Les deux frères passent leur enfance en Russie. Leur père, Amable-Rodolphe Darzens, négociant, effectue une ou deux fois par an la liaison avec la France, échangeant d'un pays à l'autre les valeurs artistiques, les articles de luxe ou les produits nouveaux. Les vins du Midi parvinrent probablement pour la première fois au-delà du Danube par son intermédiaire. Sa mère, Juliette-Eulalie, née Guillemard, apparentée à la famille de Léon Frapié, musicienne et pianiste accomplie, avait fait ses débuts au Conservatoire de Paris, qu'elle abandonna lors de son mariage.
Rodolphe fait ses études secondaires au lycée Fontanes à Paris. Dès ses 18 ans, il s'engage dans l'armée pour effectuer son service mais il est réformé au bout de huit mois pour une blessure à l'œil.
Il est un temps secrétaire de rédaction de La Jeune France et livre quelques textes au périodique publié par Le Chat noir (1885).
Il est membre du groupe formé autour de la revue La Pléiade qu'il fonde et dirige avec Éphraïm Mikhaël, sous le patronage de Théodore de Banville, de mars à [2], soit sept numéros où l'on croise entre autres Saint-Pol-Roux (sous le nom de « Paul Roux »). Le , il fait partie des vingt-et-une personnes qui passent la nuit à veiller le corps de Victor Hugo, disposé sous l'Arc de triomphe[3].
Darzens n'est pas le découvreur d'Arthur Rimbaud, mais le premier à entreprendre une véritable enquête autour du personnage, devenu, grâce à Paul Verlaine et son essai sur Les Poètes maudits (1884) un mythe, tant on savait peu de choses sur lui. Entre avril et , la revue La Vogue dirigée par Gustave Kahn publie pour la première fois Arthur Rimbaud et ce, sans doute grâce à l'enquête littéraire que Darzens avait entreprise un an plus tôt, mettant la main sur la plaquette d'Une saison en enfer (Bruxelles, 1873), déclenchant un nouvel intérêt pour le poète dont on était sans nouvelle depuis dix ans. Cependant, alors que le manuscrit des Illuminations était découvert par Charles de Sivry, Darzens reconstituait la biographie de Rimbaud — qu'il localisait comme parti à Harar depuis 1880 — , avec documents à l'appui, et composait un recueil qu'il intitula Reliquaire, publié chez Léon Genonceaux en 1891 à 550 exemplaires et qui contient 37 poèmes inédits : peu après la publication, dont Darzens n'était pas satisfait, il apprend la mort du poète à Marseille.
Le est représentée au Théâtre LibreL'Amante du Christ, une mise en scène autour de la figure de Marie-Madeleine, qui provoque un peu de scandale : Il devient le secrétaire d'André Antoine jusqu'en 1894. Il édite huit fascicules intitulés Le Théâtre libre illustré du au illustrés par Lucien Métivet (publiés chez Dentu).
Il livre quelques articles à La Vie populaire (1889-1893), à La Plume et à la Revue illustrée. En , il lance avec Tola Dorian, la Revue d'aujourd'hui et introduit, le premier, Henrik Ibsen au répertoire français. La même année, il a pour projet d'éditer des « Phonographies » [?], et demande à son ami le peintre Édouard Vuillard de lui proposer un projet d'affiche publicitaire (trois esquisses connues)[4]. En mai, il s'amuse à mystifier l'Académie française, en envoyant treize lettres de candidats supposés, le canular est découvert après plusieurs tours de scrutin ; Darzens niera toute implication[5].
Grand, très sportif, il était assez impulsif : durant sa jeunesse « décadentiste », il se bat une dizaine de fois en duel à l'épée. Il passait, dit-on, certaines de ses soirées à lutter, masqué, sur le ring des attractions programmées aux Folies-Bergère. Il devient en 1892 le responsable des rubriques sportives au Journal qui lui commande de nombreux reportages ; il reste l'une des premières figures de ce métier, alors inédit, « journaliste sportif ». C'est également pour Le Journal qu'il organisa un certain nombre d'événements sportifs comme la course en canots automobiles entre Paris et Trouville-sur-Mer.
Ayant reconnu très tôt en Marcel Pagnol un talent pour le théâtre, celui-ci goûtait fort sa poésie, et lui dédie en 1926 sa pièce Jazz. Il a été le moniteur de boxe de Michel Simon, et le librettiste de Cléo de Mérode.
