Le Carnaval de Paris est caractérisé entre autres par des personnages typiques identifiés par leur costume particulier et variant au cours des siècles.
XVIIe siècle
La liste des personnages en vogue au XVIIe siècle est ainsi donnée par le poète Jean Loret dans La Muze historique en 1655[2] :
On trouve dans cette liste 5 métiers (bergère, clerc, harangère, paysanne, sergent), 3 êtres mythologiques (amazone, farfadet, Gorgone) , 3 types nationaux (Albanais, Chinois[3], Margajat[4]), 2 figures de théâtre (Scaramouche, Jean-doucet[5]), 2 caractères (la sainte-nitouche, la vieille), un animal (le baudet) et un personnage dont la nature reste à préciser : Scarabambombillardos.
À celle-ci s'ajoute le paralytique – formé d'un personnage portant ou porté par un deuxième qui est en fait un mannequin, – grand classique parisien jusqu'au XIXe siècle. Il figure notamment sur une gouache du XVIIe siècle[6], dans un tableau en 1757[7] et dans la liste de 39 personnages typiques du XIXe siècle publiée vers 1830 et décrite plus bas.
XVIIIe siècle
Outre les personnages ci-dessus toujours en vogue, apparaît le chie-en-lit. Il s'agit d'un individu vêtu d'une chemise de nuit au postérieur barbouillé de moutarde. Ce personnage était fameux au point d'être devenu synonyme de personnage costumé au Carnaval : « Le Carnaval et ses chienlits ».
Dans le cortège du Bœuf Gras, certains personnages apparaissent et reviennent régulièrement chaque année durant une période assez longue. Ainsi, deux sacrificateurs habillés de peaux de bêtes et armés de massues conduisent le bœuf. Le Temps avec sa faux suit, conduisant un char et rappelant qu'il faut s'amuser et profiter de la vie sans plus attendre. Les Dieux de l'Olympe vont aussi apparaître régulièrement dans la suite du bœuf. Au nombre de ceux-ci, un petit enfant costumé en amour et héritier de l'enfant costumé qui apparaît dans la première description connue du Bœuf Gras en 1739[8] : « Le jeune Roy de la Fête, qui étoit monté sur le Bœuf gras, avoit un grand Ruban bleu, passé en Echarpe, et tenoit d'une main un Sceptre doré & de l'autre son épée nuë. »
Le Bœuf Gras est également décoré et couronné de fleurs, par exemple, formant par lui-même une sorte de personnage typique animal du Carnaval de Paris.
XIXe siècle
Liste de 39 personnages typiques
Dans cette liste publiée vers 1830[10] se trouve la célèbre girafe offerte à Charles X par Méhémet Ali et arrivée le dans la capitale. Elle est restée durant trois ans une des plus fameuses attractions de la ville. Cette figure animale du Carnaval parisien participe de la mode qui vit créer à l'époque quantité d'illustrations et objets au décor dit « à la girafe ». On trouve aussi ici les figures très populaires de Robert Macaire et son associé Bertrand, lancées par la pièce L'Auberge des Adrets lors de sa reprise en 1832. Cependant cette liste en images n'est pas exhaustive. Par exemple n'y figurent pas le très fameux débardeur, l'homme travesti en femme, ou le paillasse « costume très éminemment à la mode du jour »[11].
Au nombre de ces personnages :
12 sont associés par deux : Don Quichotte et Sancho Pança, la girafe et son cornac, Robert Macaire et Bertrand, les deux Martins (le montreur d'ours et son ours), les deux Mayeux, le timbalier chinois (deux personnages associés). Le couple cornac-girafe comprend trois personnes effectivement présentes, la girafe est animée par deux personnes dissimulées sous son déguisement.
5 sont musicaux : le gracioso, qui brandit un tambour de basque, le timbalier chinois (deux personnages associés, dont l'un porte, sur son dos, une timbale sur laquelle l'autre frappe avec deux baguettes), l'harmonica chinois (qui joue d'une sorte de cymbalum), un des deux Mayeux (qui souffle dans un cornet à bouquin).
2 sont montées sur un âne : le personnage avec une canne à pêche et Sancho Pança.
2 chevauchent des montures imaginaires : le Père Sournois (un dindon gigantesque)[12], le Postillon de Mme Ablou (un cheval sans jambes, monté sur une roue de voiture)[13] ;
Seul est armé un des deux Mayeux, qui brandit deux sabres.
