En 1921, il est élu membre du bureau exécutif du Destour et de la commission juridique du parti[5],[6]. Il milite par ailleurs au profit du Croissant-Rougeturc en récoltant des fonds et des aides[7].
En 1922, le Destour est accusé de mener une campagne politique anti-française en conciliant les principes destouriens avec les prétentions communistes. Farhat dément formellement, dans plusieurs articles de journaux, tout lien entre le Destour et le communisme[8]. En 1923, au départ en exil du cheikhAbdelaziz Thâalbi, fondateur du Destour, il devient secrétaire général adjoint du parti, aux côtés du secrétaire général MeAhmed Essafi[9]. Il participe alors activement à la vie politique du pays par des contacts directs avec les militants de base, avec les syndicats et les ouvriers, par la création de cellules destouriennes dans les régions les plus reculées. Journaliste et théoricien du parti, il définit ses principes directeurs par ses nombreux écrits dans la presse d'expression française[10]. Les revendications politiques, sociales et syndicales du Destour se font au travers de contacts directs avec la France et un dialogue avec les socialistes et les autorités coloniales, fondés sur le respect des traités, du droit international et d'une politique de non-violence[11]. Farhat est fidèle au programme du Destour et à la politique des étapes inaugurée par ses prédécesseurs et lui reste fidèle lorsqu'il prend la direction du parti : toute revendication, toute action doit tendre à un but, l'indépendance de la Tunisie, qui doit être garantie par écrit et fixée à une date déterminée[12].
Le , après la victoire de la gauche aux élections législatives, le Destour décide d'envoyer Farhat féliciter les élus du Cartel des gauches, spécialement le président du Parti radicalÉdouard Herriot, pour exposer les revendications tunisiennes et préparer le terrain à l'envoi d'une nouvelle délégation[13],[14]. Fin 1924, il fait partie de la troisième délégation tunisienne chargée de défendre à Paris les revendications tunisiennes auprès du gouvernement français. La délégation, composée du chef de la délégation Ahmed Essafi, de Farhat, d'Ahmed Taoufik El Madani et de Me Taieb Jémaïl, est éconduite car le gouvernement l'accuse de connivence avec les communistes et de double langage entre la presse arabophone qui est virulente dans ses attaques contre le colonialisme et la presse francophone qui est plutôt conciliante[15],[14].
Salah Farhat est alors considéré par les autorités du protectorat comme « un propagandiste dangereux qui peut favoriser ou prendre la direction de tous les mouvements hostiles à la France ou au gouvernement du protectorat. Ses écrits ou ses discours ne laissent aucun doute sur ses sentiments. C'est un membre très influent du parti et un véritable agitateur »[16]. Les autorités coloniales essayent alors, à plusieurs reprises, de le faire radier du barreau pour mettre fin à sa carrière professionnelle et à sa carrière politique et décapiter le Destour[17].
Le , Salah Farhat épouse Kalthoum Khaznadar, sœur de Chedly Khaznadar(ar), un poète nationaliste et l'un des ténors du Destour.
Partisan de l'indépendance
Après la scission du Destour et la création du Néo-Destour en 1934, Farhat est nommé dans une commission pour sauvegarder l'unité du parti mais tous ses efforts et ceux du Destour restent vains[18]. En 1935, après le décès de Safi, il est élu secrétaire général du Destour[19], puis président du parti. Il seconde Thâalbi, dès son retour en Tunisie en 1937, pour la réunification du mouvement national et la formation d'un front commun contre le colonialisme, sans résultat[20],[21],[22],[23],[24].
Pendant la Seconde Guerre mondiale et lors de l'occupation de la Tunisie par les troupes de l'Axe, il est nommé ministre de la Justice par Moncef Bey qui constitue un gouvernement indépendant issu de toutes les tendances politiques du pays, dirigé par M'hamed Chenik, entre le et le [25]. Salah Farhat et les autres ministres donnent leur démission après la libération de la Tunisie par les alliés, la destitution de Moncef Bey par le général Henri Giraud et son exil à Laghouat dans le Sud algérien[26],[27],[28]. Aussitôt, un mouvement favorable au retour du bey sur son trône, connu sous le nom de moncéfisme, se constitue et unifie toutes les tendances politiques du pays pour la défense du souverain déchu, accusé à tort d'être opposé aux alliés et favorable aux puissances de l'Axe, alors qu'il n'avait cessé d'affirmer la neutralité de la Tunisie ; la France lui reproche en réalité son indépendance à l'égard des autorités du protectorat[29].
