Esprit libre, indépendant et soucieux de ne jamais tomber dans le dogmatisme, Koechlin adopte souvent le ton de la conversation dans son Traité, qui présente de nombreuses « notes » et digressions sur divers sujets musicaux.
De nouvelles possibilités de réalisation sont envisagées dans ce Traité de l'orchestration, notamment pour l'enregistrement de la musique de film.
Charles Koechlin orchestrateur
Les qualités de Charles Koechlin dans le domaine de l’orchestre sont appréciées dès ses années d'étude au Conservatoire, et par son propre professeur de composition : en mai 1898, Gabriel Fauré demande au jeune compositeur d'orchestrer la suite Pelléas et Mélisande qu'il avait écrite comme musique de scène pour la pièce de Maeterlinck[1]. Fauré se déclare « pleinement satisfait du résultat », au point d'inviter Koechlin à l'accompagner à Londres pour assister à la première exécution :
« Cher ami, je ne puis essayer de vous dédommager, ni pour votre temps, ni pour vos bonnes idées ! […] Faites-moi le véritable plaisir d'accepter cette très petite chose comme venant d’un archi-aîné ! Et encore mille fois merci. Je n'aurais jamais été prêt sans vous ! »
Lors de la publication de cette suite, en 1901, Fauré modifie l'orchestration pour un effectif plus imposant, mais conserve « l'orchestration initiale de la célèbre sicilienne, que nous entendons toujours aujourd'hui dans la version de Charles Koechlin[3] ».
En 1912, Claude Debussy fait appel à lui pour orchestrer le ballet Khamma, composé en 1910 puis pratiquement abandonné, à la suite d'un désaccord entre le compositeur et Maud Allan, commanditaire de l’œuvre. L'éditeur Jacques Durand revient sur cette expérience dans ses Souvenirs d’un éditeur de musique : « Il fallait trouver un collaborateur diligent et compréhensif pour terminer l'orchestration. Debussy me fit part de ce qu'il cherchait ; je lui indiquai un élève de Fauré, qui naguère avait, dans des conditions analogues, orchestré, à souhait et avec les félicitations de l'auteur, une bluette scénique de Saint-Saëns, intitulée Lola. Debussy fit donc appel au compositeur en question ; c'est ainsi que Charles Koechlin orchestra, en grande partie, Khamma, sous le contrôle de Debussy et avec son parfait agrément[4] » — travail qui occupa les deux compositeurs du jusqu'au [5].
Compositeur et pédagogue
Charles Koechlin et ses élèves
Selon Aude Caillet, « au début des années vingt, les talents les plus prometteurs viennent s'en remettre au jugement de ce guide avisé[6] ».
Dès 1921, l'enseignement de Charles Koechlin offre une alternative originale à l'enseignement officiel dispensé au Conservatoire de musique et de déclamation ou à la Schola Cantorum. Darius Milhaud affirme qu'à cette époque, Koechlin est « l'un des maîtres dont l’esprit est le plus jeune, le plus vivant, toujours en quête de nouvelles découvertes dans le domaine de la musique, où il s'aventure toujours plus avant, entraînant avec lui toute l'école de la musique française de demain[7] ».
Francis Poulenc s'adresse également à lui, dans une lettre de : « J'espère que vous accepterez un élève aussi autodidacte que moi et que mon ignorance ne vous rebutera pas. Je voudrais grâce à vous devenir un musicien[8] ».
Charles Koechlin se révèle « un maître d'une rare générosité : prodigue de ses leçons, qu'il ne se fait pas toujours payer, oublieux des ingratitudes, toujours prompt à défendre des jeunes confrères, au point de passer pour le porte-parole de l'avant-garde musicale, ce qui lui vaut d'être écarté systématiquement des postes officiels[10] ».
Ouvrages d’enseignement
Le compositeur garde toujours une attitude positive à l'égard de ses activités de pédagogue. « Un musicien donne des leçons : beaucoup de temps, pas mal de fatigue, mais point de temps perdu, car ainsi son meilleur élève, c'est lui-même[11] ».
Charles Koechlin publie une Étude sur l’harmonie moderne en 1920. Suivent une Étude sur les notes de passage (1922), un Précis des règles de contrepoint (1926), une Étude sur le choral d’école (1929) et une Étude sur l’écriture de la fugue d’école (1934). Ces textes devaient préparer le compositeur pour la rédaction de ses deux grands traités : le Traité de l'harmonie, en trois volumes (1927-1930) et surtout le Traité de l'orchestration[12].
