En , plus de 2,4 millions de soldats de l’Armée rouge furent capturés. La plupart furent victimes d'exécutions sommaires ou de conditions inhumaines dans les camps de prisonniers de guerre allemands, ou encore expédiés dans les camps de concentration et d'extermination. Enfermés, délibérément affamés et laissés sans soins médicaux contre les maladies ou le froid, plus de 2 millions d'entre eux moururent la première année de la guerre contre l'Allemagne.
Sur un total de 5,4 millions de soldats de l'Armée rouge capturés sur le front de l’Est, 3,6 millions moururent en captivité, soit environ 60 %[1].
Au total, sur les 5,4 millions de soldats et officiers soviétiques capturés par la Wehrmacht, 3,6 millions périrent (environ 60 %)[2],[3]. Environ 5 % de ces morts étaient juifs.
À titre de comparaison, environ 3,5 % des prisonniers de guerre anglais et américains et moins de 2 % des prisonniers de guerre français moururent en captivité.
Durant les six premiers mois de la campagne, environ 2 millions de prisonniers de guerre soviétiques sur 3,3 millions moururent victimes d'exécutions sommaires sur une vaste échelle, de faim et de marches à pied épuisantes[4]. En , leur taux de mortalité était de l'ordre de 1 % par jour[5].
Selon une estimation du United States Holocaust Memorial Museum, entre 3,3 millions et 3,5 millions[6] de Soviétiques sont morts sur les 5,7 millions faits prisonniers par l'Allemagne, ce qui donne un taux de mortalité de 57 %[7].
Le Kommissarbefehl (« ordre des commissaires ») est un ordre signé par le général Alfred Jodl dans le cadre de la préparation de l'opération Barbarossa, l'invasion allemande de l'Union soviétique. Il est élaboré entre le et le [8]. Il prévoit l'exécution systématique par l'armée nazie des commissaires politiques de l'Armée rouge et des cadres du Parti communiste soviétique, au fur et à mesure de l'avancée allemande en URSS. Les prisonniers identifiés comme « complètement bolchéviques ou actifs dans l'idéologie bolchevique » ont été également exécutés.
Camps de prisonniers de guerre
L'Allemagne avait ratifié en 1929 la troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre. Alors même que l’URSS et le Japon impérial ne la signèrent pas, l’Allemagne s’obligeait à traiter tous les prisonniers de guerre conformément aux dispositions de la convention, y compris en l'absence de réciprocité.
Alors que les camps de prisonniers créés par la Wehrmacht pour les hommes capturés sur le front de l'Ouest satisfaisaient généralement aux conditions humanitaires prescrites par les accords internationaux, les soldats originaires de Pologne et d’URSS étaient emprisonnés dans des conditions significativement plus sévères. La Wehrmacht était seule responsable de leur transport, de leur approvisionnement et de leur hébergement.
Les prisonniers furent dépouillés de leurs vêtements et de leurs fournitures par les troupes allemandes. Le froid, très présent, avait des conséquences fatales pour les prisonniers. Beaucoup de prisonniers furent acheminés entassés dans des wagons, dans de terribles conditions, ou durent effectuer de longues marches vers les camps sur de longues distances et sous stricte surveillance, dans des conditions hivernales extrêmement dures. Pendant ces marches de la mort, les gardes SS maltraitèrent brutalement les prisonniers. Obéissant aux ordres explicites qui étaient d'abattre les prisonniers qui ne pouvaient plus marcher, les gardes SS exécutèrent en route des centaines de prisonniers[9]. Dans les camps, ces prisonniers étaient sous-alimentés et rapidement victimes d'épidémies. Leur situation se dégrada encore à partir d' avec l'arrivée du froid et la réduction délibérée des rations alimentaires, en particulier pour ceux qui étaient déclarés inaptes au travail. Les responsables nazis ont délibérément décidé de laisser mourir de faim les prisonniers soviétiques, alors que la situation alimentaire du Reich n'était pas particulièrement délicate[10]. Ainsi au Stalag 325 de à entre 18 000 et 24 000 prisonniers de guerre soviétiques sont détenus à Rava-Rouska et la plupart y trouveront la mort[11],[12].
La première application de la politique nazie de « dépopulation » appliquée à la Russie soviétique se retrouve donc dans le traitement inhumain réservé aux officiers et soldats soviétiques faits prisonniers, sort qui doit peu au hasard ou aux conditions de la guerre[13]. Le , le général Erich von Manstein, commandant de la 11e Armée, précise que « ce combat n’est pas mené contre l’armée soviétique selon des méthodes conventionnelles guidées par les seules règles de la guerre européenne... ».