Salah Farhat soutient par ses interventions, ses visites, ses lettres, ses articles et ses télégrammes de protestation le moncéfisme et le bey pendant son exil, du au , date de sa mort à Pau en France.
Durant cette période, Moncef Bey entretient une nombreuse correspondance avec Farhat, approuvant sa lutte, l'encourageant dans la défense du moncéfisme et lui recommandant d'œuvrer pour l'unité nationale contre le colonialisme. À partir de 1944 et la mort de Thâalbi, Farhat devient le chef incontesté du Destour. Le , 17 personnalités tunisiennes, dont Farhat, représentant les différentes tendances nationalistes, signent la Charte tunisienne qui constitue la base du Front national qui réunit ces différentes tendances après la fin de la Seconde Guerre mondiale[30]. Le , lors du congrès de la Nuit du Destin, dont il est l'instigateur, un front commun se forme entre toutes les tendances politiques, notamment entre Farhat, secrétaire général du Destour, et Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour. Celui-ci revendique l'indépendance totale mais les forces de l'ordre interrompent la réunion et arrêtent les deux leaders avec un grand nombre de responsables politiques qu'ils écrouent à la prison civile de Tunis ; Salah Farhat y reste incarcéré avec d'autres nationalistes pendant un mois[31],[32].
Après le congrès, il joue un rôle important dans la réunification des partis, en l'absence de Habib Bourguiba. Sa collaboration étroite avec Ben Youssef prouve qu'ils ont les mêmes conceptions et emploient les mêmes méthodes pour résister au colonialisme[33]. Malgré certaines réformes et promesses des autorités, Salah Farhat continue son combat en défendant les libertés publiques et en réclamant l'indépendance totale, sans accepter aucune responsabilité gouvernementale. Pressenti en effet, dès 1947, pour la constitution du gouvernement, il refuse, estimant qu'il n'existe aucune garantie d'aboutir à l'indépendance. En 1951, il réitère son refus de faire partie de la nouvelle équipe du second cabinet Chenik, pour les mêmes raisons[34].
Le , la Tunisie présente un mémoire officiel à la France revendiquant l'autonomie interne. La réponse du gouvernement français se fait attendre jusqu'au et se traduit par un refus catégorique des revendications tunisiennes. La rupture du dialogue s'accompagne d'un raidissement des autorités du protectorat ; la nomination de Jean de Hauteclocque comme nouveau résident général arrive au milieu d'un grand déploiement militaire, présage d'un changement d'optique dans les relations franco-tunisiennes. La France opte pour la force et écarte toute solution négociée. Aux incidents du Sahel, le général Pierre Garbay, commandant supérieur des troupes en Tunisie, riposte par le ratissage du cap Bon qui se solde par plus de 200 morts et des centaines de blessés et de prisonniers[35],[36],[37],[38],[39]. Persévérant dans la politique de la force, le résident général destitue le deuxième cabinet Chenik et tente d'isoler Lamine Bey, sans y parvenir totalement, grâce au soutien d'un comité de quarante personnalités tunisiennes de toutes les tendances politiques, dont Farhat[40],[41],[42]. À la fin de la même année, l'organisation terroriste de la Main rouge assassine le leader syndicaliste Farhat Hached[43],[44]. L'emploi de la force par les autorités françaises entraîne une réaction vigoureuse de la population, le lancement de la lutte armée et une plainte contre la France auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Salah Farhat fait face à ces agissements qu'il dénonce dans la presse locale et internationale.
En 1952, il se déplace à Paris avec plusieurs membres du Destour pour sensibiliser les différentes délégations des pays arabes, musulmans et non-alignés à la cause tunisienne et attirer leur attention sur la plainte de la Tunisie à l'ONU[45]. En 1954, sa villa du Kram est plastiquée par la Main rouge comme celles de nombreuses personnalités politiques.
En 1955, il s'oppose aux pourparlers sur l'autonomie interne et aux conventions franco-tunisiennes qui risquent de lier définitivement le sort de la Tunisie à celui de la France et de l'inclure au sein de l'Union française ; il affirme à nouveau que la seule revendication acceptable est l'indépendance totale du pays[46],[47].
Retraite
Une fois celle-ci obtenue, le , il décline toute responsabilité gouvernementale, qui lui est proposée à titre personnel car n'incluant aucun membre du Destour, et renonce finalement à toute activité politique.
