Après avoir obtenu son baccalauréat, il commence à préparer au lycée de Montpellier[1] le concours d'entrée à deux grandes écoles françaises : l'École centrale et Supaéro pour assouvir sa passion de l'aviation et des mathématiques. Louis Leprince-Ringuet, à qui Boby Lapointe présente un traité de mathématiques, est impressionné par sa rigueur de raisonnement et lui confie qu'il aurait pu se lancer dans la recherche[2],[3]. Boby Lapointe crée par la suite un mode de représentation graphique et phonétique des nombres binaires ou hexadécimaux, appelé la numération Bibi, ou système Bibi ou encore : système bibi-binaire.
La guerre
À l'âge de vingt ans, il doit abandonner ses études et est envoyé à Linz, en Autriche, en 1943 au titre du STO. Il s'évade la même année et rejoint, en mai 1944, sa région natale après sept mois d'errance sous différents noms d'emprunt[4]. Une anecdote veut que, parmi eux, il ait utilisé le nom de Robert Foulcan[4]. Sa grande stature et sa force physique lui permettent de devenir scaphandrier au port de La Ciotat, essentiellement pour échapper aux recherches dont il fait l'objet par les Allemands et la milice locale.
Son amour des mots et son envie d'écrire le poussent, à partir de ce moment, à composer des chansons dont le style est très marginal, tout en calembours, jeux de mots et contrepèteries : un style trop intellectuel pour qu'on lui donne facilement sa chance. Il rédige également un recueil de poèmes et un traité sur les calembours. Il cherche des interprètes pour ses chansons, mais son style rebute : lors d'un gala de la chanson à Juan-les-Pins, les Frères Jacques qu'il y rencontre déclinent sa proposition, un peu effrayés par la complexité des textes truffés de jeux d'esprit[5].
Débuts et succès
En 1946, il épouse Colette Maclaud, avec qui il aura deux enfants, Ticha et Jacky. La famille quitte La Ciotat et s'installe à Paris, où Boby Lapointe ouvre un commerce de layette. L'affaire ne marche pas et il est contraint de fermer son commerce. Dans la foulée, le couple divorce et Lapointe change de métier pour devenir installateur d'antennes de télévision, sans arrêter l'écriture.
C'est en 1954 qu'il commence officiellement sa carrière musicale : l'acteur Bourvil et le réalisateur Gilles Grangier choisissent une de ses chansons, Aragon et Castille, pour un passage musical où Bourvil chante, dans le film Poisson d'avril. Étienne Lorin, l'accordéoniste de Bourvil, est en effet devenu l'ami de Lapointe et a suggéré cette chanson à Bourvil. Bien que le film comme la chanson ne connaissent pas de succès, Lapointe est enfin introduit dans le milieu parisien.
Il fait ses grands débuts en tant que chanteur dans un cabaret parisien, Le Cheval d'Or. Il y croise Anne Sylvestre, Raymond Devos, Ricet Barrier et Georges Brassens, avec qui naît une sympathie réciproque. Lapointe est remarqué non seulement pour sa présence physique (sa taille et son aspect athlétique n'y sont pas étrangers, de même que ses airs faussement bourrus), mais aussi pour son élocution aléatoire et son style de textes tout en jeux de mots. Il devient ainsi l'attraction principale du cabaret et attire l'attention du réalisateur François Truffaut. Ce dernier imagine de lui faire jouer le rôle du chanteur de bar dans son nouveau film Tirez sur le pianiste, avec Charles Aznavour dans le rôle du pianiste. Truffaut juge utile, vu le rythme des calembours, de faire sous-titrer la séquence du chant. Boby Lapointe devient pour la presse « le chanteur français sous-titré ». Les chansons choisies sont Framboise et Marcelle. Lapointe rencontre Philippe Weil sur le tournage. Celui-ci l'engage dans un autre cabaret parisien, Les Trois Baudets. En 1960 et 1961, Lapointe y enregistre deux disques avec notamment les chansons Marcelle, Le Poisson fa, Bobo Léon et Aragon et Castille, qui rencontrent enfin le succès.
Les compositions suivantes ne démentent pas ce succès : L'Hélicon, Ta Katie t'a quitté, Saucisson de cheval, Comprend qui peut, Méli-mélodie, Le Tube de toilette, La Maman des poissons… Boby Lapointe devient un invité récurrent de l'émission Les Raisins verts de Jean-Christophe Averty, pour laquelle il va jusqu'à interpréter une chanson qui n'est pas à son répertoire habituel, Si j'avais un marteau, en maniant une faucille d'un air entendu.
