Knut le Grand[N 1] (vieux norrois : Knútr inn ríki ; vieil anglais : Cnut cyning ; anglais moderne : Canute/Cnut the Great ; danois : Knud den Store ; années 990-) est un roi d'Angleterre (1016-1035), de Danemark (1018-1035) et de Norvège (1028-1035) et d'une partie de la Suède, territoire également appelé « empire de la mer du Nord » durant son règne.
Alors que les rois anglo-saxons étaient proclamés « roi des Anglais », Knut était « roi de toute l'Angleterre » (ealles Engla landes cyning)[2]. Après sa victoire contre la Norvège et la Suède en 1026, il se désigne dans une lettre adressée à ses sujets « Roi de toute l'Angleterre, du Danemark et des Norvégiens et d'une partie des Suédois »[3]. Le médiéviste Norman Cantor l'a qualifié de « roi le plus efficace de toute l'histoire anglo-saxonne »[4].
L'empire de Knut, qui s'étend sur les deux rives de la mer du Nord, ne lui survit que quelques années, et sa lignée mâle s'éteint en 1042, après la mort de ses deux fils Harold Pied-de-Lièvre et Hardeknut.
Il est aujourd'hui principalement connu à travers l'anecdote apocryphe de l'historien Henri de Huntingdon selon laquelle il aurait tenté en vain d'imposer son autorité à la marée.
L'Encomium Emmae Reginae a été composé quelques années après la mort de Knut à la demande de sa veuve Emma de Normandie. Ce texte latin s'intéresse aux événements survenus en Angleterre entre 1014 et 1042, de l'invasion de Sven à la Barbe fourchue jusqu'à l'avènement d'Édouard le Confesseur.
Biographie
Origines
Knut est le fils de Sven à la Barbe fourchue, roi de Danemark de 986 à 1014. L'identité de sa mère est incertaine, mais elle semble avoir été Sigrid Storråda, une fille du duc de Pologne Mieszko Ier, qui pourrait avoir été mariée en premières noces avec le roi de Suède Éric le Victorieux. Sa date de naissance exacte est également inconnue, mais elle se situe certainement dans les dernières années du Xe siècle, entre 985 et 1000 environ[5],[6].
Sven envahit le royaume d'Angleterre en 1013. Knut l'accompagne durant cette campagne, tandis qu'un autre de ses fils, Harald, reste au pays pour assurer la régence, ce qui suggère que Knut est son frère cadet plutôt qu'aîné. Les Danois contraignent le roi anglais Æthelred le Malavisé à l'exil, et ses sujets reconnaissent Sven comme nouveau souverain, mais il meurt au mois de . L'armée danoise proclame Knut roi, mais les Anglais choisissent de rappeler Æthelred pour le remettre sur le trône. Knut se retire à Gainsborough, dans le Lincolnshire, d'où il est chassé le par une attaque anglaise imprévue[5]. Il est contraint de retourner au Danemark où son frère Harald II assurait la régence durant l'absence de son père. Il est choisi pour devenir roi de Danemark[7].
La conquête de l'Angleterre
Après être rentré au Danemark pour refaire ses forces, Knut envahit l'Angleterre en . Il mène une campagne peu concluante contre les Anglais, menés par Æthelred, puis par son fils Edmond Côte-de-Fer, jusqu'à sa victoire écrasante à Assandun en , due en grande partie à la trahison de l'ealdorman anglais Eadric Streona. Lors d'une rencontre sur l'île d'Alney, Knut et Edmond s'accordent sur un partage du royaume : le second conserve le Wessex, tandis que le premier obtient la Mercie et probablement la Northumbrie. Cette situation ne dure guère, car Edmond meurt le . Knut est alors reconnu comme seul roi de toute l'Angleterre[5].
Knut renforce sa position suprême en épousant le la veuve d'Æthelred, Emma, fille du duc de Normandie Richard sans Peur[8]. Par cet acte, il consolide les liens politiques et commerciaux entre l'Angleterre et la Normandie, tout en établissant ses intentions de régner en suivant le christianisme. La même année, il procède à une division du royaume en quatre grands comtés : le Wessex, qu'il se réserve, l'Est-Anglie, qu'il donne à son second Thorkell le Grand, la Mercie, qu'il laisse à Eadric Streona, et la Northumbrie, qu'il donne à Éric Håkonsson. Knut se débarrasse d'Eadric avant la fin de l'année en le faisant assassiner par Éric[5].
