Jacques Lestrille naît à Ault (Somme) au cœur de l'été 1904, « par hasard » écrit Raymond Cogniat, parce que ses parents - un père, Henri Louis Charles Lestrille (1864-?), architecte formé aux Beaux-Arts de Paris par Honoré Daumet et Pierre Esquié, et une mère, née Lucile Justine Verangat (1869-1922), « très musicienne » - s'y trouvent alors en vacances[1].
La consultation des registres d'état civil invite à relativiser nettement le « hasard » ainsi énoncé quant à la naissance aultoise de l'artiste : Henri Louis Charles Lestrille, bien qu'exerçant sa profession d'architecte au 5, rue Eugène-Delacroix à Paris[2], y est bien dit propriétaire domicilié à Ault[3] dont il sera même le maire de 1920 à 1922[4] : c'est ainsi lui qui, en novembre 1920, confiera à Paul Landowski la commande du monument aux morts d'Ault qu'il inaugurera onze mois plus tard[5] ; dans son journal, en date du 23 janvier 1921, le sculpteur évoque sa visite en son atelier de Boulogne-Billancourt pour la remise des noms des soldats à graver sur les stèles[6]
Ce sont les premiers travaux connus de Jacques Lestrille, situés dans le Morbihan, que semble évoquer Daniel Le Meste lorsqu'il restitue que le jeune artiste (il n'a alors pas encore vingt ans) travaille en 1923 à Rochefort-en-Terre et au Faouët, présentant ainsi dès 1924 des vues des deux localités au Salon des indépendants[8], puis au Salon d'Automne. Jacques Lestrille reviendra du reste régulièrement à Rochefort-en-Terre pendant une grande partie de sa vie, s'y liant d'amitié avec le peintre américain Alfred Partridge Klots (1875-1939) qui y fit l'acquisition du château en 1907[11] et faisant des paysages côtiers du Morbihan un thème très récurrent dans son œuvre.
C'est un autre de ses thèmes, celui des Fleurs, que révèle en 1925 sa participation au Salon des indépendants[12], où il reviendra ensuite avec des sujets festifs comme Jour de fête en 1930[13], Le banquet en 1931[14] ou L'arbre de Noël en 1932[15]. Puis, au Salon des Tuileries de 1932, il présente un Nu que le critique d'art Michel Florisoone remarquera comme « fin et harmonieux »[16].
Jacques Lestrille quitte le boulevard Flandrin pour s'installer au 30, rue de Passy, également dans le 16e arrondissement, en 1933[17].
Les expositions qui, en avril 1933 puis en janvier 1934 à la Galerie Simonson, réunissent cinq jeunes artistes que Germain Bazin dit « liés par un commun sentiment de retour à l'objet »[18] en un groupe baptisé N.G.S. (Nouvelle Galerie Simonson), se composent de Jacques Lestrille, Roger Chapelain-Midy, Adrien Holy, André Planson, et Maurice Georges Poncelet. René Huyghe pour sa part définit alors leur singularité par « la pratique d'un art moins précieux, mais plus volontaire. Le souci des vérités essentielles de l'art, d'un métier solide et sûr aboutit chez eux à un art plus positif, moins proche de la rêverie »[19].
Commandes officielles
En 1937, Jacques Lestrille, qui est gratifié d'une commande de l'État pour l'Exposition universelle[1], est également appelé à brosser les grandes peintures murales de l'amphithéâtre Tisserand de l'Institut national agronomique, rue Claude-Bernard à Paris, où l'exécution de celles de l'amphithéâtre Risler est confiée à André Planson[20],[21]. Michel Florisoone situera de la sorte Jacques Lestrille et André Planson, avec Maurice Georges Poncelet (qui œuvre alors à trois grandes créations pour le palais de la Découverte), Jean Aujame (qui intervient au lycée de jeunes filles - aujourd'hui lycée Antoine-Watteau - de Valenciennes), Charles Dufresne (qui terminera juste avant sa mort en 1938 les peintures murales de l'amphithéâtre de la Faculté de pharmacie de Paris), et Francis Gruber, parmi les peintres qui, par leur confrontation aux problèmes de la décoration murale contemporaine, se doivent de « retrouver les règles nécessaires de la composition », voire même les renouveler, et il écrira ainsi : « Lestrille et Planson, pour l'Institut agronomique, ont cherché, semble-t-il, moins à décorer le mur qu'à l'habiller à la façon d'une tapisserie qui meuble un fond, s'y superpose, mais ne veut pas faire corps avec lui. C'est une "parure cossue", sans éclat inutile, mais riche. Dans le cadre etroit, tout s'entasse, un peu mêlé, mais selon de grandes lignes bien lisibles qui conduisent du fond de la vie campagnarde, par les arbres et les plantes, à la vie libre de l'air »[22]. En 2022, le déplacement de l'institut (rebaptisé entretemps AgroParisTech) de Paris à Saclay entraînera le transfert des fresques dans les réserves du Fonds national d'art contemporain.
