Né au Creusot le , Jean-Baptiste Dumay est le fils posthume de Sébastien Dumay, maîtremineur aux mines de charbon de la société Schneider frères et Cie[1], mort dans une galerie du puits 14[i. 1] à la suite d'un coup de grisou[2], et de sa veuve Louise Forest[i. 2], couturière ; l'enfant a pour grand-père paternel un manœuvre devenu sabotier et, du côté maternel, un cultivateur sabotier[1].
Très tôt, le jeune Dumay se montre rétif à la discipline des écoles primaires Schneider et, tout en même temps, lecteur passionné[3]. Il fréquente un instituteur révoqué par le régime impérial et un ancien déporté de [2]. En 1854, impatient de quitter l'école, il entre à moins de treize ans aux usines du Creusot, comme apprentimécanicien-tourneur ; ayant conservé son goût de la lecture, il ressent violemment le caractère abrutissant d'une formation limitée à l'acquisition de routines[3].
À 18 ans, chassé pour avoir poussé ses camarades d'apprentissage à la revendication, il entreprend un « tour de France » ouvrier qui le conduit à Paris et dans le sud du pays par Dijon, Lyon et Marseille, afin de se perfectionner dans les grandes entreprises métallurgiques françaises[4]. En 1860, le tirage au sort le contraint à cinq ans et demi de service militaire, d'abord à Cherbourg, puis à l'arsenal de Rennes, à Lyon et enfin à Saint-Étienne ; il regagne sa ville natale en 1868[2]. Le , il épouse à Montchanin Jeanne Rausier, fille d'un cultivateur devenu ouvrier ; le couple aura quatre enfants[1].
1868-1870 - Contre l'Empire des Schneider
Dumay anime alors le Cercle d'études sociales, un groupe de jeunes ouvriers, d'artisans et de petits commerçants qui milite pour le rétablissement de la République et, localement, contre l'omnipotence de la famille Schneider[5]. Lors des élections législatives de 1869, le candidat républicain qu'ils soutiennent contre Eugène Schneider obtient au Creusot 800 voix, alors que lors des élections précédentes, l’adversaire de l’industriel n'en avait recueilli qu'une seule[i. 3].
En 1870, Dumay organise avec Adolphe Assi les grandes grèves qui paralysent les ateliers puis les mines, en janvier et mars ; cependant, malade, il doit laisser la direction du mouvement à son camarade[2]. Il se lie d'amitié avec Benoît Malon, alors envoyé spécial de La Marseillaise et auteur d'une série d'articles sur les grèves du Creusot, qui identifie en lui une « capacité ouvrière »[note 1] ; avec l'aide d'Eugène Varlin, il participe à la création dans sa ville, le , d'une section de l'Association internationale des travailleurs, dont il devient le secrétaire-correspondant[2].
Lors du plébiscite du 8 mai 1870, qui vise à faire approuver des réformes libérales dans lesquelles l'opposition républicaine ne voit qu'une tentative de consolider l'Empire, le « non » pour lequel Jean-Baptiste Dumay fait campagne l'emporte très largement[note 2] au Creusot : il est mis à pied par la direction de l'usine ; le mois suivant, il est lourdement battu[note 3] par Henri Schneider, fils d'Eugène, à l'élection du conseil d'arrondissement[5].
En juillet, après la déclaration de guerre à la Prusse, il se rend à Paris pour rencontrer les dirigeants de l'Internationale et participer avec eux aux manifestations pacifistes ; le , il organise à son tour une manifestation de la section du Creusot[6] : cette action lui vaut d'être définitivement renvoyé de l'usine[2].
Le Creusot connait alors une vie politique intense : un club fonctionne, où Dumay, à la tête du Comité républicain-socialiste ([8]), s'avère excellent orateur[2]. Face à la menace prussienne, il prône avant la lettre une forme d'union sacrée : « Trêve de divisions parmi nous, les hasards de la guerre peuvent amener l'ennemi aux confins du département et, ce jour-là, il nous faudra marcher tous ensemble et faire preuve de fraternité »[7].
