Revenu épuisé de son service militaire en 1895, il tente de reprendre laborieusement ses recherches artistiques et s'isole en 1900 à l'abbaye Notre-Dame d'Acey près de Besançon où il peint quelques paysages et natures mortes. De passage à Paris, il croise Rouault qui le pousse à y revenir et l'héberge dans sa famille pendant près de 14 ans. Léon Lehmann découvre alors le renouveau pictural français en cours (pointillisme, fauvisme, cubisme, expressionnisme…) qu'il exprime dans certaines de ses toiles, mais sans jamais y céder vraiment. Il attire l'attention des galeries parisiennes Berthe Weill puis Druet qui l'exposent aux côtés d'artistes déjà prometteurs (Henri Matisse, Raoul Dufy, Kees van Dongen, Albert Marquet, Rouault, Jean Puy, Henri Manguin …).
La Première Guerre mondiale le stoppe brutalement dans son élan artistique. Il revient gravement malade du front et ce n'est qu'après son mariage en 1921 qu'il retrouve toute la force et l'inspiration nécessaires pour se remettre pleinement au travail. Il s'installe alors avenue de la Motte-Picquet et renoue avec la galerie Druet qui l'expose à nouveau aux côtés de Albert Marquet, Jean Puy, Henri Manguin, Charles Camoin, Othon Friesz… puis avec la galerie Eugène Blot qui l'expose régulièrement à partir de 1928. Son tempérament s'affirme alors pleinement, dans une voie très personnelle, intime, d'inspiration souvent mystique, au lyrisme bouillonnant[2]. Le Salon d'automne le met à l'honneur en 1936, en consacrant une salle entière à ses œuvres et une préface du catalogue par Louis Vauxcelles.
Parfois sombre dans les années 1920, sa palette s'illumine de plus en plus au fil du temps. Conservant une grande diversité de technique (brosse ou couteau, pâte lisse ou grumeleuse), il excelle dans les combinaisons de lumière jouant souvent sur des contre-jours ou des clairs-obscurs, et la juxtaposition de tons rares « entrant les uns dans les autres comme des soies »[3]. Certains[4],[5] lui trouvent une parenté avec Pierre Bonnard et Édouard Vuillard. Il se plaît à peindre quelques portraits, mais se consacre surtout à des paysages, des scènes d'intérieur et des natures mortes qu'il réalise à Paris, dans sa résidence d'été à Ferrette, dans ses lieux de vacances à Porquerolles, Douy en Sologne ou Noirmoutiers, et à la fin de sa vie à Altkirch où il est revenu habiter en 1946. À partir de 1947, Katia Granoff l'expose dans sa galerie parisienne de la place Beauvau et lui reste fidèle jusqu'à sa mort.
Vers la fin de sa vie, la lumière envahit ses toiles, les lignes s'étirent de plus en plus, les formes se disloquent. Dans des transparences givrées, il suggère plus le réel qu'il ne le décrit, poussant la composition aux limites de l'abstraction[6]. Sa dernière grande œuvre est l'ensemble des sept grandes toiles de la chapelle des Voirons (Haute-Savoie) qu'il achevait quand il mourut le . Ces tableaux sont aujourd'hui conservés au musée du Vatican où ils furent exposés pendant plusieurs décennies, jusqu'en 2003.
Ses tableaux et dessins sont présents dans de nombreux musées en France (Altkirch, Belfort, Besançon, Colmar, Grenoble, Mulhouse, Paris, Poitiers, Strasbourg, Troyes…), mais aussi en Europe et outre-Atlantique (Belgique, Cardiff-Pays de Galles, Vatican, Moscou, Suisse, États-Unis…).