En 1018, Knut obtient le paiement de 82 500 livres par les Anglais, dont 10 500 pour la seule ville de Londres. Ce danegeld, obtenu grâce à la robustesse du système de taxation mis en place par ses prédécesseurs, lui permet de solder ses hommes et de les renvoyer au Danemark, ne conservant qu'une flotte de 40 navires avec lui en Angleterre[5].
Knut élimine les dangers extérieurs : il anéantit une série d’équipages vikings qui s’aventurent encore sur les côtes anglaises, refoule les Écossais et les contraint à reconnaître la suprématie anglaise. Les jarls qu’il met en place portent tous des noms scandinaves, mais les lois qu’il promulgue sont conçues et rédigées selon la tradition anglaise, avec l’aide de juristes anglo-saxons. Il gouverne avec énergie, entouré d’une garde nombreuse et bien entraînée, les housecarls, en prenant des mesures fiscales et administratives pour assurer la défense du royaume. Il entretient une flotte permanente. La sécurité en Angleterre lui permet d'effectuer des voyages à l’étranger et d'entreprendre diverses missions militaires. Après sa conversion au christianisme en Allemagne, il est reconnu comme roi d’Angleterre par le pape Benoît VIII.
Son règne sur l'Angleterre marque une accalmie qui se caractérise par une volonté de s'adapter au contexte anglo-saxon. Il choisit de conserver les organes administratifs mis en place par Æthelred et promulgue deux codes de loi inspirés par Wulfstan et qui s'inscrivent dans la tradition législative des rois anglo-saxons. Il gouverne aux côtés des chefs vikings qui l'ont soutenu durant sa conquête et de l'aristocratie et du clergé anglais susceptibles d'assurer la stabilité du royaume : Wulfstan et Godwin[9].
Les mutilations qu'il inflige en à des otages capturés par son père comme gage de loyauté vis-à-vis de l'Angleterre ne sont pas conformes à ses habitudes.
Roi de Danemark et de Norvège
En 1018, Knut succède à son frère Harald comme roi du Danemark et profite d'un danegeld de 80 000 livres pour renvoyer une grande partie de son armée au Danemark afin d'asseoir son autorité. Il traverse également la mer du Nord et réside jusqu'en1020 au Danemark, puis régulièrement en 1022 et 1023[10]. Par la suite, il s'y montre moins présent et confie la régence à son fils Hardeknut sous la tutelle d'Emma de Normandie[10].
À partir de 1022, il s'évertue à prendre de la distance de l'archevêché d'Hambourg-Brême afin que le Danemark se dote de ses propres évêques et de ses propres diocèses. Cette mise en place n'aboutira que peu avant sa mort, mais l'influence d'Hambourg-Brême persiste[11].
En 1026, il doit faire face à l'alliance d'Olaf II et Anund Jacob qui tentent une attaque conjointe sur le Danemark. La bataille de l'Helgeå met fin à la tentative au point que Knut se présente, dès 1027, comme roi des Norvégiens ainsi que d'une partie des Suédois. Cependant, les véritables délimitations de son territoire reste incertaines. Il cherche à renforcer sa position en Norvège en se rapprochant des jarls et en nouant des alliance comme avec les jarls de Lade[10].
En 1028, il profite des conflits internes et conquiert la Norvège avec une flotte de 50 navires anglais[10]. Il nomme des proches afin de gouverner en son nom comme son fils Hardknut pour gouverner en tant que roi des Danois, ou Håkon Eiriksson afin de gouverner la Norvège en tant que jarl[10]. Sa tentative de confier la régence du Norvège à Ælfgifu et leur fils Sven Knutsson se solde néanmoins par une rébellion. En effet, en nommant son fils de 12 ans, il va à l'encontre des habitudes précédentes qui voulaient qu'un représentant local issu d'une grande famille norvégienne accède au titre de roi[12]. En 1035, après le décès de Knut, les Norvégiens restaurent l'ancienne dynastie norvégienne représentée par Magnus Ier, fils du roi destitué Olaf II[12].
