Alors que Bach présentait à l'entrée du premier livre un modeste prélude dans la tradition du clavecin, celui en ut du second livre qui ouvre le nouveau cahier compilé vingt ans plus tard se présente comme une majestueuse improvisation dans le genre organistique. La fugue à trois voix qui l'accompagne est d'une texture musicale volontairement limpide pour rester dans le caractère d’ut majeur. Du prélude sont exceptionnellement conservées deux versions primitives, qui dévoilent le travail de l'atelier du compositeur.
Les partitions, non publiées du vivant de l'auteur, se transmettent d'abord par des manuscrits, recopiées entre musiciens (enfants et élèves de Bach, confrères…) jusqu'à la fin du XVIIIe siècle avec déjà un succès considérable[3]. Grâce à l'édition, dès le début du XIXe siècle, leur diffusion s'élargit. Elles trônent sur les pupitres des pianistes amateurs et musiciens professionnels, et se donnent au concert, comme Chopin qui en joue pour lui-même une page, avant ses apparitions publiques[3]. L'œuvre est utilisée dès Bach et jusqu'à nos jours, pour la pratique du clavier mais également pour l'enseignement de l'art de la composition ou de l'écriture de la fugue. La musique réunie dans ces pages est donc éducative, mais également plaisante, notamment par la variété, la beauté et la maîtrise de son matériau[4].
Chaque cahier est composé de vingt-quatre diptyques (préludes et fugues) qui explorent toutes les tonalitésmajeures et mineures dans l'ordre de l'échelle chromatique. Le terme « tempéré » (Gamme tempérée) se rapporte à l'accord des instruments à clavier, qui pour moduler dans des tons éloignés, nécessite de baisser les quintes (le ré bémol se confondant avec le do dièse)[5], comme les accords modernes. Ainsi l'instrument peut jouer toutes les tonalités. Bach exploite donc de nouvelles tonalités quasiment inusitées de son temps, ouvrant de nouveaux horizons harmoniques[4].
Les préludes sont inventifs, parfois proches de l'improvisation, reliée à la tradition de la toccata, de l'invention ou du prélude arpégé. Les fugues n'ont rien de la sécheresse de la forme, que Bach rend expressive. Elles embrassent un riche éventail de climats, d'émotions, de formes et de structures qui reflètent tour à tour la joie, la sérénité, la passion ou la douleur et où l'on trouve tout un monde vibrant d'une humanité riche et profonde[6]. Certaines contiennent plusieurs procédés (strette, renversement, canons, etc.), d'autres non, dans une grande liberté et sans volonté de systématisme, ce qu'il réserve à son grand œuvrecontrapuntique, L'Art de la fugue, composé entièrement dans une seule tonalité, le ré mineur[7].
Prélude
Le prélude noté — bien moins modeste que son prédécesseur du premier livre — s'ouvre majestueusement sur une pédale de tonique, avec la verve d'une improvisation « pro organo pleno » : il chante, explore le clavier, l'harmonie, « prenant sans cesse des chemins de traverse »[8], module ou fait semblant de moduler. Sur trente-quatre mesures, les quatre voix collaborent, jusqu'à une autre longue pédale de tonique et un point d'orgue[9] (unique reposoir de la pièce).
Les deux premières mesures explorent harmoniquement la progression I – IV — V — I. Les mesures 20 à 28, reprennent les mesures 5 à 14, transposées, mais dans un curieux décalage par rapport à la barre de mesure[8].
La fugue à trois voix, notée , est longue de 83 mesures.
Le sujet de quatre mesures est composé de plusieurs éléments. Une tête avec d'abord un ornement décomposé en doubles croches, un saut de sixte avec un mordant« polisson »[8], et enfin, une traîne, longue guirlande de doubles croches, style « machine à coudre », moquée par Colette[8]. Cette guirlande est utilisée par la basse comme un vrombissement venant des profondeurs, inexorable rosalie s’étendant sur dix ou douze mesures (par exemple mesures 55 à 66).
L'exposition occupe les mesures 1–13. Dans l'ordre, le sujet est énoncé au ténor puis suivi des réponses du soprano et de la basse. Le premier divertissement use d'une imitation au soprano, de la première cellule avec le saut de sixte, avant la réapparition du sujet, mesure 21, suivi de l'alto puis du soprano. Après un divertissement, mesures 29–39, la basse énonce le sujet. Après une marche ascendante (39–55), le ténor et soprano énoncent le sujet et sa réponse. Un troisième divertissement, mesures 55-68, reprend l'imitation au soprano du premier. Le sujet revient à la basse mesure 70, mêlé aux imitations au ténor (72) et au soprano (76)[10].