Réception critique
Louis Vauxcelles (critique d'art, 1931)[7] : « C’est tout bonnement un des peintres français contemporains dont le nom restera. L’homme est exquis de discrétion, de modestie, de douceur, et son art, tout en tendresse profonde et réticence, le reflète. Si le sentiment est, dans les toiles de Lehmann, d’une délicatesse raffinée, l’exécution est d’une liberté, d’un emportement fougueux ; ce timide évoque Monticelli par la truculence de la pratique, la cuisine des pâtes savamment malaxées – pétales écrasés, gemmes en fusion – par la chaleur des accords... Il y a en effet du mystère en ces toiles de fleurs, de sous-bois, d’intérieurs… La densité, le volume, le relief des objets y apparaissent d’une vérité souveraine ; des harmonies adorables de roses apâlis, d’ors éteints, de rouges vineux, de safran ; certains accords aussi irisés, aussi veloutés que chez Bonnard. »
Georges Rouault (lettre à sa fille Isabelle, filleule de Léon Lehmann)[8] : « Ce bougre-là est extraordinaire nous en recauserons… Je voudrais le féliciter de sa finesse et de sa subtilité, d’ailleurs cela je le savais déjà, mais enfin je t’ai donné un bon parrain et je m’en suis donné un aussi. »
Katia Granoff (dans Histoire d'une galerie)[9] : « Demeurisse et moi nous rencontrâmes dans mainte admiration commune, et, entre autres, pour Léon Lehmann… Rien de figé dans cette peinture vibrante de sensibilité et de somptueuse poésie. Partout répandues, les gemmes précieuses resplendissent dans le clair-obscur. »
Marie-Luce Cornillot (conservateur des musées de Besançon, dans Comtois[10] : « D’une sensibilité exquise et confidentielle comme celle de Chardin, profonde et mystique comme celle de Rembrandt, Lehmann mêle à son imagination et à sa vision de poète, une réalité qui, de l’expressionnisme de sa jeunesse évolue vers la transcendance suggestive et presque abstraite de ses dernières années. On le compare à Vuillard, à Bonnard, mais il s’impose en tant que Léon Lehmann, par son charme pénétrant, envoutant, sans cependant user d’artifices, par sa seule nature mystiquement candide. C’est cette profonde honnêteté, son désintéressement humble et paisible, alliés à un métier des plus sûrs au service d’une sensibilité rare, qui confèrent à Lehmann son incontestable talent. »
Georges Besson (Les Lettres Françaises) [11] : « Isolé, imperméable à ce que certains de ses amis d’école apportaient de violences formelles et d’hystérie chromatique, il peignit à contre-courant de son époque, plus soucieux des accords sensibles de « tons entrants les uns dans les autres comme des soies », que de dissonances....Il y a une indéniable magie dans toute transposition de la nature par Lehmann. C’est par ses allusions plus harmoniques que formelles qu’il parvient à exprimer la beauté intime et l’essence des choses… Qu’il s’agisse des intérieurs à la fois crépusculaires et diaprés dans lesquels sourd le luisant d’un meuble ou la somptuosité d’un bouquet, ou qu’il s’agisse de la « mouvante harmonie » d’un paysage évoqué par les accords sensibles des « tons entrants les uns dans les autres, comme des soies. »
Louis Vauxcelles (Salon d'Automne 1936) [12] : « Qui est Lehmann ? Cette question fera sourire ceux qui ont suivi sans snobisme, mais avec clairvoyance, le mouvement contemporain, car ils connaissent bien ce beau coloriste, aux accords rares, vigoureux et délicats, à la matière si veloutée, ce portraitiste expressif (son effigie de Rouault profonde, révélatrice), cet intimiste qui sait, avec autant de tendresse que Vuillard, mais avec une chaleureuse intensité, faire vivre une Couseuse sous la lampe de la salle à manger, dans une lumière discrètement tamisée, ce peintre savoureux de bouquets de fleurs des champs, ce narrateur véridique des sites de son Alsace natale… »
J.P. Crespelle (France Soir) [13] : « Il y avait dans ce peintre quelque chose qui rappelle Debussy et Fauré. »
Marc Semenoff [14] : « Où qu’il nous transporte, quelle que soit la tranche de vie qu’il nous présente, c’est toujours avec l’intimité de son âme multiple que nous prenons contact, elle seule parle et s’impose, dans son lyrisme et sa sévérité architecturale. »
Jean Puy[15] : « Son tempérament, ses aspirations poétiques et mystiques le poussent à un lyrisme bouillonnant aux effusions enthousiastes. Mais les réalisations rapides, les hasards heureux du premier jet le satisfont rarement. La plupart de ses toiles reprises au long de très nombreuses séances, sont le fruit plus charnu et plus dense que brillant d’une patience infinie et d’un amour jamais lassé. »
1954 : musée des beaux-arts de Mulhouse, inauguration d’une salle permanente « Léon Lehmann » et de la décoration de la chapelle des Voirons, 39 peintures.
1965 : musée Unterlinden, Colmar, 15 peintures et pastels (esquisses pour la décoration de la chapelle des Voirons).
1985 : rétrospective Léon Lehmann, rencontres musicales et culturelles (Saint-Léonard, Ungersheim et Paris), 50 peintures et une centaine de dessins.
1988 : musée d’Altkirch, exposition de 21 peintures de Léon Lehmann accompagnant la pose d’une plaque commémorative sur la maison natale du peintre.
1993 : musée d’Altkirch, exposition de peintures et dessins de Lehmann accompagnant la sortie du catalogue général de son œuvre réalisé par son neveu Pierre Gevin.
2003 : musée d’Altkirch, rétrospective Léon Lehmann à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. Une centaine de peintures exposées.
2011 : musée des beaux-arts de Mulhouse| exposition sur l’art de Haute-Alsace d’Après-Guerre, cinq peintures de Léon Lehmann, aux côtés de Charles Walch et Robert Breitwieser, entre autres.
2024-2025 : château de la Neuenbourg - CIAP de la Région de Guebwiller, Chez soi : être et paraître. Représentation des intérieurs bourgeois et ruraux en Haute-Alsace aux XIXe et XXe siècles. 6 peintures de Léon Lehmann exposées, un espace consacré.