Christian Dutoit, né le à Rabat (Maroc) et mort le à Paris[1], est un journaliste français, fondateur et dirigeant de plusieurs services et chaînes de télévision.
Proche de Pierre Desgraupes, il fait sa carrière à l'ORTF, dans les années 1960 et 1970. En 1981, il est nommé sous sa présidence, à la direction des programmes d'Antenne 2.
On le retrouve ensuite chargé du développement et du lancement de La Cinq en 1985. Après sa privatisation en 1987, il codirige l'antenne de TF1 puis il conçoit et lance sa chaîne d'information LCI en 1993.
En 1995, il conçoit et lance les 18 chaînes du bouquet AB-sat (Mediawan) puis élabore la chaîne i>télévision (CNews) pour le groupe Canal+ à partir de 1997 pour laquelle il est nommé directeur général. En 2002, il prend la direction du groupe de productions Expand (Canal+).
Alors que le Maroc est encore sous protectorat français, le jeune Christian Dutoit fait ses études au Lycée d'Oujda[2]. Bien qu'il soit âgé de 16 ans et qu'il n'ait pas achevé ses études, il entre comme journaliste au quotidien Le courrier du Maroc en 1956[3].
Il collabore ensuite successivement à l'agence United Press International et à l'Agence centrale parisienne de presse, concurrente de l'AFP, pour lesquelles il assure la couverture de la guerre d'Algérie[4].
La télévision à l'ORTF
En 1963[5], il entre à la Radiodiffusion-Télévision Française qui devient l'ORTF une année plus tard[6], comme journaliste affecté au bureau des informations à Paris, alors sous l'égide de Raymond Marcillac. La rédaction de la télévision nationale se situe dans les mythiques locaux de la rue Cognac-Jay. Il sélectionne, traite, réécrit et transmet les dépêches imprimées par les téléscripteurs de toutes agences[7].
Dès lors, il est très proche de Pierre Desgraupes[8] dont il devient progressivement le bras droit, jusqu'en 1985[9].
Cette époque télévisuelle est principalement marquée par le succès du célèbre et populaire magazine d'actualités Cinq colonnes à la une[10].
Le 12 mai 1968, à la suite d'une censure directe, les journalistes et producteurs de Cinq colonnes à la Une entament une grève à laquelle participe ensuite toutes les catégories de personnel de l'ORTF[11].
L'émission Cinq colonnes à la une fait aussi les frais de ce mouvement; certains journalistes, réalisateurs ou producteurs doivent attendre jusqu'en 1981 pour reprendre du service[13].
Durant une courte période de transition, Christian Dutoit participe à la création d'une unité de production alternative à l'initiative du créateur du Centre de recherche sur l'éducation permanente et l'action culturelle (CREPAC)[14].
À l'occasion du changement politique ayant suivi l'élection du président Georges Pompidou, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas entend réformer l'ORTF et donner à l'information une certaine indépendance éditoriale, avec notamment la suppression du ministère de l'Information, en novembre 1969[16].
En 1972, Christian Dutoit refuse sa mutation sur la deuxième chaîne ORTF; il est alors affecté au département de la formation professionnelle et il va former de nombreux jeunes espoirs, dans le cadre du Centre de formation des journalistes de l'ORTF, jusqu'en 1974[4].
Les années Antenne 2
L'année 1974 est marquée par de nouveaux changements politiques avec la mort inattendue du président Georges Pompidou et l'élection de Valéry Giscard d'Estaing. Après le démantèlement de l'ORTF, Marcel Jullian, premier PDG d'Antenne 2, nomme Christian Dutoit rédacteur en chef technique de l'information en 1975 à la deuxième chaîne nationale[4].
Marcel Jullian lui propose de devenir secrétaire général à la production, ce qui lui permet de monter dans la hiérarchie d'Antenne 2 et d'intégrer pour la première fois, le cercle des dirigeants de télévision[4].
Mais dès l'arrivée de Jean-Pierre Elkkabbach à la direction de l'information d'Antenne 2 en 1977, Christian Dutoit est relevé de ses fonctions[4].
Dutoit et Michel Thoulouze se déplacent jusqu'au domicile de Pierre Lescure pour le convaincre de rejoindre Antenne 2 afin de diriger les variétés et les émissions pour la jeunesse[26].
Dutoit présente ensuite le monteur créatif Alain de Greef[27] à Pierre Lescure, alors en quête d'un « véritable numéro 2 » pour les variétés et divertissements; Dutoit estime que leur travail en commun sera productif pour Antenne 2[28]. L'aventure commune des Enfants du rock et du futur Canal+ s'engage. Dans son autobiographie parue en 2012, Lescure déclare que « Dutoit a eu du nez » quand il lui a conseillé De Greef[29].
