par se répandre au Danemark et participer à la popularité du roi.
On ignore si les autres légendes concernant le courage royal sont également des créations volontaires ou de véritables légendes urbaines. Au Danemark, les historiens n'ont jamais pris ces légendes au sérieux, mais dans le reste du monde, elles ont la vie dure. Vilhjalmsson raconte qu'en 2001 des parlementaires américains se sont rassemblés pour honorer le roi danois qui avait arboré l'étoile juive pendant ses promenades à cheval dans les rues de Copenhague.
Le récit de l'étoile juive est doublement invraisemblable car au Danemark les juifs ne furent jamais contraints de porter des signes distinctifs. Les occupants sont passés directement d'une tolérance apparente à la phase de l'internement.
Ce coup d'éclat d'un roi d'un pays sous domination nazie portant l'étoile jaune en solidarité avec les juifs de son royaume est au cœur du roman L'Heure du roi, de l'écrivain russe Boris Khazanov.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lors de l'occupation allemande du Danemark à partir du , l'Althing décida de remplacer Christian X par un régent, Sveinn Björnsson[16], et déclara que le gouvernement islandais devrait assumer le contrôle des affaires étrangères et d'autres questions jusque-là traitées par le Danemark.
Après 25 ans, l'Acte d'Union dano-islandais expira le . Le Danemark étant envahi par l'Allemagne nazie, les Islandais décidèrent d'agir unilatéralement, ce qui heurta certains Danois[17]. À partir du , les Islandais se prononcèrent lors d'un référendum de quatre jours sur l'opportunité de mettre fin à l'union avec le Danemark, l'abolition de la monarchie et l'instauration de la république : 97 % des votants furent favorables à la fin de l'union et 95 % en faveur de la nouvelle constitution républicaine[18]. L'Islande devint officiellement une république le , jour anniversaire de la naissance de l'indépendantiste Jón Sigurðsson, avec l'ancien régent Sveinn Björnsson comme premier président de la république. Christian X envoya un message de félicitations au peuple islandais et cessa d'être roi d'Islande.
Christian X de Danemark appartenait à la cinquième branche (lignée Oldenburg-Glücksbourg) issue de la quatrième branche (lignée Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Beck), elle-même issue de la première branche de la maison de Schleswig-Holstein-Sonderbourg. Toutes ces branches sont issues de la première branche de la maison d'Oldenbourg.
↑(da) Lone Hindø et Else Boelskifte, Kongelig Dåb : Fjorten generationer ved Rosenborg-døbefonten [« Baptême Royal : Quatorze générations aux fonts baptismaux de Rosenborg »], Forlaget Hovedland, (ISBN978-87-7070-014-6), p. 93-99
↑(en) Burke's Royal Families of the World, vol. 1 : Europe & Latin America, Londres, Burke's Peerage Ltd, (ISBN0-85011-023-8), p. 71.
↑(da) Allerh. approb. Program for høitidelige Daabshandling i Christiansborg Slotskirke d. 31. Oct 1870 [« Programme le plus hautement approuvé pour le baptême solennel dans la chapelle du palais de Christiansborg, le 31 octobre 1870 »], Copenhague, .
↑(en) Burke's Royal Families of the World, vol. 1 : Europe & Latin America, Londres, Burke's Peerage Ltd, (ISBN0-85011-023-8), p. 68.
↑(en) Marc Saperstein, Agony in the Pulpit : Jewish Preaching in Response to Nazi Persecution and Mass Murder 1933-1945, ISD LLC, , 1200 p. (ISBN978-0-8229-8308-8, lire en ligne), p. 764
↑Guðni Th. Jóhannesson, The History of Iceland, ABC-CLIO, coll. « The Greenwood Histories of the Modern Nations », 2013, page 110.
↑Guðni Th. Jóhannesson, The History of Iceland, ABC-CLIO, coll. « The Greenwood Histories of the Modern Nations », 2013, page 111.
Le symbole renvoie aux ouvrages utilisés pour la rédaction de cet article.
Belles-lettres
Carmen Agra Deedy (auteur), Henri Sorensen (illustrateur), Laurence Bourguignon (traductrice), L'étoile jaune : La légende du roi Christian X du Danemark, Mijade, 2003 (ISBN2871423830)
Sur Christian X
(da) Knud J.V. Jespersen, Rytterkongen : et portræt af Christian 10. [« Le Roi Chevalier : un portrait de Christian X »], Copenhague, Gyldendals Forlag, , 2e éd. (ISBN8702077515 et 9788702077513, OCLC758383168, lire en ligne).
(da) Alexander Thorsøe, « Christian (C. Carl Frederik Albert Alexander Vilhelm), Prins », dans Dansk biografisk Lexikon, tillige omfattende Norge for tidsrummet 1537-1814, vol. 3, Copenhague, Gyldendals forlag, , 1re éd. (lire en ligne), p. 529
(en) Anna Lerche et Marcus Mandal, A royal family : the story of Christian IX and his European descendants [« Une famille royale : l'histoire de Christian IX et de ses descendants européens »], Copenhague, Aschehougs Forlag, , 2e éd. (ISBN87-151-0955-0 et 9788715109553, OCLC464176213, lire en ligne)