Jean Bouhey est un homme politique, socialiste, et un résistant français né le à Villers-la-Faye (Côte-d'Or) et mort à Paris le .
Biographie
Le militant socialiste
Fils de Jean-Baptiste Bouhey-Allex, député SFIO de Dijon jusqu'à sa mort en 1913, Jean Bouhey fait ses études au lycée de Dijon, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il s'inscrit ensuite à la faculté des sciences de Dijon, mais ses études sont interrompues par sa mobilisation, en . Pour son comportement au front, il reçoit la croix de guerre 1914-1918. Il sort de la Première Guerre mondiale raffermi dans ses convictions socialistes, patriotes et pacifistes.
Il adhère à la SFIO en 1919[1], intègre la section de Nuits-Saint-Georges, celle de son père et de son frère aîné, Charles, médecin et militant socialiste né en 1882, qui sera résistant comme Jean mais qui échouera dans la conquête de mandats électifs[2]. Il devient le secrétaire de cette section en 1922[3] lorsqu'elle est reconstituée au lendemain de l'éclatement de la SFIO à la suite du congrès de Tours de 1920 et de la naissance du Parti communiste. Il représente la fédération socialiste de la Côte-d'Or à plusieurs congrès, notamment à celui de Lille, en .
Il est élu maire de Villers-la-Faye en 1925 et conseiller général de Nuits-Saint-Georges en 1931. Son père avait occupé cette fonction durant 24 ans. Il est constamment réélu jusqu'en 1940.
Il échoue aux élections législatives en 1928 et de peu à celles de 1932[4]. Ce viticulteur-négociant demeurant à Villers-la-Faye[5] soutient la petite exploitation privée. Sa profession de foi de 1928 montre son attachement à la petite propriété et rappelle que « nos vignerons bourguignons, pour la plupart, exploitent eux-mêmes leurs propriétés »[6]. Il est l'un des deux vice-présidents de la Fédération départementale des élus socialistes, constituée en et présidée par le député-maire de Dijon Robert Jardillier[7].
Il est élu en 1936 député de Beaune contre le député sortant Auguste Jacot dans le contexte électoral du Front populaire grâce en partie au soutien de la fédération radicale-socialiste même si son candidat, le maire de Beaune, Roger Duchet, a rechigné à se désister pour lui au second tour. Il est victorieux là où son père n'avait jamais réussi à l'emporter[9]. Dans sa profession de foi publiée cette année-là, il déclare : « Nous sommes des partisans forcenés de la paix universelle ». Il manifeste cependant une position ferme face au danger nazi, qui ne varie pas dans les années qui suivent.
Il lance en avec son frère Charles, Robert Jardillier, Eugène Marlot, Marius Bongrand et Georges Vandeschrick, un quotidien régional républicain et socialiste, La Bourgogne républicaine, dont il est le directeur et qui tire à plus de 20 000 exemplaires à la fin des années 1930[10].
Il est le seul député socialiste à voter contre les accords de Munich le et l'un des deux députés non-communistes à faire ainsi, avec le député de droite Henri de Kérillis. Selon François Paulhac, Bouhey était absent ce jour-là et avait laissé un ordre de voter contre. Il aurait pris soin de rectifier son vote à la demande de Léon Blum, président du groupe parlementaire[11], dont il n'a pas respecté la discipline de vote. Selon l'historienne Noëlline Castagnez, plusieurs députés socialistes voulaient voter contre les accords (Salomon Grumbach, Jules Moch, Jean Pierre-Bloch, Eugène Thomas, Amédée Guy, Elie Bloncourt, outre Bouhey), mais Vincent Auriol, en tant que président (ou secrétaire ?) du groupe, fait en sorte de rectifier leur vote, et seul Bouhey échappe à ses pressions[12]. Elle se fonde en partie sur le témoignage de Jean Pierre-Bloch[13], qui souligne la division irréductible du groupe entre munichois et antimunichois, la volonté d'un petit groupe de députés antimunichois (comprenant Bouhey, Camel, Lapie, Eugène Thomas, Izard, Guy, Lagrange, Vienot, Bloncourt et lui-même) d'« attaquer de front » leurs collègues avant le vote, mais Blum essaie de sauvegarder l'unité du parti et réussit à « enlever le vote du groupe ». Il cite Auriol comme président du groupe, ferme sur sa volonté de faire régner la discipline et qui convoque tous les récalcitrants. Huit refusent de se plier à la discipline du groupe mais le secrétaire général du groupe parlementaire dispose depuis 1936 d'un blanc-seing en vue d'une délégation de vote. Or « seul notre camarade Bouhey prit la précaution de retirer, la veille du scrutin, son blanc-seing. Il oublia de nous avertir, pensant probablement que nous agirions de même. Vincent Auriol se rend, avant le vote, à la questure et fait savoir qu'unanime le groupe votera la confiance. Ainsi tous les socialistes, à l'exception de Bouhey, se retrouvent sous la bannière honteuse des munichois ».
