Queue de comète (géographie)

Zlatni Rat en Croatie.

Une queue de comète est un type de flèche littorale (accumulation de sédiments) qui se forme sur la partie d'une île abritée de la houle[1]. Lorsqu'une queue de comète rejoint le continent, elle se transforme alors en tombolo[2].

Caractéristiques et dynamique

C'est le Professeur en géographie André Guilcher[3],[4],[5],[6],[7] qui l’a utilisé pour la première fois pour décrire les processus de construction de l’accumulation de galets de l’île de Béniguet dans l'archipel de Molène (Finistère) au début des années 1950[8]. Il s'est appuyé sur une approche novatrice datant de la fin des années 1930 mettant en relation l'hydrodynamique marine (houle et courants) et la morphologie des formes d'accumulation, ce qui est aujourd'hui communément appelé "approche morphodynamique". André Guilcher a ainsi montré que l’orientation de la forme d'accumulation qui constitue la majeure partie de l'île de Béniguet était directement liée à la direction du fetch maximum et à la résultante des vents les plus forts. Il a également suggéré que les courants de marée n’avaient aucune implication dans le processus de construction et d’évolution de cette forme d’accumulation, et que seule la houle pouvait être responsable de son édification. Quelques années plus tard, l’étude des queues de comète des côtes nord-ouest et ouest de la Bretagne[9], de l’archipel de Lilia et Landéda[10], et de la côte Trégoroise[11] ont permis de déterminer les conditions hydrodynamiques essentielles à leur mise en place et de définir leurs caractéristiques morphosédimentaires. Les queues de comète correspondent à des accumulations de sédiments (plutôt grossiers : blocs, galets, ou graviers) qui s’étirent en arrière d’un obstacle naturel (îles, îlots, ou écueils) suivant la direction principale de la houle incidente à l’origine de leur mise en place. En ce sens, ce sont des "formes d'accumulation fuyantes" (c'est-à-dire qu'elles fuient la houle) au même titre que les flèches littorales, à la différence que l'accumulation du matériel sédimentaire se fait à l'abri de l'obstacle. La rencontre de la houle incidente et de l'obstacle favorise la réfraction/diffraction de la houle qui se traduit par le croisement des crêtes de houle à l'arrière de ce dernier ; on parle alors de "houle croisée". D'un point de vue hydrodynamique, ce processus de déformation de la houle s'accompagne d'une très forte déperdition d'énergie favorisant ainsi le dépôt des sédiments à l'arrière de l'obstacle. Lorsqu'une queue de comète rejoint le continent, en ce sens qu'elle vient s'ancrer à la côte, on parle alors d'un tombolo[12]. Ce principe physique est d'ailleurs utilisé en ingénierie côtière pour favoriser l'engraissement sédimentaire des plages. Dans ce cas, l'obstacle est constitué d'un ouvrage généralement en enrochement appelé "brise-lame" que l'on dispose parallèlement à la côte, et à une certaine distance du rivage. Au même titre qu'un obstacle naturel, cet ouvrage intervient dans la déformation de la houle, favorisant ainsi la construction d'un tombolo qui vient s'accoler à la plage[2]. Cette dernière est alors "naturellement" rechargée.

Les phénomènes de réfraction/diffraction jouent un rôle majeur dans l’orientation des queues de comète. Comme cela a été montré dans l’archipel de Molène[9] ou sur le littoral trégorrois[13], le sens d’étirement des queues de comètes reflète le plus souvent l'orientation des orthogonales de houle "déformées" par rapport à la côte. Il arrive également que l’orientation des queues de comète puisse changer au cours du temps, illustrant ainsi le changement des conditions hydrodynamiques[14],[11]. En ce sens, les queues de comète peuvent constituer un excellent indicateur des variations du sens de propagation de la houle et, par là même, des changements des conditions météo-océaniques à l’échelle régionale.

