La 4e étape du Tour de France 1952 se déroule le entre les villes du Rouen, qui accueille le Tour pour la troisième fois, et Roubaix, ville-étape pour la sixième fois[1].
Profil de l'étape
C'est la troisième fois que Rouen accueille le Tour de France (après 1949 et 1950)[2]. Le peloton quitte la place du Général-de-Gaulle pour le départ fictif et se déplace en groupe jusqu'à la route de Neufchâtel, d'où est donné le départ lancé. Il emprunte l'ancien tracé de la RN 28 de Rouen à Abbeville, l'ancien tracé de la RN 25 jusqu'à Arras, l'ancien tracé de la RN 37 jusqu'à Souchez, l'ancien tracé de la RN 25 de nouveau jusqu'à Seclin, puis l'ancien tracé de la RN 352 jusqu'à Roubaix, ville étape pour la sixième fois[3],[2]. Le profil est quelque peu accidenté sur la première partie, et davantage plat dans la seconde. En revanche de nombreuses sections pavées sont disséminées donnant au parcours une particularité et une difficulté singulière[4].
1re partie (138 km) : un tronçon accidenté avec quelques courtes côtes
La première partie commence à la sortie du Rouen, avant de prendre la route nationale en direction de Neufchâtel-en-Bray et de traverser le Pays de Bray. La première difficulté arrive après Saint-Martin-Osmonville (km 28) avec une côte de 1,8 km à 4 % de dénivelé moyen. Viennent ensuite une côte de 5 km à 3 % après Neufchâtel-en-Bray (km 42), une côte de 2 km à 5 % entre Ménonval et Vatierville (km 51), une côte de 2 km à 4,5 % après Fallencourt (km 63) et enfin une côte d'1,9 km après Blangy-sur-Bresle (km 73). Le dénivelé cumulé total sur cette portion est d'environ 1 100 mètres sur 138 km[5],[6]. Plusieurs sections pavées sont présentes sur le tronçon, dont la traversée de Neufchâtel-en-Bray, d'Abbeville ainsi que celle de Blangy-sur-Bresle[3].
2e partie (98 km) : un tronçon relativement plat mais avec des portions pavées
Localisation de la ligne d'arrivée à Roubaix
La deuxième partie commence avec la côte à la sortie de Doullens, longue d'1 km à 4% de dénivelé moyen, 25 km à parcourir sur un plateau avant de descendre sur Arras. La traversée du plateau de Vimy précède l'entrée dans le « pays minier » et plus tard les routes de « l'enfer du Nord ». Le dénivelé cumulé total sur cette portion est d'environ 300 mètres sur 98 km[5]. Plusieurs sections pavées sont présentes sur le tronçon, dont la traversée de Doullens, la traversée d'Arras (pavés en mauvais état), la traversée de Souchez (pavés en mauvais état) et enfin la dernière portion après Lens, où les sections pavés alternent avec des sections goudronnées. L'étape se termine après être entré dans Roubaix, par un tour et demi du vélodrome[3].
L'organisateur prévoit une fin d'étape difficile sur les pavés
L'organisateur annonce, dans les colonnes de L'Équipe, que cette étape promet des écarts significatifs, notamment en raison d'une distance supérieure à 230 km et de l'apparition des pavés en fin de parcours, rappelant la dureté du Paris-Roubaix. Après quelques solides côtes dans le pays de Bray et celle de Coulonvillers, les coureurs « affronteront les pavés tant redoutés », sur un terrain particulièrement difficile qui pourrait jouer un rôle décisif. Il est donc probable que cette étape laisse des traces, tant physiquement que mentalement, même si le classement général ne devrait pas être chamboulé[5].
Au lendemain de la troisième étape qui s'est déroulée entre Le Mans et Rouen, quelques enseignements ont pu être tirés par les journalistes qui suivent le Tour quant aux forces en présence et à la forme des différents coureurs et des équipes en ce début d'épreuve.
L'équipe de France prend le pouvoir avec Lauredi en jaune
L'équipe de France a brillamment renversé la situation grâce à l'échappée chanceuse et victorieuse de Lauredi et Gauthier, qui ont franchi la ligne d'arrivée avec plus de dix minutes d'avance sur le peloton. Lauredi, déjà remarqué pour sa bonne forme lors de la première étape, a confirmé ses capacités en prenant le maillot jaune. Avec plus de onze minutes d'avance sur Coppi, il s'affirme comme un prétendant sérieux à la victoire finale, ayant réussi à creuser l'écart avant les étapes de montagne, où l'Italien est considéré comme le favori par les observateurs.
