Dans la musique baroque, une pastorale est un mouvement d'une mélodie à trois temps, sur une basse en pédale imitant le bourdon de la traditionnelle cornemuseitalienne (zampogna) et du chalemie (piffero) des bergers italiens, pifferari, pendant la période de Noël.
Les pastorales sont généralement en fa majeur, à ou , dans un tempo modéré et privilégient les intervalles de tierce et de sixtes. Elles ressemblent à une version ralentie d'une tarentelle, englobant bon nombre de rythmes et phrases mélodiques identiques.
Les pastorales sont encore jouées dans les régions du sud de l’Italie où la zampogna continue de prospérer. La pastorale peut être jouée par un seul instrumentiste de zampogna, parfois accompagnée également du piffero (également appelé ciaramella, pipita, bifera ou chalemie), qui est un instrument de type hautbois primitif, sans clés.
Pastorale instrumentale
La pastorale instrumentale se retrouve dans de nombreux genres : concerto, symphonie (ou sinfonia) baroque (Albinoni, Vivaldi, Francœur), capriccio, des pièces isolées ou des recueils pour petits ensembles, clavecin ou orgue[1],[2]. Elle évoque les joies paisibles de la nature et d'autres fois la Nativité (bergerie, annonce aux bergers, la crèche)[3],[2].
Des exemples courants comprennent le dernier mouvement du Concerto pour la nuit de Noël (op.6, no 8) de Corelli[4], le troisième mouvement du Concerto no 1 en mi majeur, op. 8, RV 269, « La primavera » (Le Printemps) des Quatre Saisons de Vivaldi, le mouvement Pifa du Messie de Haendel, les premiers mouvements de la Pastorale en fa majeur pour orgue (BWV 590) de Bach et la Sinfonia qui ouvre la deuxième partie de son oratorio de Noël comme introduction à l'annonce angélique aux bergers. De nombreux autres compositeurs ont utilisé cette technique dans la transition entre les époques baroque et classique, notamment française, comme Marc-Antoine Charpentier avec ses Pastorale sur la Naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ (H.482 et H.483). Mais il compose également des pastorales à caractère profane (H.479, H.484, H.485, H.486, H.492, H.493).
Toujours en France, Michel Corrette publie trois concertos spirituels en Noël pour petit ensemble, avec musette, en 1733 et les Noëls suisses vers 1734 et pour un ensemble plus large des symphonies de Delalande, intitulées Symphonies des Noëls (non datées)[2] et Gossec[5].
Plus proche de nous, se trouve une pastorale parmi les 12 pièces pour orgue op. 59 de Max Reger et une pastorale pour violon et orgue, op. 48b (second mouvement) de Sigfrid Karg-Elert.
Le titre lié à la sonate pour piano, op. 28 (1801) de Beethoven, sans doute en raison du rythme de son Finale[7], provient probablement de l'éditeur anglais de 1805 (« Sonata pastorale »)[2] et de Cranz de Hambourg en 1838.
XIXe et XXe siècles
Rossini a également inclus une section Pastorale dans son Ouverture de Guillaume Tell, qu'on retrouve placée entre la section de la tempête et la célèbre marche des soldats suisses.
Outre l'œuvre de Beethoven (1808), d'autres sont surnommées Pastorale, telles la Sinfonia Pastorale en ré majeur, op. 4 no 2 (c. 1757) de Johann Stamitz et la seconde symphonie de Brahms.
Au sein de L'Enfance du Christ (1850–1854), Berlioz réalise une pastorale archaïsante lors de l'adieu des bergers[5].
Au XXe siècle, de nombreuses œuvres portent le nom de Pastorale, avec notamment, la Symphonie no 7 « Pastorale » (1902) d'Alexandre Glazounov, la Pastorale d'été (1920) pour orchestre d'Arthur Honegger, A Pastoral Symphony (1922) de Ralph Vaughan Williams, la Symphonie no 2 « A Pastoral Symphony » (1959) d'Alan Rawsthorne et la Symphonie no 2 « Pastorale sifonietta », op. 22 (1954) du norvégien Hallvard Johnsen. En France, on trouve une Pastorale (1919, moins de 2 min) et la Pastorale inca (1929) pour piano, de Germaine Tailleferre et, avec le même titre, une œuvre (1951) pour flûte et deux violons, d'Henri Tomasi, qui laisse également Trois pastorales provençales (1965) pour deux guitares, cordes et piccolo ; Trois pastorales pour piano (1919) et un ballet (1925) de Georges Auric. André Jolivet pour sa part, écrit en 1943 une Pastorale de Noël dévolue à un petit ensemble de flûte, violon, alto, basson, violoncelle et harpe. La première symphonie de Rued Langgaard (1908–1911), est sous-titrée Pastorale des récifs, bien après sa composition, en 1946.
La pastorale se présente également comme une petite œuvre pour la scène, tirée de la littérature bucolique. Tous les artistes endossent alors des costumes de bergers ou de bergères. L'argument est une action plaisante et amusante. « La pastorale est l'un des antécédents directs de l'opéra »[9].
Berceuses et chants de Noël
La berceuse, destinée à l'enfant Jésus (ninna) est un genre apparu au début du XVIIe siècle en Italie, avec Francesco Fiamengo avec son Pastorali concerti al presepe (« Concerts pastoraux à la crèche ») (1637) et Tarquinio Merula, avec Hor ch'è tempo di dormire et Canzonetta spirituale sopra alla nanna (Curtio precipitato, 1738), chant d'une grande expressivité sur un ostinato de deux notes à un demi-ton d'intervalle et qui s'achève, l'enfant endormi, sur les deux derniers couplets d'un récitatif. On retrouve la berceuse au siècle suivant, chez Francesco Durante, Giovanni Paisiello[8] et Cimarosa jusqu'à se perdre à la fin du XIXe siècle[5].
