Les historiens modernes croient cependant que la plupart, sinon la totalité, des détails de la description de Tite-Live sont inventés par lui ou ses sources, et doutent de l'existence de ces trois batailles, ou même d'une seule. La première guerre samnite, et donc les batailles qui sont liées, est souvent datée de la seule année 341 av. J.-C.
Vers 343 av. J.-C., des Samnites venant des montagnes menacent les Sidicins de Teanum, ville qui se situe à la limite du Latium et de la Campanie. Les Sidicins font en appel à l'État campanien de Capoue, qui est vaincu par les Samnites, et qui se tourne lui-même vers Rome[1]. Aux côtés des Romains, se trouve la ligue latine ainsi que les Campaniens de Capoue, Suessula et Cumes[2]. C'est la première fois dans l'histoire que Rome intervient au-delà du Latium et de ses abords[3].
Valerius Corvus remporte la bataille du Mont Gaurus, tout près de Cumes et de la baie de Naples, seulement après une dernière charge désespérée des Romains à l'approche de la nuit qui met en déroute les forces samnites après une journée de dur combat[a 2].
Une bataille à Saticula tourne presque au désastre pour les Romains lorsque les Samnites tentent de piéger Cornelius Cossus et son armée dans un défilé. Cependant, un des tribuns militaires de Cornelius Cossus, Publius Decius, mène un petit détachement se saisir d'une colline, distrayant les Samnites et permettant à l'armée romaine d'échapper au piège. Decius et ses hommes s'échappent pendant la nuit, et au matin, les Samnites sont attaqués par surprise et défaits par les Romains[a 3]. Cette anecdote est aussi rapportée par Cicéron[a 4] et Frontin[a 5].
Toujours déterminé à arracher la victoire, les Samnites regroupent leurs forces et assiègent Suessula à l'extrémité orientale de la Campanie. Laissant ses bagages derrière, Valerius Corvus mène son armée à marches forcées vers Suessula. Ayant peu de provisions et sous-estimant la taille de l'armée romaine, les Samnites ont dispersé leur armée pour chercher de la nourriture. Cela permet à Valerius Corvus de remporter une troisième victoire romaine quand il s'empare du camp samnite mal défendu puis disperse les fourrageurs[a 6].
Les historiens modernes doutent de l'exactitude historique de la description de Tite-Live des trois batailles et autant de victoires romaines. Les scènes de bataille chez Tite-Live pour cette période sont principalement librement reconstructions par lui et ses sources, et il n'y a pas de raison que cela soit différents avec ces batailles[4]. Le nombre de Samnites tués et la taille du butin pris par les Romains sont clairement exagérés[5],[6].
Les historiens notent de nombreuses similitudes entre l'histoire de Publius Decius Mus et un événement qui a lieu en Sicile en 258 av. J.-C. lors de la première guerre punique. Selon les sources antiques, une armée romaine est en danger d'être pris au piège dans un défilé quand un tribun militaire conduit un détachement de 300 hommes pour s'emparer d'une colline au milieu de l'ennemi. L'armée romaine s'est échappée, mais sur les 300 seul le tribun survit. Il est peu probable que ce dernier épisode, dans des temps anciens plus célèbre, n'a pas influencé les descriptions du précédent[5],[7],[8],[3].
Stephan P. Oakley rejette ces hypothèses de doublons et incline à croire qu'il y a bien trois batailles. Les Samnites ont gagné beaucoup de terrain en Campanie au moment de l'arrivée des Romains et les deux victoires de Valerius peuvent être le résultat de simples attaques samnites sur Capoue et Cumes. Et tandis que les embuscades samnites sont en quelque sorte un motif d'actions dans le récit des guerres samnites de Tite-Live, cela peut simplement refléter le terrain montagneux dans lequel ces guerres sont combattues[11]. L'histoire de Decius peut avoir été calquée sur celui du tribun militaire de 258, mais Decius peut aussi avoir effectué un acte héroïque en 343[12].
Gary Forsythe considère l'épisode avec Cornelius Cossus et Decius Mus comme inventé, notamment car il préfigure le sacrifice de Decius en 340 av. J.-C. Il aurait accompli un acte héroïque qui lui permet de devenir le premier de sa famille à atteindre le consulat en 340, mais aucun détail de l'événement historique n'a survécu. Les annalistes tardifs ont combiné la catastrophe des Fourches Caudines avec le conte du tribun militaire de 258 pour produire l'histoire entièrement fictive rapportée par Tite-Live, la différence étant que, bien que dans les originaux les Romains subissent la défaite et la mort, ici aucun des hommes de Decius n'est tué et les Romains remportent une grande victoire[8].
↑ a et bPour les années antérieures à l'an 300 av. J.-C., la chronologie varronienne n'est plus considérée comme juste. Elle est notamment utilisée par Tite-Live. Voir Conquête romaine de l'Italie, « Le problème de la chronologie ». En dépit d'erreurs reconnues, la littérature académique moderne, par convention, continue à utiliser cette chronologie (Gary Forsythe, A Critical History of Early Rome, 2005, Berkeley, University of California Press, pp. 369-370).
Jacques Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 3e éd. mise à jour, 1993, 488 p. (ISBN978-2-13-045701-5), p. 321
(en) Gary Forsythe, A Critical History of Early Rome, Berkeley, University of California Press, , 400 p. (ISBN978-0-520-24991-2), p. 285-288
Traductions commentées de Tite-Live
Annette Flobert (préf. Jacques Heurgon), Histoire romaine, vol. 2 : « Livres VI à X, la conquête de l'Italie », Flammarion, , 517 p. (ISBN978-2-080-70950-9)
(en) Stephen P. Oakley, A Commentary on Livy Books VI–X, vol. 2 : « Books VII–VIII », Oxford, Oxford University Press, (ISBN978-0-198-15226-2)