Tous ses récits se déroulent dans son Égypte natale ou dans un pays imaginaire du Proche-Orient, bien qu'il ait vécu la plus grande partie de sa vie à Paris. Surnommé le « Voltaire du Nil » pour son ironie à l'égard des puissants, il a rendu hommage aux humbles et aux inadaptés de son enfance cairote et fait l'éloge d'une forme de paresse et de simplicité très éloignées des canons de la société contemporaine occidentale.
Albert Cossery naît le au Caire (Égypte), dans le quartier de Fagallah, au sein d'une famille de petits propriétaires terriens de la région de Damiette[3]. En 1998, il confie à Abdallah Naaman[4] : « Nous sommes des Chawâms[5] d'Égypte. Mon père est un grec orthodoxe originaire de la bourgade d'al-Qusayr, près de Homs, en Syrie[3]. Arrivé au Caire à la fin du XIXe siècle, il a simplifié la prononciation, d'où le patronyme que la famille a adopté : Cossery ».
Jusqu'à sa mort en 2008, il vit dans cette petite chambre d'où il sort chaque jour à 14h30, habillé comme un prince, costumes le plus souvent ocres, jaunes, chemises, cravates et pochette assorties. Il se promène dans les rues de son quartier de prédilection, au Café de Flore, chez Lipp, sur la place Saint-Sulpice, au jardin du Luxembourg, comme en témoigne Yves Simon[12].
Souvent, l'après-midi, il se rend au Chai de l'Abbaye, célèbre brasserie de la rue de Buci, d'où il peut observer durant des heures le spectacle de la vie parisienne. Il considère l'écrivain comme « celui qui va au marché, qui regarde partout, qui ne vend rien, qui n'achète rien et s'en va en emportant tout[13] ».
« Sa silhouette mince et élégante est devenue une figure aimée et respectée de ce quartier. À 92 ans, il continue à sortir tous les jours pour prendre un café à une terrasse d’où il peut observer les passants. Il sourit, plaisante des yeux et des mains puisque, à la suite d’une opération, la parole lui est très difficile et qu’il faut lire sur ses lèvres les mots que sa gorge refuse parfois de laisser passer[14]. »
Albert Cossery a traversé la vie avec l'ironie et le détachement d'un dandy, laissant sept romans, un recueil de nouvelles et un autre de poésie. Tous ses récits (il n'aimait pas qu'on les appelle « romans[15] ») se déroulent dans son Égypte natale ou dans un pays imaginaire du Proche-Orient, bien qu'il ait vécu à Paris dès l'âge de trente-deux ans. Ils ont souvent pour cadre les bas-fonds du Caire, au milieu des fous, des poètes, et des mendiants, quartiers qui lui rappellent son enfance. Ses personnages – voleurs, prostituées ou balayeurs de rues à l'ironie mordante – rejettent la réalité des hommes et des tyrans[16], comme dans Mendiants et Orgueilleux.
Albert Cossery vise à ce que chaque phrase soit, selon ses propres termes, « la goutte d’ammoniaque qui tire les gens de leur torpeur. Elle provoquera une rupture qui sapera les fondements de cette fausse cohésion imposée par les mécanismes d’une société close, stéréotypée, qu’elle soit régie par le système capitaliste ou tout autre système économique[17] ».
— Pierre Assouline, M. Cossery a quitté son hôtel, la République des Livres (blog Le Monde), 23 juin 2008
Henry Miller dira de lui : « Parmi les écrivains vivants de ma connaissance, aucun ne décrit de manière plus poignante ni plus implacable l’existence des masses humaines englouties[17] ».
L'auteur est animé d'un amour véritable pour ses personnages souvent hauts en couleur et s'il manie volontiers l'ironie et si la bouffonnerie des petits chefs fats et stupides est soulignée, il ne tombe jamais dans le cynisme, conférant à son style une grâce dynamique et humoristique.
À la question : « Pourquoi écrivez-vous ? », Albert Cossery répond : « Pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain ». Philosophe du dénuement et de la paresse érigés en art de vivre[19], il s'évertua toute sa vie à donner l’impression de ne rien faire : « Regardez ces mains, elles n'ont pas travaillé depuis deux mille ans » confie-t-il au Monde peu avant sa disparition en 2008[20]. « La vraie richesse, c’est de pouvoir vivre sans travailler : en France, je me sens beaucoup plus riche que les autres puisque j’ai gardé cette manière orientale d’envisager l’existence, sans travailler. [...] Ne rien faire, c’est un travail intérieur. L’oisiveté est indispensable à la réflexion. Et je suis toujours beaucoup sorti de ma chambre : pour moi, c’est essentiel de pouvoir se lever et d’aller dans la rue pour observer le spectacle du monde[14] ».
Ses amis et ses livres pourvoient à ses besoins : « Pas besoin de plus. Quand on a de quoi vivre, on ne travaille pas. Je ne possède rien. Je suis libre[21] ». Dans sa chambre de l'Hôtel La Louisiane, ni bibelots ni souvenirs : il ne possède que ses vêtements : « Pour attester ma présence sur terre, je n'ai pas besoin d'une belle voiture », ironisait-il[22].
« Je peux passer six mois sans rien écrire, à penser à une phrase; appelez ça de la paresse, si vous voulez. Pour moi, c'est de la réflexion[23] ». Méditer. Observer. Réfléchir. Prendre l'air, prendre le temps et reprendre ses phrases : « J'y retourne vingt fois, disait-il. Il faut prendre le temps. Si je n'ai rien à dire, alors je n'écris pas[21] ».