Monsieur Clistorel, apothicaire avec perruque poudrée et portant un énorme clystère[15] ;
Le gracioso ;
Le paralytique : grand classique parisien formé d'un personnage portant ou porté par un deuxième qui est en fait un mannequin. La Pyramide s'en est inspirée (formée de deux Chinois dont l'un est un mannequin) ;
Un personnage avec une canne à pêche et au bout une friandise ou un jouet pour les enfants, juché sur un âne.
Les deux Mayeux : deux personnages toujours associés, avec de très grands chapeaux, dont un bicorne. Un des deux souffle dans un cornet à bouquin et porte un poulet prêt à cuire à la ceinture, l'autre est masqué, bossu et brandit deux sabres[16].
Les types régionaux ou nationaux
Chine :
La Chinoise ;
l'harmonica chinois ;
le timbalier chinois : deux personnages associés, dont l'un porte, sur son dos, une timbale, sur lequel l'autre frappe avec deux baguettes) ;
la pyramide : Cette dernière est conçue sur le même modèle que le paralytique et associe une personne costumée avec un mannequin censé la porter.
L'Amour, le Temps, Dieux, Déesses et Sacrificateurs
La Promenade du Bœuf Gras au Carnaval de Paris compte des personnages revenant un certain nombre d'années de suite : un petit garçon déguisé en Amour[18], les dieux et déesses de l'Olympe, dans un char conduit par le Temps avec sa barbe blanche et sa faux, cocher choisi pour rappeler le vieil adage Carpe diem.
Le Bœuf Gras est conduit par deux Sacrificateurs, la tête ornée de plumes et armés de massues. Ceux-ci, en carton, sont encore présents sur un char au cortège de la Mi-Carême 1914, auprès d'un Bœuf Gras également en carton[19].
Le débardeur et la débardeuse
Jusqu'au XIXe siècle inclus, en dehors de la période du Carnaval une femme à Paris n'a pas le droit de s'habiller en homme. Pour pouvoir porter un pantalon en dehors de cette période elle doit bénéficier d'une autorisation d'un commissaire de police, délivrée sur la foi d'une ordonnance médicale attestant qu'elle en a besoin pour raisons médicales.
Durant très longtemps les formes féminines sont très largement dissimulées par les vêtements. Ainsi les fesses, cuisses, jambes et mollets sont en temps normal complètement cachés par la robe et trois épaisseurs de jupons. Seule la cheville apparaît parfois au regard et est considérée comme érotique.
Un débardeur ou une débardeuse est une femme ou jeune fille vêtue d'un débardeur ou pantalon, de préférence particulièrement moulant. Ce personnage est ressenti comme très érotique.
Une
« aquarelle d'Eugène Lami »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) montre une scène de Carnaval[22] et confronte à gauche une femme et sa fille en tenue courante avec à droite une débardeuse montée à l'arrière d'une calèche. Une autre débardeuse est à cheval, de trois quarts dos et porte des vêtements masculins extrêmement moulants. Cette peinture permet de mesurer la distance astronomique séparant le vêtement féminin ordinaire de la tenue de débardeur.
Le débardeur c'est aussi une attitude et un comportement de la femme ou jeune fille ainsi costumée. Qu'ils soient réels ou attribués, on peut voir à ce propos les caricatures de Cham.
Le dessinateur Paul Gavarni s'est fait une spécialité de la représentation des débardeurs. On peut en voir un sculpté en bas-relief sur le socle du monument élevé à sa mémoire place Saint-Georges à Paris.
Les débardeuses n'étaient pas que parisiennes et propres au seul XIXe siècle. Julien Gracq en parle dans La forme d'une ville, où on les voit apparaître dans le cadre du Carnaval de Nantes en 1923 : « Ces silhouettes insolentes, puissamment vulgaires, de débardeuses du plaisir, qui pour un jour envahissaient les rues et se substituaient presque entièrement au peuple gris et noir des femmes encore long-vêtues des premières années vingt, sont restées pour moi le premier appel sexuel vraiment troublant, un appel auquel je ne savais donner encore aucun nom. »
« Un torrent de pierrots et de débardeuses tournent autour d'un ilôt de masques stagnant au milieu de la salle, ébranlant le plancher comme une charge de cavalerie. Gare à ceux qui tombent. ... Comme nous rentrions chez nous, nous vîmes descendre d'un estaminet une bande de quarante pierrots tous costumés de même, qui se rendaient au bal de l'Opéra, précédés d'une bannière où étaient écrits ces mots : Que la vie est amère! »
Il ne faut pas confondre ce débardeur avec un autre débardeur, célèbre maillot sans manches, plus tard baptisé familièrement en France « marcel », dont l'invention est attribuée aux Forts des Halles de Paris au milieu du XIXe siècle.