Genèse
Nous connaissons deux manuscrits antérieurs du prélude. La première version ne comporte que 17 mesures. Il s'agit de la copie de Johann Peter Kellner, datée du (BWV 870a ; Berlin, P 804). Selon Keller et Cantagrel, il est possible que ce prélude ait connu une version antérieure de la période de Köthen[9],[11]. Réunie dans les œuvres pédagogiques au sein de l'intégrale de l'édition discographique du label Hänssler, volume 107, elle est enregistrée au clavicorde par Robert Hill[12].
Dans la seconde version (BWV 870b), le nombre de mesure est doublé passant à 34[13], comme dans la version définitive —, dont l'incipit est reproduit plus haut. Sans ses triples croches, la courbe mélodique est plus lisse[14].
Il ne s'agit pas d’« ébauches », mais de versions fonctionnelles, autonomes, « avant qu'un travail de polissage ou d'amplification les amène à un niveau d'organisation supérieure aux yeux du vieux musicien »[13].
La fugue était présentée dans le manuscrit Kellner, à , au lieu de son actuel et plus courte, elle portait le titre de Fughetta. Cette version porte l'indication des doigtés, peut-être de la main de Bach[15].
Manuscrits
Les manuscrits considérés comme les plus importants sont de la main de Bach lui-même ou d'Anna Magdalena. Ils sont :
source « A », British Library Londres (Add. MS. 35 021), compilé dans les années 1739–1742[16]. Comprend 21 paires de préludes et fugues : il manque ut mineur, ré majeur et fa mineur (4, 5 et 12), perdues[16] ;
↑(de) Jean-Sébastien Bach et Johann Christoph Altnikol, Des Wohltemperirten Claviers, Zweiter Theil, besthehend in Præludien und Fugen durch alle Tone und Semitonien, verfertiget von Johann Sebastian Bach, Königlich Pohlnisch und Churfürstl. Sächs. Hoff Compositeur, Capellmeister und Directore Chori Musici In Leipzig. [« Le clavier bien tempéré, volume 2, ou préludes et fugues dans tous les tons et demi-tons, préparés par Jean-Sébastien Bach, compositeur de la cour royale de l'électorat de Saxe et de la Pologne, maître de chapelle et directeur de chorale musicale à Leipzig »] (lire en ligne [PDF]) (copie manuscrite d'Altnikol publiée par International Music Score Library Project)
↑Johann Sebastian Bach et Théodore Dubois, Le clavecin bien tempéré, 48 préludes et fugues transcrits 4 mains par Théodore Dubois, Paris, Éditions Maurice Sénart et Cie, (lire en ligne), p. 67-71
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) Cecil Gray, Forty-Eight Preludes and Fugues of J.S .Bach, Oxford University Press, , 148 p. (OCLC603425933, lire en ligne [PDF]), p. 82–84.
Karl Geiringer (trad. de l'anglais par Rose Celli), Jean-Sébastien Bach [« Johann Sebastian Bach, the culmination of an area »], Paris, Éditions du Seuil, coll. « Musiques », (1re éd. 1966(en)), 398 p. (OCLC743032406, BNF35199443)
(en) Yo Tomita, J. S. Bach’s ‘Das Wohltemperierte Clavier II’ : A Study of its Aim, Historical Significance and Compiling Process, Leeds, University of Leeds, (lire en ligne [PDF])
Laffont – Bompiani, Le Nouveau dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays, t. 1 : A-C, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (réimpr. 1999, 2007), 2e éd. (1re éd. 1980), xxxi-7682 (OCLC1040804733), « Le Clavecin bien tempéré », p. 1218.
(en) Yo Tomita, J. S. Bach’s ‘Das Wohltemperierte Clavier II’ : A Critical Commentary, vol. 2 : All the extant manuscripts, Leeds, Household World Publisher, , 1033 p. (lire en ligne [PDF]), p. 15–25 ; 26–29
Guy Sacre, La musique pour piano : dictionnaire des compositeurs et des œuvres, vol. I (A-I), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 2998 p., p. 210.
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