Il s'illustre dans une dizaine de duels, parmi lesquels :
Jean Moréas le , à l'épée[10]. La maîtresse de Darzens, Élisabeth Dayre, future madame Gustave Kahn, surnommée dans les cercles littéraires « L'Anthologie » tant elle était réputée pour être volage, l'avait finalement quitté, en 1887, pour Moréas, lequel avait été vilipendé par Darzens dans sa revue La Pléiade[11]. Darzens avait envoyé plusieurs fois ses témoins et agressé physiquement trois fois son rival quand celui-ci finit par consentir au duel. Après avoir touché son adversaire beaucoup plus grand que lui, Moréas se retrouva dans un corps à corps puis saisit l'épée de Darzens de sa main gauche. Le duel fut interrompu par les témoins, dont Villiers de L'Isle-Adam et Darzens reconnut le courage de son adversaire, mais Moréas fut accablé par la presse politique, où se manifesta l'antisémitisme habituel, et le qualifiant « sous l'accusation de félonie et traîtrise » comme auteur « du coup du juif » : Moréas, en réaction, provoqua en duels, mais en vain, plusieurs de ses railleurs[12].
le , contre M. Cellarius, rédacteur au Gil Blas, à l'épée[13].
Julien Leclercq le , à l'épée. En demandant la main de la sœur de Darzens, Leclercq s'était vu en devoir de produire un certificat médical attestant qu'il n'était pas pédéraste[15] et les deux hommes en étaient venus aux mains[16]. Les témoins de Leclercq étaient Jules Renard et Paul Gauguin[16].
Écrits
Le Psautier de l'amie, poèmes, Paris, Alcan Lévy, 1885.
La Nuit : premières poésies, 1882-1884, Paris, Henri Jouve, 1885 — sur Gallica.
Pages en prose, Moscou, [Presses de Fedor Fedorovitch Aeby], 1887 — sur Gallica.
Comment furent écrites par Rodolphe Darzens les « Nuits à Paris » et de quelle manière les illustra le peintre Adolphe Willette. Plaquette critique ornée de trois dessins inédits du même artiste et d'un fac-simile, s.l., Aux frais d'un bibliophile bien connu, 1890.
Le Théâtre libre illustré, préface de Jean Aicard, dessins de L. Métivet, Paris, Dentu, 1890.
Les revenants, drame familial en 3 actes d'Henrik Ibsen, traduit par Rodolphe Darzens, Paris, Tresse & Stock, 1890.
August Strindberg, La Chambre rouge, traduit du suédois, Tresse & Stock, Stock, 1890.
Léon Tolstoi, Les fruits de la science, traduction du russe, Paris, A. Lemerre, 1891.
Ukko'Till, roman de mœurs, frontispice de Jules Chéret, Paris, Édouard Dentu, 1891.
Présentation et édition du Reliquaire. poésies d'Arthur Rimbaud, 41 poèmes, Paris, Léon Genonceaux éditeur, 1891.
Poèmes d'amour, partition d'Auguste Chapuis, illustrée par 10 lithographies d'Adolphe Willette, Paris, Éditions Le Journal, 1895.
Le Roman d'un clown, Paris, Flammarion, 1898 — sur Gallica.
Amour de clown, roman illustré de photographies, coll. « Moderne », Paris, Per Lamm Nilsson, 1902 — sur Gallica.
Lorenza, ballet pantomime, musique de Franco Alfano, crée aux Folies-Bergère, 1902.
Le Ballet invisible, musique de A. Colomb, 1918.
Morgate, illustré par deux eaux-fortes originales de Louis Legrand et d'une planche de Félicien Rops, Paris, Éditions Gustave Pellet, 1924.
↑[catalogue d'exposition] Guy Cogeval & Kimberly Jones (dir.), Édouard Vuillard, Montréal, The Montreal Museum of Fine Arts, 2003, chapitre 18, p. 72 — extrait en ligne.
↑« Biographie » par M. Jutrin, dans Ephraïm Mikhaël, Œuvres complètes : aux origines du symbolisme, L'âge d'homme, Lausanne, 1995, p. 21.
↑« Un duel au temps du Symbolisme : la rencontre Darzens-Moréas » par Jean-Jacques Lefrère, dans Le Champ littéraire 1860-1900 : études offertes à Michael Pakenham, Rodopi, 1996, p. 294-295.
↑« Un duel au temps du Symbolisme : la rencontre Darzens-Moréas » par Jean-Jacques Lefrère, dans Le Champ littéraire 1860-1900 : études offertes à Michael Pakenham, Rodopi, 1996, p. 303.