Selon Aude Caillet, « ces ouvrages témoignent de la richesse de l’enseignement de Charles Koechlin, aux antipodes de l’académisme du Conservatoire ou de la Schola : parce qu’ils sont, avant tout, l’œuvre d’un compositeur ; parce qu’ils ont pour vocation, ensuite, d’éveiller la musicalité plutôt que de professer de vaines formules stéréotypées[12] ».
Sur ce point précis, le témoignage d'Henri Sauguet est éloquent. « Il était extrêmement pointilleux et mettait chacun devant ses responsabilités vis-à-vis des règles : « Ce chemin est strictement interdit, mais il est charmant et, mon Dieu, s’il vous plaît de le prendre, allez ! Seulement prenez garde, il ne s’agit pas de se perdre, mais de se trouver. »[13] ».
Composition et publication
« Concrétisation de son exceptionnelle maîtrise du domaine orchestral », le monumental Traité de l’orchestration est achevé en 1941. Retouché jusqu'en 1943, il n'est publié qu'à titre posthume par Eschig, de 1954 à 1959[14] :
volume I (322 pages) en 1954,
volume II (443 pages) en 1955,
volume III (318 pages) en 1956,
volume IV (411 pages) en 1959.
L'originalité de l’ouvrage tient, en grande partie, à la liberté de pensée de son auteur « qui, tout en enseignant les règles et la norme, ne cesse d'en montrer la relativité[14] ».
Plan du Traité
Le plan adopté par Charles Koechlin est très détaillé :
1er volume
Chapitre I : — Instrumentation
Étude des instruments
Ressources et caractères des différents instruments
La Voix humaine
Instruments anciens
Chapitre II : — Équilibre des sonorités
Volume et intensité
Équilibre des sonorités
Gradation des sonorités
2e volume
Chapitre III : — Écriture des divers groupes
Quatuor
Les Voix
Percussions et instruments à clavier
Cuivres
Cor
Bois
Mélange de deux ou plusieurs groupes
Doublures
3e volume
Chapitre IV : — Orchestration proprement dite
Étude de la sonorité : Équilibre, Unité, Plénitude, Écriture, Variété
Écriture en parties réelles, Écriture avec la réalisation de la basse continue
Réalisation par la mélodie, l'accompagnement, les basses
Réalisations orchestrales : d'autres manières d'écrire
Rôles des divers groupes : cuivres, cors, bois, cordes, mélanges Rôle de la percussion et des instruments à clavier mélangés au reste de l'orchestre Concertos
4e volume
Chapitre IV (suite) :
Orchestration avec les voix : soli, ensembles, chœurs
Divers suppléments : Orchestration d'un morceau de piano, de harpe Diverses manières de réaliser et d'orchestrer un même passage Les grands Polytonalité, atonalité, les 1/4 de tons
Chapitre V : — Diverses formations d'orchestres
Chapitre VI : — I. Couleurs de l'orchestre
féérique, lointain, mystère
humour, caricatural, fantasque
sombre, violent
couleur par l'écriture
divers effets
Chapitre VI (suite) : — II. Caractère des instruments
Présentation
Charles Koechlin aborde les instruments selon leur ordre d'apparition dans une partition d'orchestre classique.
Dès 1944, Gustave Samazeuilh mentionne le Traité de l'orchestration de Charles Koechlin comme un ouvrage « important, conçu sur un plan nouveau » et « attendu avec un vif intérêt par les spécialistes[70] ».
Aude Caillet juge l’ouvrage « clair, accessible, exhaustif[14] ». En marge de son analyse du Traité d'instrumentation et d'orchestration de Berlioz, Suzanne Demarquez note que l'« on trouvera dans le très important Traité d'orchestration de Ch. Koechlin de nombreux exemples extraits des œuvres de Berlioz, suivis de commentaires pertinents, aussi précieux pour le lecteur averti que pour l'étudiant[71] ».
Aude Caillet, Charles Koechlin : L'Art de la liberté, Anglet, Séguier, coll. « Carré Musique » (no 10), , 214 p. (ISBN2-84049-255-5).
Suzanne Demarquez, Hector Berlioz, Paris, Seghers, coll. « Musiciens de tous les temps »,
Jacques Durand, Quelques souvenirs d’un éditeur de musique, 2e série, 1910-1924, Paris, Durand,
Anthony Girard, L'orchestration, de Haydn à Stravinsky, Paris, Éditions Billaudot, , 200 p. (ISMN979-0-043-08195-1), « Orchestration d'un extrait des Nuits d'été », p. 100–107
Darius Milhaud, Notes sur la musique, essais et chroniques, Paris, Flammarion, coll. « Harmoniques »,