Les années difficiles
Dans les années 1960, Lapointe et Brassens enchaînent les tournées et les récitals. Mais son côté fantasque lui fait commettre des erreurs. Quand il ouvre un café concert, Le Cadran Bleu, la faillite survient rapidement. Brassens le secourt en épongeant une partie des dettes et l'aide à trouver des petits boulots pour vivre. Le directeur des programmes d'Europe 1, Lucien Morisse, intervient pour qu'il signe un contrat. Mais la période yéyé a commencé et le style musical de fanfare, sur lequel toutes les chansons de Lapointe sont fondées, ne fait plus autant recette, ni sur les ondes ni dans les bacs[6].
En 1968, il invente le système bibi-binaire, système de numération qui préfigure une voie que suivra l'évolution de l'informatique. Ce système sera publié en 1970 dans le livre Les Cerveaux non humains, introduction à l'Informatique (S.G.P.P.), de Jean-Claude Quiniou, Jean-Marc Font, Gérard Verroust, Philippe et Claudine Marenco.
Il continue toutefois à chanter et sa dernière apparition en public a lieu en première partie d'un concert de son ami et admirateur Pierre Perret à la salle Bobino à Paris[7].
À partir de la fin des années 1960, Boby Lapointe reprend sa carrière au cinéma et tourne avec le réalisateur Claude SautetMax et les Ferrailleurs et Les Choses de la vie, dans lequel il incarne le chauffeur de la camionnette fatale. Il enchaîne ensuite l'interprétation d'autres personnages secondaires dans plusieurs autres films, d'autres réalisateurs. Dans le même temps, Joe Dassin pousse Lapointe à signer un nouveau contrat chez Fontana/Philips tout en devenant son producteur. Lapointe part en tournée pour promouvoir son dernier album, Comprend qui peut, sous la houlette de Dassin. L'album est illustré par un portrait du chanteur réalisé par le peintre naïf Maurice Ghiglion-Green. Ce portrait deviendra d'ailleurs quelques années plus tard l'icône de Lapointe, en pull marin et le nez dans les pâquerettes[8].
Son ami comédien Pierre Étaix, qui dès 1965 commence à avoir du succès au cinéma avec son personnage de clown Yoyo – avec aussi des hauts et des bas dans sa carrière de comédien – mesure le potentiel de comédien comique ou dramatique chez Boby Lapointe, et envisage de réaliser plusieurs films ou projets avec lui. Boby Lapointe n'aura pas le temps de concrétiser les projets[9].
Sa dernière apparition à la télévision remonte au , où il participe à l'émission de Christophe IzardLa Lucarne magique, aux côtés de la chanteuse Dani, du chanteur Michel Fugain, de l'acteur Claude Piéplu et d'autres célébrités de l'époque.
Atteint d'un cancer du pancréas, Boby Lapointe meurt le [10] à Pézenas où il est enterré. Il avait 50 ans. Il a enregistré une cinquantaine de chansons.
Œuvres
La discographie originale de Boby Lapointe est consultable sur le site « Boby Lapointe »[11]. Ces enregistrements ont fait l'objet d'une réédition sous coffret. Quatre CD sont édités chez Polygram.
