En tant qu'écrivain, Rafael Núñez est un romantique tardif et un sceptique. Sa poésie est contenue dans les deux volumes Versos (1885) et Poesías (1889). Il est également l'auteur des paroles de l'hymne national de la Colombie, adopté officiellement en 1920.
Vie personnelle
Rafael Núñez naît à Carthagène des Indes le . Il est l'aîné des trois enfants de Dolores Moledo García et du colonel Francisco Núñez García[1] qui se sont mariés le [2].
Rafael Núñez se marie à deux reprises. En 1851, le [3] ou le [1] suivant les sources, il se marie tout d'abord à David au Panama avec Dolores Gallego[4], la belle-sœur du vice-président de la République José de Obaldía[1]. Deux enfants naissent de ce mariage avant leur divorce le [3].
Sa deuxième épouse est la Carthaginoise Soledad Román, qu'il a connue chez le général Juan José Nieto[1]. Le mariage civil a lieu le à Paris[3], confirmé par une cérémonie religieuse le [3]. Soledad sera l'amour de la vie de Núñez et sa compagne jusqu'à la fin de sa vie.
Carrière politique
Débuts
Núñez étudie le droit à l'université de Carthagène en 1840, mais ces études sont interrompues par le déclenchement de la Guerre des Suprêmes. À tout juste 15 ans, il s'engage aux côtés des libéraux et participe au siège de sa ville natale, notamment défendue par son propre père qui appuie les légitimistes[3],[4]. En 1844, la guerre terminée, il retourne à ses études. Il est admis comme avocat de la défense l'année suivante puis est nommé au poste de juge par intérim dans la deuxième chambre de la province de Veraguas, résidant à David.
Dans le même temps, il adhère à la Sociedad Democrática de Carthagène des Indes[1] et s'initie au journalisme en fondant le périodique La Democracia[1]. Ses écrits montrent un talent certain d'analyste politique et de polémiste[3] et une pensée politique libérale radicale[1].
En 1849, à tout juste 24 ans, Núñez est nommé recteur du Colegio Nacional de Cartagena de Indias. Peu après, le retour des libéraux au pouvoir en la personne du général José Hilario López ouvre à Núñez des perspectives politiques intéressantes. Le gouverneur de la province de Carthagène des Indes, le général José María Obando, le nomme secrétaire général[3], poste auquel Núñez est confirmé par les gouverneurs suivants, Pablo de Alcázar puis le général Tomás de Herrera[4].
Le , Núñez arrive en France après avoir été nommé consul au Havre par le gouvernement de Manuel Murillo Toro[5]. Il habite alors entre Le Havre et Paris, où il rencontre fréquemment le général Tomás Cipriano de Mosquera, consul à Londres auprès du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Prusse et de l'Italie[5]. Núñez voyage également à Genève et en Italie. Le , le gouvernement nouvellement élu du général Mosquera nomme Núñez consul à Bruxelles, puis consul général de Bruxelles et Amsterdam, mais celui-ci refuse, préférant rester au Havre pour des raisons tant économiques que personnelles[5]. Entre la fin de 1868 et le début de 1869, il voyage dans le sud de la France et en Espagne[5]. Fin 1869, le président Santos Gutiérrez nomme Núñez consul général à Liverpool, où il reste jusqu'en 1874, refusant la proposition du président Eustorgio Salgar d'être nommé secrétaire à la Guerre et à la Marine. En 1874, Núñez publie à Rouen son œuvre « Ensayos de Crítica Social »[6]. Le , Núñez est de retour en Colombie après que le bateau à vapeur Lafayette le débarque à Sabanilla[5].
Entre 1875 et 1880, le modèle politico-économique libéral institutionnalisé par la convention de Rionegro de 1863 a touché le fond. Le pays est ruiné : l'infrastructure routière existante a échoué à renforcer l'intégration des provinces, les échanges réguliers entre elles sont minimes. Les plantations et les cultures sont en déclin. En général, les exportations agricoles traditionnelles (tabac, indigo et Cinchona ledgeriana) ont disparu tandis qu'en compensation l'exportation de l'or et du café augmente lentement, représentant environ 50 % du total des exportations. En outre, l'industrie n'est pas encore apparue. Dans ces circonstances difficiles, un groupe radical soutient la candidature de Núñez en 1876, mais perd l'élection face au santandereanoAquileo Parra.