Mais il doit faire face aux actions des dirigeants de l'usine qui tentent de le déconsidérer aux yeux de Gambetta[2]. Le conseil municipal, simple émanation de l'état-major de Schneider, est resté en place : en effet, une délégation de la société a convaincu le ministre de l'Intérieur que seul son maintien pourrait préserver la production d'armes face à l'agitation révolutionnaire[7]. Les quelques mesures sociales que propose le nouveau maire sont systématiquement rejetées par la direction[i. 4].
Soucieux de ménager un fournisseur de la Défense nationale, Gambetta « blâme » le maire par télégramme, pour entraves à la production et désordres dans la ville. Dumay donne sa démission, que le ministre accepte, ajoutant qu'« il n'y a pas d'homme nécessaire ». Les démocrates creusotins réagissent par une réunion au cours de laquelle ils « protestent contre la démission du citoyen Dumay [et] contre les termes dans lesquels elle a été acceptée par le ministre de l’Intérieur, attendu que le citoyen Dumay est aussi nécessaire au Creusot que le citoyen Gambetta à Tours ». Pour finir, Gambetta refuse la démission et accepte la dissolution du conseil municipal[i. 5].
En 1871, Jean-Baptiste Dumay demande et obtient de Giuseppe Garibaldi, avant qu'il ne quitte Dijon, quelque 4 000 fusils et autant de kilogrammes de munitions qui lui permettent d'équiper la Garde nationale[7]. Lors des élections législatives du , il figure sur la liste républicaine gambettiste conduite par Garibaldi[2] : elle est plébiscitée au Creusot par 77 % des suffrages ; mais la liste conservatrice, massivement soutenue par le vote paysan, l'emporte dans le département[7], où lui-même rassemble néanmoins 44 000 voix[2].
Le , des troubles éclatent en ville ; le gouvernement d'Adolphe Thiers envoie des troupes[7]. Le , le préfet de Saône-et-Loire, ami de Gambetta, démissionne ; son successeur reçoit instruction de destituer le maire et le commandant de la Garde nationale[i. 5]. Le , le commissaire de police est révoqué et remplacé par son prédécesseur nommé sous l'Empire : Dumay proteste publiquement auprès du ministère de l'Intérieur et obtient l'annulation de la nomination[7].
Le , sur la place de l'hôtel de ville, le face-à-face entre gardes nationaux et soldats de ligne tourne à la fraternisation aux cris de « Vive la République » ; le colonel retire ses troupes[7]. Depuis une fenêtre du premier étage de la mairie, sur laquelle est hissé le drapeau rouge[i. 6], Jean-Baptiste Dumay proclame : « Je ne suis plus le représentant du Gouvernement de Versailles, je suis le représentant de la Commune du Creusot »[7].
Dans la nuit, il envoie les gardes nationaux occuper la gare, le télégraphe et la poste, mais c'est pour trouver les trois établissements déjà tenus par la troupe. Le matin du , le préfet, le parquet et un renfort de mille soldats arrivent par le train. Les réunions sont interdites et des mandats d'arrêt sont lancés contre les meneurs du mouvement. Les manifestations de soutien à Dumay et à la Commune sont dispersées[9].
Pourtant la proclamation est répétée plusieurs fois, le drapeau rouge est de nouveau hissé[i. 6]. Les autorités proposent à Dumay la fin des poursuites en échange d'une promesse de retrait à Autun ; il refuse la proposition et écrit au préfet qu’il continuera à combattre le gouvernement de Thiers[i. 5]. Mais le , l'ordre est définitivement rétabli. Les dirigeants du Comité républicain-socialiste parviennent pour la plupart à gagner Genève ; certains sont emprisonnés[9]. Lui-même fait prisonnier, Dumay s'échappe et reste caché au Creusot[2].
L'élection municipale du 30 avril voit Jean-Baptiste Dumay, toujours dans la clandestinité, s'opposer cette fois-ci à Henri Schneider : il s'en faut de seize voix que sa liste ne passe tout entière au premier tour. Mais une centaine d'ouvriers sont opportunément renvoyés avant le second et, le , tous les candidats « Schneider » sont élus[9]. Henri Schneider restera maire 25 ans[i. 4]. Quant à Dumay, bien qu'élu conseiller municipal avec trois de ses colistiers, il ne pourra siéger et sera destitué en 1873[2].