Une certaine proximité entre la peinture de Jacques Lestrille et la composition de la tapisserie est déjà remarquée dès 1937 par le critique d'art Raymond Lécuyer : « Lestrille fait de la tapisserie » observe ce dernier lors de sa visite du Salon d'Automne[23]. L'intérêt de l'artiste pour la tapisserie se vérifie de fait dans les collections du Mobilier national où est toujours conservé un important carton, La Nature, qu'il peint en 1941, qui ne sera cependant jamais tissé[24]. Une courte collaboration (décors de vases) à la Manufacture nationale de Sèvres est centrée sur l'année 1950 : deux dessins gouachés portant témoignage de cette relation sont conservés par l'établissement[25]. Dans les années qui suivent, il se réinvestit concrètement dans la conception de cartons de tapisseries pour la manufacture des Gobelins et le Mobilier national[26],[27],[28].
Jacques Lestrille épouse Pauline Mintzker (1925-1993) le 27 février 1950 à Paris[3]. De cette union naîtra un fils, Marc-Henri Lestrille (1952-2004).
Outre sa fidélité au Morbihan, sa peinture va alors également énoncer des villégiatures allant de la Côte d'Azur (Vue sur le Cap Martin, 1953[31]) à la Normandie (Les planches à Deauville, vers 1963[1]), mais aussi, à travers la vie parisienne, la persistance de son attachement, déjà remarqué dans les années 1930, aux sujets festifs (Kermesse aux étoiles dans le jardin des Tuileries, printemps 1955[32] ; Nuit de la Saint-Sylvestre place Blanche en 1963[1]). En 1964, soit en sa soixantième année, un hommage lui est rendu par une exposition personnelle en la Galerie André Weil à Paris[1].
Mort et postérité
Se faisant discret au soir de sa vie, Jacques Lestrille meurt le 4 juin 1985 et est inhumé au cimetière de Passy, dans la 10e division[33].
Il demeure parmi les quelques noms dont se souvient Pierre Cabanne à propos de cette « génération de 1930 » qui, ennemie des excès d'alors, assuma cette difficulté existentielle de « porter le poids d'être née d'une lassitude »[34], que citent également René Huyghe et Jean Rudel lorsqu'ils évoquent ces mêmes artistes qui « parurent d'abord les continuateurs des peintres nabis, dont l'idéal redonnait à l'homme une valeur permanente, à côté de celle de la nature, parvenant à fixer la réalité à travers les jeux de la lumière, devenue aussi image de la spiritualité, soulignant l'action, creusant des perspectives, animant les visages et révélant l'âme. Quelques peintres reprirent à leur compte ces points de vue, au cours d'une expérience qui, entre les deux guerres, n'avait pas son orthodoxie, tels Raymond Legueult, Maurice Brianchon, Jules Cavaillès, Roger Limouse et Jacques Lestrille qui ajoutent à la vision de Pierre Bonnard une exquisité nouvelle. Ce sont des maîtres sans doctrine qui, contrairement à la majorité des peintres contemporains peignant à partir d'idées, d’a priori, œuvrent en regardant – comme les impressionnistes »[35].
Expositions
Expositions personnelles
Galerie Simonson (Galerie des artistes modernes), 19, rue de Caumartin, Paris, mars 1930 (Fleurs et Vues de Bretagne)[36] , mars 1932[37].
