Il s'agit d'une nouvelle d'une quarantaine de pages rédigée par Lovecraft entre janvier et .
Elle est traduite en français par Jacques Papy puis publiée dans le recueil de nouvelles Dans l'abîme du temps, dans la collection Présence du futur, en juin 1954. Elle est rééditée en 2013 par Bragelonne dans l'ouvrage Cthulhu, le mythe dans une traduction de Maxime Le Dain et Sonia Quéméner (ouvrage republié en 2015 sous le titre Cthulhu, le mythe : livre I). En 2021, elle fait l'objet d'une nouvelle traduction réalisée par David Camus dans le cadre de la publication de l'intégrale de l'écrivain par les Éditions Mnémos. Elle figure dans le tome 4 de cette intégrale, intitulé Le Cycle de Providence[2].
Inspirations
D'après S. T. Joshi et David Shultz, spécialistes de Lovecraft, la nouvelle serait en grande partie inspirée du roman inachevé Septimius Felton, de l'auteur Nathaniel Hawthorne[3].
Plusieurs éléments de l'intrigue (la vieille maison habitée par un monstre dans le passé, l'animal à tête humaine, l'étudiant en mathématiques, les rêves) figurent aussi dans la nouvelle La maison du juge, de Bram Stoker.[réf. nécessaire]
Résumé
Walter Gilman est étudiant en mathématique et en folklore à l'université Miskatonic de la petite ville d'Arkham. Exceptionnellement doué dans des matières relevant de la physique quantique et des lois dimensionnelles, il est également fiévreux et souffrant depuis plusieurs semaines. Il vit en effet dans une vieille maison du quartier pauvre de la ville, aux côtés de colocataires divers. La chambre qu'il occupe est particulièrement réputée pour avoir servi de foyer à Keziah Mason, une vieille sorcière s'étant échappée in extremis et par des moyens inconnus de la prison de Salem en 1692.
Toutes les nuits, Gilman fait des rêves de plus en plus réalistes dans lesquels Keziah et son horrible familier Brown Jenkin, un rat particulièrement développé doté d'une face et de membres humains, viennent le visiter. Pensant devenir fou, influencé par ses cours de folklore, un voisin de palier particulièrement superstitieux et la lectures d'ouvrages anciens et interdits (parmi lesquels, le fameux Necronomicon), il se confie à son ami Frank Elwood. Gilman est en effet persuadé d'être somnambule : dans ses rêves, la sorcière et son rat l'emmènent dans divers endroits étranges et inconnus, probablement dans d'autres dimensions ou dans d'autres temps, et il se réveille aux côtés de preuves tangibles de ses aventures nocturnes (par exemple, un élément architectural prélevé sur une construction extra-terrestre).
Les rêves tournent au cauchemar à l'approche de Walpurgis, la fameuse nuit de sabbat fin avril. On comprend que la sorcière et son familier se servent des connaissances et capacités exceptionnelles de Gilman pour voyager à travers l'espace et le temps, semblant donner raison aux théories révolutionnaires du jeune étudiant sur la géométrie non-terrestre de sa propre chambre. Un enfant est alors enlevé, comme c'est le cas depuis mémoire d'homme chaque année dans la région d'Arkham, enfant que Gilman retrouve dans ses pérégrinations nocturnes alors que la vieille Keziah invoque par des formules secrètes toutes droit sorties du Necronomicon, l’Homme noir, incarnation diabolique de Nyarlathotep.
Critique de la nouvelle
La Maison de la sorcière ne connut pas un accueil très chaleureux tant à l'époque de sa rédaction que dans les écrits postérieurs des spécialistes de Lovecraft. Dans sa correspondance avec l'auteur, August Derleth fera part de ses doutes sur la nouvelle. Lovecraft en parle dans une lettre à destination d'un autre correspondant : « Derleth n'a pas dit qu'elle ne se vendrait pas ; en fait, il pensait davantage qu'elle se vendrait. Il en dit que c'est une 'pauvre histoire', ce qui est tout à fait différent et bien plus lamentable »[5]. Lovecraft répondit également directement à Derleth : « [V]otre réaction à mon pauvre La Maison de la sorcière est, à peu de chose près, ce à quoi je m'attendais — bien que je ne pense pas que ce torchon soit aussi mauvais que vous ne le pensiez... Toute cette affaire me montre que ma carrière fictionnelle est probablement terminée[6]. »
Découragé par cet échange, Lovecraft refusa de soumettre son histoire à la publication ; sans mettre Lovecraft au courant, Derleth la soumettra plus tard à Weird Tales qui l'accepta[7].
De nombreux critiques ont partagé l'avis de Derleth depuis lors. Lin Carter traita l'histoire d'« effort mineur » qui « reste singulièrement unidimensionnel, bizarrement peu satisfaisant »[8]. Peter Cannon dit que « la plupart des critiques sont d'accord » sur le fait que cette nouvelle, avec The Thing on the Doorstep, est « la plus mauvaise des histoires tardives de Lovecraft »[9].
