Madeleine Pauliac est une pédiatre et résistante française, née le 17 septembre 1912 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 13 février 1946 à Sochaczew, près de Varsovie, en service commandé lors d'un accident automobile. Médecin chef de la Mission française de rapatriement en 1945, elle participe, huit mois durant dans une Pologne ravagée et périlleuse, au sauvetage des Français blessés retenus sur le territoire envahi par l'armée soviétique lors de l'offensive Vistule-Oder.
Biographie
Jeunesse
Madeleine Jeanne Marie Pauliac est la petite fille d'Octave Pauliac, fondateur de l'une des trois principales conserveries de Villeneuve-sur-Lot et maire intérimaire durant la Grande guerre[1]. L'usine de la conserverie Pauliac, construite en 1905 par l'architecte Gaston Rapin[2], employait alors une centaine d'ouvriers.
Une décision du tribunal confie la garde des filles à leur grand-mère paternelle pour la durée des vacances. À Villeneuve, dans une maison de maître[3] située 15 rue d'Agen[3], les adolescentes sont encouragées par leur grand-mère, dirigeante de la conserverie, à étudier, à faire du sport, devenir des femmes indépendantes et libres.
Les deux sœurs passent leur baccalauréat et sont envoyées par leur grand mère paternelle étudier à Paris. Là, à la rentrée 1929, avec une année d'avance, Madeleine Pauliac entreprend des études de médecine. Externe en 1932, elle termine son internat et soutient sa thèse auprès du professeur Pierre Nobécourt[4]. Elle est reçue docteur en 1939[5], une des trois cent cinquante femmes médecins françaises.
Engagement dans la Résistance française durant l'occupation
Elle trouve toutefois le temps de conduire des études sur ses jeunes patients[7]. Bien qu'elle soit assistant hospitalier universitaire, ce n'est que sous la houlette masculine de son chef de clinique[8] qu'elle est autorisée à les présenter en conférence. Ces travaux permettent de mesurer l'efficacité du traitement antidiphtérique[9]. Ils contribuent à l'évaluation du protocole de vaccination[10], qui, en France, n'est pas encore généralisée, et par là ouvre la voie à cette généralisation.
C'est à ce titre que le général de Gaulle en personne la convoque pour lui confier une mission sanitaire dans le cadre du rapatriement des cinq cent mille ressortissants français qui se trouvent dans la zone conquise par l'Armée rouge. Beaucoup appartiennent au STO. C'est un problème auquel travaille depuis deux ans Francis Huré, représentant du CFLN à Moscou. Il s'agit de ne pas laisser se transformer en otages ces prisonniers et déportés désormais aux mains des Soviétiques sinon abandonnés à eux-mêmes. Le Ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, alias PDR, d'Henri Frenay, dont le secrétaire général est François Mitterrand, a bien des missions à Berlin et Prague et même à Moscou mais la situation sur le front de l'Est même est différente[11]. Il n'y a pas de service de santé opérationnel[11].
Mission française de rapatriement (printemps 1945)
Le , Madeleine Pauliac est envoyée par le général Juin auprès du général Catroux, ambassadeur de France en URSS. Celui-ci l'accueille à Moscou le . Le [13], elle se voit confier le poste de médecin-chef d'un hôpital français ouvert en cette occasion à Varsovie, 6 rue de Kryniczna (52° 13′ 45″ N, 21° 03′ 12″ E)[14], dans un bâtiment désaffecté de la Croix-Rouge polonaise. Ce dispensaire prend la suite d'un service assuré jusqu'alors de façon très précaire, quasiment sans moyens, par un capitaine français sur le départ, Charles Lieber[13]. Il est administrativement rattaché à l'éphémère PDR.
Elle y parvient le . Le bâtiment est rapidement aménagé grâce à des fonds débloqués par l'ambassadeur Roger Garreau. Il offre quinze lits et accueillera jusqu'à quatre-vingt-cinq patients[13]. Typhus, tuberculose, gale, œdèmes de carence, autopsies, dépressions traumatiques, urgences permanentes deviennent le quotidien du docteur Pauliac. Son rôle au sein de la Mission française de rapatriement est, avec l'aide du délégué du CFLNChristian Fouchet, d'organiser et mener l'action de la Croix-Rouge française. Celle ci consiste à rechercher, soigner et évacuer les prisonniers français[15]. Jusqu'alors, les seuls médecins militaires qui pouvaient agir étaient eux-mêmes des prisonniers. La seule possibilité d'hospitalisation qu'ils ont eu, était de diriger les plus malades vers des hôpitaux soviétiques[13].
