En tant que cimetière parisienextra-muros, il est administré par la ville de Paris. Il est le deuxième de ce genre en superficie et en activité, derrière le cimetière parisien de Pantin. Il occupe 103 des 643 hectares de la commune de Thiais, soit 16 %[1]. Environ 115 000 sépultures, pour 150 000 concessions accordées, sont regroupées dans 130 divisions[2],[3].
Il est distinct du cimetière communal de Thiais, où sont inhumés les défunts de la commune de Thiais.
Accès
C'est le cimetière parisien le plus excentré[4], situé à plus de 5 km de la capitale.
Son entrée principale, située 261 route de Fontainebleau à Thiais, fait face à la station Auguste Perret de la ligne 7 du tramway. Une entrée secondaire se trouve avenue du Général-de-Gaulle.
Le cimetière est bordé par l'A86 à l'est et au sud.
Histoire
Contexte
Le conseil municipal de Paris décide en 1922 d'établir une nouvelle nécropole en banlieue sud pour faire face au manque de place dans les cimetières parisiens déjà ouverts intramuros (Père-lachaise, Montparnasse, Montmartre, etc.) comme extramuros (Bagneux, Pantin, Ivry etc.).
La construction est confiée à Charles Halley[5] en 1924. Halley propose le programme des bâtiments du cimetière dès la fin de l'année 1925 ainsi qu'une planification des différentes phases du chantier pour pouvoir ouvrir rapidement le cimetière aux inhumations même si tous les bâtiments ne sont pas achevés. Pour concevoir le programme, il s'appuie sur une « étude sur les nécropoles » qu'il a écrit en 1925[6]. Pour le gros oeuvre, Halley choisit l'entrepreneur Alexandre Lafond, avec qui il a déjà collaboré[7],[8]. Malgré des tensions et des désaccords avec le conseil municipal de Thiais qui est allé jusqu'à démissionner en en signe de protestation.
L'entrée principale
Dans une mise en scène théâtrale, Charles Halley propose un portique encadré par deux portes monumentales de 10 mètres de haut et près de 5 mètres de large dans un aspect digne et solennel. Le béton armé utilisé est dissimulé sous un parement en pierre de Villebois, à l'exception de l'entablement à frises d'ondulation en béton brut. Deux vantaux coulissant dans la maçonnerie composent chacune des portes monumentales. Ces vantaux sont des grilles ouvragées en fonte, ornés de motifs géométriques simples qui renvoient aux motifs des grilles du pavillon de la conservation et des clôtures.
Entre les deux portes monumentales, un vaste portique à colonne se développe, ouvert par une porte piétonne en son milieu. Destiné à abriter le public en cas d'intempéries, le portique est largement ouvert sur l'intérieur de l'enceinte du cimetière. Les colonnes de béton brut, au fût lisse et sans ornements, soutiennent un plafond à caissons. Les parois du mur qui sépare le portique de l'extérieur du cimetière sont également revêtues d'un parement de pierre de Villebois, révélant un subtile jeu de texture qui permet l'animation de l'ensemble.
Le portique est équipé de bancs en bois dessinés par Tony Selmersheim et son associé Louis Monteil[9]. À chacune des deux extrémités du portique, une salle d'attente est disposée, équipée de bancs et de lambris. Ces deux salles sont aujourd'hui transformées en bureaux.
La séquence d'entrée du cimetière parisien de Thiais est comparable dans sa disposition à la nouvelle entrée du cimetière de Passy (René Berger, 1934), avec le portique à colonne encadré de deux massifs, l'utilisation du béton armé revêtu de pierre calcaire (comblanchien à Passy) et la relative sobriété d'ensemble.
La Conservation
Le bâtiment de la conservation se dresse dans la cour d’entrée du cimetière, côté sud, à droite de l’entrée principale. De la sorte, Halley modifie son plan initial qui prévoyait la disposition de ce pavillon dans l’axe principal et le déporte sur un des côtés pour préserver la perspective centrale. Reprenant la sobriété et la solennité qui se dégagent de la façade d’entrée du cimetière, la façade d’entrée du pavillon de la conservation d’un seul niveau d’élévation est constituée d’un corps central flanqué de deux ressauts plus bas. Des corniches saillantes soutenues par un entablement à frises d’ondulations semblables à celles des portes monumentales couronnent l’édifice. Les grilles qui protègent les baies en façade reprennent le même motif de chevrons mis en œuvre pour les panneaux des clôtures.
À l’intérieur de la conservation, la banque d’accueil prend place dans l’espace laissé entre les colonnes pour séparer le public du personnel administratif. Les portes en bois des différents bureaux sont d’origine, pour partie. Celles-ci reprennent dans un panneau central le profil ondulé des frises de l’entablement. Le sol du hall du public est recouvert de mosaïque, visible dans une photographie publiée dans un article de La Construction Moderne daté du 5 novembre 1933[10], mais aujourd’hui dissimulée sous un revêtement moderne.
