Sous la direction Bourneville, lequel a commencé d'entreprendre la réforme de la prise en charge des jeunes déficients mentaux à travers la fondation Vallée, Paul Sollier rédige et, le , soutient devant l'académicienVictor André Cornil, avec succès, une thèse de doctorat en neurologie, spécialité incluant alors la psychiatrie, sur la psychologie des « arriérés »[12]. Il y délivre ses observations de ce qui chez les enfants hospitalisés n'est pas encore repéré sous le terme générique de stéréotypie et s'attache à distinguer ce qui y relèverait d'un facteur neurologique et ce qui ne serait qu'un symptôme psychiatrique, préparant ainsi[13] la classification que Julien Noir[14] élaborera sous la direction des mêmes Bourneville et Cornil. Il se montre comme ses maîtres attentif aux facteurs psychologiques et sociaux de la maladie mentale, à l'opposé de la doxa de l'hérédodégénérescence qui mobilise alors un consensus sur l'origine héréditaire des psychopathologies et qui a été popularisée par l'oeuvre romanesque d'Émile Zola. Si l'hérédité est, selon lui, indéniable et même fondamentale, en particulier dans l'anorexie[15] et l'alcoolisme, elle n'explique pas tout. Inversement, si les facteurs moraux sont indéniables, ils correspondent, selon lui, à une lésion.
En 1897, Paul Sollier abandonne la direction de la Villa Montsouris pour prendre, toujours avec sa femme, celle d'une autre clinique qui a été inaugurée cette même année, le Sanatorium de Boulogne sur Seine (situé au 145 route de Versailles, devenue l’avenue du Général Leclerc; sur l’emplacement s’étendant de nos jours du n°577 au n°701 de l’avenue). Les pavillons, construits autour de jardins, sont somptueux et se trouvent à la lisière de Billancourt, quartier alors très select de villas réservées à la bourgeoisie la plus fortunée mais boudé par l'aristocratie germanopratine, un peu à l'écart donc. Paul Sollier y a pour adjoint François Boissier. Il y propose des traitements à base de mécanothérapie(de), kinésithérapie, massothérapie, hydrothérapie sans négliger pour autant l'écoute attentive et bienveillante. L'isolement du milieu habituel et la relation thérapeutique, y compris une forme de terreur sanitaire exercée par le médecin de toute son autorité[16], restent selon lui essentielles. Il pratique aussi l'hypnose.
Il commence en 1898 à enseigner à l'Université nouvelle de Bruxelles, dont il deviendra en 1909 membre du conseil d’administration.
Quelques semaines après la mort de sa mère, Marcel Proust, qui ne s'était résolu à soigner sa « neurasthénie » que pour complaire à celle ci, est adressé par son médecin, l'élève de CharcotÉdouard Brissaud, au sanatorium de Boulogne. Le , il lui est diagnostiqué une hystérie. Il est hospitalisé quelques jours plus tard pour six semaines, durée relativement longue. Il confessera en être sorti plus mal qu'à l'entrée, à cause de l'asthme, mais restera le patient du docteur Sollier. L'influence de celui ci sur la conception de la mémoire et de l'inconscient développée dans La recherche du temps perdu est patente[17]. Au Sanatorium est également soigné Édouard Drumont. À propos de ce patient, Paul Sollier conclut que l'antisémitisme est l'« indice d'une dégénérescence intellectuelle » qui traduit une prédisposition cérébrale à l'aliénation[18].
De la névrose de guerre à la médecine du travail (1914-1933)
En 1919, sa clinique boulonnaise n'a pas retrouvé sa prestigieuse clientèle de la Belle Époque, d'autant que la ville a été convertie en un pôle ouvrier. Racheté en 1921 par l'APHP avec l'aide de la municipalité que préside l'hygiénisteAndré Morizet, le sanatorium devient en 1923 l'hôpital Ambroise-Paré, qui sera détruit par un bombardement allié le puis, en 1965, reconstruit à l'emplacement de la cour du Château Rothschild, où il se trouve aujourd'hui, à l'autre bout de la ville près du Bois de Boulogne.
Paul Sollier continue d'exercer, comme consultant dans son ex établissement et à son domicile, 14 rue Clément Marot. C'est là que, grand père d'une Jacqueline qui épousera le chef du service de radiologie de l'hôpital Necker Jean Dubost, il décède. Sa veuve lui survivra neuf ans.
Œuvre écrit
Paul Sollier a effectué de nombreux travaux sur les syndromes neurologiques, l'hystérie de son maître Jean-Martin Charcot, la mémoire, les émotions et l'idiotie.
Hygiène, Bureaux du Progrès médical, 1889. 164 p.
