Édouard Roche vient d'une famille associée à l'université de Montpellier depuis plusieurs générations. Il est de santé fragile et c'est dans cette université que se déroule toute sa carrière, entre son doctorat en 1844 et sa mort en 1883.
Il passe néanmoins trois ans à Paris à l'instigation d'Augustin Cauchy. À son retour en 1847, il se marie, mais sa femme tombe malade durant les noces et meurt huit jours plus tard ; cette perte l'affecte beaucoup et il ne se remariera pas[2],[3].
Il est nommé chargé de cours à l'université de Montpellier en 1849, puis professeur trois ans plus tard, et occupe ce poste jusqu'à sa mort. Il décline trois fois des offres pour devenir doyen de l'université[3].
Voyageant peu, publiant surtout à Montpellier, occupé par le réexamen soigneux de l'hypothèse nébulaire de Laplace et par ses observations météorologiques — par ailleurs attaché à sa ville — Roche travaille dans une indifférence presque générale. L'illustration la plus marquante en est l'issue malheureuse de sa candidature à l'Académie des Sciences. Dix ans s'écoulent entre son élection comme correspondant de l'Académie en 1873[4], et le moment où, à la mort de Liouville, on envisage d'en faire un membre permanent. Le vote qui s'ensuit est désastreux pour Roche : sur 56 voix, il n'en recueille qu'une, celle de François Tisserand (qui fera beaucoup par la suite pour diffuser les travaux de Roche[5]).
L'issue de ce scrutin ne parvient pas à Roche : il meurt deux jours après le vote, d'une pneumonie[6],[7], le .
Outre Tisserand, de grands noms de la science ont insisté sur l'importance des travaux de Roche, notamment Henri Poincaré[8], qui y a consacré deux séries de cours à la Sorbonne en 1902 et 1911, ainsi que G. H. Darwin[9] et son élève James Jeans[10],[11].
Contributions remarquables
Les avancées qu'Édouard Roche a faites sur deux problèmes négligés de ses contemporains font aujourd'hui son renom.
Tout juste nommé chargé de cours à l'université de Montpellier, Roche publie un premier traité important, Mémoires divers sur l'équilibre d'une masse fluide (1850).
Ce travail détermine les conditions dans lesquelles un corps supposé homogène peut rester autogravitant malgré les effets de marée produits par un autre corps. Si les effets de marée sont trop importants, les inhomogénéités du champ gravitationnel produits par le second corps sur la région occupée par le premier sont telles qu'elles deviennent supérieures au champ gravitationnel du premier corps et provoquent la dislocation de ce dernier. La frontière est appelée limite de Roche. On montre qu'elle est proportionnelle au rayon de l'objet produisant les effets de marée, la constante de proportionnalité étant fonction de la racine cubique du rapport des densités des deux corps considérés. Voici quelques cas de figure où interviennent un corps céleste, le corps autour duquel il orbite et la limite de Roche.
Le satellite naturelIo, très proche de sa planète, Jupiter, est à peine plus loin que la limite de Roche. Les effets de marée intenses qu'il subit sont à l'origine de son abondant volcanisme.
Les anneaux de Saturne correspondent à une situation où de la matière a effectivement été disloquée car trop proche de la planète autour de laquelle elle orbitait.
Aussitôt après la découverte de Phobos, satellite de Mars, Roche annonça que la valeur qu'on donnait pour sa distance à la planète ne pouvait être vraie (elle était inférieure à la limite de 2,44 qu'il avait calculée) ; les mesures ultérieures lui donnèrent raison[12].
La seconde contribution qui a rendu Roche célèbre est publiée en 1873 sous le nom d'Essai sur la constitution et l'origine du système solaire. C'est là qu'il détermine la structure des équipotentielles (et donc des figures d'équilibre) de deux corps soumis à leur interaction gravitationnelle mutuelle. Alors qu'un corps isolé sans rotation a une structure parfaitement sphérique, celle d'un corps soumis au champ gravitationnel d'un autre se déforme de façon asymétrique vers le second. On peut en particulier calculer la limite au-delà de laquelle un point n'est plus gravitationnellement lié au premier corps, mais est influencé par le second. Cette forme géométrique, évoquant celle d'une goutte d'eau, est appelée lobe de Roche.
Elle joue un rôle crucial dans la physique des étoiles binaires, car elle détermine si deux étoiles peuvent ou non échanger de la matière :
si une étoile est entièrement contenue dans son lobe de Roche, elle est déformée par l'autre, mais garde la totalité de ses couches externes (on parle de binaire détachée) ;
si une des étoiles enfle jusqu'à emplir complètement son lobe de Roche, alors de la matière va s'en échapper par le point le plus près de l'autre étoile (point de Lagrange L1) pour être capturée par cette dernière. Ce phénomène va considérablement affecter l'évolution du système binaire, tant sur le plan de l'évolution stellaire des deux composantes que sur celle de ses caractéristiques orbitales.
« Sur les figures ellipsoïdales qui conviennent à l’équilibre d’une masse fluide homogène tournant sur elle-même et soumise à l’attraction d’un point éloigné », 1849
« Ma théorie plus complète [que celle de Laplace] ne suppose rien sur le rapport des masses en présence, et s'applique aussi bien à la figure d'une étoile appartenant à un système double[13]. »
C'est de ce travail que Cauchy et Leverrier ont écrit : « M. Roche a résolu avec sagacité une question importante[14]. »
« Mémoire sur la figure d'une masse fluide, soumise à l'attraction d'un point éloigné ». Publié en trois parties dans Académie de Montpellier. Mémoires de la section des sciences :
↑Joseph Boussinesq, son élève en 1860 et 1861 écrit : « C'est, je crois, de ce jour qu'il a cessé de pouvoir rire, tout en conservant l'habitude de ce sourire aimable, expression de sa bonté un peu mélancolique, que tous ses élèves ont connu. ».
↑Voir en particulier le second volume de son Traité de la mécanique céleste (1891).
↑D'après Philippe Véron, Dictionnaire des astronomes français (1850-1950), Observatoire de Haute Provence, 2014-2016 (www.obs-hp.fr/dictionnaire/), « Édouard Roche ».
↑(en) International Astronomical Union (IAU) Working Group for Planetary System Nomenclature (WGPSN), « Roche », sur Gazetteer of Planetary Nomenclature.
↑(en) International Astronomical Union (IAU) Working Group for Planetary System Nomenclature (WGPSN), « Roche », sur Gazetteer of Planetary Nomenclature.