Alors que l'équipe de France ne comptait aucun coureur dans le Top 15 du classement général avant cette étape, elle se retrouve désormais avec deux hommes en tête, ce qui lui permet de remporter le classement par équipes de l'étape et de prendre la première place du classement général par équipes. Avec plus de quatre minutes d'avance sur une équipe de Belgique qui avait dominé le début du Tour, les Français renforcent ainsi leur position de force après cette troisième journée de course.
Van Steenbergen et les Belges déchus
« Je me suis trompé sur toute la ligne aujourd'hui [...] je n'ai pas cru à la réussite de la tentative de Lauredi. Le vent de face était violent et j'avais vu Bauvin renoncer à rejoindre seul les hommes de tête. [...] Quand ils prirent jusqu'à 14 minutes d'avance, je n'étais pas encore inquiet. Il restait encore 60 km à couvrir, et je me disais que les Italiens feraient obligatoirement cause commune avec nous. [...] C'est un coup dur pour nous, nous avions prévu d'entrer en Belgique avec le maillot jaune… Mais je crois que je vais changer de méthode. Je ne bougerai plus du peloton avant d'attaquer dans les 50 derniers kilomètres. »
Rik Van Steenbergen, L’Équipe du .
Après avoir dominé les deux premières étapes, l'équipe de Belgique a rencontré de nombreux déboires lors de cette troisième journée. Derijcke a abandonné, et les multiples crevaisons et chutes ont empêché les Belges de réagir efficacement à l'échappée des Français[7]. Van Steenbergen, déchu de son maillot jaune, a reconnu la fatigue de ses coéquipiers après leurs efforts initiaux, et a exprimé sa déception face à la malchance qui a frappé son équipe[8],[9]. Toutefois, les observateurs s'attendent à une réponse rapide de la part de l'effectif belge, le Tour arrivant sur des étapes du Nord de la France et de Belgique, comportant de nombreux secteurs pavés, terrain privilégié notamment de Van Steenbergen, vainqueur du Paris-Roubaix de cette année[10].
Coppi et les Italiens pris de court
Coppi, grand favori du Tour, s'est montré critique envers la gestion de la course par son équipe. Frustré de voir Lauredi prendre tant d'avance, il a regretté que ses coéquipiers n'aient pas réagi plus fermement :« On n'aurait jamais dû laisser partir Lauredi. Ses qualités nous sont connues et l'on sait qu'il est dangereux ». Coppi admet se trouver désormais dans une position délicate, devant combler un écart de plus de onze minutes[11]. Malgré l'inquiétude exprimée par le leader italien, les observateurs transalpins demeurent confiants dans l'ensemble. Selon eux, si les Italiens n'ont pas pris part à une contre-offensive en s'alliant avec les Belges, c'est bien parce qu'ils attendent les étapes de montagne pour s'exprimer[12],[13].
Des écarts conséquents au classement général
Après la 3e étape, les écarts au classement général sont déjà significatifs, avec plusieurs minutes d'avance pour Lauredi sur les principaux favoris, alors qu'aucune étape de montagne ni de contre-la-montre n'a été couru. Les observateurs du Tour remarquent la singularité de cette édition, dans laquelle les équipes favorites n'hésitent pas à attaquer dès les étapes de plat pour créer des écarts. À titre de comparaison, lors du Tour 1950 et 1951, au soir de la 3e étape, le maillot jaune comptait moins de 5 minutes d'avance (4 min 10 s en 1950 et 4 min 27 s en 1951) sur le 10e en comparaison avec les onze dont dispose Lauredi[14],[15].
Zaaf tente à son tour au km 9, mais il est rapidement rejoint. Vanderstock retente, de même que Rolland et Sowa. Au km 40, un groupe composé de Kebaili, Lafranchi et Zelasco compte 25 s d'avance sur le peloton. La chasse du peloton est menée par Dekkers, Decaux, Vitetta et Lauredi au km 52, le peloton est de nouveau regroupé.
