Manfred Thierry Mugler est né à Strasbourg en 1948[2], à quelques pas de la cathédrale. Son père est médecin[3]. Enfant rêveur et solitaire, il s'échappe dans un monde imaginaire : « Comme j'étais très seul, enfant, je rêvais, je lisais des illustrés, je fuguais dans la forêt voisine pour vivre dans une grotte comme Timour, l'homme des cavernes. J'imaginais des mondes à l'opposé de celui de la bonne société strasbourgeoise, dont je désespérais de jamais sortir »[4].
Dès neuf ans, il prend des cours de danse classique et rejoint à quatorze ans les ballets de l’opéra du Rhin[3]. « Mes parents ne me l'ont pas pardonné, mais cela m'a libéré. Et la magie de la scène ne m'a plus quitté. »[4] La danse lui ouvre les portes du théâtre où il découvre les jeux de lumière, la création de costumes et la mise en scène. Il garde de cette expérience de danseur classique, non seulement un talent développé pour l’expression corporelle, mais aussi le sens de la discipline du corps et de l’esprit[5].
Études et premiers métiers
Il prend en parallèle des cours à l’école des Arts décoratifs de Strasbourg, pour y suivre des études d’architecte d’intérieur. Il doit à cette formation sa passion pour les constructions aux perspectives fascinantes.
En 1969, à l'âge de vingt et un ans, il s'installe à Paris. Il fréquente le milieu homosexuel parisien, notamment le Fiacre, un bar-restaurant de Saint-Germain-des-Prés. Il vend des dessins et des croquis à des fabricants du Sentier. Il porte ses propres créations, des vêtements confectionnés à partir de pièces achetées sur les marchés aux puces. Son allure et son style unique surprennent mais plaisent énormément à son entourage. Il passe rapidement, en toute logique, au stylisme de vêtements qu’il expose à partir de 1970 dans sa première boutique parisienne « Gudule », située rue de Buci dans le 6e arrondissement de Paris[3] après un passage chez André Peters à Londres entre 1968 et 1969[6].
En 1973, il crée sa première collection « Café de Paris ». Citadine et sophistiquée, à contre-courant des tendances du moment, la collection annonce un retour à l’image d’une femme sexy, parisienne, coquette, aguichante et sûre d’elle[7], qui n’est pas sans rappeler l’élégance sobre et intemporelle des actrices hitchcockiennes. Il affirme déjà son style bien à lui, fait d’un équilibre intemporel entre classicisme et modernité. Il fonde sa première marque Café de Paris en 1973, elle annonce les débuts de l'hyperféminité et de l'accent mis sur les formes des femmes, griffe qui ne le quittera plus. Les vêtements créés sont toujours de la même veine : des silhouettes aux formes exacerbées grâce à des rembourrages, des décolletés plongeants et des tailles de guêpes[8],[3]. Rapidement, Thierry Mugler donne son nom à sa marque puis lance une ligne masculine.
À contre-courant d’une mode folklorique et déstructurée, il crée rapidement une société à son nom associé à parts égales avec Alain Caradeuc. Mais très vite, Thierry Mugler décide de former un triumvirat et de s'associer avec Didier Grumbach et Michel Douard[réf. souhaitée].
En 1978, année où il habille les serveurs du Palace (une combinaison constituée de coton rouge avec des épaulettes et une ceinture en lamé or)[3],[9], il ouvre sa première boutique à Paris, place des Victoires (dans le 1er arrondissement), aménagée par Andrée Putman[3]. Il lance également une collection pour homme : il retravaille le classique masculin et lui donne un style résolument moderne. Une coupe nette, précise, structurée, qui dessine une silhouette très reconnaissable : épaulée, à la fois, pour une allure dynamique et élancée.
Années stylisme et couture
En 1984, Thierry Mugler créé le 1er défilé payant qui se déroulera au Zenith de Paris et regroupera 6 000 invités.
