Le Val de Saire est un petit territoire normand de la péninsule du Cotentin situé à la pointe nord-est du département de la Manche, au nord du Plain. Son territoire se retrouve depuis 2014 sensiblement recouvert administrativement par le canton du Val-de-Saire.
Il tire son nom de la Saire, fleuve côtier d'une trentaine de kilomètres, qui prend sa source au Mesnil-au-Val et suit l'ensemble de son cours jusqu'à son embouchure, entre les communes de Réville et de Saint-Vaast-la-Hougue (séparées par le pont de Saire), à proximité de la pointe de Saire et de l'île Tatihou.
La région est constituée de deux ensembles géomorphologiques[3] : une zone de plateaux à l'ouest, surplombant une plaine côtière au nord et à l'est de la région[4]. Le mont Étolan, à la limite des communes de Saint-Pierre-Église et Clitourps, culmine à 138 m[5],[6], formant ainsi le plus haut point de la région. Les plateaux, creusés par la Saire et ses affluents, sont des paysages de bocage, essentiellement consacrés à l'élevage. La plaine côtière, appelée le Plat Pays, allant de Cosqueville à Morsalines, est caractérisée par la culture maraîchère[7]. Le littoral de la plaine côtière est marqué par une succession de récifs et d'anses et n'abrite que quelques ports : le port du cap Lévi et le port Pignot à Fermanville, le port de Roubari à Gatteville-le-Phare, le port de Barfleur et le port de Saint-Vaast-la-Hougue.
Des restes de dinosaure ont été découverts à La Pernelle[12], dans les terrains triasiques.
Toponymie
Selon le professeur Lucien Musset, le nom est composé du nom de la rivière de Saire auquel est accolé le vocable issu du vieux scandinave nes (cap) et désigne donc la pointe de Saire[13].
Histoire
De nombreux poètes ont vanté l'attrait de ce petit pays. Pour Alfred Rossel (1841-1926), « N'y a pas de pays pu biau qu'nos campagn'au r'nouviau veûs du haôt d'la Pernelle ». Déjà au XIVe siècle, le chroniqueur Froissart disait « C'est un pays gras et plantureux en toutes choses » ;René Bazin (1853-1932) dit « Nulle part le rire de la terre n'est plus éclatant que dans cette belle campagne du Val de Saire », et Georges Lainey (1907-1991) souligne la qualité et la diversité de ses paysages : « cultures maraîchères, prairies vertes et humides, chemins creux, bosquets au nouveau feuillage sous un ciel où le vent marin roule des nuages lourds de pluie »[13].
Préhistoire et Antiquité
Les plus anciennes traces d'occupation humaine dans le Val de Saire se situent à Fermanville (fouilles de l'habitat du paléolithique de la plage de la Mondrée)[14],[15], sur les sites de Port Pignot (190 000 et 240 000 ans) et de Biéroc (95 000 à 70 000 ans). Le site du mont Étolan, à Saint-Pierre-Église et Clitourps, abrite des vestiges de la fin du paléolithique moyen au néolithique[5].
Moyen Âge
Dés 1027, il est fait mention du Val de Saire, dans le douaire fait à Adèle, future épouse de Richard III de Normandie, où il est dit que parmi d'autres domaines de la presqu'île du Cotentin, Richard III précise : « […] je te concède […] le pays qui s'appelle Sarnes… »[13].
Au début du XIe siècle, le roi d'Angleterre Æthelred le Malavisé envoie une armée ravager la Normandie et capturer le duc Richard II. L'armée débarque à Barfleur — alors l'un des principaux ports du Cotentin — et commence à ravager la campagne du val de Saire : les maisons sont incendiées, le bétail et les récoltes dérobés, les habitants massacrés. Néel de Saint-Sauveur, vicomte du Cotentin, lève alors ses chevaliers et, rejoint par des paysans armés de pieux et de haches, s'élance contre les Anglais. Selon les auteurs normands Guillaume de Jumièges[16] et Wace[17], l'attaque de Néel est si vigoureuse que l'armée anglaise est entièrement massacrée[18]. Une sentinelle, qui se tenait à distance du camp anglais, parvient à regagner la flotte qui repart en toute hâte en Angleterre annoncer la défaite au roi. Celui-ci, surpris de ne pas voir Richard, apprend que ses chevaliers ont été tués par « des hommes très forts et très belliqueux, mais aussi des femmes qui combattent et qui, avec leurs cruches, cassent la tête aux plus vigoureux de leurs ennemis ».
Pendant la guerre de Cent Ans, le Val de Saire est ravagé et mis à sac par le roi d'Angleterre Édouard III et son fils le Prince Noir, qui débarquent à La Hougue le [N 2]. Au cours de la Chevauchée d'Édouard III, Saint-Vaast, Barfleur, Quettehou et Montfarville sont notamment incendiées. Barfleur, qui était le port principal du monde anglo-normand et aurait alors compté 1 800 feux — soit entre 7 000 et 9 000 habitants, chiffre probablement exagéré[20] — n'en compte plus que trente sous le règne de François Ier[21]. Le pays sera ravagé ensuite en 1361, 1388, 1415…, puis à l'époque des guerres de Religion, notamment pendant la Ligue avec le seigneur d'Anneville, François de la Cour, dit du Tourps († 1492), du nom de son manoir[22].
