La littérature syrienne désigne l'ensemble des pratiques et productions textuelles, orales et écrites, à toute époque, en toute langue, en tout lieu (diasporas comprises, estimées à 15 000 000 de personnes), par des Syriens de tout statut (citoyenneté, résidence, clandestinité, autre) et/ou toute personne revendiquant, au moins partiellement, son appartenance à la culture syrienne. Il s’agit d’abord de littérature contemporaine, principalement en arabe.
La démographie de la Syrie fournit des estimations d'évolution de la population : 1 000 000 (vers 1000), 1 700 000 (1900), 2 368 000 (1936), 3 000 000 (1940), 9 000 000 (1981), 18 000 000 (2004), 21 000 000 (2011). Le pays est encore et toujours multiethnique et multilingue, très majoritairement, arabe, arabophone, musulman : groupes ethniques en Syrie, langues en Syrie, langues de Syrie.
Il existe encore peu de sources accessibles sur l’édition et la diffusion des journaux, magazines et livres à cette époque.
Il est donc difficile de parler de littérature, même s’il est évident que le travail politique, au Congrès national syrien (1919-1920)(en), dans les partis, dans les rues, exige des formes d’intervention (éloquence, rhétorique, diplomatie) et d'argumentation, en performances orales et écrites.
L'indépendance de la Syrie, le départ du dernier soldat étranger en [2], puis la guerre israélo-arabe de 1948-1949, le partage de la Palestine et la création d'Israël provoquent un bouleversement de la société et de la littérature syriennes. Comme ailleurs l'exode des Juifs des pays arabes et musulmans (1942-1947), le pogrom d'Alep (1947) accentue la diaspora des Juifs de Syrie, en particulier aux États-Unis, mais aussi en France (effective au moins depuis la synagogue Beth Meir de Bastia (1934)).
Le roman syrien prend son essor[3]. Contrairement aux autres romanciers arabophones, la narration syrienne est réaliste, aborde les problèmes sociaux et les réformes nécessaires[3].
Une littérature féminine émerge également, dans un premier temps avec des femmes de lettres issue d'une élite imprégnée de la culture occidentale, qui bénéficient d'un accès à l'enseignement et à la culture, Ulfat Idilbi, Salma Al-Haffar Al-Kouzbari, puis Georgette Hannouche, Ghada al-Samman, Colette Khoury. Les premières ont animé des salons littéraires, participé à des associations et milité pour l'indépendance dans l'entre-deux-guerres, puis ont commencé à publier, entraînant des émules dans les générations suivantes[4].
Le romancier se voit comme « critique constructif de la société »[5] à l'exemple de Hanna Mineh, le plus notable[3] d'entre eux.
Syrie baasiste (1963-2011)
À la suite du coup d'État du Parti Baas en 1963, l'état d'urgence est décrété[6] et la censure est réactivée[7] : coup d'État de 1966 en Syrie. Cela oblige ceux qui continuent à s'exprimer tout en résidant sur place à utiliser de moyens détournés pour formuler d'éventuelles critiques, comme l'utilisation de romans historiques ou le réalisme magique du folklore pour critiquer le présent.
Parmi les protestations collectives : Déclaration des 99 (2000), Déclaration des 1000 (2001), Déclaration de Damas (2005), menant au Comité National de Coordination pour un Changement Démocratique(en) (2011, NCC/NCB). Les contestations nées lors du Printemps arabes, en 2011, et dont la répression mènera à la guerre civile syrienne, ont d'ailleurs pour objet au départ de demander la fin de l'état d'urgence, toujours en vigueur après une quarantaine d'années, et la liberté d'expression[8].
XXIe siècle
En 2000, la disparition de Hafez el-Assad (1930-2000) amorce une période temporaire de détente politique (surnommée le Printemps de Damas[9]). L'arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad (1965-) démarre avec une plus grande liberté d'expression et à nouveau l'organisation de salons littéraires (arabe : منتدى), avant un retour à la censure[10]. Certains écrivains vont profiter de ce moment pour pouvoir s'exprimer sur des sujets jusqu'alors tabous[11] comme :
la prison[6] par exemple Moustafa Khalifé (1948-) qui a passé 13 ans emprisonné et a écrit sur la détention un texte traduit et publié en France sous le titre La Coquille (Actes Sud, 2007),
Cependant, si une partie des intellectuels se rallie au régime perçu comme une force modernisatrice (à son installation)[6], les autres sont persécutés ou poussés à l'exil, surtout après [11] comme Aïcha Arnaout[12], Samar Yazbek, ou publient à l'étranger[6].
En 1977, Zakaria Tamer disait "dérisoire la force des mots dans un pays analphabète à 70%"[13].