Le tri entre ceux des prisonniers qui passeront par un rapatriement sanitaire et ceux qui n'en bénéficieront pas est difficile. Tous sont dans un état dégradé mais les moyens du service de santé sont restreints. Les rapatriements non sanitaires, assurés par d'autres militaires, sont de loin les plus nombreux. Le service du docteur Pauliac n'est qu'un élément, certes très autonome, dans un dispositif dont la direction est assurée par un colonel de l'artillerie coloniale.
Différentes instances du Gouvernement provisoire missionnent le docteur Pauliac pour rédiger des rapports sur la situation locale. Elle se rend au camp de Majdanek, où son rapport tente de reconstituer le système d'extermination. Lorsqu'elle rentre dans le baraquement des Français, elle rencontre un jeune résistant français de 20 ans, d'abord déporté à Auschwitz puis transféré à Madjanek où il a été affecté au Sonderkommando des fours crématoires durant dix mois. Il lui raconte que, certains jours, lorsque la chambre à gaz avait mal fonctionné ou que les gazés étaient trop nombreux, certains étaient encore vivants et parfois conscients quand ils arrivaient aux fours crématoires. Certains le regardaient, d'autres gémissaient et parfois suppliaient. Le garde allemand les assommaient d'un coup de gourdin ou ordonnait de les enfourner encore vivants. En continuant à parler avec lui, Madeleine comprend qu'il est dans un état second : « Il n'a plus d'émotions, blindé dans une douleur totalement inexprimable. Il a survécu en se murant pour ne rien ressentir[16]. »
C'est là, le , qu'elle apprend que la guerre est finie.
Un voyage à Toruń, Dantzig, renommé Gdańsk, et Gdynia fait l'objet de deux rapports. Le premier est adressé le à Étienne Burin des Roziers, directeur du cabinet du Général de Gaulle. Celui-ci lui répondra personnellement le mais dès le , un premier accord est signé entre la France et l'URSS autorisant l'organisation du rapatriement de tout prisonnier détenu par les Soviétiques se déclarant de lui même français[11], civils comme militaires.
Le second rapport, adressé à Roger Garreau, décrit les mêmes horreurs, par exemple l'entassement de corps décapités dans les cuves d'une usine à savon. Il documente l'utilisation du viol systématique des femmes, fillettes, adolescentes, parturientes, religieuses, vieillardes, comme arme de guerre par l'Armée rouge alors même que la loi soviétique interdit les rapports sexuels avec des étrangères.
Escadron bleu et SIPEG (fin 1945)
Le , Madeleine Pauliac est rejointe à Varsovie par l'unité mobile n° 1 de la Croix Rouge partie le 23 de Constance sur le Lac. Ce sont dix jeunes infirmières et ambulancières volontaires et leur chef d'unité, Violette Guillot, qui conduisent cinq ambulances, des Austin offertes à la Croix-Rouge française par le roi George VI. Depuis Paris qu'elles ont quitté à la mi avril, elles ont déjà traversé l'Allemagne dans le sillage de la 7e armée, via Dachau et Buchenwald.
Au sein de cet Escadron bleu auquel elle donne les ordres de missions[17], Madeleine Pauliac va ainsi, pendant trois mois et demi, accomplir à travers toute la Pologne, et parfois jusqu'en Union soviétique, plus de deux cents expéditions[13]. Au gré des renseignements, des Français, sans cesse déplacés par des autorités russes désorientées, sont récupérés dans des camps, des hôpitaux, des gares, y compris des Malgré-nous, tels cinq soldats exfiltrés du camp de Tambov grâce à la seule audace de Madeleine Pauliac. Les opérations sont toujours incertaines, souvent périlleuses. Le quasi rapt de huit Français hospitalisés à Białystok se fait sous les balles.
Les évacuations sanitaires se font une ou deux fois par semaine par un Dakota qui assure la liaison aérienne avec Le Bourget en une journée, vingt cinq passagers par vol[18]. Le [18], la mission, qui compte désormais deux médecins supplémentaires, neuf autres officiers, une quinzaine d'infirmiers ou infirmières, sept ambulances, trois camions et trois véhicules légers avec leurs chauffeurs[19], reçoit le renfort matériel et opérationnel de l'un des deux[20] trains du SIPEG. Le Service interministériel de protection contre les événements de guerre du docteur et capitaine Denise Bourgeois est un train international qui depuis Varsovie sillonne l'Europe centrale pour ramener tous les prisonniers qui ont pu sur son passage être rassemblés[21]. Stationnés en gare de Grochów(pl)[18], les seize wagons du train hôpital, soit soixante lits d'hospitalisation, une cantine, un laboratoire, une maternité, une salle d'opération[20], ne repartiront que le [22]. Entre-temps, les 18 et , deux évacuations sanitaires par voie ferrée auront été opérées pour respectivement trois cent soixante dix huit et quatre cent douze blessés[18].
