L’opération Frankton est conçue pour répondre aux désirs de Lord Selborne, ministre de la Guerre économique du gouvernement de Winston Churchill, qui demande, en mai 1942, qu’on prenne des mesures pour attaquer les navires de l’Axe, basés dans le port de Bordeaux, dont on sait qu’ils forcent le blocus entre la France et l’Extrême-Orient. Ces convois transportent des armes à destination du Japon et reviennent d’Extrême-Orient avec du caoutchouc.
Cette opération audacieuse par sa conception, par le soin de sa préparation et le courage de son exécution, fut l'un des premiers raids des forces alliées en territoire occupé. Lord Mountbatten, vice-amiral et chef des opérations combinées, le considéra comme « le plus courageux et imaginatif de tous les raids jamais menés par les hommes des opérations combinées »[réf. nécessaire].
Plan
Le plan consiste, en bref, à ce qu'un officier et onze autres hommes des Royal Marines remontent la Gironde dans de petits canots, ne circulant que pendant la nuit, et placent des mines limpets (explosifs aimantés) sous la ligne de flottaison des navires qu’ils trouveront dans le port de Bordeaux. Les canots seront amenés jusqu'à quelque neuf milles (16 km) de l’embouchure de la Gironde dans un sous-marin effectuant son service normal de patrouille et n’auront pas besoin d’être spécialement conçus.
Mission
Dans la soirée du , le sous-marin britannique HMS Tuna met cinq kayaks à l'eau (Catfish, Coalfish, Crayfish, Cuttlefish et Conger) avec ses dix hommes d'équipage au large de Montalivet-Soulac (département de la Gironde)[1]. Un sixième kayak (Cachalot) ayant été déchiré lors de la mise à l’eau, l'équipage (William Ellery et Eric Fisher) rentre en Angleterre à bord du sous-marin. Les membres du commando devaient remonter l'estuaire en se cachant le jour, poser des mines sur les navires qu'ils trouveraient et abandonner leurs canots arrivés à Bordeaux. Un des cinq kayaks (Conger) disparaît en passant les remous de l'embouchure. Le Cuttlefish est perdu de vue. Le sergent Wallace et le marine Ewart, du Coalfish, sont capturés à l'aube près du phare de la pointe de Grave où ils étaient parvenus.
À la fin de la deuxième nuit (8-9 décembre), le Catfish et le Crayfish, poursuivant leur raid, sont portés par la marée près du Verdon et obligés de se glisser entre le môle et quatre navires ennemis à l'ancre. Les deux kayaks ne peuvent naviguer que de nuit et avec une marée favorable. Il leur faut passer la journée cachés dans les broussailles de la berge. La nuit du , vers 21 h, les deux kayaks entrent dans le port de Bordeaux et se préparent à exécuter la dernière phase de leur mission. Le Catfish se dirige vers les quais de la rive gauche du port et réussit à fixer des mines magnétiques sur trois grands navires amarrés. Le Crayfish reste sur Bassens en rive droite et pose ses mines sur deux navires amarrés dans le môle. La mission accomplie, les quatre hommes ont seulement quelques heures pour s'enfuir. Les explosions commencent six heures plus tard, le à partir de 7 heures du matin.
Le repli
Les quatre hommes descendent la Gironde jusqu'à Saint-Genès-de-Blaye en profitant de la marée descendante et du courant, coulent leurs embarcations et s'enfoncent dans les terres pour entreprendre un voyage de 160 km en zone occupée à pied jusqu'à Ruffec (Charente). Pour plus de sécurité les deux équipes se séparent. Le , l'un des deux groupes (Laver et Mills) est repéré et dénoncé, près de Montlieu-la-Garde. Laver et Mills sont arrêtés et, malgré leur uniforme de l'armée britannique, sont considérés comme des terroristes (et non des militaires). Ils sont fusillés en à Paris.
Les mines ont explosé, quatre cargos, le Tannenfels, le Dresden, l'Alabama et le Portland, sont très sévèrement endommagés. Un Sperrbrecher et le pétrolier Cap Hadid sont également touchés. Les pompiers français du port, sous l’autorité de l’ingénieur Raymond Brard, alias colonel Raymond, du Réseau Triangle-Phidias, sont immédiatement appelés, et selon un rapport français, ils ont contribué délibérément à aggraver les dommages en inondant les navires avec leurs lances afin de les faire chavirer.
