Champion du monde des échecs de 1921 à 1927, Capablanca est réputé pour la clarté de son jeu, donnant l'impression de jouer avec une facilité déconcertante, ainsi que pour son art de jouer les finales. Au cours de sa carrière, il perdit rarement des parties (il est invaincu entre 1917 et 1923) ce qui lui valut d'être surnommé « The Chess machine » (« la machine des échecs »).
Biographie et carrière
Jeunesse
Fils d'un fonctionnaire colonial espagnol, José María Capablanca, José Raúl était un enfant prodige qui découvrit le jeu d'échecs à quatre ans. La légende dit qu'il assimila les règles à l'âge de quatre ans en observant son père jouer avec des amis.
Dès ses jeunes années, sa force au jeu est remarquable. À huit ans, il est inscrit au club d'échecs de La Havane. C'est là, en 1900, qu'il dispute une série de matchs contre chacun des meilleurs joueurs du pays, afin d'évaluer sa force. Le résultat détermina qu'il était au moins aussi fort que Juan Corzo y Príncipe, le champion de Cuba, qu'il battit d'ailleurs deux fois[1].
À l'âge de treize ans, en novembre-, il remporte un match contre ce même joueur (+4 -3 =6 : quatre victoires, trois défaites, six parties nulles). L'année suivante, il finit quatrième du championnat de Cuba. Par la suite, il étudie pendant deux ans la chimie et le sport à l'université Columbia à New York et joue dans l'équipe universitaire de baseball, au poste d'arrêt-court.
Lors de l'hiver 1908-1909, il fait une tournée dans tout le pays durant huit semaines ; à Minneapolis, lors de parties simultanées, il gagne 168 parties consécutives. Il gagne aussi contre M.E.P. Elliott, le champion de la fédération d'échecs des États de l'Ouest[2].
En 1909, il réalisa « le plus grand exploit de sa carrière »[2] quand il gagna nettement contre Frank Marshall par une marque de 8 à 1 et 14 parties nulles. C'est cette même année qu'il gagna le championnat des États de New-York[3].
En 1913, Capablanca fut nommé dans les services diplomatiques du ministère des Affaires étrangères de Cuba. Il n'avait cependant pas d'obligations réelles, les autorités cubaines trouvant suffisante la publicité qu'il faisait pour son pays ; il pouvait donc de facto se consacrer pleinement aux échecs. En 1914, il finit deuxième du fort tournoi de Saint-Pétersbourg, à un demi-point du champion du monde Emanuel Lasker.
En 1921, Capablanca remporta le championnat du monde contre Emanuel Lasker, de vingt ans son aîné (+4 -0 =10). Pendant six ans, il ne perdit que 4 parties sur environ 200, mais ne remit pas son titre en jeu.
Succès dans les tournois (1922-1927)
En 1922, le nouveau champion du monde remporte le tournoi de Londres, mais Lasker était absent. En 1924, il est devancé par l'ancien champion du monde lors du tournoi de New York ; puis, en 1925 par Efim Bogoljubov et par Lasker lors du tournoi de Moscou. En 1927, il termine premier du tournoi de New York, devant Alexandre Alekhine et Aaron Nimzowitsch, mais Emanuel Lasker n'était pas invité.
Capablanca perd son titre en 1927 à Buenos Aires contre Alexandre Alekhine (+3 –6 =25). Le match dure trente-quatre parties, un record, car les parties nulles ne comptaient pas et la victoire revenait au premier joueur à remporter six parties. Alekhine, contrairement à ce qu'il avait déclaré après le match, évita au cours des années suivantes d'accorder à Capablanca un match de revanche, ne donnant ainsi au Cubain aucune occasion de regagner son titre. Les deux joueurs ne s'adressèrent plus la parole.
Fin de carrière (1928-1942)
De 1928 à 1930, Capablanca remporte les tournois de Budapest 1928, Berlin 1928, Ramsgate 1929, Budapest 1929, Barcelone 1929 et Hastings 1929-1930 ; il finit deuxième aux tournois de Bad Kissingen 1928, Karlsbad 1929 et Hastings 1930-1931. Il n'a pas la possibilité d'affronter le champion du monde Alekhine, qui ne participe à aucun de ces tournois.