Des 80 généraux de l'Armée rouge capturés par la Wehrmacht, seuls 37 survécurent à leur captivité[14]. Leur grade ne leur conférait aucun traitement de faveur, ce dont témoigne le sort du général Dmitry Karbychev, héros de l'Union soviétique, tué par exposition au froid le jour même de son arrivée au camp d’extermination de Mauthausen (Autriche). Les ordres de la Wehrmacht concernant les soldats soviétiques et les éléments politiquement ou « racialement » dangereux apportèrent non seulement une caution officielle à une campagne d’assassinats organisés, mais ils ouvrirent la voie à une vague massive d’exécutions collectives, perpétrées par des soldats décidés à ne pas tenir compte des distinctions entre catégories de prisonniers élaborées en haut lieu. Dès lors que les soldats allemands reçurent l’autorisation d’assassiner des militaires désarmés et des civils sans défense, il fut extrêmement difficile de les sanctionner lorsqu’ils poursuivaient des actions de ce genre sans en avoir reçu l’ordre explicite. Puisque la propagande de la Wehrmacht présentait les Russes dans leur ensemble comme des « Untermenschen » ne méritant pas de vivre, les soldats ne voyaient aucune raison de faire des distinctions entre ceux qui étaient condamnés à être fusillés sur-le-champ et les autres[15]. En effet, dans la guerre d'extermination que l'Allemagne mène contre l'URSS, les soldats soviétiques sont considérés comme des êtres irréductibles et inférieurs, à la fois slaves et bolcheviques, et peuvent donc être anéantis. L’ampleur des meurtres, des destructions et des mauvais traitements ordonnés officiellement dépassa largement celle des actions « sauvages » commises à l’initiative des soldats.
Les exécutions sommaires de prisonniers de guerre soviétiques prirent immédiatement un caractère véritablement massif sur toute l’étendue du front soviéto-allemand et durant toute la durée du conflit. Quelque 600 000 personnes au moins furent fusillées sur le champ en tant que prisonniers de guerre, mais l’estimation officielle des pertes est dramatiquement sous-évaluée puisqu'un nombre indéterminé, mais probablement très important, de soldats soviétiques furent exécutés par les soldats allemands après leur capture, avant même d’avoir été comptabilisés comme prisonniers[16]. À la mi-septembre 1941, l’OKH (Oberkommando des Heeres, Haut Commandement militaire, qui dépendait directement d'Adolf Hitler) ajouta une précision aux ordres donnés aux divisions combattant à l’Est : tous les soldats soviétiques dépassés par l’avance de la Wehrmacht et se réorganisant derrière la ligne de front devaient être traités comme des partisans, c’est-à-dire abattus sur le champ. Cet ordre semblait introduire une distinction subtile entre « soldats organisés » et « soldats non organisés ». En pratique, les commandants d’unité ne s’embarrassaient guère de telles nuances. Tel le commandant de la 12e division d’infanterie donnant ses ordres à ses officiers : « Tout soldat tue tout Russe trouvé derrière la ligne de front et qui n’a pas été fait prisonnier au combat »[16]
L’échec des Allemands à remporter la victoire espérée à l’Est et la pénurie de main-d’œuvre qui s’ensuivit leur firent reconsidérer le traitement des prisonniers. Ainsi, au début de 1942, les prisonniers de guerre des camps de l’Est – essentiellement des Russes – furent considérés comme une source de travail servile et gratuite destinée à permettre à l’industrie de guerre allemande de continuer à fonctionner.
En , Adolf Hitler autorisa donc un meilleur traitement des prisonniers de guerre soviétiques et les dirigeants allemands décidèrent d'utiliser ces prisonniers comme travailleurs forcés dans l'économie de guerre du Reich allemand[17]. Leur nombre est passé de 150 000 début 1942 à 631 000 à l'été 1944. Beaucoup furent dépêchés sur les mines de charbon (entre le 1er et le , 27 638 prisonniers de guerre soviétiques moururent dans la seule région de la Ruhr), tandis que d'autres furent envoyés à Krupp, Daimler Benz ou d'innombrables autres entreprises[18], où ils fournirent la main-d'œuvre. Certains moururent d'épuisement. L'industrie minière (160 000), l'agriculture (138 000) et l'industrie des métaux (131 000) étaient les principaux secteurs d'activité. Pas moins de 200 000 prisonniers sont morts pendant le travail forcé.