Premières échappées sérieuses
Au km 58, Zelasco s'échappe sans succès. Il retente 20 km plus tard dans la côte de Blangy-sur-Bresle, accompagné par Molinéris (Sud-Est), Martini, Nolten (Hollande), Dotto (France), Quentin, Lazaridès, Rossinelli et Metzger, et l'écart se crée[16]. Derrière ce groupe de tête, Decaux et Berton suivent à 35 s, Coste et Van Breenen à 55 s, puis le peloton à 1 min 20 s. Au km 85, le groupe de neuf compte 45 s d'avance sur le peloton qui lâche progressivement du temps. Il est rattrapé par le quatuor de poursuivants à la sortie d'Abbeville et compte 6 min d'avance sur le peloton[16]. Au km 101, les treize comptent 6 min 35 s sur De Hertog, Sowa et Gauthier et Pardoën, 6 min 50 s sur Serra et 7 min sur le peloton.
Le peloton mène la chasse mais l'échappée tient bon
Dans le groupe de tête, au (km 139) Decaux tente de s'échapper et prend 15 s d'avances, tandis que le peloton est toujours à 7 minutes derrière. Meunier intercalé a 50 secondes du peloton, n’insiste pas. Le peloton ne tarde pas à réagir alors que l'écart a atteint 7 min 30 s au km 142 et accélère sous l'impulsion de Van Der Stock, Close, Rolland, Weillenmann, Carrea, Lajoie et Goldschmidt[16]. L'écart diminue progressivement, 5 min 40 s au km 156, 4 min 10 s au km 168, 3 min 30 s au km 187 dans Lievin. Le groupe de tête quant à lui a perdu Coste sur crevaison à Arras, et Metzger sur ennuis mécaniques à Souchez (km 183), mais réagit au retour du peloton, notamment grâce aux relais des Français et de Rossinelli. L'écart s'elève à 3 min 45 s au km 200.
À la sortie de Carvin (km 205), Berton échappé dans le groupe de tête, tente de s'enfuir, suivit par Quentin et peu de temps après par Lazaridès[16] mais le groupe se ressoude sous l'impulsion de Van Breenen (au km 211). Le rythme soutenu entraine néanmoins la lâchage de Nolten, Rossinelli et Zelasco sont lâchés.
L'ultime attaque dans le groupe de tête
Au km 213, Molinéris attaque suivit par Quentin mais ce dernier crève peu de temps après à Vendeville (km 215). Il laisse Molinéris partir seul[17]. Derrière, Dotto et Van Breenen, qu'il va peu de temps après lacher, tentent la chasse aux hommes de tête[18]. Lazaridès lui est prit d'une fringale[18]. Les autres membres du groupe d'échappée sont eux dispersés, seuls Dotto et Van Breenen talonnent Molineris. Derrière Rolland suivi par Magni et Watgmans les ont rejoint.
Les pavés et les crevaisons qu'ils entrainent définissent la hiérarchie finale, mais personne ne parvient à revenir sur Molineris qui rentre seul sur le vélodrome de Roubaix et s'impose pour la première fois sur le Tour de France. Il est également le premier régional à remporter une victoire sur cette édition. Dotto arrive 2 min 34 s après, puis c'est au tour d'un premier groupe de huit coureurs menés par Rolland d'arriver avec 3 min 21 s de retard. Derrière parmi les favoris, Geminiani chute et perd plus de 28 min. Coppi et Robic ont également crevé mais finissent dans le peloton.
Le règlement du Tour de France offre des bonifications en temps aux premiers coureurs qui franchissent les cols répertoriés et à ceux qui arrivent premier et deuxième à l'arrivée de l'étape. Ces secondes gagnées permettent de prendre du temps sur les adversaires, au classement général de l’épreuve[19].
Pierre Molinéris (Sud-Est) a obtenu huit voix sur treize de la part du comité chargé d'élire le coureur le plus combatif de l'étape[20].
Primes attribuées
Un ensemble de prix et de primes sont attribuées à la fin de chaque étape venant alimenter les cagnottes de chaque équipe du Tour. Elles sont versées par l'organisateur ou des sponsors. L'organisateur fait délibérément le choix de créer plusieurs catégories de primes afin qu'elles puissent récompenser tous les types de coureurs ainsi que les équipes et non plus seulement les vainqueurs.
