Raoul de Presle aimait profondément son pays et son roi. Très au fait de la mythologie gréco-romaine, il semble regretter la disparition progressive de la connaissance des anciennes traditions nationales. Chrétien sans fanatisme, s’il réprouvait les pratiques superstitieuses, il disait qu’il était injuste de condamner sans réserve les ancêtres antérieurs au Christ, qui ne vivaient pas sans une certaine dignité. Curieux, il s’intéressait à ce qu’on appellera au XVIe siècle les « antiquités galliques »[2]. Raoul de Presles, qui disposait d’une bibliothèque très importante avait à disposition des textes qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous ; des vestiges architecturaux disparus depuis étaient encore visibles de son temps dans la banlieue parisienne et il y fait allusion. Le goût pour l’archéologie existait au Moyen Âge, certains hommes possédaient une bonne compréhension historique et les ruines bénéficiaient d’un prestige superstitieux[3].
Anne Lombard-Jourdan a publié un texte inédit de Raoul de Presles, qui identifie le centre des Gaules avec le nord de Paris et à un Mons Jovis[4]. Par ailleurs, dans son Compendium morale de re publica, il affirme que trois dieux étaient adorés sur trois hauteurs au nord de Paris : Jupiter à Montjavoult (207 mètre), Mercure à Montmartre, Apollon à Courdimanche (154 mètres). En haut de Montmartre, un feu était allumé au début des cérémonies qui réunissaient les druides et le peuple. C’est le Mons jovis qui était le plus respecté et le plus réputé et selon Raoul de Presles c’est de cet endroit que Jules César parle quand il évoque la réunion annuelle des Gaulois aux confins du pays des Carnutes[Note 1],[5].
Raoul de Presle évoque l’existence d’un oracle à Apollon sur le site de Saint-Denis du nom de Tricine dans sa Musa dédiée à Charles V en 1365 ou 1366. Pastichant un thème développé par saint Augustin et Origène veut montrer que les souffrances qu’endure la France de Charles V ne sont pas dues à l’abandon des dieux indigènes de la Gaule en faveur du christianisme mais sont de tous les temps. Du IXe au XIIIe siècle, les textes font mention d’un lieu dit Tricina[Note 2]. Dans un songe qu'il raconte, saint Denis l’Aréopagite conseille à Raoul de regagner Tricine et de consulter les « dieux de ses pères », ses « dieux pénat »es, ses « dieux Lares », ses « propres dieux » ; Raoul se précipite à Tricine et y retrouve saint Denis et ses deux compagnons, montrant qu'il avait compris que ces derniers servaient d’écrans aux dieux gaulois qui régnaient autrefois à Tricine ; ce lieu-dit porte le nom d’un distributif latin chaque fois trente[6]. D’après la Musa, un oracle dit Tricina permettait de consulter l'Apollon gaulois ou Bélénos au nord de Paris. Les Parisis choisirent de faire figurer sur leurs premiers statères d’or l’Apollon classique, mais la joue timbrée d’une croix décussée, symbole gaulois du soleil[7]. Le nom de Tricine (« chaque fois trente ») indique peut-être que l’oracle ne fonctionnait que tous les trente ans, aux articulations entre les divisions préconisées par les druides, ces derniers comptant en siècles trentenaires.
Anne Lombard-Jourdan, « À propos de Raoul de Presles. Documents sur l'homme », in Bibliothèque de l'école des chartes, no 139-2, 1981, p. 191-207, [lire en ligne].
Notes et références
Notes
↑Selon Anne Lombard-Jourdan, ces trois sites étaient trop éloignés pour qu’elles aient servi à une seule et même assemblée aussi importante. Anne Lombard-Jourdan localise le culte d'Apollon (Bélénos) à la Courneuve pour plusieurs raisons : la Courneuve appartenait à l’abbaye de Saint-Denis ; elle était située à proximité de la « vieille mer » des abords du Croult alors le plateau d'Hautie entourant Courdimanche et qualifié de mer par Raoul était un bois ; un territoire dit champ Belin existait d'ailleurs au Moyen Âge, témoignage d’un culte à Bélénos ; il fit place à un clôt Jean-Baptiste dont la fête a joué un rôle dans la christianisation des cultes solaires et des rites des solstices d’été est bien connu ; le saint dont le vocable fut donné à la Courneuve fut saint Lucien, compagnon de sain Denis, également connu, d'après l’auteur de sa vie, Eudes, évêque de Beauvais, au IXe siècle, pour la lumière qui émanait de lui ; on chercha à substituer dans l’esprit des fidèles l’image de martyrs lumineux à celle d’un dieu solaire et rayonnant. Comme le dieu de la lumière, Bélénos, saint Denis guérissait les affections de la vue.
↑Tricine apparaît dans un acte authentique du 22 janvier 832. Un acte du roi Eudes en 894 donne aux moines de Saint-Denis un moulin près du monastère sur le CrouLt et sur le pont de Tricine. Au début du IXe siècle, Tricine est une appellation courante appliquée au pont. Une fontaine, renommé plus tard Saint Rémi porta aussi le nom de Tricine, à proximité d'une chapelle nommée également saint Rémi.
↑Anne Lombard-Jourdan, "Montjoie et Saint-Denis !" : le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN2-87682-029-3), p. 69.
↑J. Adhémar, Influences antiques dans l’art du Moyen Âge français. Recherches sur les sources et les thèmes d’inspiration, The Warburg Institute, 1939 ; réimp. 1938.
↑Raoul de Presles, Musa, B.N. lat. 3233, fol. 16 d. Annexe II, p. 337.
↑Anne Lombard-Jourdan, "Montjoie et Saint-Denis !" : le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN2-87682-029-3), p. 73.
↑Anne Lombard-Jourdan, "Montjoie et Saint-Denis !" : le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN2-87682-029-3), p. 81.
↑Anne Lombard-Jourdan, "Montjoie et Saint-Denis !" : le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN2-87682-029-3), p. 82.