Camps de la Lande
Dans les Landes de Lunebourg(Lüneburger Heide), en Allemagne du Nord, il y eut trois camps dénommés « camps de Russes » : ceux de Wietzendorf, Oerbke, Bergen-Belsen. Au début, les prisonniers de guerre durent s’y abriter en se creusant des trous dans la terre ou en bâtissant des huttes en terre. Ce n’est que peu à peu que l’on construisit des baraques pour améliorer leur hébergement. Dans les trois camps des Landes de Lunebourg, les conditions de vie furent désastreuses.
Le ravitaillement était tellement catastrophique que notamment les prisonniers affaiblis ou malades mouraient au bout de quelques semaines. Entre et , une épidémie de typhus et d’autres maladies, mais principalement la sous-alimentation décimèrent les prisonniers : 40 000 au moins y laissèrent la vie. En , le nombre des internés était réduit à 6 500 au total[19].
Camps de concentration et d'extermination
Entre 140 000 et 500 000 prisonniers de guerre soviétiques sont morts ou ont été exécutés dans les camps nazis, la plupart par gazage ou abattus. Certains ont été victimes d'expérimentation médicale nazie[20],[21].
Auschwitz : parmi les 15 000 prisonniers de guerre soviétiques déportés à Auschwitz pour le travail forcé, seulement 92 survivront. Ces prisonniers, à Auschwitz, subissent les premiers gazages, le , dans les caves du block 11 du camp principal. Ces mêmes prisonniers sont astreints, à Auschwitz comme ailleurs, aux tâches les plus dures[10]. Plus de 3 000 d'entre eux ont été abattus ou gazés immédiatement après leurs arrivée[22]. Sur les 10 000 prisonniers amenés à travailler en 1941, 9 000 sont morts au cours des cinq premiers mois. Les nazis expérimentèrent sur les prisonniers le Zyklon B (utilisé auparavant pour la fumigation) en gazant en quelque 600 prisonniers de guerre soviétiques et 250 prisonniers malades[23],[24].
Camp de concentration de Buchenwald : de mi-1942 au début 1943, la Gestapo de Thuringe, Hesse, Saxe et Rhénanie interne 400 travailleurs forcés soviétiques. Ils sont particulièrement maltraités par les SS et subissent des privations de nourriture. Ils sont quasiment tous affectés au commando X, le commando chargé de la construction des usines d’armement du camp ou à la carrière. La mortalité est telle que les SS renoncent à enregistrer officiellement leur décès. Ils seront plus de 17 000 au total.
Centre d'extermination de Chełmno : les victimes assassinées au camp d'extermination de Chełmno incluent plusieurs centaines de Polonais et de prisonniers de guerre soviétiques.
Camp de concentration de Dachau : quelque 500 prisonniers de guerre soviétiques ont été exécutés par un peloton d'exécution à Dachau.
Camp de concentration de Flossenbürg : plus de 10 000 prisonniers de guerre soviétiques ont été exécutés dans ce camp fin 1941. Les exécutions se sont poursuivies de façon sporadique jusqu'à 1944.
Camp de concentration de Gross-Rosen : 65 000 prisonniers de guerre soviétiques ont été tués en n'étant nourris qu'avec une mince soupe d'herbe, d'eau et de sel pendant 6 mois[25]. En , les SS ont transféré environ 3 000 prisonniers de guerre soviétiques à Gross-Rosen pour les fusiller[26].
Camp de concentration de Hinzert : un groupe de 70 prisonniers de guerre ont été informés qu'ils feraient l'objet d'un examen médical, mais ont été victimes d'injection de cyanure de potassium, un poison mortel.
Camp de Majdanek : des milliers de prisonniers de guerre soviétiques y furent abattus ou gazés. Environ 170 000 prisonniers furent tués à Majdanek ; il s'agit presque exclusivement de Juifs, de civils, de soldats soviétiques et de civils polonais[23].
Camp de concentration de Mauthausen : les prisonniers de guerre soviétiques formaient la plus grande part des premiers groupes à être gazés dans la chambre à gaz nouvellement construite au début de 1942. Au moins 2 843 d'entre eux ont été assassinés dans le camp. Selon l'USHMM, « Le nombre de prisonniers de guerre soviétiques abattus était tel que la population locale a commencé à se plaindre concernant son approvisionnement en eau qui avait été contaminée. Les rivières et les ruisseaux à proximité du camp étaient devenus rouges de sang »[25].