Knut meurt en 1035, à Shaftesbury dans le Dorset, et est enterré à Winchester. À sa mort, son fils Hardeknut lui succède sur le trône du Danemark, mais Harold Pied-de-Lièvre profite de son absence pour prendre le pouvoir en Angleterre. Hardeknut perd également la tutelle de la Norvège qui réinstaure la précédente dynastie. Harold meurt en 1040, permettant à Hardeknut de réunir à nouveau les deux couronnes, mais il meurt à son tour deux ans plus tard. C'est finalement leur demi-frère Édouard le Confesseur, fils d'Æthelred le Malavisé et d'Emma de Normandie, qui monte sur le trône d'Angleterre.
Postérité
Knut est généralement considéré comme un roi d'Angleterre sage et bénéfique, toutefois cette image est peut-être partiellement attribuable à ses bonnes relations avec l'Église, qui contrôle ceux qui archivent l'histoire. Ainsi, il est encore décrit, aujourd'hui, comme un homme pieux, en dépit du fait qu'il était en pratique bigame et qu'il fut responsable de nombreux assassinats politiques.
Dans la culture populaire, Knut reste principalement connu pour la légende selon laquelle il aurait ordonné à la marée montante de refluer. D'après cette légende, Knut se serait un jour lassé des flatteries de ses courtisans, qui allaient jusqu'à prétendre qu'il pourrait se faire obéir des vagues. Le roi aurait alors ordonné que l'on transporte son trône sur le rivage, afin de démontrer par l'exemple qu'il n'en était rien et que même les rois les plus puissants restent inférieurs à Dieu. Cette histoire apparaît pour la première fois au XIIe siècle, dans la chronique de Henri de Huntingdon, qui s'en sert pour illustrer l'humilité de Knut. Il arrive qu'elle soit interprétée d'une façon diamétralement opposée, en faisant de Knut un monarque arrogant persuadé de pouvoir se faire obéir des éléments et ridiculisé par l'échec de sa tentative.
Dans la culture populaire
Victor Hugo met en scène Knut sous le nom de Kanut dans son poème « Le Parricide » (la Légende des siècles), en prétendant qu’il a assassiné son père Sven ou Swéno[13].
Le roi Canute (Knut) est un personnage important de la série télévisée Vikings: Valhalla, diffusée sur Netflix depuis 2022. Il est incarné par l'acteur gallois Bradley Freegard(en).
↑On trouve également les orthographes Knud, Cnut, Canut et Canute.
Références
↑(en) Mike Ashley, British Kings & Queens, Robinson, Londres 1999 (ISBN1841190969). « Canute, Cnut or Knut » p. 486.
↑(en) Sarah Foot, « The Making of Angelcynn: English Identity before the Norman Conquest », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 6 (1996), p. 25-49 (lire en ligne).
↑(en) Ryan Lavelle, Cnut (Penguin Monarchs): The North Sea King, Londres, Penguin, , 114 p. (ISBN0141979879), « our protagonist, the self-styled 'King of all England and Denmark, and the Norwegians and Part of the Suedes' » (iii) ; « The Latin text of the letter claims Cnut as 'rex totius Angliae et Denemarcie et Norreganorum et partis Suanorum', 'King of all England and Denmark and of the Norwegians and of part of the Swedes'. » (56).
↑(en) Norman F. Cantor, The Civilisation of the Middle Ages, Harper Perennial, , 624 p. (ISBN0060925531), p. 166.
Simon Lebouteiller (Traduit du norrois et présenté), La saga des rois de Danemark (Knýtlinga saga), Toulouse, Anacharsis, , 253 p. (ISBN979-1027904129).
(en) Ann Williams, Alfred P. Smyth, D. P. Kirby A Bibliographical Dictionary of Dark Age Britain (England, Scotland and Wales c.500-c.1050). Seaby London (1991) (ISBN1 852640472) « Cnut (Canute, Knutr) » p. 80-82.
Pierre Gilles Cézembre, « Knut le Grand : L'empereur viking de la mer du Nord », La grande histoire des armées, no 18 « Les grands amiraux combats navals légendaires », , p. 26-27