Du rôle de l'hérédité dans l'alcoolisme, Bureaux du Progrès médical, 1889. 214 p.
Essai critique et théorique sur l'association en psychologie, leçons faites à l'Université nouvelle de Bruxelles, 1905, F. Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1907. 187 p.
Morale et moralité : essai sur l'intuition morale, leçons faites à l'Université nouvelle de Bruxelles, 1911, F. Alcan. coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1912. 203 p.
Traité clinique de neurologie de guerre, préface Émile Baratte, F. Alcan, 1918. 830 p.
Pratique sémiologique des maladies mentales : guide l'étudiant et du praticien (avec Paul Courbon), Masson et cie. 1924. 457 p.
Avec José Drabs, La psychotechnique, introduction à une technique du facteur humain dans le travail, Comité central industriel de Belgique, F. Alcan, 1935. 189 p.
C'est dans cette optique que, par exemple, il met au point le traitement de l'anorexie mentale basée sur la pesée hebdomadaire[21] avec un objectif de poids[22] et un gavage[23] forcé[24], l'« alimentation en bloc »[25] c'est-à-dire l'inverse de la réalimentation progressive[26], tout en reconnaissant qu'il a peu d'efficacité[27] et que la maladie reste une question de désir[26], qui n'est pour lui qu'un état neurologique. Préfigurant la stimulation cérébrale profonde qui sera mise au point dans les années 1980, une même idée de stimulation nerveuse qui ne soit pas une électrothérapie de surface, dans le cerveau, dans l'estomac, qui seraient anesthésiés, préside à l'idée de guérison de l'« hystérie » et son cas particulier que serait l'anorexie mentale.
Celui ci continue toutefois de revendiquer le traitement moral comme une thérapeutique qui reste valable[29], ne serait ce que pour satisfaire à une obligation médicolégale contrôlée annuellement par la préfecture, mais c'est un traitement moral revisité. La psychothérapie est utilisée par lui comme un complément des traitements physiologiques dans l'idée de produire un effet semblable, qui est de sortir le patient d'une sorte de léthargiecorticale. La parole du médecin, par sa violence, doit produire, avec toutefois bienveillance, un choc qui ferait prendre conscience au patient de sa pathologie. Paul Sollier n'hésite pas par exemple à menacer ses patients de privations. La guérison est ainsi conçue comme la conformation du discours du patient à celui du médecin, qui se devrait d'incarner la norme et dire la normalité.
↑P. Sollier, « L’anorexie mentale », in Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française : sixième session tenue à Bordeaux du 1er au 7 août 1895., p. 361, Goerges Masson, Paris, 1896.
↑P. Sollier, « Anorexie hystérique (sitiergie hystérique). Formes pathogéniques, traitement moral. », in Revue de médecine, p. 633-634, GermerBaillière, Paris, 1891.
↑Julien Bogousslavsky & Olivier Walusinski, « Marcel Proust et Paul Sollier. La connexion de la mémoire involontaire(en) », in Archives suisses de neurologie et de psychiatrie, vol. CLX, no 4, p. 130-136, 2009.
↑P. Sollier, cité in O. Walusinski, « Paul Sollier, Pierre Janet, and Their Vicinity », in J. Bogousslavsky, Hysteria: The Rise of an Enigma., p. 127, coll. Frontiers of neurology and neuroscience, vol. XXXV, Karger(de), Bâle, 2014 DOI10.1159/000360056.
↑P. Sollier, L’hystérie et son traitement, p. 102, F. Alcan, Paris, 1901.
↑P. Sollier, L’hystérie et son traitement, p. 276, F. Alcan, Paris, 1901.
↑P. Sollier, Genèse et nature del’hystérie : recherches cliniques et expérimentales de psycho-physiologie., vol. I, p. 268‑269, F. Alcan, Paris, 1897.
↑P. Sollier, L’hystérie et son traitement, p. 272-273, F. Alcan, Paris, 1901.
↑ a et bP. Sollier, Genèse et nature de l’hystérie : recherches cliniques et expérimentales de psycho-physiologie., vol. I, p. 186, F. Alcan, Paris, 1897.
↑ a et bP. Sollier, L’hystérie et son traitement, p. 268, F. Alcan, Paris, 1901.
↑P. Sollier, « L’anorexie mentale », in Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française : sixième session tenue à Bordeaux du 1er au 7 août 1895., p. 364-365, Goerges Masson, Paris, 1896.
↑P. Sollier, « Discours du Docteur Paul SOLLIER, président de la distribution des prix du 30 juillet 1909. », Association des anciens élèves du lycée Montesquieu, Le Mans.