Pour les spectateurs francophones, la connaissance du cinéma autrichien[1] se limite parfois aux derniers succès de Michael Haneke ou à ceux, plus lointains, d’Ernst Marischka évoquant dans les années 1950 la vie de l’impératrice Sissi.
Parmi les pionniers du cinéma, on peut relever le nom du mathématicien et astronome tyrolienSimon von Stampfer qui mit au point un appareil optique très proche du phénakistiscope inventé par le Belge Joseph Plateau à Gand à peu près au même moment (1831-32).
À partir de 1885, au Prater de Vienne, le "Kaiserpanorama" (panorama impérial), un ancêtre du cinéma, peut accueillir jusqu'à 12 spectateurs qui, moyennant finance, ont la possibilité de jeter simultanément un coup d'œil dans un stéréoscope.
1896 est une année décisive. À partir du mois de mars on projette à Vienne un petit programme de films des frères Lumière, et le l'Empereur François-Joseph y assiste en personne.
Les premiers films muets
Les premières sociétés de production qui s'installent en Autriche sont françaises : les Pathé Frères s'implantent à Vienne dès 1904, Gaumont suit en 1908 et la société Éclair en 1909. Elles dominent le marché des actualités cinématographiques jusqu'à la Première Guerre mondiale.
La première production authentiquement autrichienne consiste en quelques images tournées en 1903, Der Kaiserbesuch in Braunau/Inn (La Visite de l'Empereur à Braunau sur l'Inn). Les films de fiction apparaissent avec un décalage d'une dizaine d'années par rapport à la France ou à l'Angleterre. En 1906 le photographe viennois Johann Schwarzer commence à tourner et à exporter une série de courts métrages érotiques (par exemple Am Sklavenmarkt), mais la police les confisque en 1911.
Le premier long métrage (en fait d'une durée de 35 minutes), Von Stufe zu Stufe (D'un échelon à l'autre), aurait été projeté à Vienne en décembre 1908. À défaut de certitudes à ce sujet, on peut plus sûrement attribuer le titre à Der Müller und sein Kind (Le Meunier et son fils), une production germano-autrichienne de 1911.
Anton Kolm, qui tourne des saynètes comiques sur le modèle français et des films populaires, est l'un des premiers réalisateurs. En 1910, Kolm et sa femme Luise Kolm, également réalisatrice, en association avec Jacob Fleck, fondent « la première industrie cinématographique autrichienne » qui portera par la suite le nom de Wiener Kunstfilm. Cette entreprise revendique aussi une approche artistique, sur le mode des films d'art à la française. Peu après, en 1912, Sascha Kolowrat-Krakowsky fonde la Sascha-Filmfabrik à Vienne. Ces deux sociétés de production resteront les plus importantes en Autriche jusqu'aux années 1920 (lorsque la Wiener Kunstfilm devra affronter Vita-Film) et 1930 (Sascha-Film est alors confisquée par les nazis allemands et rebaptisée Wien-Film).
À cette époque le cinéma est déjà très populaire. Pourtant une partie de la bonne société ainsi que les dirigeants continuent d'adhérer à une vision élitiste de la culture, représentée par la peinture, l'architecture, la musique, notamment l'opéra et l'opérette, et manifestent plutôt du mépris à l'égard de ces nouvelles distractions. Quelques rares personnalités font exception, par exemple l'écrivain Hugo von Hofmannsthal. La censure se fait tâtillonne et en 1910 un texte interdit aux enfants d'assister aux projections. Par ailleurs les milieux du théâtre craignent cette concurrence nouvelle, et c'est ainsi que les acteurs du Burgtheater n'ont pas le droit de participer à un film, sous quelque forme que ce soit.
Le cinéma prend pourtant une importance croissante et l'on voit apparaître des périodiques spécialisés, tels que Das Lichtbild-Theater et Dramagraph-Woche en 1911, Filmkunst et Kastalia en 1912 ou Die Filmwoche en 1913.
Entre les deux guerres
Au lendemain de la guerre, la situation du cinéma n'est d'abord pas si mauvaise en Autriche, car le cours de la couronne autrichienne est très bas, de telle sorte que les films nationaux sont plus abordables que les autres. Il faut reconnaître que la qualité n'est pas toujours au rendez-vous, en dépit des quelques films remarquables produits alors. Par exemple, si l'on associe généralement le cinéma expressionniste à l'Allemagne, l'Autriche est pourtant partie prenante dès le début. Paul Czinner y tourne Inferno (1920). Le scénario du Cabinet du docteur Caligari est l'œuvre de deux Autrichiens, Carl Mayer et Hans Janowitz. L'Autrichien Fritz Kortner, l'un des grands acteurs du mouvement, apparaît aux côtés de Conrad Veidt dans Les Mains d'Orlac, un film expressionniste autrichien tourné par le réalisateur allemand Robert Wiene.