Détail des primes attribuées à la fin de la 4e étape[21],[22]
Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 100 000,00 anciens francs en 1952 est donc le même que celui de 2 401,66 euros en 2022[23].
Nello Lauredi (Équipe de France) Leader du classement général individuel
L'équipe de France Leader du classement général par équipe
Notes et références
Notes
↑Des erreurs de kilométrage du tracé de l'étape, notamment sur le lieu exact du départ lancé, ou des distances entres les localités de la fin de l'étape, aboutissent à une distance d'étape plus longue que la distance affichée officiellement. La distance réelle de l'étape est estimée à 236 km.
↑Compte tenu de l'approximation de certains résumés d'étape rédigés par la presse nationale de l'époque et malgré les croisements d'informations, des inexactitudes peuvent demeurer dans le kilométrage des événements et la composition des échappées.
↑ a et bJacques Augendre, Guide historique, Paris, Amaury Sport Organisation, , 207 p. (lire en ligne), p. 180
↑ ab et c39e Tour de France 1952 : Livre de route officiel, Procyclingmaps, , 95 p., p. 12
↑ ab et c« Détail du parcours de la quatrième étape », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 4 (lire en ligne sur Gallica).
↑ ab et cClaude Tillet, « L'étape du jour. Changement de décor : distance supérieure à 230 km et apparition des pavés sur la fin de parcours du Paris-Roubaix », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 4 (lire en ligne sur Gallica).
↑« Le Tour au fil des jours. Quand on joue avec le feu… », Le Drapeau Rouge, , p. 4 (lire en ligne).
↑Louis Vincent, « Le verrou français à fonctionné », Le Figaro, , p. 10 (lire en ligne sur Gallica).
↑Robert De Smet, « Les malheurs de Blomme et l'abandon de Derijcke ont préparé la défaite de Van Steenbergen », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 3 (lire en ligne sur Gallica).
↑Albert Van Laethem, « Albert Van Laethem fait le point », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 8 (lire en ligne sur Gallica).
↑Albert de Wetter, « Coppi affirme qu'il n'aurait jamais laissé Lauredi s'échapper », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 3 (lire en ligne sur Gallica).
↑Giuseppe Ambrosini, « Une victoire de Corrieri n'eut pas été imméritiée. », L'Équipe : le stade, l'air, la route, (lire en ligne sur Gallica).
↑(it) Vittorio Varale, « Il francese Lauredi vince a Rouen e conquista la maglia gialla del Tour », La Stampa, (lire en ligne).
↑« Classement général après la 3e étape », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 2 (lire en ligne)
↑« Classement général après la 3e étape », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 2 (lire en ligne)
↑ abc et dClaude Tillet, « Van Der Stock reprend 7'57 sur 7'58 à Lauredi et Coppi réalise un premier exploit majeur », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 1-2 (lire en ligne)
↑Claude Tillet, « Van Der Stock reprend 7'57 sur 7'58 à Lauredi et Coppi réalise un premier exploit majeur », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 1-2 (lire en ligne)
↑ a et bClaude Tillet, « Van Der Stock reprend 7'57 sur 7'58 à Lauredi et Coppi réalise un premier exploit majeur », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 1-2 (lire en ligne)
↑« Quelques aspects du réglement », Miroir des Sports : Guide du Tour 1952, , p. 21 (lire en ligne).
↑« A Molineris, le plus combatif la quatrième prime du sucre », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 4 (lire en ligne).
↑« Classement de la 4e étape Rouen-Roubaix », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 2 (lire en ligne sur Gallica).
↑« Les primes de la 3e étape », L'Équipe : le stade, l'air, la route, , p. 4 (lire en ligne sur Gallica).
But-Club et le Miroir des sports : L'histoire du Tour 52 (Revue sportive), Paris, [s.n.], coll. « Le Roman du Tour », , 66 p. (ISSN1766-7135, BNF34481173, lire en ligne sur Gallica).
Miroir Sprint : Le miroir du Tour (Revue sportive), Paris, [s.n.], , 15 p. (lire en ligne).
Le Tour de France 1952 (Revue sportive), Paris, [s.n.], coll. « Miroir Sprint », 24 p. (lire en ligne).