En 1984, Christian Dutoit et Pierre Lescure sont pressentis par André Rousselet pour diriger Canal+; Dutoit décline et lui conseille de choisir Pierre Lescure[34].
Il tente aussi de convaincre sans succès son complice Michel Drucker, de le rejoindre sur La Cinq[36].
La Cinq est en concurrence directe avec TF1 et les spécialistes estiment que le gâteau publicitaire ne peut pas permettre à toutes les chaînes de subsister[37], Christian Dutoit réussit un coup double : diffuser certaines retransmissions de boxe tout en offrant en contrepartie des rencontres aux producteurs, de l'espace publicitaire à l'antenne[38] qu'ils ont le loisir de commercialiser directement. Le publicitaireJacques Séguéla, patron d'Havas-Advertising accepte d'en acheter la moitié, pour 2,5 millions de francs (381 000 €)[39].
En 1987, Francis Bouygues, PDG de TF1 qui vient de recruter Étienne Mougeotte, propose à Christian Dutoit de devenir le numéro deux de l'antenne fraichement privatisée; c'est-à-dire son directeur général adjoint[40]. Également sollicités, Philippe Labro et Pierre Lescure déclinent les propositions de rejoindre TF1[41]
Christian Dutoit est considéré par Étienne Mougeotte, comme étant à la fois agile, imaginatif et intuitif[42]. Francis Bouygues fait comprendre à Christian Dutoit qu'il a des ennemis dans la profession mais que cela ne l'empêchera pas de l'embaucher[43]. Le 27 avril 1987, Dutoit accepte la proposition de TF1 privatisée dont la direction de la rédaction est proposée à Jean-Claude Pâris, sans qu'il l'accepte, ni la refuse[44]. Michèle Cotta quitte ses fonctions à la Haute autorité de l'audiovisuel en septembre 1986, à la suite du changement politique et de gouvernement[45] puis Christian Dutoit la nomme Directrice de l'information à TF1, un an plus tard[46].
Cette période de forte concurrence entre La Cinq et TF1 se joue également au niveau de l'information : en 1995, Dutoit déclare au sujet de cette période, lors de la couverture de la Guerre du Golfe par TF1 : Une usine aussi lourde qui arrive à fonctionner, à réagir au doigt et à l'œil, sans un seul pépin, sans incident, c'est une consécration ! Aucun des networks américains n'est capable de ça, ni la BBC, ni la NHK. Personne n'est capable de faire ce qu'Étienne et moi avons fait pendant cette guerre[51]... En revanche, selon Dutoit, si les événements sportifs ponctuels sont très performants en audience, il bien plus complexe de fidéliser et de rassembler des téléspectateurs au quotidien sur des tranches horaires précises et récurrentes[52].
Le 3 novembre 1993, Dutoit présente son projet à la direction de TF1; il détermine que la valeur de l'information étant stratégique dans l'univers médiatique, une telle chaîne va représenter "un instrument de pouvoir"[59].
À la suite de l'étude qu'il a menée, Dutoit estime qu'il existe "...une attente réelle chez les provinciaux de tous milieux et de toutes orientations politiques. Ils considèrent que la télévision est faite par des Parisiens pour des Parisiens; et que tout ce qui se déroule à l'extérieur du périphérique n'existe pas"[60].
La création de La Chaîne Info est également souhaitée par le groupe TF1[61], notamment afin de permettre à certaines personnalités politiques ne pouvant pas s'exprimer sur la Une, de trouver un média leur permettant de le faire[62].
LCI est lancée le 24 juin 1994 et dirigée par Christian Dutoit avant d'être reprise, huit mois plus tard, par Jérôme Bellay[63].
En octobre 1994, à la suite d'un trait d'ironie lors de la remise de la Légion d'Honneur, Christian Dutoit se voit immédiatement signifier son licenciement; lors du cocktail donné après la cérémonie, il a plaisanté en évoquant que travailler avec Patrick Le Lay, ce n'est pas de la tarte[64]. Ce type de pratiques de la direction de TF1 n'est pas isolée[65] et d'autres cadres dirigeants en font les frais comme Anne Sinclair, Christine Ockrent ou Cyril du Peloux[66]. Ainsi, même Patrick Poivre d'Arvor, champion évincé du 20h subit des conditions vexatoires similaires : le 11 juillet 2008, lendemain de son dernier JT, il sort de TF1 pour déjeuner et faire une conférence de presse. À son retour, il découvre son bureau rempli de cartons avec les déménageurs en train de s'activer[67].