Cette décennie est aussi celle des grands films épiques, conçus sur le modèle des superproductions apparues en Amérique et en Italie quelques années auparavant (telles que Naissance d'une nation, Intolérance ou Cabiria). L'Autriche produit à son tour des films spectaculaires, par exemple Samson et Dalila (1922) de l'émigré hongrois Sándor Laszlo Kellner (futur Alexander Korda) —, Sodome et Gomorrhe (1922) et L'Esclave reine (Die Sklavenkönigin) (1924) de son compatriote Mihály Kertész qui se fera bientôt appeler bientôt Michael Curtiz. Ce seront les plus imposantes productions jamais réalisées en Autriche. Leurs budgets sont colossaux, tous les acteurs en vue veulent y participer et, par exemple, pour la reconstitution du temple de Sodome, les meilleurs architectes du pays sont mis à contribution : Emil Stepanek, Artur Berger et Julius von Borsody.
Entre 1919 et 1922, la production autrichienne avait atteint des sommets, avec 100 à 140 films par an. Mais, à partir de 1923, toute la production européenne amorce un déclin en raison de la concurrence croissante des États-Unis. Déjà amortis dans leur pays, les films américains arrivent en Europe à moindre coût. Par ailleurs, l'inflation ayant été enrayée en Allemagne et en Autriche, les films autrichiens sont désormais moins avantageux, donc plus difficiles à exporter. La production nationale chute au milieu des années 1920, à un niveau de vingt à trente films par an.
En 1938, l'Autriche est annexée à l'Allemagne (Anschluss). Tous les artistes et toutes les personnes travaillant dans l'industrie cinématographique, s'ils sont juifs ou hostiles au régime nazi, doivent quitter l'Autriche. Ils émigrent vers la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, où plusieurs d'entre eux remportent un grand succès.
Entre 1945 et 1970
C'est la grande époque des comédies musicales et des films sentimentaux de terroir, ceux que l'on appelle les Heimatfilme. En effet, les villes autrichiennes ayant été très endommagées pendant la guerre, les réalisateurs préfèrent tourner leurs films à la campagne, donnant ainsi une image plus positive du pays, splendide et généreux. En ces temps de reconstruction, les spectateurs aspirent avant tout à la sécurité, guère enclins aux films sérieux ou trop critiques. De fait, l'action de nombreuses comédies se situe dans les milieux de la monarchie austro-hongroise, un cadre propice à la romance, évoquant le luxe, la beauté et l'élégance. On comprend pourquoi les films de Sissi — et beaucoup d'autres de la même veine produits pendant cette période — sont aussi appréciés, non seulement en Autriche, mais également à l'étranger. Les stars des années 1950 et 60 sont principalement Peter Alexander, Attila Hörbiger, Magda Schneider, Wolf Albach-Retty, Romy Schneider, Hans Moser et bien d'autres.
Après 1970
Pendant cette décennie la production cinématographique autrichienne fléchit jusqu'à atteindre ses chiffres les plus bas : de 5 à 10 films seulement sont produits chaque année. Le succès de la télévision donne le coup de grâce à une industrie conservatrice. En parallèle une nouvelle génération de cinéastes apparaît. PLus jeunes et plus critiques, ils s'orientent volontiers vers un cinéma expérimental. Au sein de cette avant-garde — dont certains membres s'étaient déjà fait connaître dans les années 1950 —, on remarque les noms de Peter Kubelka, Franz Novotny, Ernst Schmid Jr., Ferry Radax, Kurt Kren, Valie Export, Otto Muehl ou Peter Weibel.
Longtemps attendue, une politique d'aide publique se met en place dans les années 1980 et permet au cinéma autrichien de prendre un nouveau départ. Cependant l'âge d'or des années 1920 et 30, voire des années 1950, est bel et bien révolu : désormais les gens possèdent des téléviseurs, des ordinateurs et ont accès à bien d'autres possibilités de loisirs.