Le plafond du hall du public est agrémenté de caissons carrés, au profil comparable aux caissons du portique, dans lesquels venait se loger des plafonniers et dont la forme se rapproche de la pyramide à gradins inversée du grand hall du palais de la Porte-Dorée d’Albert Laprade, construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931.
Luminaires
Le décorateur Jean Perzel est l'auteur des luminaires commandés par Halley pour le portique, les salles d'attente et la conservation[11]. Des six luminaires commandés, il ne reste que les plafonniers des salles d'attente et les traces des appliques du portique, de part et d'autre de la porte centrale. Par ailleurs, Jean Perzel a également livré des luminaires pour le cimetière de Passy, qui toutefois se remarquent par leur plus grande complexité.
La construction de pavillons pour le logement des employés constitue l’essentiel de la deuxième étape du chantier du cimetière de Thiais. Il s’agit de la construction en béton armé de pavillons de quatre logements, chacun constitués de trois ou quatre pièces. Ils sont alors équipés de tout le conforme moderne : salle de bain et WC à l’intérieur de l’habitation, électricité et chauffage. La cité est conçue selon un modèle de cité-jardin disposée au nord du cimetière et elle bénéficie d’une certaine autonomie par rapport au fonctionnement du cimetière, avec une entrée particulière. Le début de la construction est entrepris par Alexandre Lafond en 1929 puis de 1937 à 1938 par Octave Dupuis[13]. La cité de logements est aujourd’hui en grande partie laissée à l’état d’abandon, seuls quelques logements sont encore occupés.
L'entrée secondaire
Ouverte sur l'avenue du Général-de-Gaulle, aménagée et construite lors de la deuxième étape en même temps que le lancement du chantier de la cité de logements pour les employés, cette entrée secondaire se remarque par sa simplicité. En léger retrait de l’alignement, elle est annoncée par la mise en place de panneaux de clôture de premier type. Elle est équipée d'un accès piéton protégé par un auvent en béton armé et par un poste de gardien circulaire coiffé d'un dôme.
La clôture définitive est construite à partir de 1935[13]. La clôture du cimetière témoigne d’un soin attentif porté à la finition du béton par Halley. On distingue trois types de clôture sur tout le périmètre du cimetière. Le premier type constitue les abords immédiats de l’entrée principale et est constitué de panneaux de ciments pleins. Le deuxième type se développe le long des voies sur le périmètre du cimetière. Il est constitué de panneaux de béton moulé ajourés avec pour motif des chevrons en léger relief dont les arêtes sont saillantes. Le troisième type est déployé le long de la limite nord et sépare le cimetière des terrains alors maraîchers à la construction. Il s’agit de simples panneaux de béton préfabriqués disposés horizontalement entre chaque poteau en béton également, sans traitement esthétique particulier. Halley exige un soin particulier sur la qualité et les finitions[15].
Une partie de la clôture a aujourd’hui disparue, d’une part du fait de la construction de l’autoroute A86 en 1988, qui empiète sur une partie des divisions du sud du cimetière, et d’autre part du fait de l’élargissement de la voie d’isolation au sud-ouest pour ménager une voie bus dans le secteur du centre commercial Belle-Épine en 1992. Ces travaux subis par la nécropole ont nécessité la démolition d’une partie de la clôture et son remplacement par une clôture de panneaux horizontaux en béton moulé à décor géométrique.
La clôture n'est en tout cas nullement l'oeuvre d'Auguste Perret, ni en tant qu'architecte, ni en tant qu'entrepreneur.
L'esplanade et les boutiques
Devant l’entrée du cimetière se trouve une vaste esplanade. Formée par l'avenue de Fontainebleau à l’ouest, l’entrée principale à l’est, elle est flanquée au sud par un alignement de boutiques à destination à l’origine des marbriers. Afin de conserver une harmonie d’ensemble, Halley impose le dessin de l’alignement. La constitution de l’ensemble s’est faite progressivement, au gré de l’installation des commerçants, d’abord à l’angle le plus proche du mur de clôture avec les établissements Lecreux et Herbet à partir de 1932[16], puis progressivement vers l'avenue de Fontainebleau. Il est encore incomplet en 1950 d’après une illustration du projet de gare terminus pour une ligne de trolleybus[17], confirmé par une photographie aérienne contemporaine[18]. La création de cette gare terminus a empêché l’achèvement de l’extrémité ouest à pan coupé de l’alignement d’Halley, qui prévoyait une parfaite symétrie d’ensemble[19]. L’alignement est complet en 1965[20]. Constitué d’une quinzaine de lots, il comprend une façade continue d’un étage sur boutiques, marquée par une forte horizontalité que la toiture-terrasse et une marquise en béton et verre, continues d’une extrémité à l’autre, soulignent. Un jeu de ressauts, de retraits et d’avant-corps liés par des pans coupés permet toutefois de subtilement animer la façade selon un rythme ternaire complété par un triplet de baies à l’étage marquant chaque lot. Une modification récente en façade au niveau de l’actuel funérarium municipal de la ville de Thiais marque une rupture dans la ligne de l’ensemble, puisqu’un pan coupés d’un des retraits a disparu.