Quelques jours plus tard, il qualifie les accords de « honteuse capitulation » dans La Bourgogne républicaine. Son article est reproduit intégralement par le quotidien communiste L'Humanité[14] :
« Mon vote, que je ne regrette pas (…) est le vote d'un représentant du peuple français, extrêmement inquiet sur le sort de son pays. On a beaucoup parlé d'un Sedan diplomatique. C'est pire, à mon avis, c'est un Sadowa qui doit engendrer des conséquences terrifiantes pour notre pays (…). Toutes les larmes de crocodile que des milliers de Français vont verser n'empêchent pas que la paix reste plus précaire que jamais (…), que l'accord de Munich n'est qu'une honteuse capitulation (…) que nos amis tchèques sont désormais en servitude (…), que notre pays a cessé d'être une grande puissance (…), que la parole de la France ne compte plus, (…) que Bonnet [ministre des affaires étrangères] ira s'asseoir au banc de l'histoire, à côté du maréchal Bazaine (…). Où en sommes-nous aujourd'hui, où allons-nous demain ? Aujourd'hui, il ne fait de doute pour personne que la France est complètement isolée (…). Demain ? Le sujet est plus délicat et plus troublant. Il s'agit de prévoir l'avenir, pour ce faire, relisons Mein Kampf. (…) Avant de se lancer à la conquête des terres slaves, il faut que la Germanie règle ses comptes avec la France, selon l'expression cruelle qu'emploie Hitler à tout instant dans son livre. Pour cela, il faut l'isoler, l'encercler et la désagréger intérieurement. (…) La désagrégation intérieure fait partie du domaine du Dr Goebbels, premier chef de propagande du monde. Trois slogans, aussi simples que frappants, à l'usage des Français : Mort aux Juifs ! Les étrangers à la porte ! Les communistes veulent la guerre ! »
En , il prend la parole pour la première fois dans un congrès national de la SFIO et assume son vote contre Munich : « Je ne me vante d'aucune indiscipline. J'ai d'ailleurs offert au président du groupe parlementaire de lui remettre mon mandat. Mais si c'était à refaire, je le referais. Et je pense que je ne serais plus seul (…) C'est donc avec la certitude de traduire la volonté socialiste sur le triple plan parlementaire, national et international [allusion aux députés britanniques du Parti travailliste, opposés aux accords de Munich] que je me suis dressé contre les accords de Munich, qui ne sont pas seulement une honteuse capitulation, mais, si ce n'était tragique, une farce formidable. Il y a plus. Quand un désastre se produit, on cherche les responsables. Or Munich est un désastre pour le pays, pour les libertés et pour la paix. (…) Nombreux sont les socialistes qui n'acceptent pas de vivre sous la paix germanique, hitlérienne »[15]. Le compte-rendu de L'Humanité lui fait dire : « Si Munich a ouvert les yeux d'un certain nombre se socialistes, il y en a encore trop qui ne voient pas l'état véritable de l'Europe où s'applique la loi de la jungle »[16], ce qui est une condamnation du courant pacifiste puissant au sein de la SFIO.
En , il est engagé volontaire dans le 227e régiment d'infanterie. Fait prisonnier en , il ne peut participer au vote sur les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain.
Libéré en , en tant qu'ancien combattant, il s'engage très activement dans la Résistance. Il adhère au Comité d'action socialiste de la zone occupée et dirige un journal clandestin, L'Espoir, à partir de 1942. Il échappe de justesse à la Gestapo. Le , il est nommé par la France libreCommissaire de la République pour les régions de Bourgogne et Franche-Comté. À ce titre, il met en place les comités de libération dans chaque département, notamment à Dijon en [20] et en Haute-Marne[21], coordonne l'action des préfets et crée le maquis de l'Yonne. Une blessure l'oblige à céder son poste à son adjoint Jean Mairey quelques jours avant la libération de Dijon ; il est en effet blessé à la tête début [22]. Un maquisard du maquis Bayard en Côte-d'Or a tiré sur l'automobile de l'officier venu diriger ce maquis alors que Bouhey se trouvait à ses côtés[23].
Le député socialiste de la IVe République
La Bourgogne républicaine peut reparaître à la Libération dans la mesure où elle avait cessé de paraître en . Bouhey en est le directeur politique jusqu'en 1957 et l'éditorialiste. Le résistant Pierre Brantus est son directeur administratif et son directeur général en 1957[24].
En 1945, il retrouve ses mandats locaux et son mandat de député. Il figure en tête de la liste socialiste qui a deux élus (l'autre député étant le résistant Claude Guyot). Il préside le conseil général de la Côte-d'Or de 1946 à 1947. Réélu député en 1946, 1951 et 1956, il est le seul député socialiste du département durant la IVe République, de 1946 à 1958.