Une alerte grave est constituée par la guerre civile de 1876-1877[7],[8], les États dirigés par des conservateurs refusant de reconnaître la nomination d'Aquileo Parra par le Congrès et entrant en rébellion contre le pouvoir central[9]. À la suite de la victoire du général Julián Trujillo Largacha, qui commande les troupes des libéraux au pouvoir, sur les rebelles conservateurs, les libéraux se divisent en deux courants : les radicaux, ou gólgotas, et les modérés, ou draconianos, aussi appelés indépendants[3]. C'est de cette deuxième faction que Núñez prend la tête tandis qu'il commence à proposer des réformes de l'appareil d'Etat dans un mouvement appelé Regeneración[3].
Núñez, qui a été confronté à d'autres systèmes politiques durant les dix ans qu'il a passés en Europe, fait valoir que le pays ne peut pas continuer dans le fédéralisme extrême et qu'il doit être donné au gouvernement central le pouvoir d'intervenir dans l'économie. Selon cette nouvelle doctrine, l'État doit promouvoir les investissements dans l'industrie, l'ouverture de nouvelles routes et de voies ferrées, protéger ce que produit l'industrie colombienne et créer un climat favorable aux investissements étrangers. En 1878, Núñez est élu sénateur pour le parti libéral et président du Congrès, un poste qu'il occupe jusqu'en 1880, quand il est de nouveau candidat à la présidence. Comme président du Sénat, il prête serment au président Julián Trujillo Largacha élu le , annonçant dans son discours : « Nous avons atteint un point où nous sommes confrontés à ce dilemme : la régénération administrative fondamentale ou la catastrophe »[10].
Les libéraux au pouvoir, appelés « radicaux », sont fermement opposés à Núñez, et font tout pour l'empêcher de devenir président. En dépit de cette forte opposition, Núñez remporte les élections dans sept des neuf États et le assume le poste de président de la République.
Malgré une opposition féroce de la part du parti au pouvoir, Núñez parvient à ce que Francisco Javier Zaldúa soit élu comme son successeur pour poursuivre ses réformes. Mais Zaldúa, malade et sous la pression des libéraux radicaux, décède le , huit mois après son élection[16]. À sa place, après le renoncement de Núñez lui-même[Note 1], un autre libéral indépendant, José Eusebio Otálora, est nommé président.
Soutenu par les conservateurs, favorables à la politique que Núñez tente de mettre en place et entrevoyant la possibilité de revenir au pouvoir après une exclusion totale pendant plus de vingt ans, Núñez a la voie dégagée pour tenter sa réélection pour la période 1884-1886, qui est réalisée relativement facilement.
Deuxième présidence
En 1884, Núñez est donc réélu sur son programme de Regeneración. Pour atteindre cet objectif, il fonde le Parti national en collaboration avec Miguel Antonio Caro, un idéologue catholique très conservateur[17]. En raison de sa mauvaise santé, il prend le temps de revenir à Curaçao avant de prendre possession de la présidence, l'intérim étant assuré par Ezequiel Hurtado[13].
En 1885, après les contentieux électoraux dans l'État souverain de Santander entre les généraux Solón Wilches(es) et Eustorgio Salgar[18], les libéraux radicaux commencent une révolte qui se répand bientôt dans tout le pays et déclenche une guerre civile dans le but de renverser Núñez[19]. La guerre dure plusieurs mois et prend finalement fin avec la victoire de la coalition conservatrice durant la bataille de la Humareda, sous le commandement du général Guillermo Quintero Calderón. Mettant immédiatement à profit la défaite des radicaux, Núñez prononce depuis le balcon du palais présidentiel la célèbre phrase : « La constitution de 1863 a cessé d'exister »[17].