« Dans ses livres, Albert Cossery exalte la vie en Orient comme il la mène à Paris : il faut rire et jouir de l’existence, se libérer de toute forme de possession ou d’aliénation. [...] Albert Cossery est un écrivain rare : il n’a pas publié plus d’un roman par décennie. Chacun de ses livres est un joyau célébrant en français le mode de vie oriental, l’Égypte des pauvres qui cultivent, avec beaucoup d’humour, une certaine forme de sagesse, celle qu’il pratique lui-même dans le Paris de Saint-Germain-des-Prés[14]. »
« Je me suis un peu inspiré de ma famille. Mon père ne travaillait pas[24], ouvrait l'œil à midi. Moi-même, sauf pour l'école, je ne me suis jamais levé aux aurores[21]... ». Cette vie, il l'évoque dans Les Fainéants dans la vallée fertile[25] : autobiographique, ce récit à la fois comique et tragique met en scène une famille aisée dont aucun des membres ne travaille et qui passe l'essentiel de son temps à dormir[26]. En effet, élevé dans une famille où personne ne travaille (son père est rentier et de sa mère, on sait juste qu'elle est illettrée[14],[6] ), Albert Cossery n'a lui-même pratiquement jamais travaillé[14] : « Mon père et mon grand-père n'ont jamais travaillé. Ils n'étaient pas riches, mais les terres qu'ils possédaient nous permettaient de vivre bien. En cas de problème, ma mère vendait un bijou[23] ».
Albert Cossery s'est éteint à l'âge de 94 ans le à Paris, dans sa chambre de l'hôtel La Louisiane où il résidait depuis plus de soixante ans. Quelques jours avant son décès, il continuait à fréquenter ses habituels Café de Flore et des Deux Magots et travaillait à Une époque de fils de chiens, un roman resté inachevé[27]. Il repose depuis le au cimetière du Montparnasse, dans la 13e division, non loin du philosophe Emil Cioran.
Il disait écrire « pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain[28] » et sa devise était : « Une ligne par jour », parce qu'elle devait être porteuse d' « une densité qui percute et assassine à chaque nouveau mot[6] ».
Bibliographie
Œuvre personnelle
Poésie
1931 : Les Morsures, Imprimerie G. Karouth & Cie, Le Caire, 1931, 56 pages, épuisé[29].
Romans et nouvelles
1936 : Un homme supérieur (nouvelle) dans le numéro de Noël 1936 de La Semaine égyptienne[30].
Albert Cossery a également laissé quelques pages d'un roman inachevé, Une époque de fils de chiens, qui a été publié en 2009 par Télérama[27] et ajouté dans l'édition augmentée et enrichie de Mendiants et Orgueilleux parue en 2013 chez Joëlle Losfeld[31].
Nicola Hahn et Safi Khatib, Albert Cossery : beaucoup… passionnément… à la folie !, Paris, Dossier documentaire de l'Institut du monde arabe, 2006, 426 p.
Leïla Bouzenada, « Cossery, Albert » dans Dictionnaire des écrivains francophones classiques : Afrique subsaharienne, Caraïbe, Maghreb, Machrek, Océan Indien (collectif), dir. Christiane Chaulet Achour avec la collaboration de Corinne Blanchaud, éditions H. Champion, Paris, 2010, pp. 115-118 (ISBN978-2-7453-2126-8)
Abdallah Naaman, Histoire des Orientaux de France du Ier au XXe siècle, Ellipses, 2003 ; deuxième édition enrichie, 2019
Frédéric Andrau, Monsieur Albert Cossery, une vie, éditions de Corlevour, Clichy, 2013
Rodolphe Christin, Le Désert des ambitions : avec Albert Cossery, L'Échappée, 2017
Michel Hastings, "Albert Cossery, une éthique de la défection", Littérature, n°207, septembre 2022, p.5-18.
Adaptations théâtrales
Les Fainéants dans la vallée fertile : petit divertissement en quatorze scènes, adaptation de Jean-Jacques Silvio Brugevin in Les Cahiers de Chabramant, no 3-4, été 1986.
Les affamés ne rêvent que de pain, extrait des Hommes oubliés de Dieu : coproduction Égypte/Suisse (Pro Helvetia), 2001, 75 min, adaptation en arabe dialectal ; adaptation et mise en scène : Michel Faure, présenté du 21 au au Caire.
↑« Il n'a jamais travaillé de sa vie. Toujours sapé comme un prince, il ne lisait rien, sauf le journal. La nuit, lorsqu'il me trouvait en train de lire des romans, il me disait: « Tu vas perdre la vue ». Quand un critique littéraire a écrit un article sur mon premier recueil, il m'a dit: « Il y a des fous encore plus fous que toi et qui écrivent sur toi » (Cossery ). Dernier dandy à Paris, Libération, .
↑Texte aujourd'hui introuvable en français pour cause de non-réédition. Trois de ces poèmes ont néanmoins été republiés en 1955 dans l'anthologie de Jean Moscatelli Poètes en Égypte (éditions L'Atelier, Le Caire, 1955) et traduits en anglais par Jocelyn Spaar dans The Paris Review en 2013 (voir Teeth Marks: Three Early Poems by Albert Cossery, Anna Della Subin, The Paris Review, 3 décembre 2013).