Le [23], Madeleine Pauliac est avec son adjoint, le docteur Luquet[23], sur la route de Łódź à Kalisz dans une des deux ambulances lancées à la poursuite d'un train de Malgré nous évacués du camp de Tambov[23]. Plusieurs fois déjà des blessés ont pu être sauvés ainsi d'un voyage qui leur aurait été fatal[23]. Son véhicule verse[23] en entrant sur un pont qui a sauté. Deux côtes cassées, un Röntgen portatif révèle une fracture du crâne. Il ne faut cependant que quelques jours pour qu'en dépit des avis médicaux et amicaux, le docteur Pauliac, la tête rasée et bandée, reprenne son poste, s'automédicant[24] de la morphine.
Aide pédiatrique à des religieuses et postérité
Le , trois jours après la dissolution de l'Escadron bleu, le PDR est supprimé, et la Mission française de rapatriement prend fin. Le rideau de fer tombe. Madeleine Pauliac reste sur place avec quelques autres volontaires civils pour récupérer sept cents Français qui n'ont pas encore été libérés[25].
Dans une clandestinité qu'elle leur a jurée, elle continue les soins qu'elle donne depuis début juin[26] aux religieuses d'un couvent niché dans une forêt à une trentaine de kilomètres[27] de Varsovie. Elles ont été violées par les soldats allemands en déroute puis, trente fois de suite, par ceux de l'Armée rouge[28]. Comme cinq religieuses qu'elle avait rencontrées à Dantzig et qui, sur une vingtaine, ne sont pas mortes[29], les plus jeunes qui ont survécu sont devenues mères. Avec la complicité d'Arthur Bliss Lane(en), ambassadeur des États-Unis, et de Louis Christians(pl), président de la Croix-Rouge polonaise, elle fait évacuer par avion les enfants que leurs mères religieuses rejettent. Mélangés à un groupe de quelques authentiques orphelins polonais, soit un total de vingt quatre enfants, ils seront comme ceux-ci placés anonymement dans des familles d'accueil françaises. Son rôle sanitaire et son engagement humaniste envers ces femmes et ces enfants sont relatés dans plusieurs œuvres cinématographiques et littéraires, lui valant la reconnaissance posthume.
Elle ne rentre à Villeneuve que quelques jours avant Noël. Comme pour ses collègues qui ont vu les horreurs des Lager, vécu l'année zéro, subi la peur, le travail de deuil et le retour à une vie normale sont difficiles. Le Madeleine Pauliac, son futur mari étant appelé à Singapour, repart en mission pour le SIPEG, comme elle l'a promis[30] à la mère supérieure qui l'attend.
Le , le colonel Georges Sazy, représentant des intérêts commerciaux de la France dans une Pologne désormais collectivisée, se rend de Paris à Varsovie avec Madeleine Pauliac dans une voiture de l'Ambassade conduite par un chauffeur. Vers 20h00, dans un virage sur la route verglacée qui va de Lowicz à Sochaczew, à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Varsovie, le véhicule percute un arbre. Madeleine Pauliac et Georges Sazy sont tués sur le coup, le chauffeur est grièvement blessé. Trois jours plus tard, leurs cercueils plombés, après une cérémonie très solennelle, sont déposés dans un caveau de la partie civile du cimetière de Powązki[33] où ils resteront jusqu'en juillet 1946. Celui de Madeleine Pauliac sera transféré à Villeneuve-sur-Lot, où, le , les compagnes de l'Escadron bleu et un détachement de FFI, en présence des autorités et de la foule, le conduisent jusqu'à la sépulture familiale au cimetière Saint-Etienne.
Travaux scientifiques
Madeleine Pauliac, Les Dérivés sulfamidés et leur action dans le traitement des méningites cérébro-spinales à méningocoques : Thèse de médecine, Angers, Imprimerie du Commerce, , 85 p. ;
Madeleine Pauliac et Maurice Lamy, « Douze mois au pavillon de la diphtérie aux Enfants Malades », Archives françaises de pédiatrie, Paris, Société de pédiatrie de Paris, t. II, no 3, (ISSN0003-9764, BNF34348227).
Le film de fiction Les Innocentes (2016) réalisé par Anne Fontaine d'après une idée originale de Philippe Maynial, neveu de Madeleine Pauliac[36], est inspiré de l’un des épisodes vécus par Madeleine Pauliac durant sa mission en Pologne[37]. Le personnage inspiré par Madeleine Pauliac est interprété par Lou de Laâge. Sous le titre Agnus Dei, le film fait partie de la sélection officielle du Festival du film de Sundance en janvier 2016[38]. Sous le titre Les Innocentes, il est nommé quatre fois pour les César 2017 dans les catégories meilleur film, meilleure réalisatrice, meilleure photo et meilleur scénario original[39].