Toute opposition ayant disparu, Núñez convoque le deux représentants de chacun des États souverains pour former une assemblée constituante, installée le de la même année, visant à l'élaboration d'une nouvelle constitution au caractère centraliste[20].
La constitution est promulguée le et reste en vigueur, avec quelques modifications, jusqu'en 1991, en étant de loin la constitution colombienne ayant duré le plus longtemps[21]. L'Église catholique y retrouve un rôle de premier plan en tant que source pour rétablir l'ordre social[22]. Les réformes majeures établissent le mandat présidentiel à six ans et transforment les États souverains en départements, centralisant le pouvoir politique au sein du gouvernement national[23].
L'une des conséquences de la mise en œuvre de la politique de Regeneración est d'écarter totalement le parti libéral du pouvoir. Les conservateurs, alliés aux libéraux indépendants qui sont peu puissants en dehors de Núñez, sont les grands gagnants du changement de régime. La constitution de 1886, très autoritaire, leur permet d'interdire les journaux libéraux et d'emprisonner leurs opposants[M 1]. Les libéraux n'ont donc plus ni députés, ni gouverneurs, ni presse et leurs principaux leaders sont soit en prison soit en exil[M 2].
Troisième présidence
En raison de sa santé fragile, Núñez donne sa démission de la présidence à la Chambre des représentants le et décide de prendre sa retraite, d'abord à Anapoima puis à Carthagène[24]. Pendant son absence, la présidence est assumée par le designadoJosé María Campo Serrano du au puis par le vice-président Eliseo Payán de janvier à .
Les libéraux radicaux, adversaires de Núñez, se rapprochent de Payán pour changer le cours politique profitant de l'absence de Núñez[25]. Avec les rumeurs, Núñez décide de prendre rapidement un bateau qui lui fait remonter le río Magdalena jusqu'à Girardot. De là, il écrit un télégramme informant Payán qu'il reprend la charge de la présidence et continue sa route vers la capitale[24]. Apprenant ces nouvelles, Payán démissionne et prend sa retraite, amorçant ainsi le troisième mandat de Rafael Núñez, entre et .
L'une des principales réalisations de cette période est la signature du Concordat avec le Saint-Siège le [26]. Cet accord rétablit les relations entre l'État et l'Église catholique, considérées comme un élément essentiel de l'ordre en mesure de réaliser l'unification sociale du pays[26].
Pendant son mandat, Núñez prend l'habitude de demander l'organisation de célébrations pour célébrer la fête nationale de l'Indépendance de Carthagène des Indes (le ). Le directeur du théâtre José Domingo Torres, qui anime les fêtes nationales, demande au maître italien Oreste Síndici de composer une chanson patriotique pour la célébration de 1887[27]. Pour le texte de la chanson, Torres présente à Síndici le poème « Himno Patriótico » écrit par Rafael Núñez en 1850. L'interprétation est faite dans le Teatro de Variedades de l'école publique de Santa Clara[28], avec un chœur de 30 enfants de trois écoles, élèves d'Oreste Síndici, et le chant est présenté comme l'hymne national de la Colombie[29]. Cette chanson devint plus tard officielle comme symbole national(es) par la loi 33 du [30].
Lors des élections du , Carlos Holguín Mallarino est nommé président par le Congrès à l'unanimité. Núñez lui transmet le pouvoir le , retourne dans sa maison du quartier El Cabrero de Carthagène et se remet à écrire des articles pour divers journaux du pays.
Quatrième présidence
Tous les courants du Parti national proclament une nouvelle candidature de Núñez à la présidence pour les élections présidentielles de 1892 contre Marceliano Vélez(es), dans laquelle il obtient 80 % des suffrages[31]. Pour des raisons de santé, Núñez prête symboliquement serment à Carthagène le [32], mais décide de rester à l'écart du pouvoir, laissant la charge à son vice-président Miguel Antonio Caro[33]. Il demeure dans l'hacienda de son épouse Soledad Román dans le quartier El Cabrero de Carthagène, où il reçoit quelques visites à travers lesquelles il se tient informé de l'actualité[34]. Mais, durant cette période, l'influence des libéraux indépendants se réduit et la faction conservatrice du parti national se renforce considérablement. Núñez prévoit alors son retour à Bogotá[13].
