The Masses, sous-titré au départ « a monthly magazine devoted to the interests of the working people » (« un magazine mensuel défendant les intérêts des travailleurs ») a été fondé à New York en par Piet Vlag, un Néerlandais d'obédience socialiste libertaire sensible entre autres aux idées de Karl Marx, qui s'associe à Thomas Seltzer, rédacteur en chef, et Horatio Winslow, via la Masses Publishing Company, une petite société d'édition à travers laquelle les trois hommes dirigent collectivement le titre durant les deux premières années.
L'un des soutiens financiers de cette société fut l'avocat fortuné Amos Pinchot (1863-1944) qui est cité dès le premier numéro[1]. Vlag lance un appel dans son éditorial inaugural sous forme de questions commençant par « Do you believe in socialism? ». Il se donne pour buts d'éduquer la classe des travailleurs américains en matière d'art, de littérature et de théorie socialiste.
Au bout de quatre livraisons, The Masses s'ouvre résolument à des artistes — et des écrivains — venus du Greenwich Village, notamment des membres de l'officieuse Ash Can School : c'est ainsi que Art Young mais aussi John French Sloan, entre autres, rejoignent en les rangs du magazine quand Max Forrester Eastman est nommé responsable éditorial[2]. Il défend le droit du magazine à rester libre et s'efforce de maintenir un prix de vente dérisoire. La direction est de facto collective, les bénéfices sont partagés équitablement et de nombreux appels à souscription sont lancés.
Au début de la Première Guerre mondiale, le ton politique va aller en se durcissant ; avec l'ouverture des hostilités en Europe durant l'été 1914, période durant laquelle Eastman s'en prend aux oligopoles industriels, responsables selon lui de cette guerre « d'où nul ne sortira vainqueur »[3].
Pacifiste, antimilitariste et profondément de gauche, The Masses inquiète de plus en plus les autorités fédérales, son tirage augmente.
En 1917, en même temps que le magazine anarchisteMother Earth animé par Emma Goldman, The Masses est ciblé par l'Espionage Act voté en juin[4]. Dès le mois d'août, alors que la publication commence à faire campagne contre la conscription obligatoire et l'entrée en guerre des États-Unis, ses principaux collaborateurs sont poursuivis en justice.
Le , alors qu'un postier nommé Patten refuse de porter aux abonnés le magazine, qu'il juge contraire à ses principes, la cour déclare illégal ce genre de procédé, citant le Premier amendement (Freedom of Speach).
En novembre, sort un numéro double : c'est le dernier, l'équipe décide de saborder le magazine du fait de pressions politiques.
Un premier procès s'ouvre le , accusant Max Eastman, Floyd Dell, John Silas Reed (absent), Josephine Bell, Henry J. Glintenkamp, Art Young, et Merrill Rogers de faire obstruction à la mobilisation militaire et d'être des « conspirateurs » ; Eastman risquait 20 ans d'emprisonnement et 10 000 dollars d'amende. Durant la délibération du jury, il y eut une véritable émeute : l'un d'entre eux s'affirma socialiste et fut trainé dehors par la foule pour être molesté ; le juge déclara aussitôt le procès nul pour vice de forme[5]. En mai, Glintenkamp se réfugie à Mexico.
Un second procès, toujours au même motif, eut lieu entre et : cette fois, John Reed est présent, rentré à peine de Russie. Le juge Barnes se fit remarquer par un discours quasi larmoyant, durant lequel il invoqua les soldats mort sur le front français. Reed, entre autres, répondit de façon ironique. Cependant, sans retomber dans la violence, les jurés ne parvinrent pas à se décider. Il y eut donc relaxe.
Entre-temps, en , l'équipe de The Masses lance un nouveau mensuel intitulé The Liberator. Eastman fonde ensuite avec quelques-uns de ses collaborateurs d'alors (dont Hugo Gellert(en)) New Masses en 1926.
Bilan et retombées
Politique
Entre 1911 et 1917, The Masses rendit compte de l'ensemble des événements socio-politiques américains sans aucune forme de censure, que ce soit les mouvements ouvriers et les grèves massives de 1912 et 1913, s'indignant entre autres du massacre de Ludlow (), soutenant de nombreux sympathisants anarchistes et socialistes internationalistes comme William Dudley Haywood et Eugene Victor Debs, fondateurs du IWW.
Le magazine fut aussi un défenseur des droits des femmes à la contraception, au vote, à l'égalité financière et sociale[6].
À la fin des années 1960, Hannah Arendt écrivit que « le seul magazine que je connaisse susceptible de ressembler à Politics [fondé par
Dwight Macdonald] et capable de remplir les mêmes fonctions était l'ancien Masses (1911-1917) »[7].
En 1916, les époux Winter, puis Maurice Becker, quittent le magazine, le trouvant trop radical[8].
Il y eut également de nombreuses femmes remarquables qui contribuèrent telles que Cornelia Barns, ainsi que des personnalités au talent singulier, tel que le mystérieux Frank Walts[9].
(en) Rebecca Zurier, Art for The Masses: A Radical Magazine and Its Graphics, 1911-1917[10], Philadelphie, Temple University Press, (ISBN978-0-87722-513-3).
↑« Socialists to Test The Espionage Act: Editors of Radical Publications Would Establish Their Right to the Mails », in The New York Times, 10 juillet 1917.