Capablanca fait pourtant un retour remarqué dans l'élite mondiale en 1936, gagnant deux tournois fort disputés : à Moscou (seul vainqueur devant Botvinnik) et à Nottingham (ex æquo avec Botvinnik, devant Euwe, Fine, Reshevsky, Alekhine, Flohr et Lasker). En 1938, il réalise un des plus mauvais tournois de sa carrière : le tournoi AVRO, remporté par Fine et Kéres où il finit avant-dernier.
Fin de vie
Après avoir remporté la médaille d'or individuelle à l'olympiade d'échecs de 1939 à Buenos Aires devant Alekhine, Capablanca se retire de la scène internationale la même année, suivant les conseils de ses médecins, souffrant d'hypertension artérielle.
Le , alors qu'il regardait une partie d’échecs au Manhattan Chess Club de New York, il a une attaque cardiaque et meurt le 8 mars au matin, au Mount Sinai Hospital.
Vie privée
José Raúl Capablanca a été marié à doña Gloria Simoni Betancourt. En 1937, ils divorcent et le il épouse à New YorkOlga Clark(en) (née le en Géorgie).
Style
Capablanca est considéré comme l'un des meilleurs joueurs d'échecs de tous les temps. Son style de jeu positionnel et sa technique de fin de partie en ont fait un joueur redouté. Il commettait très peu d'erreurs, ce qui faisait sa force. Son style était clair, limpide et simple[4] : ses parties étaient un modèle de comment il fallait jouer les positions de ce type[5]. Il n'avait, disait-il, jamais ouvert de livres d'échecs, possédant un sens inné des positions. Considéré comme une « machine à jouer »[6], il a perdu très peu de parties tout au long de sa vie. Ses fins de parties étaient de véritables chefs-d'œuvre.
Au contraire du jeu de l'époque qui consistait en des sacrifices et des combinaisons complexes, il privilégiait une stratégie d'avancée lente et d'usure, attendant la faute de l'adversaire, rendue alors inévitable par le manque de bons coups à jouer, son opposant étant alors en zugzwang.
Il pensait que, sans erreurs grossières, une partie ne pouvait être perdue. Devant l'augmentation du nombre de bons joueurs, le nombre de parties nulles allait augmenter à cause de l'impossibilité de se départager. Ne trouvant plus d'attraits au jeu, Capablanca prédisait la fin proche du jeu d'échecs.
Il a alors proposé d'en changer les règles pour le rendre plus compliqué, avec les échecs Capablanca. Il souhaitait intervertir les fous et les cavaliers dans leur position initiale et augmenter le nombre de cases de l'échiquier (échiquier de 8 × 10 cases) en ajoutant deux nouvelles pièces dans chaque camp, l'une combinant la marche de la tour et du cavalier, (l'« impératrice »), et l'autre celle du fou et du cavalier (la « princesse »).
Capablanca, théoricien des échecs
La théorie aux échecs correspond à la « bonne façon » de jouer. Elle peut consister en des règles strictes, par exemple pour certaines finales, mais aussi être une marche à suivre particulière issue de jugements d'ordre positionnel (comme dans les « positions tranquilles » du milieu de jeu).
Dans son ouvrage le plus connu, Principes fondamentaux du jeu d'échecs, décrit par Mikhaïl Botvinnik comme « le meilleur livre d'échecs jamais écrit »[7], Capablanca fait œuvre de théoricien. Mais, et surtout, plutôt qu'un théoricien par ses écrits échiquéens, Capablanca est un "théoricien par la pratique" : par la logique de ses parties, exemplaire pour les positions de ce type. En particulier, son expertise des fins de partie est à imiter[8],[9]. Pouvant compter sur cette maîtrise des finales, Capablanca se suffisait de positions solides au sortir de l'ouverture ; dans la première phase de jeu, son style était très classique : il cherchait à éviter toute faiblesse, au contraire de joueurs lui ayant succédé qui accueillaient favorablement les faiblesses dans leur position en contrepartie de contre-jeu. Correspondant à son style très pur, tous ses coups étaient utiles et concouraient au plan de jeu.
Après 1. e4 e6 2. d4 d5 3. Cc3 Cf6 4. exd5 exd5 5. Fd3 c5 6. dxc5 Fxc5 7. Cf3 0-0 8. 0-0 Cc6 9. Fg5 Fe6 10. Ce2 h6 11. Fh4 Fg4 12. Cc3 Cd4 13. Fe2 Cxe2+ 14. Dxe2, Capablanca ne fait pas ce que la position semble exiger (14...Te8, développant la Tour sur une colonne ouverte, tout en attaquant la Dame adverse); au lieu de cela, il joue à sa façon 14...Fd4 dans l'idée d'affaiblir la structure de pions blanche[10]. L'idée nouvelle concernant le développement est la suivante : « Le plan doit avoir priorité sur le développement et en quelque sorte le guider. Chaque principe du jeu de position, pris séparément, est exact, mais son application ou non dans l'ouverture dépend de la façon dont il s'insère dans le plan de développement. »[11].