Décès
Sa santé continue à se détériorer, ce qui ne lui permet pas de mener à bien ce qu'il prévoyait faire. Il meurt le , d'un accident vasculaire cérébral[35]. À cette nouvelle, il lui est rendu hommage à travers le pays[36]. Parmi les hommages de ses amis proches, on peut citer un poème que compose en son honneur le poète nicaraguayen Rubén Darío[37]. L'ensemble du Congrès signe une motion de deuil à sa mémoire.
Les funérailles de Núñez durent deux jours et ont lieu dans la chapelle San Juan de Dios de Carthagène des Indes[33]. Ses restes reposent dans la chapelle de Notre-Dame de la Miséricorde, située dans le quartier d'El Cabrero de Carthagène des Indes[38].
Production littéraire
Parmi les ouvrages écrits par Rafael Núñez peuvent être mis en notes[6] :
Par ailleurs, Núñez a officié en tant que journaliste. À ses débuts, dans les années 1840, il a fondé le quotidien La Democracia[1]. En 1863, après la convention de Rionegro où il représente l'État de Panama[4], et jusqu'en 1865, il voyage à New York où il écrit pour différents journaux sous le pseudonyme de Wencelly David de Olmedo[3]. Par la suite, Núñez reprend une activité journalistique pour divers journaux colombiens entre 1888 et 1892, durant le mandat du président Carlos Holguín Mallarino, avant d'être lui-même réélu pour un quatrième (et dernier) mandat présidentiel.
La maison où Rafael Núñez a vécu avec sa seconde épouse, Soledad Román, et dans laquelle la Constitution de 1886 a été signée[40], située dans le quartier El Cabrero, à l'extérieur des murs de Carthagène, a été transformée en musée[41]. La maison en bois est dans le style des Caraïbes et présente des meubles et objets ayant appartenu à Núñez[42]. En face de la maison se trouve une statue de Rafael Núñez.
En outre, en 1987, à Carthagène des Indes, fut fondée une institution d'enseignement supérieur qui porte le nom de Corporación Universitaria Rafael Núñez en son honneur[45].
↑La constitution des États-Unis de Colombie interdit d'effectuer deux mandats présidentiels successifs. En acceptant de devenir président après le décès de Zaldúa, Núñez risquait de donner un prétexte à ses opposants pour déclencher une nouvelle guerre civile, ce dont le pays n'avait certainement pas besoin.
Références
Références bibliographiques
(fr) Jean-Pierre Minaudier, Histoire de la Colombie de la conquête à nos jours, Paris, L'Harmattan, coll. « Horizons Amériques latines », , 363 p. (ISBN2-7384-4334-6, lire en ligne)
↑(es) Gustavo Otero Muñoz, Un hombre y una época: La vida azarosa de Rafael Núñez, Bogotá, Editorial ABC, coll. « Biblioteca de historia nacional », (lire en ligne), p. 81
↑(es) Jorge Echeverri Herrera, « El primer gobierno de Núñez », Economía Colombiana, Bogotá, vol. 18, no 52, , p. 331
↑(es) Gustavo Otero Muñoz, Un hombre y una época: La vida azarosa de Rafael Núñez, Bogotá, Editorial ABC, coll. « Biblioteca de historia nacional », , p. 115
↑ a et b(es) Fernán González, « El Concordato de 1887: Los antecedentes, las negociaciones y el contenido del tratado con la Santa Sede », Revista Credencial Historia, no 41, (lire en ligne)
↑ a et b(es) « Rafael Núñez: sus últimos días », Revista Credencial Historia, no 57, (lire en ligne)
↑(es) Nicolás del Castillo Mathieu, « La casa de Rafael Núñez: una visita a este evocador lugar de Cartagena », Révista Credencial Historia, no 40, (lire en ligne)
↑(es) Alberto Dangond Uribe, Rafael Núñez: regenerador de Colombia, Bogotá, Ediciones Anaya, (ISBN84-207-3446-2), p. 116