En Bretagne, les queues de comète particulièrement abondantes sont constituées d’éléments détritiques grossiers (métriques à centimétriques), issus du matériel sédimentaire débités par le gel dans la roche en place lors des phases froides quaternaires. D'un point de vue granulométrique, généralement la taille des matériaux qui constitue ces formations décroît en s’éloignant de l'obstacle derrière lequel elle se construit[9],[11]. Les études réalisées sur le degré d’émoussé de ces matériaux indiquent qu’en dehors des milieux particulièrement ouverts (comme le plateau de Molène où la chaussée de Sein), le il reste le plus souvent assez faible, voire médiocre[10],[9]. Ce faible degré d'émoussé est expliqué par le fait qu’une fois les matériaux accumulés à « l’ombre » de l’obstacle qui les protège, ils ne sont pratiquement plus mis en mouvement pour que leurs arêtes puissent s'émousser. À l’inverse, en milieu ouvert, les matériaux sont beaucoup plus arrondis car l’action abrasive est très efficace dans ces environnements battus par les vagues. D’un point de vue morphométrique, les queues de comète sont de tailles diverses (de quelques dizaines de mètres à des centaines de mètres) avec toutefois une constante. En effet, le point le plus élevé de l’accumulation est toujours proche (voire contre) l'obstacle et l’altitude décroît dans le sens de la fuite. La forme peut aussi varier en fonction des conditions morphodynamiques. L’exemple le plus caractéristique correspond à de simples queues de comète étroites et très courtes lorsque l’obstacle présente une largeur réduite (écueil ou petit îlot de taille métrique à décamétrique), et que des houles secondaires limitent l’allongement de l'accumulation. À l’inverse, lorsque l'obstacle est beaucoup plus important (île de taille hectométrique), et que les houles incidentes proviennent d'une seule direction, les queues de comète s’étirent beaucoup plus, et peuvent former éventuellement des doubles accumulations s'étirant à partir des deux extrémités de l’île avant de se rejoindre à une certaine distance en arrière de l'obstacle. Dans ces conditions, la partie interne de la queue de comète en creux est occupée par un petit étang que l'on appelle un "loc'h" en Bretagne ou dans les îles anglo-saxonnes. L'archipel de Molène montre de parfaits exemples de ce dispositif morphologique notamment pour les îles de Béniguet, de Trielen, ou de Quéménez[15],[16],[17],[18],[19]. Enfin, lorsque les points d’appui sont nombreux et entraînent une diffraction complexe des houles, les queues de comète peuvent prendre une forme sinusoïdale[9].

En Bretagne, l’archipel de Molène situé au large du Finistère comporte de nombreuses queues de comète car il est constitué d’une multitude d’îles, d’îlots et d’écueils propices à la construction de ces formes d'accumulation. En 1959, André Guilcher considérait déjà l’archipel de Molène comme un « laboratoire intéressant pour l’étude de l’adaptation des accumulations littorales à la houle »[15]. Quelques années plus tard, dans une étude géomorphologique de l’archipel de Molène, Bernard Hallégouët écrivait : « on y rencontre un véritable laboratoire […], il serait donc souhaitable que les chercheurs puissent y installer des stations de mesures et d’observation afin de suivre l’évolution du milieu et d’étudier les processus morphodynamiques s’exerçant sur les fonds et les rivages »[17]. Les côtes du nord Finistère et du Trégor (Côtes d'Armor) constituées de larges plateformes littorales à écueils[20] sont aussi des secteurs où l'on trouve de multiples queues de comète[9],[10],[11].

Exemples

Vue à marée basse de la passe aux Bœufs, la queue de comète de l'île Madame aménagée en chaussée submersible.
Vue aérienne de Surtsey en Islande depuis l'ouest avec sa queue de comète, Norðurtangi.
Vue de Zlatni Rat sur l'île croate de Brač depuis le Vidova Gora.