La disposition actuelle de l’esplanade résulte d’un réaménagement opéré en 1971 et 1972. Ainsi, afin de dégager une nouvelle voie pour améliorer la circulation de l'avenue de Fontainebleau, les deux ronds-points disposés de part et d’autre face aux entrées monumentales et le terre-plein central sont remplacés par de nouveaux terre-plein de pelouses et un vaste parc de stationnement, qui rompt la cohérence de l’ensemble : la porte centrale du portique, autrefois accessible par un chemin piéton traversant l’esplanade depuis la route dans un axe central, n’est aujourd’hui plus mise en valeur.
Le parc paysager
La dimension paysagère a son importance au cimetière de Thiais. Dès 1926, Halley fixe précisément le plan des plantations[21], les essences qui composent les alignements et les massifs (peupliers d’Italie, ifs, tilleuls, buis, troènes) comme la manière dont ils doivent être taillés[21]. Outre la répartition des divisions selon un plan orthonormé, l’architecte propose une esplanade intérieure en réponse à l’esplanade extérieure, ordonnancé à la manière d’un jardin à la française du XVIIIe siècle partagé entre cour et jardin. La monumentalité de la séquence d’entrée est accentuée, visible des deux côtés dans la totalité de sa longueur. Vaste rectangle agrémenté de quatre pelouses à massifs floraux et haies de buis taillés, l’esplanade intérieure est un large espace libre permet d’ouvrir à la fois la vue sur le pavillon de la conservation situé côté sud, et sur un axe majeur. Composé d’une pelouse large et dégagée, il était à l’origine prévu pour accueillir les divisions de concessions perpétuelles sur ses côtés, ce qui aurait eu pour effet d’enserrer et peut-être d’étirer la perspective. Le traitement du parc en jardin d’agrément montre tout le talent de composition d’Halley.
Attentif au confort des usagers, il disperse également dans l’ensemble du cimetière des blocs sanitaires.
Ouverture
Ouvert le , il est le plus récent des cimetières parisiens. Son ouverture se fait contre l'avis des membres du conseil municipal de la commune, qui iront jusqu'à démissionner collectivement en en signe de protestation[4].
Ce cimetière abrite les seuls « terrains communs » de Paris pour adultes (divisions 48, 49, 50, 55, 56, 57, 58 et 95) dits « Jardins de la fraternité », où sont inhumées gratuitement les personnes non identifiées ou sans ressources[5],[23], ce qui a participé à son surnom de « cimetière des pauvres »[4]. C'est là que sont inhumées les 57 victimes parisiennes de la vague de canicule de dont les dépouilles n'ont pas été réclamées par des proches. La cérémonie a lieu le , en présence du président de la République, Jacques Chirac, et du maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Sans se réduire à cette dimension, le cimetière parisien de Thiais est un lieu propice à l'inhumation de personnes reléguées, à divers degrés, par la société : déportés non réclamés par leurs familles, collaborateurs, soldats de la Waffen-SS et officiers de la Wehrmacht, criminels, membres de l'OAS et du FLN, migrants sans attache ou sans-abri[24]. L'arrêté du désigne Thiais comme lieu exclusif d'inhumation des indigents parisiens, qui était jusque là pratiqué aussi à Pantin, Bagneux et Ivry[1].
Une partie des « disparus » du massacre du est enterrée dans la division 97 du cimetière[24],[25].
Regroupements confessionnels ou ethniques
Après la saturation du cimetière musulman de Bobigny, il est décidé sous l'impulsion du préfet de la Seine, Paul Haag, d'ouvrir à Thiais ce que l'on nomme aujourd'hui le carré musulman, anticipant et inspirant les circulaires du ministère de l'Intérieur de , et [1]. Dès , sans que cela ne donne lieu à un acte administratif de l'État, des divisions dédiées à des sépultures musulmanes sont créées à la demande de la Grande Mosquée de Paris, répondant à une demande d'environ 250 inhumations à la fin des années [1]. D'abord onze, le nombre de divisions confessionnelles musulmanes passe à quinze, faisant de Thiais le principal regroupement de sépultures musulmanes de France[1].