Pendant la durée de son exil en Suisse, Dumay travaille aux ateliers de maintenance des machines utilisées pour le percement du tunnel ferroviaire du Saint-Gothard[2]. Parallèlement, il participe, avec Benoît Malon, Jules Guesde[9] et d'autres proscrits français, à la fondation de la Section de propagande et d'action révolutionnaire socialiste de Genève, le [8],[2]. Dans les dissensions de l'Internationale, cette section prend le parti de Bakounine[9] contre le conseil général de Londres[2]. Elle adhère à la Fédération jurassienne[9] et délègue Dumay au congrès que tient cette organisation au Locle le [2].
1880-1882 - Retour en Saône-et-Loire
Jean-Baptiste Dumay rentre en France après les premières mesures de clémence à l'égard des communards, en 1879[2],[8],[note 4]. De retour au Creusot[10], il fonde le Syndicat des métallurgistes, puis la Fédération ouvrière de Saône-et-Loire[8], qui vise à rassembler les militants du jeune Parti ouvrier[note 5] et ceux des chambres syndicales[10]. Il devient directeur et éditorialiste de La Tenaille, le journal de cette organisation[1]. Il anime une grève à Montceau-les-Mines[9].
Dumay reste à la tête du mouvement ouvrier au Creusot et en Saône-et-Loire jusqu'en [2]. Frappé d'interdit par tout le patronat du département[9], en même temps débordé par les attentats anarchistes de la Bande noire[10], il part s'installer à Paris[2].
Il poursuit aussi, pendant cette période, l'activité de journaliste débutée en Saône-et-Loire. Directeur et éditorialiste du Cri du Peuple de 1886 à 1887, il collabore ensuite à plusieurs journaux : Le Réveil du XXe puis Le Réveil du peuple en 1889 et 1890, puis au cours de cette même année Le Parti ouvrier[1].
Après sa défaite électorale, Dumay, un temps représentant de commerce[2], est embauché comme comptable par la mairie de Saint-Ouen[11]. En 1894, il est initié par la Fédération maçonnique de la Grande Loge de France, avant d'adhérer aux Travailleurs socialistes de France du Grand Orient[8]. À partir de 1895, il est éditorialiste dans Le Peuple de Lyon[1].
En 1896, il est nommé régisseur-comptable de la Bourse du travail de Paris, sur proposition de la Commission du travail du Conseil municipal[11],[note 13]. Il occupe cette fonction jusqu'à sa retraite en 1905[note 14] ; l'année suivante, il est quelque temps secrétaire de la Chambre consultative des associations ouvrières de production[2].
Le , à la demande de sa famille, elles sont transférées au Creusot, où elles reposent dans une colonne du cimetière Saint-Laurent[i. 11],[16]; l'emplacement au Père-Lachaise est devenu un cénotaphe.
↑Au premier tour, le 22 septembre, il recueille 2 468 voix contre 2 060 à Sigismond Lacroix, 1 358 à Camélinat, 592 à Susini et 132 à Blampain ; il est élu au second, le 6 octobre, avec 5 584 voix contre 72 à Blampain ; Rochefort avait obtenu 4 048 voix mais était inéligible (Jolly 1960, p. 1550).
↑En 1889, pour l'abrogation de la loi contre les affiliés de l'AIT, sur le placement des ouvriers et employés ; en 1890, pour la suppression de l'article de la loi organique invalidant le mandat impératif ; en 1891, sur le Sacré-Cœur de Montmartre, sur la Banque de France, pour l'organisation à Paris d'une exposition internationale sur les outils de prévention des accidents dans les mines et l'industrie, pour l'abrogation des articles du Code pénal relatifs aux atteintes à la liberté du travail (Jolly 1960, p. 1550).
