Le Leinster (en irlandaisLaighean, en latinLagenia) est une des quatre provinces traditionnelles de l'Irlande. Recouvrant la partie orientale de l'île, son territoire a pour pôle urbain la métropole irlandaise, Dublin.
Démographie
Le Leinster est de loin la province la plus peuplée d’Irlande. La renaissance économique irlandaise a fait croître Dublin, ses banlieues (notamment Dún Laoghaire, Fingal, Dublin-Sud qui ont été érigées en comtés), et d’autres villes avoisinantes (Bray, Drogheda). La population de la province lors du recensement de 2006 était de 2 295 123 habitants (2 105 449 habitants en 2002, soit un accroissement de 9,0 %).
Évolution démographique
1659
1821
1831
1841
1851
153 534
1 757 492
1 909 713
1 974 181
1 672 738
1881
1911
1961
1981
2011
1 278 989
1 162 044
1 332 149
1 790 521
2 501 208
Divisions administratives
Le fort déséquilibre démographique causé par la polarisation de près d'un tiers des habitants de la république autour de Dublin a conduit en 1994 à regrouper les douze comtés du Leinster,
Le néolithique ne se distingue pas dans le Leinster de celui du reste de l'Irlande mais les vestiges de la civilisation mégalithique qui s'y trouvent témoignent d'un centre religieux et commercial de premier ordre :
Les traditions recueillies au XVIIe siècle rattachent la fondation du Leinster à la légende du roi aux oreilles de cheval Labraid Lorc l'Exilé[1], qu'un manuscrit du XIIe siècle situe trois cents ans av. J.-C.[2]. Arrière-petit-fils du Roi suprême d'IrlandeHuon le Grand spolié par son grand-oncle, il revient d'exil[3] avec l'armée du Munster, reconquiert son héritage grâce à la magie de la harpe du barde Craiftine, puis accomplit sa vengeance en assassinant son grand-oncle au cours d'un festin. L'étymologie fantasque des premiers celtisants explique le nom du Leinster, « Laighin » en gaélique, par les fers de lance, « láigne »[4], de l'armée de reconquête du prince Labraid[1].
les Dumnonii, habitant au nord de la future province, autour de l'aber Malahide, anciennement nommé « Inber Domnann »[6].
Au temps de Domitien, le Laigin, vaincu en 76 à la bataille d'Achal(en), cède le territoire de Tara, érigé en capitale, au légendaire roiTúathal, qui fut peut être le prince armé, selon Tacite, en 81 par le général Agricola pour reconquérir son trône irlandais.
En 367, sous le règne de Valentinien Ier et de son dauphin Gratien, les « Scots », terme qui désigne alors les guerriers d'Irlande, montent une expédition contre la Bretagne. Ils sont repoussés par le général Théodose mais seize ans plus tard, un espagnol, Maxime, célébré par la légende de Macsen Wledig, est acclamé empereur par les légions de Bretagne. La légende rapporte qu'il le fait à partir de la cité de son beau-père, Segontium, actuel Caernarfon et alors importante garnison de la légionVictrix, la plus occidentale de l'Empire. Cette cité est située dans un territoire appelé aujourd'hui Lleyn, dont l'étymologie Legin renvoie à celle du Leinster. L'archéologie révèle effectivement un certain nombre d'inscriptions oghamiques disséminées à partir des côtes occidentales de la Grande-Bretagne[7].
Au VIIe siècle, les Colmán et les Slane, deux branches des O'Neill, soumettent ceux qui désormais seront appelés Déisi de Tara et repoussent vers l'est, au-delà des monts de Wicklow, les Uí Eneschglaiss. Dans la partie nord du Laigin conquise, ils constituent à leur profit les royaumes de Meath et de Brega.
Au VIIIe siècle, peut-être après avoir expulsé les Déisi, les O'Dowling, branche cadette qui régente le territoire autour de Kildare abandonné par les mêmes Uí Eneschglaiss, chassent les Kinsella de la vallée de la Liffey vers le sud et la vallée du Slaney, dans l'actuel Wexford, et se déchirent en deux clans rivaux, les O'Fealy et les O'Muiredaig, ancêtres des O'Toole, revendiquant chacun la suprématie sur le Leinster. Dans le même mouvement, les Kinsella chassent les Uí Bairrche de Carlow d'une part plus en aval dans la vallée du Barrow, d'autre part vers la côte est[12].