Participations non datées et imprécisément situées : Biennale de Venise ; expositions organisées par les Relations culturelles au Brésil, en Espagne, en Grèce, en Hongrie, au Japon, en Scandinavie, en Turquie[1].
Réception critique
« Une toile de Jacques Lestrille représente deux enfants perdus dans un champ de fleurs : êtres, animaux, nature, tout se place pour ce peintre au même plan, un plan confus, mêlé en apparence, le premier plan. Une fraternité unit toute la création, et son coloris, où la dominante est le brun, en lie toutes les parties dans une couleur de terre. Mais rien dans Lestrille n'est vulgaire ni grossier, son dessin révèle au contraire une élégance native, une distinction originelle ; elle se combine avec un sérieux, une gravité qui cache mal une inquiétude distante, un souci profond, tenace des problèmes vitaux. En cela, Lestrille, héritier assombri de Pierre Bonnard, se distingue de quelques uns de ses camarades avec qui il faisait équipe et qui montrent une puissante joie présente de vivre, tandis que lui semble plutôt méditer sur la présence emprisonnante de la vie. Sa façon de traiter un tableau dans l'esprit d'une fresque - et sa manière concourt à cette impression - confirme les désirs et les recherches de Lestrille. » - Michel Florisoone[38]
« Type idéal de l'artiste sincère et discret, Jacques Lestrille n'offre pas à ses biographes les beaux thèmes romanesques des peintres maudits si en faveur dans l'histoire de l'art moderne. Il ne se distingue ni par ses vices, ni par ses scandales, ni même par une vocation contrariée, car non seulement il n'a trouvé autour de lui aucune hostilité contre son désir d'être artiste, aucune réticence, mais au contraire un milieu favorable à ses aspirations et à sa vocation. Il appartient à une famille de bonne bourgeoise cultivée et raffinée, ayant le respect des arts… Il s'inscrit donc dans cette génération venue un peu trop tard pour participer aux grands mouvements révolutionnaires du début du siècle. Lorsque, ayant dépassé l'adolescence, il prend une plus lucide conscience des problèmes artistiques, les temps héroïques sont terminés ; les hommes de son âge sont les témoins d'un accomplissement, d'une mise en place de ce qui fut scandaleux. Le fauvisme et le cubisme relèvent déjà du passé, un passé tout proche, riche de leçons extrêmement vivantes, mais qui sont déjà des leçons… Les jeunes sont obligés de se tourner vers autre chose, vers une autre expérience qui n'ignore pas celles qui viennent de se dérouler mais qui ne cherche pas à les imiter. » - Raymond Cogniat[1]
« Aimable artiste de cette génération qui prétendit, vers les années 1930, à une crise de l'art révolutionnaire et revint à une conception humaniste dépourvue de toute ambition. » - Dictionnaire Bénézit[59]
Musée de Skikda, Le temps des nids, huile sur toile 116x73cm, vers 1951[62].
Finlande
Musée d'Art Ateneum, Helsinki, La robe de mariée, huile sur toile 81x65cm, vers 1946 (ancienne collection Katarina et Leonard Bäcksbacka, Helsinki)[55].
Cour de ferme, huile sur toile 81x100cm, avant 1933[69], toile initialement acquise pour le Musée du Luxembourg, Paris, dont les collections sont aujourd'hui dissoutes[70] ;
Raymond Cogniat, Jacques Lestrille, éditions Galerie André Weil, Paris, 1964.
René Huyghe de l'Académie française et Jean Rudel, L'art et le monde moderne, vol.2, Larousse, 1970.
Pierre Cabanne, L'art du vingtième siècle, éditions Aimery Somogy, Paris, 1982.
Patrick-F. Barrer, L'histoire du Salon d'Automne de 1903 à nos jours, Arts et Images du Monde éditeur d'art, Paris, 1992.
Emmanuel Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol.8, Gründ, 1999.
Pierre Sanchez, Chantal Bovalot et Josiane Sartre, Dictionnaire du Salon des Tuileries - Répertoire des exposants et liste des œuvres présentées, 1923-1962, L'Échelle de Jacob, Dijon, 2007.