« Comme nous rentrions chez nous, nous vîmes descendre d'un estaminet une bande de quarante pierrots tous costumés de même, qui se rendaient au bal de l'Opéra, précédés d'une bannière où étaient écrits ces mots : Que la vie est amère ! »
Dans le cortège de la Mi-Carême 1909, le char de l'Aéro-Gîte défile précédé d'une troupe de Pierrots.
À la Mi-Carême 1910, le char de Sa Majesté Carnaval venant visiter les Parisiens en aéroplane est précédé par un ensemble de bigophones costumé en Pierrot.
À la Mi-Carême en 1926 et 1927, l'ensemble bigophoniquebelge de 126 musiciens du Soutien de Saint-Gilles défile costumé en Pierrots. On peut voir sur Internet 1 minute 46 d'actualités cinématographiques de la British Pathé à propos de la Mi-Carême parisienne 1926, avec notamment un plan d'ensemble de la troupe du Soutien de Saint-Gilles défilant dans le cortège de la fête[26].
Une partie de la troupe de Pierrots et Colombines de Willette en 1896[25].
« Une charge très-commune et très-goûtée des boulevards de Paris représente un couple misérable, avec chapeaux défoncés, robes et pantalons en lambeaux, regards de mendiant, figures barbouillées de suie. Cette charge de la misère obtient chaque année le plus grand succès à Paris : les gamins, les curieux, suivent par colonnes serrées les misérables époux en les raillant et en les outrageant jusqu'à satiété. »
La Reine des blanchisseuses
Élue pour la Mi-Carême, la reine de toutes les blanchisseuses est un personnage typique de prestige[29].
Un journal parisien, Le Rappel, dresse dans les années 1870[30] le portrait de Jeanne Sauterie, reine des blanchisseuses de 1830 à 1847 :
« Jeanne Sauterie, qui était admirablement jolie, était en 1830 âgée de dix-huit ans. Malgré les propositions de toutes sortes que lui firent ses admirateurs, elle resta sage et se maria.
Tous les ans, quand venait la fête des blanchisseuses, Jeanne Sauterie trônait en haut du char classique, vêtue en Diane chasseresse. Comme elle était extrêmement économe, le même costume lui a servi pendant ses dix-sept ans de royauté ! »
Blanchisseuses et garçons de lavoir
Autres personnages typiques, la blanchisseuse et le garçon de lavoir, qui, pour la fête des Blanchisseuses, ont « emprunté » les plus beaux vêtements de leurs clients. Un poème en témoigne, en 1882[31] :
« C'est la fête des Blanchisseuses On va contempler les bras nus D'un tas de petites noceuses Figurant Minerve ou Vénus.
Sur les chars où toute la clique Dès le matin se cramponna, Nous entendrons cette musique Qui fait rêver à Namouna[32],
Les dames plus ou moins bien mises, Les messieurs plus ou moins exquis, Auront emprunté les chemises Des duchesses et des marquis. »
La Reine des reines
Avec l'apparition de la Reine des Reines en 1891 est créé un personnage typique officialisé, de prestige, portant un vêtement somptueux. Un journal parisien rapporte un incident survenu à son propos en 1914[33] :
Le manteau de la reine des reines
« La reine des reines reçoit, le jour de son sacre populaire, un manteau, emblème de sa royauté. Nous supposions que ce manteau devenait la propriété de la souveraine d'un jour. Une reine qui eut l'honneur de le porter le supposait aussi quand, judiciairement, on le lui réclama. Ce manteau ne pouvait lui appartenir qu'une année après son accession au trône éphémère et si, durant le cours de cette année, elle restait fille[34].
Clause singulière, sinon immorale, du moins contraire à l'ordre public. L'élue de la Mi-Carême, devenue épouse, a plaidé : elle a eu gain de cause. La justice lui a donné le droit de jeter sur sa robe d'épousée l'azur de son manteau de reine.
Les lois de la galanterie eussent suffi à trancher ce petit différent : mais les membres du comité des fêtes[35], trop pressés de recourir à la procédure, les avaient fâcheusement oubliées. »
↑ a et bFigure de théâtre, valet de Scaramouche et personnage de franc nigaud. Voir à ce propos : François et Claude Parfaict, Histoire de l'ancien théâtre italien, depuis son origine en France jusqu'à sa suppression en l'année 1697, Paris, 1767, pp. 37-38.
↑Certains de ses détails, dont le paralytique, ont été gravés en 1852 pour Le Magasin pittoresque, p. 140.