En 970, Olaf, de retour, pille de nouveau l'abbaye de Kells. En 971, quelques descendants des « étrangers noirs » installés sous le règne de Ragnall par Ottir à Waterford brûlent le monastère de Saint-Mullin. En 979, le tout nouveau roi du Leinster Dómnall « Le Louche » est capturé et emmené en otage à Dublin. Il est libéré l'année suivante à la suite de la victoire remportée à Tara sur Olaf par le chef des Colmán, Malachie le Grand. Trois ans plus tard, celui-ci envoie le fils et successeur d'Olaf, Gluniarian, qui est aussi son demi-frère, piller Glendalough pendant que de son côté il ravage le Leinster et vainc le même Dómnall « Le Louche », cette fois appuyé par les Vikings d'Ivarr de Waterford, pilleur de Kildare l'année précédente.
Les relations entre Mael Morda et Brian Boru, maître effectif et contesté de toute l'Irlande à partir de 1008, empirent et ce dernier répudie la princesse du Leinster Gormflaith en 1010. Assassiné dans les derniers mouvements de sa victoire de Clontarf le Vendredi saint 1014, il est inhumé à Dublin.
L'esclavage (1015-1041)
Après une épidémie de peste qui ravage le Leinster en 1015, les pillages de Barbesoie et les représailles qui s'ensuivent reprennent :
Une course aux otages des plus lucratives se développe pendant un quart de siècle. Dublin, première cité d'Irlande à frapper monnaie, devient un important marché aux esclaves où prospère l'artisanat de luxe et le Leinster un réservoir de peuplement de l'Islande.
Chassé de son trône en 1166, le roi Dermot récupère celui-ci quatre ans plus tard lors du siège de Wexford avec l'aide de barons normands qu'il marie et possessionne dans le Leinster, en particulier :
À sa mort en 1171, ces barons, inférieurs en nombre mais supérieurs par leur chevalerie moderne et unis derrière l'un des leurs devenu gendre du défunt roi, Richard de Clare, font face à un soulèvement général au cours duquel les O'Byrne détruisent Kilkenny. Leur suzerain Henri Plantagenêt se saisit de l'occasion pour intervenir militairement et imposer par le traité de Windsor sa suzeraineté à l'Irlande.
Clare se voit confirmer le titre de Lord du Leinster et octroyer celui de « vice-roi d'Irlande ». Le Leinster devient le pôle de la domination normande au sein d'une seigneurie d'Irlande dont le seul fondement juridique est la bulleLaudabiliter. Une architecture en pierre se substitue aussitôt aux édifices religieux et militaires construits en bois. Une zone d'exclusion, le Pale, est constituée sur une large part de son territoire. Le Parlement d'Irlande, qui ne traite pas les affaires qui relèvent des brehons, siège dans son ressort, initialement à Castledermot en 1264, puis le plus souvent à Drogheda, à Kilkenny en 1366, et après 1455 à Dublin. Les nouveaux maîtres, tels Geoffroy de Joinville, gèrent leurs domaines en rupture avec les règles claniques et conservent des fiefs familiaux dans tout l'empire Plantagenêt. Ils y circulent et s'y marient, entrainant immigration et émigration de tout un personnel militaire, administratif et religieux.
Cette indépendance insurrectionnelle devient insoutenable quand, en 1442, les Anglais tuent Muirceartach, petit-fils et héritier présomptif d'Art le Grand. Le père de Muirceartach, Donnchad, abdique treize ans plus tard.
La politique de son fils et successeur, Garret Og, lequel a été élevé en tant qu'otage à la cour d'Henri Tudor, est celle de la répression contre les fiefs constitués sur de grandes domaines inaccessibles dont l'autonomie est assurée par de véritables armées claniques, ceux des O'More(en) à Leix en 1514, des O'Toole à Imaal en 1516.
