Au début de l’année 1979, quand sort la première livraison de Tartalacrème, Alain Frontier a cessé de collaborer à la revue et aux éditions Cheval d'attaque[1] dirigées par Didier Paschal-Lejeune : « Allez, j’me tire… », déclare-t-il dans l’édito liminaire du premier numéro[2], lequel annonce d’emblée la couleur : la revue sera « l'outil d'un travail ou d'un jeu : placer parmi les autres textes ceux que nous écrivons (quelques pas dans cette chasse gardée où les écrivains se regardent sans rire où les revues se prennent pour des revues)… et le sens (il ne peut pas ne pas y en avoir) viendra, tu comprends, par-dessus le marché… »[3]
Un quart de siècle plus tard (en 2004), le poète Claude Minière écrira[4] : « Dans mon souvenir… — et dans l’après 68 où se cherchait encore une communication sauvage (hors institutions : radios libres, etc.) — Tartalacrème, avec la cerise du doute qui convient, parvenait à entretenir la sensation (est-ce l’aspect ronéo ?) d’une crise. C’était un tract, un tractatus de l’attente, de l’instabilité… » Et Pierre Le Pillouër définira Tartalacrème comme un « espace paradoxal et éclectique où se pêlent-mêlent l’humour, les vacheries, les artistes, les lettres, Fluxus, Ben[5] et Yak Rivais. La théorie et les recettes dessert. L’Oulipo et TXT, dont certains chuchotent que Tartalacrème est l’antichambre — comme qui dirait un avant-goût attrayant des ténèbres ; en fait, c’est l’aile gentille (pas au sens tarte) de la revue de Prigent, le carnaval sans la viande écorchée, la récré des guerriers du verbe. »[6]
Le support
Le support est rudimentaire : une vingtaine de feuilles 21 × 29,7 cm, ronéotées recto/verso, agrafées, puis collées dans une couverture qui, elle, a été imprimée par un imprimeur professionnel, et que Sylvie Nève décrira plus tard à sa manière en disant : « La nuit, toutes les revues littéraires ont une couverture blanche, et une tête de fille-clown en bas à droite. »[7] Un coup de tampon à l’encre rouge indique ensuite le numéro de la livraison. Le caractère artisanal de la fabrication n’exclut pas une présentation soignée ni surtout une parution très régulière (« avec ça beaucoup de sérieux, une parution métronomique, contrainte salutaire du sonnet », annonce le même édito). Quand en 1986, soit 7 ans après sa fondation, la revue cessera de paraître, elle aura publié 41 numéros. Le tirage oscille entre 400 et 500 exemplaires, lesquels sont rapidement et généreusement distribués : abonnements peu chers et nombreux services de presse gratuits. Très peu en librairie, où ils se vendent mal.
La notoriété que ne tarde pas acquérir cette « petite revue »[8], au moins parmi ceux que la poésie intéresse, contraste avec la relative pauvreté du support : le , Alain Veinstein invite Marie-Hélène Dhénin et Alain Frontier dans son émission de France Culture Les Nuits Magnétiques, et le , Tartalacrème est présenté au public de la Revue Parlée de Blaise Gautier, dans la petite salle du Centre Georges-Pompidou à Paris[9].
Le domaine allemand est représenté par Renate Kühn et Friederike Mayröcker[25] ; la Russie par Khlebnikov[26] ; l’Italie par Carla Bertola[27] ; les États-Unis par Raymond Federman[28], E. E. Cummings[29], etc. ; la Hongrie par Tibor Papp[30], Paul Nagy[31], et Katalin Molnár[32] ; l’Iran par Parviz Khazraï[33], etc. Enfin un important dossier est consacré à la poésie orale des Peuls[34], un autre à la poésie populaire brésilienne[35].
En dehors de sa chronique bimestrielle, le même auteur publie des études sur Michèle Métail et ses Compléments de nom[43] ; sur Hubert Lucot et son livre Phanées les nuées[44], sur le plasticien Paul-Armand Gette[45], etc. Parallèlement à Commerce, Jacques Demarcq intervient, à partir du no 18, , avec sa chronique Échos-risées.