Époque moderne
Sous l'Ancien Régime, l'actuel territoire du Val de Saire formait les sergenterie et doyenné du Val-de-Saire et une partie des sergenterie et doyenné de Valognes.
En 1692, pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les flottes française, commandée par le comte de Tourville, et anglo-néerlandaise, commandée par l'amiral Edwin Russel, s'affrontent à deux reprises au large du Val de Saire : le , les Français l'emportent devant Barfleur mais, ayant mouillé à La Hougue pour réparer devant l'impossibilité de franchir le raz Blanchard avant la renverse, une partie de la flotte est incendiée par les Anglo-Néerlandais dans la rade de La Hougue les jours suivants.
Le Val de Saire est relativement épargné par les combats consécutifs au Débarquement, hormis quelques combats dans les landes de Fermanville et Carneville sur le site de la batterie Osteck.
Défense des côtes au cours des siècles
Jusqu'en 1678, il n'y avait pas de fortifications côtières entre Fermanville et Barfleur. En 1702, à la reprise des hostilités dans le cadre de la guerre de Succession d'Espagne, le Cotentin croit encore une fois à une descente imminente des Anglais et la côte n'est protégée que par quelques corps de garde et deux batteries. La première défend le port de de Barfleur, et la seconde, construite cette même année sur l'ordre de Monsieur de Pontchartrain, protège l'anse de Gattemare. Elle doit empêcher, grâce à ses deux canons de douze livres, les Anglais de prendre les navires qui s'y réfugient dans l'attente de passer le raz[23].
En 1734, alors que la France est en guerre avec l'Autriche, un mémoire adressé au Secrétaire d'État à la Guerre fait état du délabrement des ouvrages côtiers : « Les retranchements, redoutes et autres ouvrages de fortifications sont réduits à la simple masse des terres. Il ne reste aucun vestige des plates-formes pour les canons… ». Le corps de garde de Néville nécessite des réparations alors que celui de Cosqueville est détruit mais il ne semble pas utile de le reconstruire car : « il est inutile et il n'avait été fait que pour empêcher l'embarquement des religionnaires… ». En 1743, alors que l'Angleterre entre dans le conflit à l'occasion de la guerre de Succession d'Autriche, les ouvrages sont toujours ruinés et on s'empresse de les rétablir[23].
En 1755, alors que le Cotentin est harcelé par des petits bâtiments corsaires ayant l'apparence de bateaux de pêche et qui pénètrent dans toutes les anses et s'emparent de tout ce qui leur tombe sous la main, le duc d'Harcourt, estime nécessaire de pourvoir l'anse de la Mondrée (Fermanville) d'une batterie car « c'est dans cet endroit que vient d'être enlevé un navire marchand »[24].
C'est surtout dans les premières années de la guerre de Sept Ans (1756-1763) qu'on garni la côte de divers ouvrages fortifiés dont des petits fortins demi-circulaires, comme à Réthoville afin de protéger l'anse à l'ouest de la pointe de Néville ou de simple batteries comme à Gatteville et Barfleur[24].
En l'an III (1794-1795), la côte est protégée par les deux fortins circulaires du Gros Joret (Fermanville) et de Réthoville et les batteries de Gatteville et Barfleur. Les liaisons sont assurées par des postes de signaux. Le signal de Cosqueville répond à celui de Fermanville qui lui même répond à celui du fort National sur l'île Pelée, et à celui de Gatteville en correspondance avec celui de La Pernelle[24].
Après la défaite de Trafalgar (1805), Napoléon décide d'intensifier l'armement du littoral : « dans l'état d'infériorité de notre marine, on ne saurait avoir trop de batteries de côte… ». C'est ainsi qu'on établie au lieu-dit Mont-Rouen au cap Lévi une nouvelle batterie alors que celle d'Inglemare protège par l'ouest le mouillage de l'anse de la Mondrée. Pourtant dès 1830, on renonce à armer autant de batteries dont la garde et l'entretien occasionnent des dépenses trop élevées et en 1858 ses batteries de côte n'ont plus qu'un rôle secondaire à l’exception de celles implantées dans les grandes rades[24].
Dès 1940, les côtes seront à nouveau l'objet d'une intense fortification par les Allemands qui remettent en état certaines anciennes redoutes ruinées et crée le mur de l'Atlantique. Les côtes sont alors jalonnées par de nombreux ouvrages et bunkers avec des points forts comme sur la pointe de Néville (Blankenese) et à Fermanville. À Néville, la pointe voit l'édification d'une trentaine d'ouvrages comprenant des casemates pour pièces de 88 mm antichars, un poste de conduite de tir, des soutes, des tobrouks et un réseau de tranchées bétonnées couvertes afin d'assurer la liaison entre les ouvrages[24].