La guerre de Neuf Ans dans le Leinster (1594-1603)
Durant la guerre de Neuf Ans, les deux mille premiers hommes du corps expéditionnaire de Robert Devereux débarqués à Dublin le 15 avril 1599 passent leur revue à Drogheda et défilent à Kilkenny tenu par Thomas Butler. Pour faire face à l'Ulster, cinq mille hommes sont disposés sur la frontière du Pale, mais pour sa campagne contre le Desmond insurgé, Robert Devereux ne bénéficie plus de l'appui direct des dix-huit chefs du Meath et de Fingal ralliés par le 13ecomte de Kildare, William Fitz Gerald, tous péris noyés lors de la traversée. Parti le 9 mai de Dublin à la tête de deux mille cinq cents fantassins et trois cents cavaliers pour la plaine du Curragh, il prend de là Athy où il subit le harcèlement des O'More(en) puis retourne à Kilkenny après avoir essuyé de légères pertes dans sa descente vers Cashel au « Défilé des Plumes ». Sa liaison avec la base de Dublin qu'assure son sénéchal Henry Harrington est coupée quand le 29 mai celui-ci est assailli dans les monts Wicklow par les O'Byrne conduits par Phelim Mac Feagh.
De retour dès le 22 juin de sa vaine expédition dans le Munster avec un effectif réduit de plus de la moitié, Devereux incendie la côte du Leinster au cours d'une retraite périlleuse. Il essuie un lourd revers contre un millier d'O'Byrne en franchissant la rivière Clonnough au sud d'Arklow et atteint Dublin le 2 juillet au bout de huit semaines de campagne. Une seconde expédition par Maryborough et Philipstown aboutit à un affrontement laborieux au Capitaine Richard Tyrell, une nouvelle retraite vers Dublin et ce qu'un détracteur, le secrétaire d'ÉtatRobert Cecil, dénonce être le plus désastreux de tous les faits d'armes anglais en Irlande. Reparti le 1er septembre de Kells avec trois mille sept cents fantassins et trois cents cavaliers pour l'Ulster, Robert Devereux revient à Drogheda trois semaines plus tard avec le même résultat.
En 1600, son successeur, Montjoie, commence par investir Maryborough attaqué par les O'More puis part à la conquête de l'Ulster par le défilé qui en protège le Leinster. C'est la bataille de la Passe Moyry. Il signe trois ans plus tard à Mellifontune paix humiliante pour toutes les parties, les Anglais voyant les vaincus traités avec honneur, ceux-ci voyant gaélique, bardes et brehons proscrits. Le chef du sept des Kavanagh, Domhnall Mac Murrough dit L'Espagnol, à cause de son exfiltration vers l'EspagneviaWexford organisée quand il était enfant, en 1568, par le corsaireThomas Stukley, reçoit une pension et obtient la reconnaissance de ses titres sur ses terres des monts Marches Noires, au nord Enniscorthy. En échange, il renonce à la transmission du titre de roi. C'est la déposition du dernier roi du Leinster.
Le Leinster dans l'impasse politique des Stuarts (1604-1640)
En 1606, le comté de Wicklow est érigé comme une colonie face aux six cent vingt kilomètres carrés fortifiés des O'Byrne, où pas un shérif ne peut opérer.
Après avoir échoué à faire bannir les prêtres, le députéFalkland, homme de paille de l'affairiste Buckingham, se livre à une concurrence délétère dans la captation des charges et des revenus afférents avec le chancelierLoftus. L'inculpation de celui-ci en 1628 pour avoir conspiré durant leurs assizes avec les O'Byrne échoue et par là même l'établissement d'une quatrième plantation sur le territoire de ceux-ci. Les affaires du Leinster, parallèlement à celles liées à la colonisation de l'Ulster et du Connaught, deviennent le prétexte de la tyrannie. Le remplaçant de Falkland, Strafford, après avoir déçu les espoirs de « Grâces » placés en la reine Henriette de France, fait arrêter par le shérif de Dublin tout parlementairepapiste récalcitrant, et condamner par la sinistre Chambre du Château, cour de justice où triomphe l'arbitraire, Francis Annesley pour avoir défendu la cause des O'Byrne, Adam Loftus pour avoir favorisé les Fitz Gérald.