Oranienburg-Sachsenhausen : en , un massacre de masse y a eu lieu avec l'exécution de plus de 13 000 soldats soviétiques, prisonniers de guerre. Des milliers d'entre eux ont été assassinés immédiatement après leur arrivée au camp, y compris 9 090 exécutés entre le et le [18]. Parmi les victimes, se trouvait le fils de Joseph Staline, Iakov Djougachvili.
Centre d'extermination de Sobibór : les prisonniers soviétiques juifs étaient parmi les centaines de milliers de personnes gazées à Sobibór. Un groupe d'anciens officiers soviétiques prisonniers de guerre dirigés par Alexandre Petcherski a organisé une évasion massive avec succès.
Répressions soviétiques contre d'anciens prisonniers de guerre
Certains prisonniers de guerre soviétiques qui ont survécu à la captivité allemande ont été accusés par les autorités soviétiques de collaboration avec les nazis[17].
1 600 000 prisonniers de guerre soviétiques furent rapatriés. Staline ayant toujours considéré la capture ou la capitulation de ses soldats comme un acte de trahison de leur part, à leur retour, plus de 80 % d'entre eux furent condamnés à du travail forcé[28].
Ainsi, de nombreux anciens prisonniers de guerre furent traités en coupables à leur retour au pays, et allèrent former la génération d'après-guerre des captifs du Goulag.
↑« La terreur et le désarroi ». Chap. 15 « La société soviétique dans la Grande Guerre patriotique »
↑« La violence contre les prisonniers de guerre soviétiques dans le IIIe Reich et en URSS ». Pavel Polian. in S. Audoin-Rouzeau et A. Becker et al., op. cit. p. 117-131
↑Keine Kameraden. Die Wehrmacht und die sowjetishen Kriegsgefangenen, 1941-1945. Berlin, Verlag J. H. W. Dietz Nachf. 1991. p. 130-131.
↑Georges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN978-2-03-583781-3), p. 422
↑Christopher Browning (trad. de l'anglais par Jacqueline Carnaud et Bernard Frumer), Les origines de la solution finale : l'évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942, Paris, Les Belles Lettres Ed. du Seuil, coll. « Histoire », , 631 p. (ISBN978-2-7578-0970-9, OCLC937777483), p. 240.
↑« Historique du camp de Rawa-Ruska », sur Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants (consulté le ) : « Quinze à vingt mille Russes y furent envoyés dans un premier temps. Quatre mille par la suite. En mars 1942, juste avant l’arrivée des premiers Français, seulement quatre cents subsistaient encore. Les autres étaient tous morts de faim, de maladies ou de mauvais traitements. »
« Du mois de juillet 1941 au mois d’avril 1942, plus de 18 000 prisonniers de guerre soviétiques sont détenus à Rawa-Ruska, où ils trouveront la mort. Sous la direction du chef de la Gestapo, l’Oberscharführer SS Stein, et du chef de la gendarmerie, commandant de la ville de Rawa-Ruska Klein, les agents de la Gestapo fusillent sans jugement ceux qu’ils considèrent comme du « bétail humain », ainsi que les militants soviétiques, et enfouissent les corps, emportés sur des remorques de tracteurs, dans la forêt de Wolkowice. »
↑(en) Andreï Pogojev (trad. du russe par Vladimir Krupnik, John Armstrong et Christopher Summerville), Escape from Auschwitz [« Побег из Освенцима. Остаться в живых »] [« Évasion d'Auschwitz »], Philadelphie, Casemate, (ISBN978-1-932033-83-0), p. 97.
Pavel Polian, La violence contre les prisonniers de guerre soviétiques dans le IIIe Reich et en URSS », in S. Audoin-Rouzeau et A. Becker et al., p. 117-131
(de) Christian Streit, Keine Kameraden: Die Wehrmacht und die Sowjetischen Kriegsgefangenen, 1941–1945, 1978. réédition complétée, Bonn, J.H.W: Dietz, 1991
(en) Christian Streit, The German Army and the Policies of Genocide, in The Policies of Genocide: Jews and Soviet Prisoners of War in Nazi Germany, ed. Gerhard Hirschfeld avec une introduction de Wolfgang J. Mommsen, London, Boston, Sydney, 1986, p.1-14