La partie se poursuivit par : 15. Dd3 Fxc3 16. Dxc3 Ce4 « et les Noirs ont la possibilité de doubler et d'isoler un pion ennemi, soit sur la colonne c, soit sur la colonne f. »[12].
La vision créative – et révolutionnaire (Réti : « C'est cette partie qui a déclenché mes doutes sur le bien-fondé du vieux principe selon lequel chaque coup de l'ouverture doit contribuer au développement. En étudiant les parties de Capablanca, je me suis aperçu que contrairement à tous les autres maîtres de l'époque, il n'adhérait plus à ce principe »[10]) – de Capablanca a inauguré une nouvelle façon d'envisager le jeu, influençant par là-même de nombreuses personnes[13].
Cela dit, le propos de Réti ne concerne pas la valeur objective de ...Fd4 par rapport à ...Te8, mais la conception approfondie du plan par Capablanca. D'ailleurs, dans son ouvrage "Feldherrnkust in Schach (Berlin, 1970), Max Euwe ne juge pas 14...Fd4 supérieur à 14...Te8[14]. Cependant, Réti affirme que 14...Te8 n'est pas un coup d'initiative, car les Blancs peuvent y répondre par 15. Dd3 qui supprime le clouage du Cavalier en f3 tout en faisant pression sur le pion Dame isolé en d5[12].
Palmarès
Les tables suivantes donnent les résultats et les scores de Capablanca dans les tournois et les matchs[15].
La notation (+6 –4 =13) signifie : six victoires, quatre défaites et treize parties nulles.
1901-1909
En 1901, Capablanca remporta un match contre J. Corzo à La Havane (+4 -2 =6). Le livre du tournoi de La Havane 1913, écrit par Capablanca donne comme score : (+4 –3 =6). En 1902, il termina quatrième du championnat de Cuba avec 5,5 points sur 10 (+4 –3 =3), tournoi remporté par J. Corzo (8,5 / 10) devant E. Corzo (6 / 10). Sa première visite au Manhattan Chess Club eut lieu en 1904.
En 1906, il joua plusieurs parties pour l'université Columbia où il étudiait.
En 1909, Capablanca fit une tournée de parties simultanées aux États-Unis. Il terminait en général trente parties simultanées en deux heures. Le score lors de cette tournée fut de (+571 –13 =18). Il réalisa une série de 184 parties sans défaite lors de dix séances de parties simultanées avec seulement deux nulles avant de concéder une défaite à Minneapolis.
1909-1914 : débuts internationaux
De 1913 à 1918, Capablanca remporta cinq tournois à New York. En 1913–1914, il fit une tournée en Europe.
Année
Seul vainqueur ou ex æquo
Deuxième
1909
New York (tournoi à handicap) : 12 / 14 (+11 −1 =2)(États-Unis[16]) Match exhibition contre Marshall (+8 −1 =14)
1910
Championnat de l'État de New York : 6,5 / 7 (+6 =1)
1911
Tournoi de Saint-Sébastien : 10,5 / 14 (+6 −1 =7) (devant Rubinstein, Vidmar, Marshall, Nimzowitsch, Schlechter, Tarrasch, O. Bernstein, Spielmann, Teichman, Janowski, Maroczy, Burn, Duras et Leonhardt)
New York (2e) : 9,5 / 12 (+8 −1 =3) (tournoi remporté par Marshall)
1912
(New York) Matchs contre Jaffe : 2,5–0,5 (+2 −0 =1) et Chajes (1-0)
1913
Tournoi national de New York : 11 / 13 (+10 −1 =2) (devant Marshall, Jaffe et Janowski)New York (tournoi du club Rice) : 13[17] / 13 (devant Duras)New York (tournoi rapide[18]) : 5 / 5 (devant Marshall)(Berlin) Matchs contre Teichmann (2-0) et Mieses (2-0)(Saint-Pétersbourg) Matchs contre Alekhine (2-0), Douz-Khotimirski (2-0) et contre Znosko-Borovsky : +1 −1 =0 (Paris) Parties contre Arnold Aurbach (+1 –1)(Riga) Partie exhibition contre Nimzowitsch : 1-0
La Havane (2e) : 10 / 14 (+8 −2 =4) (tournoi remporté par Marshall)
1914
(Moscou) Match contre O. Bernstein (1,5–0,5) (Vienne) Match contre Tartakover (1,5–0,5)(Vienne) Partie exhibition contre Réti : 1-0 (Paris) Match contre Arnold Aurbach (2-0) Tournoi préliminaire de Saint-Pétersbourg : 8 / 10 (+6 =4)(Berlin) Match blitz (rapid transit) contre Em. Lasker : 6,5–3,5
Saint-Pétersbourg (2e) : 13 / 18 (+10 −2 =6) (tournoi remporté par Em. Lasker) Capablanca marqua en finale : 5 / 8 (+4 −2 =2)
1915-1922 : vainqueur du championnat du monde
De 1915 à 1922, Capablanca remporta tous ses tournois et ses matchs à New York, La Havane, Hastings et Londres. Il fut invaincu dans tous ses tournois de 1917 à 1923.