Les concessions dans les cimetières parisiens extra muros comme celui de Thiais sont en moyenne quatre fois moins chères qu'intra muros[26], et contrairement aux autres cimetières parisiens, il reste une grande superficie libre au cimetière de Thiais, ce qui permet d'acheter un grand nombre de concessions, favorisant des phénomènes de concentration par communauté religieuse ou ethnique, qui ne sont cependant que des regroupements de fait, non officiels[27].
En , un ossuaire est ouvert au cimetière parisien de Thiais pour accueillir les restes des défunts de tous les cimetières parisiens, dont les sépultures ont été reprises pour cause de concession échue[28],[29],[30]. C'était jusqu'alors, et depuis le , le rôle dévolu à l'ossuaire du cimetière du Père-Lachaise à Paris, d'abord seulement en provenance des cimetières intra muros, puis extra muros à partir du [29]. Mais il était arrivé à saturation depuis plusieurs années, empêchant les reprises de sépultures et créant une pénurie de concessions disponibles pour les nouvelles inhumations[28],[31].
Dans la 22e division, un caveau collectif fait office de monument en mémoire des membres d'équipage du vol Air France 406 qui s'est écrasé dans le Sahara algérien le [35],[37].
Dans une scène du film Le cave se rebiffe () où le « Dabe » (Jean Gabin) demande à Mme Pauline (Françoise Rosay) ce que sont devenus d'anciens malfrats perdus de vue, pour la plupart décédés du fait de leurs méfaits, celle-ci lui répond au sujet de l'un entre eux : « On l'a emmené à Thiais lui aussi, il y a un an... / Règlement de compte ? / Cirrhose du foie »[41],[42].
↑BHVP, 8-PLA-2148-(RES), plans et documents divers 1927-1931, « Etude sur les nécropoles », note manuscrite, non signé, attribuable à Charles Halley, non daté.
↑BHVP, 8-PLA-2131-(RES), Lettre de recommandation pour l’entreprise Lafond, signé Charles Halley, copie non datée.
↑Manon Pierre, sous la direction de Stéphanie Celle, Reposer hors de la capitale : le cimetière Parisien de Thiais, mémoire d’étude (1re année de 2e cycle), École du Louvre, 2019.
↑BHVP, 8-PLA-2171-(RES), Travaux et mémoires soldés, 1928-1940, Certificat pour paiement à M. Jean Perzel, 20 février 1931 ; et BHVP, 8-PLA-2345-(RES), Correspondance et devis, 1929-1931, Devis descriptif signé Jean Perzel à Charles Halley, 10 octobre 1929.
↑ a et bBHVP, 8-PLA-2226-(RES), Plan de projet de plantations, dressé, annoté et signé par Charles Halley, 22 septembre 1926, rectifié le 26 novembre 1928.
↑ a et bCaroline Gyss, « Mourir en France : Les tombes chinoises des cimetières parisiens comme source socio-historique », dans Anne Fornerod (dir.), Le pluralisme religieux dans les cimetières en Europe, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Société, droit et religion », , 299 p. (ISBN979-10-344-0035-5 et 979-10-344-0401-8, DOI10.4000/books.pus.16018), p. 265–283, III « Les Chinois dans les cimetières parisiens », § 10–18 [lire en ligne].
↑ a et bRapport d'observations définitives et sa réponse — Contrôle de la gestion des cimetières et opérations funéraires par la Ville de paris, cahier no 2 : Gestion des cimetières, exercices et suivants, Chambre régionale des comptes d'Île-de-France, (lire en ligne), p. 39.
Albert Laprade, « Le cimetière parisien de Thiais », L'Architecture, vol. 41, no 11, , p. 377–382 (lire en ligne).
Emmanuel Bellanger, « Thiais dernière nécropole parisien extra muros », dans La mort, une affaire publique : Histoire du Syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne, fin XXe-début XXIe siècle, Ivry-sur-Seine, Éditions de l'Atelier, , 285 p. (ISBN978-2-7082-4023-0), p. 220–222 [lire en ligne].
Jacques Barozzi (photogr. Monique Lampre et Daniel Martinage), « Le cimetière de Thihais », dans Guide des cimetières parisiens, Paris, Hervas, , 190 p. (ISBN2-903118-57-4), p. 169–173.
Sur les divisions musulmanes :
Atmane Aggoun, « L'inhumation des musulmans en France : Étude de cas des tombes musulmanes au cimetière de Thiais en région parisienne », dans Simone Pennec (dir.), Des vivants et des morts : Des constructions de « la bonne mort » (colloque international, Brest, – ), Atelier de recherche sociologique, Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), Université de Bretagne-Occidentale, , 398 p. (ISBN2-901737-64-1), p. 303–312.