↑Étienne Jeaurat, Le Carnaval des rues de Paris, huile sur toile exposée au 1er étage du musée Carnavalet à Paris, salle 41 dite « salle Liesville ».
↑Mercure de France, février 1739, pages 387 à 390.
↑Détail d'une gravure du XIXe siècle figurant le cortège de la descente de la Courtille.
↑Il s'agit d'une gravure intitulée « Le Carnaval de Paris ».
↑Citation extraite du compte-rendu du procès des Badouillards, paru dans la Gazette des Tribunaux, numéro 2343, 17 février 1833.
↑ a et bAllusion à une farce jouée à Paris en 1820, dans un théâtre de boulevard, parodie de l'opéra des Danaïdes, où l'on voit Danaüs en père Sournois, se débattant dans les enfers, contre un dindon. [1] Ce personnage typique du Carnaval de Paris existe donc au Carnaval de Paris depuis déjà plus de dix ans.
↑Ils font référence à Mayeux, personnage comique célèbre dans les années 1830 à Paris. Inventé en 1832 par le caricaturiste Traviès et inspiré d'un certain Léclaire, il s'agit d'un bossu qui incarne tous les défauts de la bourgeoisie sous Louis-Philippe.
↑Détail d'une gravure de Porret extraite de l'ouvrage anonyme Le Carnaval et marche burlesque du bœuf gras avec 24 dessins de MM. Seigneurgens et Achile Giroux, Gravés par Porret, Texte par un Professeur de philosophie de l'Académie d'Yvetot. Sans mention d'éditeur si ce n'est : Paris, chez tous les marchands de nouveautés.
↑L'Amour initialement placé sur le dos du bœuf sera reporté dans un char à sa suite, après une chute où il se blessa légèrement.
↑La photo du char a paru dans le magazine Excelsior.
↑Scène de carnaval : dans une calèche divers personnages costumés, conservé au département des Arts Graphiques du Musée du Louvre, RF 31 864, Recto Petit format.
↑Théophile Gautier, extrait du journal La Presse, 29 décembre 1845.
↑ a et bLa Mi-Carême à Paris, La Vache enragée, Le Petit Journal, 13 mars 1896, page 1, 5e colonne. Pierrot et Colombine étaient deux des sujets de prédilection dessinés par l'artiste montmartrois Adolphe Willette.
↑Photo extraite de l'article La Mi-Carême, Le Petit Parisien, 12 mars 1926, page 1.
↑Benjamin Gastineau, Le Carnaval ancien et moderne, Poulet-Malassis éditeur, Paris, 1862, p. 92.
↑Il n'est pas possible de préciser s'il s'agit de la reine des blanchisseuses de Paris seulement ou de Paris et d'autres villes proches aussi. Les blanchisseuses de Boulogne en 1843, ou d'Arcueil en 1887, montent à Paris, au moment de la Mi-Carême. Elles ont très bien pu élire une reine en commun avec les blanchisseuses parisiennes.
↑La date précise de l'article, conservé les Collections historiques de la préfecture de Police, est difficile à déchiffrer car reportée à la main : c'est le 23 novembre 1875, 1871 ou 1870.
↑Escopette (pseud.), « La Mi-Carême » dans Clairon, 16 mars 1882.
↑Allusion à l'époque d'actualité. Le ballet Namouna d'Édouard Lalo a été créé à l'Opéra de Paris le 6 mars 1882, dix jours avant la parution de ce poème.
↑La Presse, vendredi 25 février 1927, page 1. L'article illustré avec ce dessin montrant des masques en vente pour mardi gras précise que pour des raisons d'actualités le Chinois a été rebaptisé « guerres de Chine ».
↑Étant sortis de Paris pour aller au faubourg Saint-Antoine lieu de prédilection pour la promenade de masques au Carnaval de Paris.
↑À l'époque était appelée ainsi la partie de la rue Saint-Antoine qui se trouve à la hauteur de l'église Saint-Paul. Elle était prodigieusement large pour le Paris de l'époque.
↑Trois Jours gras : les dimanche, lundi et mardi gras.
↑Jour de la rédaction de cette lettre, le samedi 13 février 1655.
Sources
Jean Loret, La Muze Historique, Paris, 1650-1665, 3 vol. in-fol.
Le Carnaval de Paris : planche gravée vers 1830, consultable notamment au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France, côte : M 29-330 Pd202.
Benjamin Gastineau, Le Carnaval ancien et moderne, Poulet-Malassis, Libraire-Éditeur, Paris, 1862 - Réédition de l'ouvrage sous le titre Histoire de la folie humaine : Le Carnaval ancien et moderne, Havard, Paris, 1855.