Le livre de Philippe Maynial, Madeleine Pauliac l'insoumise paraît le aux Éditions XO. Ce récit, salué par les médias[40], retrace les missions conduites en 1945 par Madeleine Pauliac avec les onze jeunes ambulancières et infirmières de l'Escadron bleu[41] mais aussi des éléments biographiques.
Le documentaire Les Filles de l'Escadron bleu (2018) co-écrit par Philippe Maynial et Emmanuelle Nobécourt et réalisé par Emmanuelle Nobécourt retrace les missions de Madeleine Pauliac en Pologne du 29 avril 1945 au 13 février 1946 avec l'Escadron bleu. Ce film a reçu le Prix Historia 2020 du documentaire historique. [8]
Une allée Madeleine Pauliac - Médecin résistante - est nommée à Toulouse, par délibérations du Conseil Municipal du 7 décembre 2018, située entre le boulevard des Récollets et la place A.Daste
Une rue Madeleine Pauliac sera inaugurée à Nantes, entre la rue du Souvenir Français et la rue Marianne, dans le quartier en transformation de la Caserne Mellinet, à l'issue des travaux - délibérations du Conseil Municipal du 14/12/2018[43].
Un Gymnase Madeleine Pauliac a été inauguré le à Saint-Ouen l'Aumône en présence du maire Laurent Linquette, de Gilbert Derus maire adjoint aux sports, Véronique Pelissier conseillère départementale du Val d'Oise, Pierre Grégoire président du Comité départemental Olympique et sportif du Val d'Oise et de Philippe Maynial neveu de Madeleine Pauliac. Gymnase labelisé "Terre de jeux JO 2024". [9]
Le parvis de la gare de Grenoble « Madeleine Pauliac-Escadron bleu » a été inauguré le par Éric Piolle, maire de Grenoble, en présence de Philippe Maynial, neveu de Madeleine Pauliac et des enfants de l'Escadron bleu, dont Simone Kunegel et Hugues Watin-Augouard. Étaient présents Dominique Vidal, président des membres de la Légion d'honneur Isère accompagné de Jeannie Longo, commandeur de la Légion d'honneur et championne olympique de cyclisme, et de Denis Beautemps, président de la Délégation territoriale de la Croix Rouge Isère. Délibérations du Conseil municipal du 28 mars 2022
Une allée Madeleine Pauliac est nommée à Quimper et la rue qui y mène, rue de l'Escadron bleu par décision du Conseil municipal du 15 décembre 2022.[10]
Le 18 octobre 2024, le nom de Madeleine Pauliac a été attribué à l’école polyvalente du 32/34 rue Buffault Paris 9e. Ce vœu de la maire du 9e arrondissement de Paris, Delphine Bürkli, présenté au Conseil de Paris par Alexis Govciyan, conseiller de Paris en charge de la mémoire, a été adopté à l’unanimité. L’inauguration de cette école maternelle et primaire a eu lieu en présence de Delphine Bürkli, Alexis Govciyan, Sébastien Dulermo, premier adjoint en charge de la vie scolaire, Sylvain Maillard, député de Paris, Giovanni Ungaro, Président de la Croix Rouge de Paris, Philippe Maynial neveu de Madeleine Pauliac. Assistaient également à la cérémonie les élèves, leurs parents et les professeurs[44].
Annexes
Bibliographie
Dominique Pado, « Onze filles de France chantaient… Elles ont sauvé des milliers d'hommes », L'Aurore, Paris, .
Claude Proche, Les problèmes sanitaires soulevés par le rapatriement des ressortissants français après la libération du territoire polonais : la mission sanitaire de rapatriement en Pologne, Paris, Bibliothèque de médecine et odontologie, , 60 p. (thèse de médecine).
Philippe Maynial, Madeleine Pauliac : l'insoumise, Paris, XO, , 282 p. (ISBN978-2-84563-886-0).
Fonds Madeleine Pauliac, Archives municipales, Villeneuve-sur-Lot, mars 2018.
Lire en ligne
Pierre Bourgeois, Claude Proche et Denise Bourgeois, « Le rapatriement à l'Est et l'aventure de la mission de Varsovie », Histoire des sciences médicales, Paris, Société française d'histoire de la médecine, vol. XIX, no 4, , p. 321-339 (ISSN0440-8888, lire en ligne) ;
↑Aujourd'hui l'ancien hôpital français est appelé « maison biélorussienne » [1]
↑« 1946-1950 Les Missions de rapatriement dans le chaos de l'après-guerre-chapitre-chapitre : La destinée de Madeleine Pauliac », Agir ensemble, Croix-Rouge française, , p. 29.