En effet, malgré la multiplication des maisons d'édition - 379 éditeurs répertoriés par le ministère de l'économie en 2004, même si Farouk Mardam-Bey estime ce chiffre "trompeur"[6] et avec une très faible proportion d'éditrices[14] - le lectorat syrien est très faible, outre le taux d'analphabétisme plusieurs raisons peuvent l'expliquer[13] :
la télévision comme loisir privilégié ;
la rareté des bibliothèques ;
le prix du livre ;
le manque de professionnels dans le secteur du livre, obligeant les éditeurs à couvrir la totalité des étapes, ce qui réduit la marge de profit[15] ;
la censure et l'obligation d'une relecture (pouvant prendre 2 à 8 mois) de chaque manuscrit avant l'autorisation de l'impression ainsi que l'interdiction à la vente de nombreux ouvrages[15],[16].
Enfin le droit d'auteur n'est pas respecté, rendant difficile la professionnalisation des écrivains, voulant vivre de leurs écrits[13].
Depuis 2011 et la guerre : révolution, guerre, exil
La période de la révolution et la guerre civile syrienne (2011-), des exactions de l’organisation État islamique (2014-2019, Daech) et des réfugiés de la guerre civile syrienne (notamment lors de la crise migratoire en Europe de 2015) est notamment propice à une littérature engagée, de propagande ou de témoignage. Des situations particulières, telle celle des Yézidis ou des populations assiégées par exemple, relève de ce travail de documentation et d'information, qui peut être plus efficacement mené par le reportage, photographique ou vidéographique.
Des actions sont également menées pour garder trace des créations artistiques et littéraires pendant cette période, comme le site collectif Creative Memory[21], qui recense les différentes formes d'art qui voient le jour pendant la période révolutionnaire, ou l'Association des écrivains syriens, créée début et basée à Londres[22]. Pour l'historien et éditeur Farouk Mardam-Bey, « Le soulèvement a réintroduit la politique en Syrie, et les écrivains y contribuent. Aujourd’hui, et c’est nouveau, les Syriens parlent, jusqu’à la cacophonie ; de leurs problèmes, de leurs histoires, de ce qu’ils ont caché pendant très longtemps, qu’ils n’osaient pas dire. »[23].
Depuis 2013, les régions nord et nord-est du pays à majorité kurdes acquièrent une administration autonome de Damas, ce qui permet l'apparition de projets de publication en langue kurde, malgré une interdiction en usage depuis les années 1960[24].
Thèmes spécifiques
La prison
La littérature carcérale syrienne, introduite notamment par Moustafa Khalifé, Aram Karabet[25] et Yassin al-Haj Saleh, (prisonniers politiques durant plusieurs années), a été étudiée par ce dernier dans ses Récits d’une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons, publié en France par Les Prairies ordinaires, en 2015[23],[26].
En 2016, Rosa Yassin Hassan dans un article publié dans Libération fait de la littérature carcérale une « expérience nationaliste », une vision de l'histoire par les marginaux remettant en cause la réalité de la version officielle[27]. De nombreux témoignages sur les conditions de détention en Syrie, mais également des récits littéraires, des illustrations et poésies d'anciens détenus d'opinion, hommes et femmes, figurent dans des ouvrages littéraires, en lien avec la littérature carcérale syrienne[28],[29].
La littérature reconnue est surtout (latine ou) grecque. Les ouvrages (en grec) de Flavius Josèphe, l’historiographeromainjuif d'origine judéenne du Ier siècle, fournissent un éclairage nécessaire sur la période en proche Judée romaine.
Les Ghassanides (220-638), arabes chrétiens, dirigent un état vassal de l’Empire romain, tout comme les Lakhmides (300-602) plus au Sud.
Après la division de l'Empire romain, la Syrie est rattachée à l'Empire romain d'orient en 395. L’Empire byzantin (330-1453), c’est aussi l’art byzantin, la littérature byzantine.
L’Empire ottoman (1299-1922) est en expansion et aux portes de la Syrie, qui est conquise par le sultan ottoman Sélim Ier en 1516. L’époque moderne (XVIe siècle-XIXe siècle) est ottomane.
Des trois premiers siècles assez agités de la Syrie sous l'Empire ottoman, il reste trop peu d’informations pour inférer une littérature syrienne particulière, autre que dynastique ou religieuse. On évoque surtout une sérieuse censure.
XIXe siècle : Nahda
La littérature arabe moderne commence, (après la Campagne d'Égypte de Napoléon en 1798-1801), avec la nahda ( éveil, essor, envol, renaissance), liée à la décomposition politique de l’Empire ottoman, au moment de réinvention identitaire du monde arabe qui l’accompagne, au pouvoir en Égypte de Méhémet Ali (1805-1848), à l'ère des réformes (tanzimat (1839-1878)) dans l'Empire ottoman, au mouvement réformiste musulman, et à un renouveau durable de la langue et de la culture arabes.
Tout au long du XIXe siècle, l'ottomanisme, nationalisme ottoman pluriethnique, multiculturel, multiconfessionnel avec prééminence musulmane, reste majoritaire dans le monde arabe. Le nationalisme arabe semble plus tardif.