En 1995, alors que Canal+ subit des retards pour lancer son bouquet de chaînes numériques par satellite et que son concurrent TPS en est encore au stade de projet, Claude Berda, PDG du groupe AB demande à Christian Dutoit de concevoir une offre alternative qui se veut populaire et donc proposant un abonnement moins coûteux[68]. L'objectif consiste à lancer un bouquet numérique de 18 chaînes thématiques dès le mois d'avril 1996 sur les réseaux câblés en Suisse puis en France, quelques mois après[69].
En août 1997, le président du groupe Canal+Pierre Lescure lui demande de concevoir et lancer la seconde chaîne d'information française : i>télévision[70]. Dutoit se déplace à New York pour s'inspirer de la chaîne New York One, une chaîne locale américaine où ses reporters journalistes vivent dans le quartier qu'ils sont chargés de couvrir[71]. Comme ce qui se pratique en radio à la même époque, les journalistes de terrain produisent et contrôlent leur reportage totalement, en effectuent le montage, enregistrent eux-mêmes leur commentaire avant de verser ce fichier dans la play-list de diffusion[72].
L'objectif de la réactivité et de la priorité au direct en images depuis le lieu où se situe l'événement représente l'objectif principal voulu par Christian Dutoit pour concurrencer LCI, chaîne alors plus axée sur les analyses d'experts et journalistes spécialisés s'exprimant en plateau[71].
Mais avant même son lancement, la nouvelle chaîne d'information subit les critiques par une partie de la presse[76]. Une émission spéciale de Marc-Olivier Fogiel qui va quitter Canal+ quelques jours plus tard, dénonce l'inexpérience des jeunes journalistes[72] et Les Guignols qui ironisent quotidiennement sur les ratés présumés de la nouvelle chaîne info, font alors fortement réagir Pierre Lescure[73].
Dès la fin de l'année 1999, le site web de la chaîne est axé presque exclusivement sur la vidéo et dont la production exécutive et la régie publicitaire sont confiées à une filiale de Vivendi : le service va proposer des podcasts et l'antenne en direct en streaming[77]. Un modèle économique innovant préfigure un service similaire à celui de Youtube qui va l'exploiter cinq ans plus tard[78].
Parallèlement à la chaîne i>télévision, Christian Dutoit initie avec Jean-Jacques Silberstein avec lequel il a travaillé à La Cinq et à AB-sat, un service d'information interactif délocalisé, Le Journal de chez vous, préfigurant sur l'écran de télévision, le délinéarisé et les futures applications interactives sur smartphone[79].
Le 17 avril 2001, alors que Canal+ connaît des soubresauts importants pour sa prise de contrôle[37], le PDG de VivendiJean-Marie Messier force Pierre Lescure à quitter le groupe[81]. Ce départ entraine la fusion des rédactions, refusée Pierre Lescure juqu'ici[73].
Le 4 août 2001, Christian Dutoit quitte la chaîne i>télévision[82]. Il est remplacé par son collègue Jean-Claude Pâris. Il ne quitte pas pour autant le groupe Canal+ en prenant la tête d'Expand où il retrouve Michel Drucker nommé conseiller pour les affaires audiovisuelles ainsi que le réalisateur-producteur Renaud Le Van Kim[83].
Il fonde le cabinet conseil MCD en janvier 2011[88].
À la suite de sa disparition survenue le 5 septembre 2021[89],[90] à l'âge de 80 ans, certains professionnels saluent sa mémoire. Dans un communiqué, le CSA évoque une grande figure du secteur audiovisuel et un précurseur. Ceux qui ont eu le plaisir de le côtoyer soulignent son humour, son esprit visionnaire et son profond attachement à l’intérêt du public[91]. La revue Écran-Total : Il fut une figure importante de la télévision française[92]. Jean-Luc Azoulay : Christian Dutoit, l’homme qui a créé le nouveau TF1 aux côtés d’Étienne Mougeotte[93]. Michel Denisot : Il savait tout de la télévision depuis longtemps. Il m’a accueilli à mes débuts avec bienveillance et m’appelait Banga hier encore. J’ai commencé avec lui en apportant des jus de fruits à Cognacq-Jay[93]. Jean-Pierre Foucault : Christian Dutoit grand homme de télé. Une belle aventure à ses côtés avec Étienne Mougeotte et Patrick le Lay , la création de TF1. Colères légendaires mais grand cœur ![93].