Le colonel John Hewson organise la famine dans les comtés de Wicklow et Kildare, et le colonel Cork dans celui de Wexford. Les montagnes de Wicklow et les reliefs difficiles d'accès, tels la tourbière d'Allen ou les drumlins, deviennent des zones de maquis pour les « tories » contre lesquels le général Henry Ireton conduit en juin 1650 une vaine expédition punitive. En avril 1651, un décret déclare le comté de Wicklow zone de guerre, autorisant le tir à vue sur tout suspect ainsi que la confiscation de son bétail et de ses biens[19]. En mai 1652, John Fitz Patrick, chef confédéré de la résistance du Leinster, rend les armes avec ses homologues du Munster et du Connaught à Kilkenny. La loi d'Occupation exclut les catholiques du Parlement mais reconnait aux combattants leur statut de militaire et les autorise à partir servir dans des armées étrangères qui ne sont pas en guerre avec la République. Un grand nombre part en Espagne et en France.
Le Leinster dans l'Irlande occupée
Conflits fonciers et querelles de charges sous la Restauration (1661-1689)
Une des premières mesures prises en 1685 par le frère et successeur de Charles II, l'absolutisteJacques II, est de nommer le frère cadet de l'archevêque honni des nouveaux Anglais, Richard Talbot, commandant en chef de l'armée en Irlande. Celui-ci nomme à son tour un grand nombre d'officiers catholiques. Promu en 1687 Lord Député, ce sont les offices civils qu'il distribue, si bien que quatre ans plus tard, quand le roi est chassé par la Glorieuse Révolution, le Leinster lui reste fidèle, à la différence de l'Ulster où les colons sont plus nombreux. Débarqué à Kinsale le 12 mars 1689 avec un corps expéditionnaire français de six mille hommes pour reconquérir son trône, Jacques II est acclamé à Dublin par un « parlement patriote ».
Extraits des paroles d'une chanson raillant les Irlandais « superstitieux » et leur langue, publiée en 1689 par Purcell à la suite de la bataille de la Boyne.
Le 24 mai, la Loi de Tolérance votée par le Parlement d'Angleterre, en excluant les catholiques, conforte la majorité des leinsterois dans leur légitimisme. La guerre willamite est engagée par le débarquement des orangistes en Ulster, le 11 juin à Derry assiégé depuis presque deux mois puis à Carrickfergus le 24. Elle se décide le 11 juillet sur le territoire du Leinster, en amont de Drogheda, lors de la bataille de la Boyne[20], où s'affrontent quelque soixante mille combattants. Cette défaite des royalistes, inférieurs en nombre et sans piétaille équipée ni entraînée, se solde par leur perte d'environ mille cinq cents hommes. La cause jacobite est irréversiblement perdue dès le 31 juillet à la bataille de Newtownbutler. Parties de Dublin, deux mille des recrues de Justin MacCarthy, peu aguerries, y sont tuées au cri de "No Popery".
Comme toute l'Irlande, le Leinster voit à partir de 1703 les spoliations organisées par la Loi pour empêcher le développement du papisme. À chaque succession, l'héritage foncier revient à un anglican autochtone, membre de la succession converti ou parent par alliance, ou bien aliéné comme une rente à un landlord anglais, absent mais représenté par un majordome. À une agriculture vivrière se substitue une agriculture d'exportation dans laquelle la rémunération des autochtones est ajustée en fonction du cours des marchés. En 1719, l'affaire Sherlock versus Annesley, propriétaires à Naas, donne le prétexte de la résolution Sixth of George I par laquelle le Parlement de Grande-Bretagne s'érige en censeur des décisions de celui d'Irlande, en particulier celles qui pourraient freiner l'exportation.