Dans les années 1980 et 1990, Thierry Mugler acquiert une renommée internationale et ses collections rencontrent un succès commercial[10]. À l’invitation de la Chambre syndicale de La haute couture, il réalise dans les années 1990 sa première collection en tant que « membre invité » de la haute couture. Il fait alors partie des créateurs des années 1990 qui hissent la mode au rang d’art visuel : ses créations égalant ses défilés de mode, conçus comme des spectacles à part entière.
Si les mannequins qui défilent pour lui (Edwige Belmore, Farida Khelfa, Pat Cleveland ou encore Jerry Hall) apprécient les fantasmes vestimentaires du styliste, certains articles critiquent l'aspect caricatural de ses créations où les thèmes de la guerre et des amazones sont présents, jugées notamment dégradantes pour l'image de la femme.
En 1992, il prend la direction artistique des parfums Mugler[12], alors séparés de la couture. Le parfum Angel est lancé et devient numéro 1 des ventes détrônant ainsi le Numéro 5 de Chanel.
En 1994, il joue son propre rôle, aux côtés notamment d'autres stylistes et grand couturiers, dans le film Prêt-à-porter de Robert Altman.
En 1997, l'entreprise Thierry Mugler est rachetée par le groupe Clarins[13]. Après des pertes de plusieurs millions d'euros, Clarins ferme la partie « couture » de la marque en 2003[14],[15]. D’autres stylistes vont ainsi œuvrer pour les collections de prêt-à-porter et les accessoires de la marque.
Thierry Mugler s’éloigne du monde de la mode en 2002, en quittant le prêt-à-porter de sa marque[12], pour s'investir dans les domaines qu'il avait toujours liés à son œuvre de styliste et de couturier : photographie, création de costumes de spectacles, mise en scène[4],[19]. Il reste cependant impliqué jusqu'en 2013 dans la création des parfums, le design des flacons et les visuels des parfums de la marque en tant que directeur artistique de Thierry Mugler Parfums[12].
Il vit entre Paris et New York, la ville dont il déclare en 2007 « maintenant mon cœur est là-bas, dans cette mégapole accrochée à un rocher de silex au bord de l'Atlantique. J'en aime la géographie verticale, la force tellurique. Et le vent du large »[4]. Outre ses activités et projets foisonnants, il reste fidèle à son goût de la discipline et d'entretien de son corps[4] :
« J'ai eu plusieurs accidents assez graves dont je suis sorti tout de traviole et la colonne vertébrale malmenée. À force d'exercices, j'ai réussi à ne pas avoir de séquelles. Depuis, c'est vital, je m'entretiens. Yoga, stretching, méditation : ça fabrique plein d'endorphines ! Je suis un régime de sportif ultrastrict, composé de sept petits repas par jour, sans sel, sans alcool, sans graisses ni sucres rapides. Difficile ? Oui, mais disons que j'aime les extrêmes ! Pour moi, le bonheur est dans la discipline. »
Indomptable, il ne s'est jamais laissé emprisonner dans le statut de grand couturier et refuse notamment les rétrospectives de ses créations dans des musées prestigieux. Le happening est le seul cadre qu'il envisage pour leur exposition[4].
En 2012, il est le scénariste et réalisateur du court-métrage Z Chromosome.
Manfred
Dans les années 2000, Thierry Mugler reprend son premier prénom, Manfred[20]. À partir de 2013, il produit sous le nom de « Manfred Thierry Mugler » des spectacles revisitant le genre de la revue de music-hall : Mugler Follies à Paris[21],[22],[23] et The Wyld à Berlin en Allemagne, dans la prestigieuse salle de spectacles Friedrichstadt-Palast[24],[25],[26].
Selon Véronique Bergen : « Thierry Mugler divinisait la femme pour en faire une créature hypersexy, fétiche, immatérielle. Azzedine Alaïa a fait de même »[33].
Selon Le Monde, Mugler est « fou » des épaulettes et les « épaules de géantes [de ses mannequins] marquent une époque »[7],[34].