Jusqu'au XIXe siècle, époque où l'élevage rapportait davantage que les céréales, le Val de Saire fut le berceau de la race bovine normande, bonne laitière, beurrière et productrice de viande, avec des familles d'éleveurs, qui s'employaient à perfectionner la race et raflaient tous les prix dans les concours, comme la famille Noël. En plus de son agriculture, on y trouvait de nombreuses industries, toutes disparues, disséminés dans les bourgs : laiteries industrielles de Tocqueville et de Quettehou, fabrique de glaces pour miroirs à La Glacerie, filature de coton au Vast et à Gonneville, fabrique de pâte à papier entre Le Vast et Valcanville, fabrique de clous de zinc à Valcanville[22].
Barfleur et Saint-Vaast-la-Hougue sont les deux principaux ports de pêche du Val de Saire. La baisse de cette activité a contraint le monde de la mer à se tourner vers l'élevage (l'ostréiculture), et à se renouveler avec les moules de Barfleur, les coquilles Saint-Jacques et les bulots.
Vaches et arbres aux essences variées dans le Val de Saire, près du Vast.
Personnalités liées au Val de Saire
Le sire de Gouberville et du Mesnil-au-ValGilles de Gouberville livre à travers son journal retrouvé au XIXe siècle, où il consignait ses dépenses et recettes de la vie courante, un témoignage sur la vie du Val de Saire entre 1549 et 1562.
Le penseur politique et historien Alexis de Tocqueville a écrit la plupart de ses ouvrages dans le village dont il était le châtelain et d'où il tire son nom.
« Quelque chose d'aridement glabre, d'embastionné et de militaire flotte sur la côte nord-est du Cotentin, déboisée et tondue à ras ainsi qu'un glacis de forteresse. Autour de la lourde église de Barfleur, démâtée comme par une bordée, au bout de ses larges rues nues et venteuses, l'œil cherche malgré lui des épaulements, des parapets, des terre-pleins de batteries côtières, et ces froides et sèches lignes horizontales dont ils soulignent et durcissent l'horizon de mer. Le sentiment se fait jour que le boulet, et non le noroît, a nivelé et rasé cette plate-forme avare, n'y laissant subsister çà et là que quelques amers massifs, tels les cônes de pierre qui jalonnent la digue de Saint-Vaast. Tout suggère la ronde, le guet et le signal, au long de ce radier ami des épaves : un lieu marqué pour les fortunes et les désastres de mer. » Julien Gracq, note de 1945, in Carnets du grand chemin.
↑Sylvie Coutard, Jean-Pierre Lautridou et Edward Rhodes, « Discontinuités dans l'enregistrement des cycles interglaciaire-glaciaire sur un littoral en contexte intraplaque. Exemple du Val de Saire (Normandie, France) », Quaternaire, vol. 16/3, , p. 218 (lire en ligne, consulté le ).
↑ a et bDominique Cliquet, « Saint-Pierre-Église – Le Mont Etolan », ADLFI. Archéologie de la France, (lire en ligne, consulté le ).
↑« Et in crastino applicuit in Normannia apud Kapelwic et fere omnes comites et barones et milites Angliae secuti sunt eum in Normanniam. » : « Et le lendemain, il aborda en Normandie à Kapelwic [ancienne forme de cap Lévi.] et presque tous les comtes et barons et soldats anglais le suivirent en Normandie. », Benoît de Peterborough, Gesta Regis Henrici Secundi, Tom. XIII. p. 171 B inRené Lepelley, « La côte des Vikings : toponymie des rivages du Val de Saire (Manche) », Annales de Normandie, vol. 43-1, , p. 30 (lire en ligne, consulté le ).
↑André Plaisse, À travers le Cotentin : La grande chevauchée guerrière d'Édouard III en 1346, Cherbourg, Isoète, , 111 p. (ISBN978-2-905385-58-1), p. 4 5.
↑Albert Le Rouvreur, Un enfant de chœur. Un enfant de Barfleur, L'Harmattan, , p. 16.
↑ a et bEdmond Thin, « Vicissitudes de la défense des côtes au cours des siècles », Vikland, la revue du Cotentin, no 6, juillet-août-septembre 2013, p. 61 (ISSN0224-7992).
↑Pierre Brunet et Marcel Roupsard, « Évolution des cultures légumières dans le département de la Manche », Méditerranée, vol. 95, , p. 59-63 (lire en ligne, consulté le ).
Jeannine Bavay, « Val de Saire », Vikland, la revue du Cotentin, no 5, avril-mai-juin 2013, p. 4-7 (ISSN0224-7992).
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Charles de Gerville, Voyages archéologique dans la Manche.
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