Des genres presque oubliés sont redécouverts. Les comédies, toujours très appréciées, ont des contenus bien différents maintenant. Le drame est aujourd'hui le genre le plus représenté. Les films d'action, de fantasy, les thrillers et les films d'horreur sont peu présents car ils nécessitent d'importants moyens pour les effets spéciaux, ce qui n'est pas possible en Autriche où le budget d'un film dépasse rarement 1 à 2 millions d'euros (2,5 miillions de dollars au maximum). En effet des coûts supérieurs ne pourraient être amortis, car très peu de films sont distribués hors des frontières et le marché national dominé par le cinéma américain est très restreint. Presque tous les réseaux de distribution sont entre les mains des majors américaines qui contrôlent le marché autrichien à travers un système d'exploitation complexe. C'est ainsi que les films autrichiens ne bénéficient pratiquement d'aucune stratégie de marketing et de publicité, car les distributeurs étrangers préfèrent promouvoir leurs propres productions.
Aujourd'hui
Néanmoins, depuis les années 1990, l'industrie cinématographique autrichienne a pu se réorganiser. Plusieurs réalisateurs de talent, chevronnés ou plus jeunes, se sont associés pour partager leurs ressources au sein de leurs propres sociétés. Quant aux autres entreprises — (les plus puissantes étant Dor Film et Allegro-Film), avec au moins deux longs métrages par an —, elles se consacrent principalement à des productions dont le succès commercial semble assuré, par exemple celles mettant en scène des vedettes de music-hall très populaires en Autriche. Des comédies telles que Hinterholz 8 ou Poppitz ont ainsi battu des records d'audience dans le pays au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ces grosses sociétés produisent aussi quelques films sérieux, mais en nombre restreint, sauf si des chiffres de fréquentation significatifs peuvent être espérés à l'étranger.
La part de marché des films nationaux est l'une des plus faibles d'Europe. 3 % des spectateurs seulement vont voir un film autrichien. Chaque année, les dix premiers films au palmarès des salles sont tous américains.
L'existence de longs métrages d'animation autrichiens n'a pu être établie. Notons cependant la collaboration de l'Autriche à une série télévisée japonaise des années 1970, Maya l’abeille, et les noms de quelques créateurs contemporains, tels que Hubert Sielecki, Stefan Stratil ou Mara Mattuschka.
↑La plus grande partie des données contenues dans cet article sont empruntées aux différents articles très détaillés de la version allemande de Wikipédia consacrés au cinéma autrichien. Pour les sources précises, voir ces articles, par exemple celui consacré à l'histoire du cinéma autrichien : (de) Österreichische Filmgeschichte
(de) Walter Fritz, Im Kino erlebe ich die Welt: 100 Jahre Kino und Film in Österreich. Verlag Christian Brandstätter, Vienne, 1997 (ISBN3-85447-661-2).
(de) Arthur Gottlein, Der österreichische Film - ein Bilderbuch. Österreichische Gesellschaft für Filmwissenschaft, Kommunikations- u. Medienforschung, Vienne, 1976.
(de) Barbara Langl, Karl-Gerhard Strassl et Christina Zoppel, Film made in Austria: Finanzierung, Produktion, Verwertung, StudienVerlag, Innsbruck, 2003 (ISBN3-7065-1627-6)
(de) Claudia Preschl, Frauen und Film und Video: Österreich, Filmladen, Vienne, 1986.
(de) Gottfried Schlemmer et Brigitte Mayr, Österreichische Film: Von seinen Anfängen bis heute, SYNEMA, Vienne, 1999 (ISBN3-901644-03-2).
(en) Robert von Dassanowsky, Austrian cinema - a history, McFarland, Jefferson (Caroline du Nord) et Londres, 2005 (ISBN0-7864-2078-2).
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(fr) Léon Torossian, « Autriche : hors de l'impasse ? », Écran n° 77, , p. 14
(fr) « Que va devenir le cinéma autrichien ? », Pour Vous n° 488, , p. 10
(fr) René Jeanne, « Le cinéma en Autriche », Pour Vous n° 583, , p. 7
(fr) René Geneste, article général + critique du film Le Procès, L'Écran français n° 147, , p. 4-5
(fr) Adolphe Huebl, « Le cinéma d'enseignement en Autriche », Image et Son - La Revue du Cinéma n° 19, , p. 12
(fr) Jean-Pierre Chemineau, « Situation du cinéma autrichien », Cinéma n° 281, , p. 54
(fr) Christa Blümlinger, « Le cinéma autrichien comme lieu de "Résistance" » ?, revue Austriaca (Centre d'études et de recherches autrichiennes, Mont-Saint-Aignan), n° 57, 2003, p. 233-239
Liens externes
(de) Filminstitut (base de données, statistiques, liens)