Selon S. T. Joshi et David E. Schultz, « alors que l'histoire contient des descriptions formidablement cosmiques de l'hyper-espace, HPL ne semble pas avoir pensé aux détails de l'intrigue de manière satisfaisante… C'est comme si HPL visait simplement une succession d'images incroyables sans s'ennuyer à les rassembler dans une suite logique »[7].
Nouvelle tardive dans la carrière de Lovecraft, La Maison de la sorcière fait référence à de nombreux éléments de la mythologie personnelle inventée par l'auteur et déjà exploité dans ses écrits précédents. Nous les citons ici à but anecdotique, les références de page se rapportant à la version française de poche éditée chez Denoël, collection Présence du Futur, en 1991 (ISBN2-207-30005-6).
2005 : Le Cauchemar de la sorcière (H. P. Lovecraft's Dreams in the Witch-House), saison 1, épisode 2 de la série télévisée américaine Les Maîtres de l'horreur (Master of Horror), réalisé par Stuart Gordon, avec Ezra Godden et Jay Brazeau. Au cours de l'épisode apparaît, pendant un court instant, le fameux Necronomicon.
(en) Scott Connors, « Envisaging the Cosmos : A Note on « The Dreams in the Witch House » », Lovecraft Annual, New York, Hippocampus Press, no 6, , p. 76-81 (ISBN978-1-61498-049-0, JSTOR26868451).
(en) Paul Halpern et Michael LaBossiere, « Mind Out of Time : Identity, Perception, and the Fourth Dimension in H. P. Lovecraft's « The Shadow Out of Time » and « The Dreams in the Witch House » », Extrapolation, University of Texas at Brownsville, vol. 50, no 3, , p. 512–533 (ISSN0014-5483 et 2047-7708, DOI10.3828/extr.2009.50.3.8).
(en) Thomas Hull, « H. P. Lovecraft : a Horror in Higher Dimensions », Math Horizons, Mathematical Association of America, vol. 13, no 3, , p. 10-12 (JSTOR25678597).
(en) Fritz Leiber et H.P. Lovecraft (préf. Ben J.S. Szumskyj, postface S. T. Joshi), Fritz Leiber and H.P. Lovecraft : Writers of the Dark, Holicong (Pennsylvanie), Wildside Press, , 324 p. (ISBN0-8095-0078-7), « Through Hyperspace with Brown Jenkin : Lovecraft's Contribution to Speculative Fiction », p. 303-312.
(en) Daniel M. Look, « Queer Geometry and Higher Dimensions : Mathematics in the Fiction of H. P. Lovecraft », Lovecraft Annual, New York, Hippocampus Press, no 10, , p. 101-120 (ISBN978-1-61498-180-0, JSTOR26868515).
(en) Ljubica Matek, « The Architecture of Evil : H. P. Lovecraft's « The Dreams in the Witch House » and Shirley Jackson's The Haunting of Hill House », CounterText, vol. 4, no 3, , p. 406–423 (ISSN2056-4406, DOI10.3366/count.2018.0141).
Gilles Menegaldo, « Le méta-discours ésotériste au service du fantastique dans l'œuvre de H. P. Lovecraft », dans H. P. Lovecraft, fantastique, mythe et modernité, Paris, Dervy, coll. « Cahiers de l'hermétisme », , 464 p. (ISBN2-84454-108-9, présentation en ligne sur le site NooSFere), p. 259-283.
(en) Ronald Shearer, « The Witches in « The Dreams in the Witch House » », Crypt of Cthulhu, Bloomfield (New Jersey), Cryptic Publications, vol. 1, no 5 « Lovecraft and Occult Cosmology », , p. 26-27.
Pascal Théroux, « « The Dreams in the Witch House » : le laboratoire du désastre », dans Jean-François Chassay et Kim Doré (dir.), La science par ceux qui ne la font pas, Montréal, Université du Québec, Département d'études littéraires, Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire, coll. « Figura » (no 5), , 129 p. (ISBN2-921764-13-X, lire en ligne), p. 73-85.
(en) Robert Weinberg, « H.P. Lovecraft and Pseudomathematics », dans Darrell Schweitzer (dir.), Discovering H. P. Lovecraft, Holicong (Pennsylvanie), Wildside Press, (1re éd. 1987), 163 p. (ISBN978-1-58-715471-3), p. 88-91.
(en) Sara Williams, « « The Infinitude of the Shrieking Abysses » : Rooms, Wombs, Tombs, and the Hysterical Female Gothic in « The Dreams in the Witch-House » », dans David Simmons (dir.), New critical essays on H. P. Lovecraft, New York, Palgrave Macmillan, , XVI-259 p. (ISBN978-1-13-733224-0 et 1-13-733224-7, DOI10.1057/9781137320964_4), p. 55-72.
(en) Gina Wisker, « « Spawn of the Pit » : Lavinia, Marceline, Medusa, and All Things Foul : H. P. Lovecraft's Liminal Women », dans David Simmons (dir.), New critical essays on H. P. Lovecraft, New York, Palgrave Macmillan, , XVI-259 p. (ISBN978-1-13-733224-0 et 1-13-733224-7, DOI10.1057/9781137320964_3), p. 31-54.