« Le principe de base du Bibi, la numération hexadécimale, dont Boby n'est évidemment pas l'inventeur, est employée partout et tout le temps depuis la généralisation de l'informatique, mais les seize chiffres s'appellent bêtement 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, A, B, C, D, E, F. Mais il y a une façon et une seule d'exprimer chaque nombre entier positif en Bibi, donc mathématiquement, c'est cohérent[15]. »
Hommages
Gilbert Laffaille, dans sa chanson Hello, Boby !, lui a rendu un discret et tendre hommage :
« Ce satané Boby Lapointe, depuis qu'il a tourné le coin, à Pézenas comme à Paris ses copains et admirateurs ont du mal à s'y habituer. En ce qui me concerne, les soirs où son amitié et sa bonhomie me manquent un peu, je fais comme si rien n'était, j'écoute ses chansons pour qu'il continue à vivre, le bougre, et il continue. Mon vieux Boby, putain de moine et de Piscénois, fais croire à qui tu veux que tu es mort ; avec nous les copains ça ne prend pas. »
« Un jour, lors d'un enregistrement public, qu'est-ce que je vois sur le trottoir : un homme qui flanquait des coups de pied rageurs à sa voiture : « Bon ! puisque c'est comme ça, puisque tu te conduis mal, je ne te paierai plus d'essence ! » Je me suis approché, je me suis enquis de la personnalité du quidam. C'était Boby Lapointe. »
« Autour des années 60-65, nous faisions tous deux partie d'une tournée de Georges Brassens. Nous voyagions par deux ou trois dans des voitures particulières ; je partageais celle de Pierre Nicolas, le bassiste de Georges, et nous avions souvent des difficultés d'itinéraire. Nous nous arrêtions pour consulter la carte. J'affirme qu'après avoir pourtant constaté que nous étions sur la bonne route, dans la bonne direction, il nous est arrivé à plusieurs reprises de voir surgir en sens inverse la voiture de Boby qui nous saluait par le toit ouvrant, en continuant sa route. Inutile de dire que nous étions inquiets le soir à l'étape de savoir s'il serait à l'heure pour le spectacle. Il était là, gaillard, serein, arrivé avant nous, mais toujours secret sur ses mystérieux itinéraires[réf. nécessaire]. »
En 1992, le jazzmansuisseRené Bottlang, accompagné de Jean Querlier (saxophone et clarinette) et Phil Minton (voix), créent un festival de jazz, Bleus d'automne, à Pézenas, le 27 octobre 1992 pour le 70e anniversaire du chanteur. Deux ans plus tard, ils interprètent huit chansons de son répertoire dans l'album Round About Boby, décrit comme « un jazz très personnel » qui « sait mélanger loufoquerie et rigueur ». Cet album est réédité par Frémeaux & Associés en 2001[19].
Le groupe vocal a cappellaLes Grandes Gueules sort en 2000 un album intitulé Boby Groove, où apparaissent 13 chansons de Boby Lapointe, revisitées avec parfois de grandes libertés musicales par rapport aux versions originales[20]. Ce disque a donné naissance à un spectacle joué sur scène pendant les années 2000 et 2010[21].
En 2002, un album de reprises intitulé Boby Tutti-Frutti - L'hommage délicieux à Boby Lapointe sort au label Mercury, avec des chansons interprétées par différents artistes ou groupes de musique[22].
En 2012 , le pianiste de jazz Jean-Marie Machado invite André Minvielle pour un album hommage à Boby Lapointe qui s'intitule La Fête à Boby. L'album sort le 11 octobre sur le label Bee Jazz. L'album comprend des grands succès de Boby Lapointe repris et ré-arrangés, mais aussi des compositions originales de Jean-Marie Machado et André Minvielle inspirées par l'univers de Boby Lapointe[23].
« Dewaere est là aussi, dans un coin, et il trinque
Avec Bernard Dimey, avec Boby Lapointe[25] »
L'A-Musée
L'A-Musée Boby Lapointe[26] est un musée géré par l'association des amis de Boby Lapointe[27] dans la ville de Boby à Pézenas. On y retrouve une exposition permanente d'objets de l'artiste, sa discographie ainsi que des panneaux biographiques.
En 2000, son fils Jacky Lapointe crée le festival de musique intitulé Printival Boby-Lapointe. Il reçoit chaque année des interprètes qui font preuve d'originalité dans le développement d'un univers personnel[29].
En 2010, Boby Lapointe est cité dans la pièce Le Prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, lorsque l'un des personnages dit : « Arrête de jouer au con. Tu sais bien que c'est pas des prénoms normaux quand même. Apollin et Myrtille. On dirait une chanson de Boby Lapointe ! »[30].
En 2016, des chansons et textes de Boby Lapointe sont reprises et mises en scène dans un spectacle de théâtre hommage intitulé Tic tac d'amour[31] mise en scène par Jasmine Dziadon.
En 2019, Les compagnons pointent, une compagnie de théâtre belge, crée le spectacle L'histoire approximative mais néanmoins touchante et non-écourtée de Boby Lapointe[32]. En 2016, une première version de 35 minutes avait été présentée dans quelques lieux bruxellois.
Notes et références
↑Thomas Portier, « Le "bibibinaire", ovni mathématique », Le Monde, , p. 33 (lire en ligne [PDF]).
↑Michel Criton, Bibliothèque Tangente. Num. 28. Mathématiques & Littérature. Une fascination réciproque, Paris, Éditions Pôle Paris, , 160 p. (ISBN978-2-84884-060-4 et 2-84884-060-9).