Année
Seul vainqueur
1915
New York : 13 / 14 (+12 =2) (devant Marshall)
1916
New York (mémorial Rice) : 14 / 17 (+12 −1 =4) (devant Janowski et Kostich) Tournoi préliminaire : 12 / 13 (+11 =2) ; finale : 2 / 4 (+1 −1 =2)
1918
New York : 10,5 / 12 (+9 =3) (devant Kostich, Marshall et Janowski)
1919
(La Havane) Match contre Kostich : 5-0Tournoi de Hastings : 10,5 / 11 (+10 =1) (devant Kostich, Thomas et Yates)
1921
(La Havane) Championnat du monde contre Lasker : 9–5 (+4 =10)
De 1918 à 1922, Capablanca n'avait perdu aucune partie sur 62 parties disputées. Sa défaite contre Réti lors du tournoi de New York 1924 fit sensation. En 1929 à Carlsbad, Capablanca, qui faisait très peu d'erreurs, laissa une pièce en prise au neuvième coup contre Sämisch.
« Sa fascinante intuition permettait à Capablanca de découvrir, parfois avec une grande facilité, les conceptions stratégiques les plus complexes, ainsi que leurs solutions. »
— Anatoli Karpov, Préface de Principes fondamentaux du jeu d'échecs[26]
José-Raúl Capablanca, Ma Carrière échiquéenne, Books on Demand, 2016[27]. Titre original : My chess Career, paru en 1920
A primer of chess, paru en 1935
(en) Olga Capablanca, The Chess Legacy of José Raul Capablanca : Last Lectures by José Raul Capablanca, Cornerstone Library, 1966
Notes et références
↑Capablanca (trad. Pascal Golay), Ma Carrière échiquéenne, Paris, BoD - Books on Demand, , 2e éd., p. 30
↑ a et bCapablanca, Ma Carrière échiquéenne, Paris, BoD - Books on Demand, , 225 p. (ISBN978-2-322-09661-9), p. 50
↑Henri Delaire, Le tournoi d'échecs de Saint-Sébastien : recueil complet des parties jouées au Tournoi international des maîtres, février-mars 1911, Paris, la Stratégie, , XXV-170 p. (lire en ligne), p. XVIII
↑Cary Utterberg, dans Dynamics of Chess Psychology (p. 142), emploie le terme « jeu clair comme de l'eau de roche ».
↑Cary Utterberg, Dynamics of Chess Psychology, p. 138.
Richard Réti, Cours scientifique d'échecs, Éditions Payot & Rivages, , 96 p. (ISBN978-2-228-89080-9), p. 31.
(en) Edward Winter, Capablanca, A Compendium of Games, Notes, Articles, Correspondence, Illustrations and Other Rare Archival Materials on the Cuban Chess Genius José Raùl Capablanca, 1888–1942, Mc Farland, 1989
Parties commentées en anglais
(en) Irving Chernev, Capablanca's Best Chess Endings, Oxford University Press, 1978 ; réed. Dover, 1982.
(en) H. Golombek, Capablanca's 100 Best Games of Chess, Bell, 1947
La partie historique contient de nombreuses erreurs.
(en) Fred Reinfeld, The Immortal Games of Capablanca, Chess Review, 1942