Le dispositif est renforcé par tout un arsenal législatif, les Lois pénales. C'est dans ce contexte répressif qu'en 1724 les Lettres de Drapier, un pamphlet publié anonymement par le doyen de la cathédrale de Dublin, Jonathan Swift, dénonce la collusion du gouvernement anglais dans un trafic de fausses monnaies destinées à l'Irlande. Aux mesures économiques, la Loi de privation de droits ajoute en 1728 la déchéance civile en réduisant les catholiques à l'état de sujets incapables d'exercer les charges publiques. Un certain nombre de celles-ci, ainsi que des titres de courtoisie, sont distribuées par faveur à des courtisans anglais, rarement présents, sinon irlandais, en raison de leur influence, tel James Fitzgerald au profit duquel sera restauré le duché de Leinster. En juin 1731, est fondée à la Maison du Leinster la Société royale de Dublin pour promouvoir le développement économique.
L'épisode très inhabituel de « Grand froid » de décembre 1739 se prolonge jusqu'à l'été entraînant une famine de vingt mois, l'« année de l'hécatombe ». Dès janvier, des marchés et des magasins de Dublin sont pillés. La mortalité triple en février. À la mi avril, un navire chargé d'avoine dans le port de Drogheda est déchargé de force par les habitants, à la suite de quoi l'amirauté se résout à interdire l'exportation, limitée depuis le 19 janvier à la Grande-Bretagne. Le dernier samedi de mai, la rumeur d'un complot des boulangers de Dublin, où les affamés des campagnes se sont réfugiés, y déclenche une émeute de trois jours au cours de laquelle le pain est pillé ou distribué. Les moulins des alentours sont pris d'assaut et le grain vendu à bas prix jusqu'à ce que l'armée mate l'émeute dans le sang. Les prix ne baissant pas, des émeutes se renouvellent un peu partout durant tout l'été quand des navires sont arraisonnés par des corsaires à la solde de l'Espagne.
Une saison de pluie se conclut par l'inondation du 9 décembre 1740. Le 15 décembre, le maire de Dublin Samuel Cooke, l'archevêque Hugh Boulter, le speakerHenry Boyle et le ChancelierRobert Jocelyn tiennent conseil et décident un secours, sur fonds propres, aux pauvres de leur ville et un recensement des stocks. L'hiver 1741 voit la Liffey et le rivage geler, des blocs de glace confinant les navires dans le port de Dublin. Le recensement révèle la pertinence de la suspension des exportations. Les seuls 1 655 fermiers du comté de Louth détiennent en moyenne chacun plus de 51 barils de grain. Durant le « Printemps noir » 1741, des philanthropes, à l'instar de Katherine Conyngham, distribuent de l'argent et tâchent d'organiser une politique de grands travaux, monuments, canaux, drainage des terres, nettoyage des ports, constructions de routes, pavage de rues. À Drogheda, le juge Henry Singleton, ami de Jonathan Swift, y laisse sa fortune. Le retour à la normale ne se fait qu'en juillet. Plus d'un tiers de la population a disparu.
Dublin, cœur du mouvement d'émancipation (1767-1797)
En 1791, l'avocat dublinois Wolfe Tone fait paraître successivement un appel à l'indépendance et un plaidoyer laïciste, l'Argument au nom des Catholiques[27], texte fondateur de la Société des Irlandais unis. À la suite de leur interdiction en 1792, les deux cent quatre vingt mille membres de celle-ci entrent dans la clandestinité. Leur propagande contre les « orangistes notoires » est diffusée dans Dublin par la campagne d'affichage de l'Union Star, équivalent clandestin du journal Northern Star. L'agitation révolutionnaire se répand également en Grande-Bretagne. L'habeas corpus y est suspendu en 1794 et le colonel dublinoisEdward Despard, desservi par ses origines, est arrêté en 1798 à Londres et enfermé arbitrairement pendant quatre ans.