La pastorale italienne Tu scendi dalle stelle, parfois appelée Canzone d'i zampognari (« chant des joueurs de cornemuse »), est un chant de Noël très populaire d'Alphonse de Liguori et Gesù bambino (« L'Enfant Jésus ») (1917), de Pietro Yon en est un autre.
La collection de chansons du poète et interprète suédois Carl Michael Bellman, Fredman[10], contient plusieurs pastorales, dont Liksom en Herdinna, högtids kläd (Comme une bergère, solennellement vêtue), qui commence avec une paraphrase proche du début du Guide français pour la construction de vers pastoraux de Nicolas Boileau-Despréaux[11].
Du XVe au XVIIIe siècle, la pastorale est une petite œuvre scénique, généralement en vers sur des thèmes champêtres et idyllique[3] de l'Arcadie où habite Pan, dieu des bergers et Alphée celui des fleuves[12]. Y intervenaient danses et musique, dès la Favola d'Orfeo (1480) de Poliziano[9]. Elle prend forme d'églogue et de bucoliques, dont s'emparent les poètes à la suite des œuvres de Virgile, d'Ovide et de Théocrite[3] : Aminta (1573) de Le Tasse, Arcadia (1593) de Philip Sidney et Il Pastor fido (1585) de Guarini, traduit dès 1622 en français[13], ce dernier fournissant à lui seul, le texte de plus de cinq cents madrigaux[5].
Sujet de nombreux madrigaux[14], c'est à la fin du XVIe siècle, lors de la naissance de l'opéra à Florence, que les musiciens empruntent aux mêmes poètes leur sujet pour la scène : Emilio de' Cavalieri, avec Il satiro et La disparizione du Fileno (des œuvres perdues de 1591) et La Dafne (1594–1598) de Jacopo Peri.
Le succès des opéras héroïques et historiques en Italie dès 1637 (ouverture des théâtres publics de Venise), annonce le déclin du genre dans la péninsule. Mais à la fin du siècle Alessandro Scarlatti, membre de l'Académie d'Arcadie relance une forme plus intimiste avec La Rosaura (Rome, 1690)[12], mélodrame en trois actes, ou selon la cantate dont Scarlatti est un des maîtres avec plus de six-cent numéros.
En France, la pastorale apparaît au XVIIe siècle, avec des œuvres littéraires d'Antoine de Montchrestien (La Bergerie, 1601) et la musique de Michel de La Guerre, Le Triomphe de l'Amour sur les bergers et les bergères (1654)[3],[13]. Avant les premiers « opéras-pastorales » — Pastorale d'Issy, 1659 de Cambert, première comédie française en musique[12], la Pastorale comique (1667) et Les Fêtes de l'Amour et de Bacchus (1672), premier opéra de Lully et la pastorale héroïque du même : Acis et Galatée (1686) — divers œuvres placent sur la scène les amours des bergers et des bergères ; les princes ne peuvent exprimer leurs sentiments amoureux. Ainsi dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière[13] :
« Il n'est guère naturel en dialogue que des princes ou bourgeois chantent leur passion. »
Au XVIIIe siècle, jusqu'à la Révolution[12], la pastorale reste à la mode et prend place au sein des opéras, intermède ou opéra-ballet, dans des formes aussi divergentes que chez Rameau (Zaïs, 1748), Rousseau (Le Devin du village, 1752) ou Campra (Les Muses, 1703)[15]. Citons également les moins connus Issé (1697) de Destouches, Aréthuse (1701) de Campra, Acanthe et Céphise (1751) et Daphnis et Églé (1753) de Rameau, ainsi que Daphnis et Alcimadure (1754) de Mondonville.
↑Opera sesta. Concerti Grossi Con duoi Violini e Violoncello di Concertino obligati e duoi altri Violini, Viola e Basso di Concerto Grosso ad arbitrio, che si potranno radoppiare; Dedicati all'Altezza Serenissima Elettorale di Giovanni Guglielmo Principe Palatino del Reno; Elettore e Arcimarescialle [sic] del Sacro Romano Impero; Duca di Baviera Giuliers, Cleves & Berghe; Principe di Murs ; Conte di Veldentz, Spanheim, della Marca & Ravenspurg; Signore di Ravenstein & c. & c. da Arcangelo Corelli da Fusignano.
↑Carl Michael Bellman (1740-1795), Fredmans epistlar (lire en ligne)
↑Paul Britten Austin(en), The Life and Songs of Carl Michael Bellman: Genius of the Swedish Rococo. Allhem, Malmö American-Scandinavian Foundation, New York, 1967.
« Pastorale », dans Marc Honegger, Dictionnaire de la musique : technique, formes, instruments, Éditions Bordas, coll. « Science de la Musique », , 1109 p., Tome I & II (ISBN2-04-005140-6, OCLC3033496), p. 766–767.
Peter Gammond et Denis Arnold (dir.) (trad. de l'anglais par Marie-Stella Pâris, Adaptation française par Alain Pâris), Dictionnaire encyclopédique de la musique : Université d'Oxford [« The New Oxford Companion to Music »], t. II : L à Z, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », (1re éd. 1988), 987 p. (ISBN2-221-05655-8, OCLC19339606, BNF36632390), p. 430
Herbert Schneider, « Pastorale », dans Marcelle Benoit (dir.), Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Fayard, , xvi-811 (ISBN2-213-02824-9, OCLC409538325, BNF36660742), p. 541–542.