État des navires
Le cargo Tannenfels donne fortement de la bande et ne tarde pas à sombrer. L’arrière du cargo Dresden, dont le blindage et l’arbre porte-hélice ont été transpercés, coule par le fond. Le cargo Alabama est troué par les cinq limpets collés. Le cargo Portland est sérieusement endommagé, le feu causant beaucoup de dégâts. Ultérieurement, le Tannenfels, l'Alabama et le Portland seront renfloués avec l’aide de plongeurs, remontés et mis en cale sèche pour subir d’importantes réparations. On ne sait pas avec précision ce qui arriva au Sperrbrecher et au pétrolierCap Hadid.
Le sergent Wallace et le marine Ewart sont capturés le à la pointe de Grave et fusillés sur ordre de l'amiral Julius Bachmann dans la nuit du 11 au après de longs interrogatoires, sans avoir parlé. Leur exécution a eu lieu à Blanquefort (Gironde), à proximité du château de Dehez servant aujourd'hui de lieu de commémoration. Le lieu de l'exécution est à situer dans l'enceinte du lycée jouxtant le domaine Dehez mais n'a rien à voir avec ce dernier alors occupé par un détachement italien. Le bunker servant de commémoration de nos jours est un dépôt de munitions italien.
Kayak Crayfish (Écrevisse) :
caporal Albert Frédéric Laver, soldat de métier qui avait servi sur le Rodney l’année précédente contre le Bismarck, torturé et fusillé en mars 1943 à Paris ;
marine W.N. Mills, 21 ans, originaire de Kettering, employé dans un magasin d’articles de sport, servit dans la défense civile avant de s’engager dans les Royal Marines. Torturé et fusillé en à Paris.
Le repli de Laver et Mills s'est achevé près de Montlieu-la-Garde où ils sont dénoncés, arrêtés par la gendarmerie qui les remet aux autorités d'occupation. Enfermés à Bordeaux avec Mackinnon et Conway, puis transférés à Paris au début de janvier, tous les quatre sont torturés et exécutés le . Gardés en vie pendant trois mois, sans doute parce que les services de renseignement allemands cherchaient à savoir par qui ils avaient été aidés durant leur repli, le caporal Laver, le marine Mills, le lieutenant Mackinnon et le marine Conway sont morts sans avoir parlé.
Kayak Cuttlefish (Seiche) :
lieutenant John MacKinnon (commandant en second) ;
marine James Conway, 20 ans, originaire de Stockport dans le Cheshire, livreur de lait.
Le lieutenant Mackinnon et le marine Conway, ayant poursuivi seuls leur route sur la Gironde, atteignent l'île Cazeau puis le bec d'Ambès où leur embarcation coule, après avoir éperonné un obstacle sous-marin. Ils se replient à travers l'Entre-deux-Mers jusqu'à Cessac où un couple de Français, M. et Mme Jaubert, les héberge trois jours à la métairie de Seguin. Après avoir quitté leurs hôtes, ils cherchent à gagner l'Espagne. Capturés par la gendarmerie française près de La Réole, le , ils sont remis aux autorités allemandes qui les emmènent à Bordeaux où ils retrouvent Laver et Mills, puis transférés à Paris au début de janvier. Tous les quatre sont exécutés le .
Kayak Conger (Congre) : Le kayak chavire en traversant la barre au large de Soulac.
caporal George Sheard, disparu dans la nuit du 7 au . Son corps n'a jamais été retrouvé.
Des plaques commémoratives ont été posées en Entre-deux-Mers à Baigneaux, à Royan (fort du Chay) et à Cessac. Celle de Cessac ayant a été vandalisée, la municipalité propose en 2011 de poser une seconde plaque contre le mur de la mairie, au nouvel emplacement des commémorations. Un monument est également présent sur l'agglomération de Montalivet-les-Bains, face à la mer.