« Je dis à ceux qui ont sinon ordonné, du moins préparé ces infamies, en couvrant à l’avance leurs subordonnés, qu’ils ne peuvent se soustraire à leurs responsabilités. Vous nous direz tout à l’heure, monsieur le ministre de l’Intérieur [...] quelle est la part de responsabilité qui vous incombe. Mais que vous en ayez peu ou que vous en ayez beaucoup, qu’il se trouve même dans cette assemblée une majorité pour vous absoudre, je suis bien certain que dans le monde ouvrier on ne vous accordera pas le bénéfice des circonstances atténuantes et que vous porterez toute votre vie le stigmate de Fourmies comme l’Empire portera le stigmate de la Ricamarie. »
Le gouvernement obtient pour finir la confiance par 356 voix contre 33 (Maitron 2019).
↑En 1890, interpellation du gouvernement sur la mise en liberté du duc d'Orléans, sur les menées boulangistes ; en 1891, demande de suppression de l'ambassade auprès du Vatican, des pensions de la Pairie et de l'ancien Sénat ; en 1892, plaidoyer pour la transformation de la Banque de France en banque d'État (Jolly 1960, p. 1550).
↑Au premier tour, le 20 août, Oriol rassemble 5 972 suffrages contre 4 276 à Dumay et 1 256 à Fonteney ; le 3 septembre, le second tour donne encore 5 118 voix à Oriol, contre 4 891 à Dumay (Jolly 1960, p. 1550).
↑À l'occasion de la réouverture de l'institution, qui avait été fermée en 1893 sous le ministère Charles Dupuy (Jolly 1960, p. 1550).
↑Pierre Ponsot, dans une note de son édition de l'autobiographie de Dumay (Mémoires d'un militant ouvrier du Creusot (1841-1905), Maspero - Presses universitaires de Grenoble, 1976, note 82), précise :
« Une erreur à rectifier : Dumay n'a pas été nommé maire de Chelles en 1914, comme nous l’avons écrit dans notre article de La Revue socialiste de 1965, nous fiant à un journaliste peu soucieux de l'exactitude des détails (Le Quotidien, 11 avril 1926). Mais l'anecdote, provenant de la même source, qui le présente en train d'organiser la résistance aux « Prussiens » qui avançaient sur Chelles, revolvers à la ceinture, n'est pas invraisemblable. La notice biographique du DBMOF l’a suivi dans l'erreur en ce qui concerne cette supposée seconde charge de maire en temps de guerre, et en a ajouté une autre : Dumay n'a pas été candidat aux élections sénatoriales de mars 1924, il y eut seulement une proposition non retenue d'un militant de la Fédération socialiste de Seine-et-Marne. (Voir Le Travail, 1er, 8 et 22 mars 1924). »
↑Ancienne rue de Mâcon, dans le quartier de la Molette. Source : Alain Dessertenne, Auguste Marais, sous-préfet de la Défense nationale à Autun, revue « Images de Saône-et-Loire » no 214 (), pages 4 à 7.
Jean Jolly (dir.), « Jean-Baptiste Dumay », dans Dictionnaire des parlementaires français : notices biographiques sur les ministres, sénateurs et députés français de 1889 à 1940, Paris, PUF, (ISBN2-1100-1998-0), p. 1548-1550.
Georges Lefranc, Le Mouvement socialiste sous la troisième république, t. 1 : 1875-1920, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », (ISBN2-2283-3070-1), p. 65-71.
Jean-Marie Mayeur et Arlette Schweitz, « Dumay Jean-Baptiste », dans Les parlementaires de la Seine sous la Troisième République, publications de la Sorbonne, , 278 p. (ISBN978-2-85944-432-7, présentation en ligne), p. 218-219.
Yves Meunier, Écrits ouvriers et libertaires en Saône-et-Loire, s.l., s.n., (lire en ligne), p. 2.
Nobuhito Nagaï, Les conseillers municipaux de Paris sous la Troisième République (1871-1914), éditions de la Sorbonne, coll. « Histoire de la France aux XIXe et XXe siècles », (ISBN978-2-85944-855-4, lire en ligne), chap. VIII (« Enracinement local »), p. 209–226.
René Parize, « Savoir de soumission ou savoirs de révolte ? L'exemple du Creusot », dans Jean Borreil (dir.), Les Sauvages dans la cité : auto-émancipation du peuple et instruction des prolétaires au XIXe siècle, Paris, Champ Vallon, , 229 p. (ISBN2-9035-2853-5, présentation en ligne), p. 92-94.