Notes et références

  1. « Typologies : zones humides, formes du littoral, formations coralliennes », sur ens-lyon.fr (consulté le ).
  2. a et b « Queue de comète, tombolo et épi », sur universalis.fr (consulté le ).
  3. Jean-Claude Dionne, « André Guilcher : notice biographique », Géographie physique et Quaternaire, vol. 35, no 2,‎ , p. 130–131 (ISSN 0705-7199 et 1492-143X, DOI 10.7202/1000432ar, lire en ligne, consulté le )
  4. Jean-René Vanney, « Un phare s'est éteint : André Guilcher », Annales de géographie, vol. 103, no 577,‎ , p. 293–299 (DOI 10.3406/geo.1994.13784, lire en ligne, consulté le )
  5. Jean-Claude Bodéré, « Jean-Claude Bodéré, président de l'Université de Bretagne Occidentale », Norois, vol. 165, no 1,‎ , p. 5–6 (lire en ligne, consulté le )
  6. François Carré, « André Guilcher (1913-1993), une vie de géographe. (1 photo, 1 fig.). Bibliographie des travaux d'André Guilcher de 1982 à 1994 », Norois, vol. 165, no 1,‎ , p. 7–30 (lire en ligne, consulté le )
  7. Raymond Regrain, « André Guilcher géographe des littoraux : une œuvre et son contexte », Norois, vol. 165, no 1,‎ , p. 31–35 (DOI 10.3406/noroi.1995.6608, lire en ligne, consulté le )
  8. André Guilcher, « L’île de Béniguet (Finistère), exemple d’accumulation en queue de comète », Bulletin d’Information du Comité Central d’Océanographie et d’Étude des Côtes, série 2, vol. 7,‎ , p. 243-250
  9. a b c d e et f André Guilcher, B. Adrian et A. Blanquart, « Les « queues de comète » de galets et de blocs derrière les roches isolées sur les Côtes Nord-Ouest et Ouest de la Bretagne. », Norois, vol. 22, no 1,‎ , p. 125–145 (DOI 10.3406/noroi.1959.1247, lire en ligne, consulté le )
  10. a b et c André Guilcher et B. Adrian, « L’archipel de Lilia et Landéda (Finistère), étude géomorphologique », Cahiers Océaniques, tome 11 no 4,‎ , p. 219-230.
  11. a b c et d Jean-Pierre Pinot, « Quelques accumulations de galets de la côte trégoroise », Annales de géographie, vol. 72, no 389,‎ , p. 13–31 (DOI 10.3406/geo.1963.18429, lire en ligne, consulté le )
  12. André Guilcher, Cuchlaine A. M. King et L. Berthois, « Spits, Tombolos and Tidal Marshes in Connemara and West Kerry, Ireland », Proceedings of the Royal Irish Academy. Section B: Biological, Geological, and Chemical Science, vol. 61,‎ , p. 283–338 (ISSN 0035-8983, lire en ligne, consulté le )
  13. a et b Jean-Pierre Pinot, Quelques accumulations de galets sur la côte trégoroise, revue "Annales de Géographie", 1963, consultable http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1963_num_72_389_18429
  14. Alain Hénaff, « Recherche d’indicateurs géomorphologiques de variation de l’orientation des houles sur les côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche au cours des 25 dernières années, analyse des données et comparaison avec les données de l’atlas numérique de houle EDF-LNHE », La Houille Blanche, vol. 94, no 1,‎ , p. 61–71 (ISSN 0018-6368 et 1958-5551, DOI 10.1051/lhb:2008006, lire en ligne, consulté le )
  15. a et b André Guilcher, « L’archipel de Molène (Finistère). Etude morphologique », Revue de Géographie Physique et de Géologie Dynamique, tome 2, vol. 2,‎ , p. 81-96.
  16. Bernard Hallégouët, « L’archipel de Molène – Géomorphologie », Penn ar Bed, no 110,‎ , p. 79-97.
  17. a et b Bernard Hallégouët, « Géomorphologie de l’archipel de Molène », Penn ar Bed, no 110,‎ , p. 83-97.
  18. Bernard Fichaut et Serge Suanez, « Plage fuyante à Trielen », Penn ar Bed, nos 199/200,‎ , p. 2-12.
  19. a et b Serge Suanez, Bernard Fichaut, Rudy Magne et Fabrice Ardhuin, « Changements morphologiques et budget sédimentaire des formes fuyantes en queue de comète de l’archipel de Molène (Bretagne, France) », Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 17, no 2,‎ , p. 187–204 (ISSN 1266-5304, DOI 10.4000/geomorphologie.9397, lire en ligne, consulté le )
  20. René Battistini et Serge Martin, « La « Plate-forme à écueils » du Nord-Ouest de la Bretagne », Norois, vol. 10, no 1,‎ , p. 147–161 (DOI 10.3406/noroi.1956.1121, lire en ligne, consulté le )
  21. http://communes.bretagne-environnement.org/telecharger/CELRL_Atlas_micro_insulaire_breton/373_ile_du_bec.pdf
  22. http://communes.bretagne-environnement.org/telecharger/CELRL_Atlas_micro_insulaire_breton/244_roc_h_kerlabenn.pdf
  23. « sallevirtuelle.cotesdarmor.fr/… »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?).

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