Le , afin de célébrer la certification du 1000e nageur de combat, une reconstitution historique a été réalisée par huit élèves nageurs. Aidés par le Mutin, cotre de la Marine nationale française servant de bateau-école, renouant pour l’occasion avec son passé au service du Special Operations Executive (SOE) durant la Seconde Guerre mondiale, les nageurs de combat ont été largués au point historique, au large de Montalivet. 140 km plus loin, les élèves nageurs de combat abandonnaient leurs kayaks à proximité du pont d'Aquitaine pour conduire une plongée offensive dans les eaux turbulentes de la Garonne. L'opération s’est achevée avec la participation des élèves du cours aux cérémonies commémoratives de l'armistice, où étaient mêlés bérets verts et rouges des élèves et instructeurs. L'opération a été présentée à Alain Juppé, maire de Bordeaux en présence de Bob Maloubier, père fondateur des nageurs de combat français[3].
Une station de tramway de la ligne C du réseau TBM, située sur la commune de Blanquefort, est dénommée Frankton.
Lorsque Pierre Cessac demande à François Boisnier de rechercher le film de 1956 Cockelshell Heroes, puis de créer une association, les bases de ce qui allait devenir Frankton Souvenir étaient posées. En 2000, François Boisnier, ancien officier du 11e choc en Algérie, fonde cette association. Il propose à l'association Bagheera de le soutenir dans cette entreprise. Lui-même et son ami Raymond Muelle, ancien parachutiste des Chocs et de la Légion étrangère, coécrivent en 2003 le livre Commandos de l'impossible.
L’objet de l’association Frankton Souvenir est de commémorer cette opération chaque année et de faire vivre la mémoire de ces soldats à travers des cérémonies, des raids réalisés par différentes forces armées et organismes caritatifs. Un chemin de mémoire est matérialisé par 23 plaques commémoratives bilingues présentant l’opération Frankton et les chemins d’évasion des équipes ayant participé au raid de 1942 sur plusieurs communes de la région Nouvelle Aquitaine[4].
En 2009, François Boisnier laisse la présidence à Érick Poineau, qui met en place deux mémoriaux à la mémoire des hommes du HMS Tuna. Le premier, financé par des Britanniques, est situé à la Pointe de Grave au Verdon-sur-Mer. Le deuxième, financé par des Français, se trouve à Montalivet.
Pour les 20 ans de son existence, l’association Frankton Souvenir a autoédité un livre intitulé Franco-British Bond, 1999-2019[5],[6].
(en) C.E. Lucas Phillips, Cockleshell Heroes, William Heinemann Ltd., 1956 ; réédition 2000 (ISBN0 330 48069 3) ; traduction française : Opération Coque de Noix, 1956 ; paru en livre de poche, éditions J'ai lu, 1967 no A175.
(en) William Sparks, et Michael Munn, The Last of the Cockleshell Heroes, Leo Cooper Ltd, 1992 (ISBN978-0850522976).
François Boisnier et Raymond Muelle, Le Commando de l'impossible , Éditions du Layeur, 2003 (ISBN978-2915118001).
(en) William Sparks, Cockleshell Commando: The Memoirs of Bill Sparks DSM, Pen & Sword Military, 2009 (ISBN978-1844158942).
(en) Ken Ford, The Cockshell Raid: Bordeaux 1942, Osprey Publishing, 2010 (ISBN978-1846036934).
(en) Quentin Rees, Cockleshell Heroes: The Final Witness, Amberley Publishing, 2010 (ISBN978-1848688612).
(en) Paddy Ashdown, A Brilliant Little Operation: The Cockleshell Heroes and the Most Courageous Raid of World War II, Aurum Press Ltd., 2012 (ISBN978-1845137014).
Robert Lyman, Opération suicide, Ixelles Éditions, 2012 (ISBN978-2875151445).
Hugues Demeude, « Opération Frankton : à cœur vaillant, rien d'impossible », Historia, no 866, , p. 62-63.
David Devigne, MSM et Érick Poineau, Franco-British Bond, 1999-2019, Frankton Souvenir, Éditions Auto-édition 2020 (ISBN978-2-9575147-0-0).