La Révolution irlandaise dans le Leinster (1798-1800)
Déclenchée précipitamment le 23 mai 1798 à Dublin par la Société des Irlandais unis, la Révolution irlandaise commence par un échec, en grande partie à cause de l'arrestation de quelques-uns de ses chefs, son responsable pour le Leinster, Olivier Bond(en) et ses adjoints en mars, et le 18 mai le cinquième fils du duc du Leinster, Edward Fitz Gerald, figure charismatique de la rébellion dénoncée par un agent double.
le 24 mai, plusieurs centaines d'insurgés négocient leur reddition à la suite de la bataille de Kilcullen. Ils seront massacrés le 29 lors de leur rassemblement à Gibbet Rath. Victorieuse le même jour du 24 à Prosperous et Ballymore-Eustace, l'armée rebelle occupe Naas et le comté de Kildare mais ces victoires provoquent par réaction les tueries de Dunlavin et de Carnew. Douze jours plus tard, en représailles, ce dernier village sera livré aux flammes par les partisans du colonel Perry(en). Le 25, les rebelles défilant dans la ville conquise sont pris dans une double embuscade à Carlow. Les tirs depuis derrière les volets des maisons font quelque cinq cents morts, civils et militaires. Cent cinquante autres seront exécutés sommairement dans les dix jours suivants. Dans la campagne du comté de Laois, les villas des colons sont attaquées et âprement défendues par leurs yeomen.
Après leur facile victoire à la colline d'Oulart le 27 puis l'occupation de Wexford même, les quelque dix mille rebelles du Wexford connaissent une série de défaites, infligées par vingt mille adversaires :
le 5 juin, la bataille de New Ross, à la suite de laquelle quelques prisonniers révolutionnaires sont exécutés comme traîtres au roi George et cent à deux cents prisonniers loyalistes sont brûlés vifs à Scullabogue Barn,
La répression contre les « tondus », reconnaissables à leur mise de sans culotte, est conduite maison par maison par les yeomen selon un protocole incluant flagellation, torture du picquet, semi-pendaison et, spécialement inventé pour la circonstance, supplice du goudron. La résistance se réfugie dans les monts Wicklow où son état major est cerné le 15 février 1799 dans la ferme de Derrynamuck. Le sacrifice héroïque de ses officiers permet au capitaine Michael Dwyer de s'en évader et de poursuivre l'action clandestine.
Arrêté chez sa fiancée secrète le 25 août, Sarah Curran, Robert Emmet est condamné et exécuté « hanged, drawn and quartered », en réalité pendu et décapité après son décès, le 20 septembre. Son ultime déclaration, le Discours depuis le banc des accusés, devient, à l'instar de celui de William Orr(en)[29], un programme de propagande largement diffusé durant les décennies suivantes. Son corps n'ayant pas été réclamé, par crainte d'une arrestation, le lieu de son ensevelissement fait encore aujourd'hui l'objet de spéculations. Anne Devlin(en), la cousine de Michael Dwyer qui lui servait de couverture dans Dublin, est torturée, en vain, par semi-pendaison. Tous ses proches sont emprisonnés avec elle dans la prison panoptique de Kilmainham et y subissent des violences policières. Son frère de neuf ans, malade, n'y survit pas. Elle-même sera libérée en 1806 et deviendra une icône de la résistance, financièrement aidée par les sympathisants. Thomas Russell est arrêté à son tour à Dublin et est exécuté quelques semaines plus tard, le 21 octobre. En décembre, Michael Dwyer capitule et est déporté en Australie.
« Quand mon pays aura pris sa place parmi les nations de la terre, alors et pas avant, vous écrirez mon épitaphe : Je l'ai fait ! »
↑Sir Francis Brewster, A discourse concerning Ireland and the different interests thereof in answer to the Exon and Barnstaple petitions shewing that if a law were enacted to prevent the exportation of woollen-manufactures from Ireland to foreign parts, what the consequences thereof would be both to England and Ireland, Thomas Nott, London, 1697.
↑E. Burke, Thoughts on the Cause of the Present Discontents, J. Dodsley, Londres, 1770.
↑P. Kelly, Sir William Domville, A Disquisition Touching That Great Question Whether an Act of Parliament Made in England Shall Bind the Kingdom and People of Ireland Without Their Allowance and Acceptance of Such Act in the Kingdom of Ireland, in Analecta Hibernica(en) no 40, p. 19-69, Commission des manuscrits irlandais, Dublin, 2007.
↑Sir H. Langrische, Baratariana, a select collection of fugitive political pieces, published during the administration of Lord Townshend in Ireland, Dublin, 1773.
↑Th. W. Tone, Argument on Behalf of the Catholics of Ireland, novembre 1791.