Il fait partie de la fraction de la SFIO opposée à la Communauté européenne de défense alors que la direction de son parti y est favorable. Il est demeuré germanophobe depuis la guerre et craint encore la renaissance du militarisme allemand. En outre, il estime que l'armée européenne entraîne « le dessaisissement total de la souveraineté nationale », ce qui est, selon lui, « un nouveau Munich »[25]. Comme il ne respecte pas la discipline de vote du groupe parlementaire de la SFIO, notamment lors de ses votes à la commission des affaires étrangères, à l'instar d'autres députés socialistes, des sanctions sont prises contre lui et ces autres députés par le comité directeur du parti socialiste, dirigé par Guy Mollet[26]. Il apparaît isolé au sein de la fédération départementale[27].
Il ne se porte plus candidat à une élection après le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958.
Sous la Ve République
Si comme parlementaire il a soutenu l'arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir en , il appelle en revanche à voter non au référendum du 28 septembre 1958 portant sur la constitution de la Ve République et juge que si de Gaulle est « un homme d’État de tout premier ordre », une constitution doit être faite pour durer et « pour une nation, pas pour un homme »[31].
Il appelle cependant à voter oui au référendum sur l'autodétermination en Algérie de et déclare que « seule la politique du président de la République peut nous conduire à une formule où chacun aura la place qui lui revient et où les idées de concorde et de détente devraient remplacer les intérêts particuliers »[32].
Son fils, prénommé Jean, médecin comme son oncle Charles, professeur à la faculté de médecine de Dijon, sera également militant socialiste, et suppléant d'un candidat socialiste aux législatives de 1968 à Dijon[33].
Hommages
À Dijon, un rond-point situé dans le quartier Clemenceau-Auditorium a été dénommé « Place Jean-Bouhey »
À Longvic, le stade de football porte le nom de « Stade municipal Jean-Bouhey »
↑Raymond Long, Les Élections législatives en Côte-d'Or depuis 1870 : essai d'interprétation sociologique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1958, p. 139. Il progresse de 2 % par rapport aux suffrages exprimés en 1932 alors que son rival perd 1 %. Il l'emporte dans tous les cantons de la circonscription, à l'exception des deux cantons de Beaune. Duchet était candidat et a obtenu 20,5 % des suffrages au premier tour. Son parti lui a demandé de se désister pour Bouhey. Il se retire sans consigne explicite de vote : Jean Vigreux, Le clos du maréchal Pétain, PUF, 2015
↑François Paulhac, Les accords de Munich et les origines de la guerre de 1939, Vrin, 1988, p. 21, note 4. Signalons une erreur, sur la date du scrutin (Le 4 octobre, et non le 5). La presse ne mentionne pas cette rectification : cf. Le Populaire, 6 octobre 1938
↑Noëlline Castagnez, Socialistes en République : Les parlementaires de la SFIO de la IVe République, Presses universitaires de Rennes, 2015, chap. I
↑Jusqu'au dernier jour. Mémoires, Albin Michel, 1983
↑Henri Noguères, Histoire de la Résistance en France de 1940 à 1945, T.4 : Formez vos bataillons : octobre 1943-mai 1944, Robert Laffont
↑Le 1er septembre selon Jean-François Bazin, La libération de Dijon : 11 septembre 1944, op. cit., p. 72. Le 2 septembre selon le livre L'hérédité en politique
↑Études de presse, octobre 1946, Étienne Criqui, Louis Laprevote, François Roth (dir.), Le quotidien dévoilé, L'Est républicain 1889-1989, Nancy, Editions de l'Est, 1990, Anne Philippe, La presse quotidienne régionale française, IPEC, 1974, p. 83
↑Le Monde, 21 janvier 1955, "Le communiqué du comité directeur", Ibid. 21 février 1952, Ibid., 25 juin 1954, "Les commissaires socialistes hostiles à la ratification se voient retirer " toute délégation du parti " jusqu'à la fin de la législature"
↑Le Monde, 1er février 1955, "Les fédérations socialistes se prononcent sur l'exclusion des parlementaires hostiles aux accords" (La fédération de la Côte d'Or approuve les sanctions ; le congrès fédéral de la Côte-d'Or a toutefois souhaité que « les indisciplinés reprennent le plus tôt possible leur place dans le parti »).
↑Paul-Marie de La Gorce, Apogée et mort de la IVe République : 1952-1958, Grasset, 1979
↑Le Monde, 11 décembre 1956, "De nombreuses fédérations socialistes expriment leur confiance au gouvernement Quelques-unes demandent un congrès extraordinaire" (Un amendement de Bouhey regrettant l'opération de Suez, n'a obtenu que trois voix dans sa fédération).
↑La Bourgogne républicaine, 23 août 1958, cité par Noëlline Castagnez, Socialistes en République: Les parlementaires de la SFIO de la IVe République, op. cit., chap. IX.