Poète d'expression française depuis son adolescence, il fait paraître dans les journaux locaux, particulièrement dans la revue Leïla (1936-1941), certains poèmes sous le pseudonyme de Skander. Ses poésies font l'admiration des milieux littéraires et artistiques tunisiens et étrangers qu'il fréquente assidûment[48],[49],[50],[51],[52]. En 1978, il édite un choix de poèmes dans un recueil intitulé Chants de l'amour.
Il meurt le , à l'âge de 84 ans, dans sa villa du Kram. Il repose au cimetière de Sidi Abdelaziz à La Marsa.
↑Ibn Abi Dhiaf, Présent des hommes de notre temps : chronique des rois de Tunis et du Pacte fondamental, t. VIII, Tunis, Société tunisienne de diffusion, , chap. 351, p. 129 et suiv.
↑Concernant les délégations en France, les contacts avec les autorités du protectorat et avec les socialistes, les revendications, la collaboration aux commissions de réformes, les articles de presse, voir Salah Farhat, « La leçon d'une expérience », Indépendance, .
↑Roger Casemajor, L'action nationaliste en Tunisie : du Pacte fondamental de M'hamed Bey à la mort de Moncef Bey, 1857-1948, Tunis, Sud Éditions, , 274 p. (ISBN978-9938010060), p. 81 et suiv.
↑Abdelaziz Thâalbi, La parole décisive, Sousse, Dar El Maaref, , p. 13 et suiv., 21 et suiv. et 42 et suiv.
↑Samia El Mechat, Le nationalisme tunisien, scission et conflits : 1934-1944, Paris, L'Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », , 263 p. (ISBN978-2747526753), p. 150 et suiv.
↑Jean-François Martin, Histoire de la Tunisie contemporaine : de Ferry à Bourguiba, 1881-1956, Paris, L'Harmattan, , 275 p. (ISBN978-2747546263), p. 151.
↑Document manuscrit de Salah Farhat du 7 mai 1943, « L'humiliation injustifiée d'un souverain par des officiers de l'armée anglaise », rapporté par Casemajor 2009, p. 150 et suiv. ; Saïd Mestiri, Moncef Bey, t. I : Le règne, Tunis, Arcs Éditions, , 237 p. (OCLC1400708392), p. 207.
↑Salah Farhat, « Pourquoi le Destour a refusé de participer au ministère », Indépendance, cité dans Actes du VIe colloque international sur la Tunisie de 1950-1951 : tenu les 13, 14 et 15 décembre 1991 à l'Espace sophonisbe à Carthage, La Manouba, Institut supérieur d'histoire du mouvement national, , 216 p. (ISBN978-9973991867), p. 78.
↑Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche : nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris, Julliard, , 414 p. (OCLC560168292), p. 222 et suiv.
↑Ahmed Kassab, Histoire de la Tunisie, t. IV : L'époque contemporaine, Tunis, Société tunisienne de diffusion, (OCLC758104634), p. 473 et suiv.
↑Déclaration de Salah Farhat rapportée dans Le Petit Matin du 29 janvier 1952, citée dans Mohamed Sayah, Histoire du mouvement national tunisien : le Néo-Destour face à la troisième épreuve, 1952-1956, t. I : L'échec de la répression, Tunis, Dar El Amal, (OCLC500693404), p. 308 et suiv.
↑Le Destour, à la suite de son congrès des 16 et 17 avril 1955, rejette les conventions en cours de négociation et rapportées dans Le Petit Matin du 21 avril 1955 ; voir Sayah 1979, p. 593 et suiv.
↑C. Solal[Qui ?] écrit un article sur « les poésies de Salah Farhat » (paru dans La Revue tunisienne, tome XXV, n°128, 1918) et donne une conférence sur son œuvre poétique à l'Institut de Carthage.
↑Yves Chatelain, La vie littéraire et intellectuelle en Tunisie de 1900 à 1937, Paris, Paul Gauther, , 342 p. (OCLC715359633).
Albert Arrouas, Livre d'or : figures d'hier et d'aujourd'hui, Tunis, Imprimerie SAPL, , 192 p. (OCLC56555786).
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Saïd Mestiri, Le ministère Chenik à la poursuite de l'autonomie interne : de la déclaration de Thionville à l'exil de Kébili, Tunis, Arcs Éditions, , 262 p. (ISBN978-9973740045).