Le dialogue avec les artistes
Marie-Hélène Dhénin s'exprime par le moyen de la photographie (et de la légende inattendue qui chaque fois
l'accompagne)[46]. Chaque livraison comporte une de ses œuvres — d’abord reproduite par le procédé du stencil électronique et ronéotée, puis, à partir du no 13, imprimée sur papier glacé par un imprimeur professionnel. De cette artiste, Pierre Le Pillouër écrira[47] : « Quand elle ne s’attarde pas à faire des portraits en public des artistes, amis et performers de l’époque (aujourd’hui très prisés) ou qu’elle ne traque pas la redondance dans une fanfare de légionnaires ou l’insolite d’une silhouette prise en flagrant délit de curiosité dans un jardin public, elle prise les chemins défoncés (no 37), elle aime les lieux dévastés, désolés, déplorables, défaits, la Dhénin. Elle peut saisir un incroyable couloir de wagon vide de voyageurs, juste une valise, un couloir infini, un couloir comme même dans les trains de nuit on n’en voit jamais, un couloir pour couler… ».
↑Le site officiel de Tartalacrème en donne une liste complète, ainsi que les sommaires des 41 numéros.
↑Parallèlement à sa chronique bimestrielle Commerce et à plusieurs articles critiques, il y publie en feuilleton les premières pages de ses Aventures de Harry Dickson, puis, à partir du no 35 d’octobre 1984, le début de Portrait d’une dame
↑Jean-Pierre Bobillot et Sylvie Nève sont présents dès la première livraison, avec Extrait d'un feuilleton à deux voies. Ils interviendront ensuite dans la plupart des numéros. Une photographie (signée Marie-Hélène Dhénin) sera publiée dans le no 8 de la revue Fusées, p. 140 : elle montre qu'ils ont également collaboré à la fabrication de la revue.
↑Première intervention dans le no 14 d’avril 1981 ; ensuite, une douzaine d’interventions, avec notamment L'âme de fonds, Appris voisée, Trait Port Trait et un extrait de Carbone 14, extrait dans le no 40 d’avril 1986, p. 18-20.
↑Première apparition, avec Chanson d’été dans le no 10, août 1980, p. 15-18 ; il intervient ensuite dans la revue une trentaine de fois.
↑Poèmes métaphysiques (27, 28, 71, 79, 13422, 13423), no 24, décembre 1982, p. 15-23.
↑Notamment Overdose, dans le no 15 de juin 1981, sa première intervention, et le troisième chapitre de Langst, en feuilleton à partir du no 22, août 1982. L’intégralité de cette œuvre sera éditée chez P.O.L. en 1984.
↑no 23, octobre 1982, p. 3-5 ; no 27, juin 1983, p. 15-16 ; no 30, décembre 1983, p. 18.
↑Par exemple : Deux fois dix Tas et Bas dans le no 17 d’octobre 1981, p. 24-25 octobre ; Pierre Le Pillouër rejoindra ensuite (en 1983) le collectif de la revue TXT de Christian Prigent.
↑Rachel Stella, "La revue des revues" no 59,mars 2018, p. 67 et suivantes.
↑Sur cette notion, voir A. Frontier, La poésie, Paris, Belin, 1992, p. 333-334.
↑La première rencontre est racontée dans le no 12 de décembre 1980, p. 28-30. Elle a lieu le 29 octobre de la même année à Paris, dans la petite salle du Centre Georges-Pompidou, où la revue TXT présentait son no 13, intitulé « Le crépuscule des avant-gardes ». Lorsque Tartalacrème cessera de paraître, en novembre 1986, Alain Frontier rejoindra pour quelque temps (1986-1989) l’équipe rédactionnelle de TXT.
↑L'X de Hubert Lucot), no 19, février 1982, p. 32-38.
↑La petite fille dans le lac, no 17, octobre 1981, p. 3-8.
↑Elle a par ailleurs collaboré à plusieurs publications d’avant-garde (Dock(s), Le Bout des Bordes de Jean-Luc Parant…) ainsi qu’à quatre ouvrages d’Alain Frontier : Le voyage ordinaire en 1976, Manipulation(s) en 1978, Portrait d’une dame en 1987, N’être pas (poèmes logiques)accompagné de 28 portraits du poète sur son tabouret par Marie-Hélène Dhénin (Besançon, éditions de la Maison chauffante, 2009).
↑no 38, juin 1985, p. 33 : Mâts calendriers, et no 23, octobre 1982, p. 11-21.
↑Quelques considérations en forme de notes sur les sous-vêtements des enfants de sexe féminin, no 17, octobre 1981, p. 9-17 ; Le toucher du modèle (triptique), no 33, juin 1984, p. 8, 11 et 13 ; Du toucher du modèle à celui de son image, ibidem, p. 15-16.