Parmi les anciens collaborateurs de Thierry Mugler : Alexandre Vauthier, son secrétaire personnel de 1993 à 1997, devenu grand couturier en 2014[38].
Exposition « Thierry Mugler, couturissime », 30 septembre 2021 au 24 avril 2022, Musée des Arts décoratifs Paris
Multi-créateur
Photographe
Tout au long de ces années, il se passionne pour la photographie[8].
Il publie son premier livre en 1988, Thierry Mugler Photographe : on y découvre son goût pour les voyages et l’aventure et on peut constater qu’il préfère les sommets, les toits, l’espace aux paysages quotidiens[7].
Réalisateur
« Metteur en scène de l’extraordinaire », il est également réalisateur de courts métrages, de films publicitaires et de clips vidéo[4]. En 1992, il réalise le vidéo-clip de la chanson Too Funky de George Michael. Il y dirige les plus célèbres mannequins : Julie Newmar, Linda Evangelista, Tyra Banks, Estelle Lefébure, Nadja Auermann portant ses propres créations[4],[39]. Le vidéo-clip originel et le "making-of" de cette vidéo conçue comme une parodie du milieu de la mode et des coulisses des défilés furent coupés sur fond de brouille entre Thierry Mugler et George Michael[3] et ne seront connus du grand public que plus de 20 ans plus tard, grâce à une diffusion sur Internet[40],[41]. Toutes les personnes ayant travaillé sur le tournage de ce vidéo-clip l'ont fait bénévolement et les bénéfices ont été versés au profit des associations de lutte contre le SIDA[42].
Thierry Mugler est par ailleurs très souvent à l’origine des visuels publicitaires de ses créations et de ses parfums. Il a par exemple réalisé le tout premier film publicitaire de ses parfums : celui d’Angel[réf. nécessaire].
Il collabore avec le Cirque du Soleil en 2002, qui distribue ses spectacles dans le monde entier. Il livre son imaginaire fantasmagorique dans Zumanity, une production « pour adultes » proposée durant plusieurs années au New York Hotel de Las Vegas. En créant à la fois l’intégralité des costumes et l'identité des personnages de ce spectacle, il met en scène Extravaganza, l'un des tableaux de celui-ci. Avec ce « cabaret érotique », Thierry Mugler fait entrer le cirque dans une nouvelle ère.
En 2009, Thierry Mugler est le conseiller artistique de la star américaine Beyoncé. Il crée les costumes de la tournée mondiale de la star I Am... Tour et donne sa vision pour la mise en scène, l’éclairage, les décors comme la chorégraphie.
En 2013, il monte une nouvelle revue de cabaret, Mugler Follies, pour faire concurrence au Crazy Horse et au Moulin Rouge[22].
Le , lors de l'émission Toute une histoire, Cindy Sander apparait métamorphosée, amincie et rousse. Elle y dévoile qu'elle sera la future protagoniste principale du spectacle The Wyld, produit par le styliste, couturier et metteur en scène Thierry Mugler[43]. Ce spectacle, qui débute le à Berlin, se présente comme le show « le plus cher du monde », hors ceux produits à Las Vegas[44],[45].
Créations
En 1990, Thierry Mugler est sollicité par Clarins, société de cosmétiques fondée en 1954, pour créer son parfum. « Thierry Mugler Parfums » est créé cette année-là, et Véra Strübi est nommée PDG de la nouvelle société de parfum dont Thierry Mugler sera directeur artistique jusqu'en 2013[12].
Issu des souvenirs d’enfance du créateur, le parfum Angel est lancé en 1992[46].
Thierry Mugler Beauty est une ligne de maquillage, lancée par la marque en 2008[4].
La marque Thierry Mugler
Filiale du groupe Clarins
« La maison Thierry Mugler » est une filiale du Groupe Clarins depuis 1997[13] (actionnaire majoritaire depuis 1998[47]. Depuis 2008, Joël Palix est Président de la marque de Thierry Mugler et de Clarins Fragrance Group, incluant les marques de parfums : Thierry Mugler, Azzaro, Porsche Design, David Yurman et Swarovski. La ligne accessoire de la marque est composée de sacs, bijoux, montres ou lunettes.
