Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon
Les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon(六十余州名所図会, Rokujūyoshū meisho zue?) forment une série d’estampes ukiyo-e du peintre Hiroshige. Publiée de 1853 à 1856 par la maison d’édition Koshihei, la série est composée de soixante-neuf estampes et d’une page de sommaire. Elle illustre soixante-huit provinces du Japon, ainsi que la capitale Edo.
Hiroshige et les séries de paysages
Hiroshige (1797-1858) est un maître de l’estampe ukiyo-e, mouvement artistique majeur de l’époque d’Edo qui coïncide avec l’émergence d’une bourgeoisie urbaine (chōnin) au Japon. Hiroshige est reconnu pour ses séries d’estampes de paysage, appartenant au genre meisho-e, l’illustration de lieux célèbres (meisho) pour leur beauté ou l’émotion qu’ils suscitent, thème traditionnel de la peinture japonaise depuis l’époque de Heian. À l’époque d’Edo (1600-1868), l’intérêt pour les meisho perdure à travers les guides (meisho-ki) et guides illustrés (meisho zue) de lieux célèbres, puis dans les séries d’estampes des maîtres paysagistes comme Hokusai et Hiroshige, à partir de 1830[1],[2],[3].
Création, publication et style de la série
Dans la série, Hiroshige peint pour chaque province du pays une de ses vues les plus célèbres, s’inspirant pour plusieurs planches d’autres artistes : le peintre prend en effet pour modèles au moins neuf meisho zue différents afin de représenter des scènes de toutes les contrées du Japon qu’il n’a pour la plupart jamais visitées[4]. Des soixante-neuf estampes, quarante-deux paraissent en 1853, une seule en 1854, dix-sept en 1855 et neuf en 1856. Sur chaque estampe apparaissent en haut à droite deux cartouches juxtaposés, un en rouge portant le titre de la série et un de couleur variée portant le titre de la planche. Sur un côté au milieu ou en bas figure un second cartouche rouge avec le nom de Hiroshige, et parfois un petit cartouche avec le nom du graveur, Hori Take ou Soji. Enfin, plusieurs sceaux peuvent apparaître sur les peintures ou dans les marges : l’éditeur Koshimura-ya Heisuke, la date, l’approbation de la censure (un ou deux), le graveur[5].
À l’époque où il crée la série des Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon, Hiroshige est déjà un artiste réputé pour ses compositions lyriques et la présence centrale de la vie quotidienne du peuple japonais dans ses scènes[6]. Dans les années 1830, il a connu un immense succès avec Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō et Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō. Toutefois, à partir de la fin des années 1840, le peintre cherche à modifier son style lyrique et simple, en allant vers plus de contraste et de tension émotionnelle dans ses compositions ; moins centrés sur l’humain, ses paysages deviennent plus abstraits, s’attachant à transcrire le caractère émotionnel des scènes[7]. Si son nouveau style apparaît pleinement dans sa dernière série des Cent vues d'Edo, les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon préfigurent déjà de ce tournant. En effet, Hiroshige y fait une première exploitation conséquente du format vertical, grande innovation pour une série de paysage[8] ; la distance prise avec l’humain y est également déjà présente[9],[10]. Selon Ouspensky, le format vertical pour ses paysages porte déjà en lui le germe d’un conflit, propice aux compositions plus tendues[7] ; il force de plus l’artiste à adopter des points de vue et des cadrages distincts de ses œuvres passées[11].
Techniquement, Hiroshige emploie intensivement le bokashi (consistant à faire varier la clarté d’une couleur lors de l’impression pour créer des effets de dégradé) et utilise plus que de coûtume le rouge[8].
Généralement, la qualité de la série est considérée comme inégale, mêlant peintures peu remarquées et compositions très réussies[5], comme Les tourbillons de Naruto à Awa (planche 55), où il imprime une « tension dramatique » en opposant le tumulte des tourbillons marins au premier plan à un arrière-plan plus paisible ; cette estampe rappelle La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai[12].
↑ a et bMikhaïl Ouspenski (trad. Nathalia Multatuli, Vladimir Maximoff), Hiroshige, Cent vues d’Edo, Bournemouth, Éditions Parkstone, , 262 p. (ISBN1-85995-331-X), p. 13-14