Au début des années 2000, le groupe investit dans le prêt-à-porter pour homme avec une première collection signée Thierry Mugler et un défilé peu appréciés par la presse[47]. La ligne homme de prêt-à-porter est sous licence du groupe italien Inghirami.
Sandrine Groslier a été nommée en à la tête des activités parfums et mode du label. Virginie Courtin-Clarins est, quant à elle, chargée du développement marketing et de la communication de la partie mode.
Courant 2019, L'Oréal a annoncé le rachat des activités de la marque Mugler[48].
Directeurs artistiques
En 2011. Nicola Formichetti (qui collabore entre autres avec Uniqlo en 2009, mais surtout Lady Gaga dont il est le styliste[49]), devient directeur artistique de la marque. Il est pour cela entouré de Romain Kremer pour la création masculine et de Sébastien Peigné pour la mode femmes[50].
Lors de la présentation de sa collection prêt à porter Automne / Hiver 2011 au Gymnase Japy, la chanteuse Lady Gaga a parcouru le podium au rythme des titres de son dernier album Born This Way faisant du défilé l'un des évènements de la Fashion Week parisienne[51],[52],[53]. La collaboration entre Nicola Formichetti et la marque Thierry Mugler n'aura duré que deux ans et s'achève le [54].
En , David Koma devient le nouveau directeur artistique de la marque. Il signe les collections du prêt-à-porter féminin[55].
Studio Mugler : design
En 2015, le studio de création Studio Mugler est dirigé par Christophe de Lataillade[56].
Documentaire
En septembre 2024, le documentaire « Inside The Dream : dans les pas de Thierry Mugler » de Matthieu Menu est diffusé sur Canal+. Il retrace 50 ans de la marque Mugler avec notamment des images d'archives inédites, des coulisses de défilés et secrets de tournage[57].
↑Laurence Benaïm résume ainsi le passage de Thierry Mugler de la mode aux spectacles : « Certains vont continuer, comme Thierry Mugler […] de passer de la mode à la scène où il sublimera sa vision de l'hyperféminité, dans des tenues de dominatrice. » in : Laurence Benaïm, Azzedine Alaïa, le Prince des lignes, Paris, Grasset, coll. « Documents Français », , 96 p. (ISBN978-2-246-81055-1), « Anatomie du temps », p. 119
↑(en-US) PageSix com Staff, « Muscle mania », sur Page Six, (consulté le )
↑Elvira Masson, « Véronique Bergen, philosophe « La mode est (aussi !) une matière à penser » », L'Express Styles, no 3244, , p. 156 à 157 (ISSN0014-5270)
↑(en) Geneviève Buck, « Who says you'd wear it ? », Chicago Tribune, (lire en ligne) :
« Thierry Mugler happens to be the king of showmanship designers one who puts as much sometimes far more effort into the production of the show as into the creation of collection of clothes. »
↑(en) Martin Iddon & Melanie L. Marshall (sous la dir. de), Lady Gaga and Popular Music : Performing Gender, Fashion, and Culture, Routhlege, , 310 p. (ISBN978-0-415-82452-1 et 0-415-82452-4)
« Aujourd'hui, une nouvelle génération de créateurs prend la relève, incarnée notamment par Nicola Formichetti, à l'origine des tenues carapaces les plus extravagantes de la chanteuse américaine Lady Gaga. Nommé directeur artistique de la marque Mugler, le styliste a d'ailleurs convié sa muse, sur le podium, à défiler au milieu de créatures moulées de latex et de satin laqué noir. « Nous voulions évoquer une idée du glamour, mais tourné vers le futur », commente celui qui a baptisé sa première collection « Anatomie du changement ». Des tenues certes plus adaptées aux show girls qu'au commun des mortels, mais qui influencent la mode de tous les jours. »