La bataille de Froeschwiller-Woerth, ou bataille de Reichshoffen, s'est déroulée le en Alsace, au début de la guerre franco-prussienne de 1870. Elle est célèbre pour une série de charges de cuirassiers français (cavalerie lourde).
Il y eut deux charges : celle sous les ordres du général Alexandre Ernest Michel (1817-1898)[1] à Morsbronn aux environs de 13 h 30 et celle de Charles-Frédéric de Bonnemains à Elsasshausen (hameau de Froeschwiller) aux environs de 15 h 30, toutes deux face à la IIIe armée prussienne qui, avec ses cent trente mille hommes, avait un avantage numérique de trois contre un s'ajoutant à une supériorité du matériel.
Le sacrifice de ces hommes ne changea pas le cours de la bataille mais permit de couvrir le retrait des troupes françaises. Il a été copieusement utilisé par la propagande, notamment pour la reprise de l'Alsace (par Hansi entre autres). Les survivants furent copieusement décorés.
En 1870, un monument fut érigé au-dessus de Morsbronn en hommage « aux cuirassiers dits de Reichshoffen ». En 1895, un imposant monument équestre à la gloire du prince héritier Frédéric de Prusse, vainqueur de la bataille, est érigé. Confié au sculpteur Max Baumbach, la statue mesurait 5,50 m de hauteur. Le monument est détruit à la fin de la Première Guerre mondiale.
Contexte
Après la défaite de Wissembourg, le maréchalPatrice de Mac Mahon fut mis à la tête d'un groupement rassemblant les 1er, 5e et 7e corps d'armée de l'armée du Rhin. Il décida de se battre sur la position de Froeschwiller, bien que ses forces fussent dispersées. Le , il ne disposait que de son 1ercorps d'armée qui sera rejoint par la division Conseil-Dumesnil du 7e CA. Il disposait au soir du 5 de ses divisions dans cette disposition :
1re division (du 1er CA) entre Nehwiller et Froeschwiller ;
3e division (du 1er CA) entre le bois de Froeschwiller et le calvaire de Woerth ;
Division Conseil-Dumesnil (du 7e CA) entre le calvaire de Woerth et le bois de Niederwald ;
4e division (du 1er CA) du bois de Niederwald à Morsbronn inclus ;
2e division (du 1er CA) en réserve dans le bois de Grosserwald (elle avait été éprouvée à Wissembourg) ;
la cavalerie du 1er CA derrière les divisions et une cavalerie de réserve (général de Bonnemains) dans le bois de Grosserwald.
S'ensuivent une série de combats ponctuels alors que le Kronprinz Frédéric de Prusse cherche à faire décrocher ses forces, ne voulant pas engager de bataille sans avoir au préalable réuni toutes les forces allemandes. Le commandement allemand envoie vers 9h00 un officier d'ordonnance pour donner l'ordre au Ve Corps prussien d'interrompre l'engagement, mais par erreur c'est Le IIe corps bavarois qui reçut l'ordre[2].
S'ensuit une courte période de flottement côté allemand, l'engagement de l'artillerie du Ve corps vers 9 h 30 à Woerth fit comprendre au général bavarois von Hartmann commandant du IIe corps bavarois, que le corps prussien était en action et recommença l'attaque.
A 10 h, le IIe corps bavarois avait engagé environ dix bataillons et formait approximativement une ligne allant du nord de la forêt de Froeschwillerà la vallée de la Sauer au nord de Woerth[2].
À Wœrth, le Ve corps dispose d'une forte batterie (108 pièces) qui écrase la 3e division et permet aux Prussiens de franchir la Sauer. Une brusque contre-offensive du 2e régiment de zouaves permettra de les repousser. Au nord, les Bavarois s'infiltrent dans le bois de Langensoultzbach et doivent en être extirpés par le 1er régiment de zouaves. Au sud, les Prussiens sont repoussés par le 3e régiment de tirailleurs algériens. Jusqu'à midi, les combats restent indécis.
À ce moment, le Kronprinz, arrivé à Dieffenbach-lès-Woerth, décide d'engager le combat et porte l'ensemble de sa force (90 000 hommes) contre les forces de Mac Mahon (45 000 hommes). À 13 h une manœuvre d'encerclement est initiée par le sud et s'achèvera à 17 h par la capture de Froeschwiller.
Au sud, les Français doivent décrocher de Morsbronn pour se replier dans le bois de Niederwald. C'est alors qu'eut lieu la charge désastreuse de la cavalerie du général Michel dite « Charge de Reichshoffen ». Reichshoffen est un village à l'arrière du champ de bataille où avait été stationnée cette cavalerie de réserve. Le bois de Niederwald est alors déjà le lieu de combats et le général de Lartigue ne tarde pas à en ordonner le repli.
Au centre, après avoir opposé de brillantes contre-attaques, les forces françaises qui ne sont pas renforcées sont contraintes à se replier sur Elsasshausen. C'est alors que se situe la charge de la division de Bonnemains. Dans le bois de Froeschwiller, le 2e Zouaves oppose une forte résistance au IIe corps bavarois et parvient même à le refouler un moment sur la Sauer mais finit par y être encerclé. Seul un dixième de cette unité en sortira. Plus au nord, la 1re division, réduite d'une brigade entière pour renforcer le centre, ne tarde pas à battre en retraite.
À 16 h, les Français sont refoulés dans Froeschwiller qu'abordent déjà les Allemands. La réserve (2e division) contre-attaque alors en direction de Elsasshausen. Contrairement aux charges de cavalerie, cette contre-attaque se révèle fructueuse, repousse les Allemands en dehors du village et permet de reprendre l'artillerie perdue. Cependant, alors qu'ils arrivent à la limite de leur effort, les Allemands débouchent du bois de Niederwald et les attaquent de flanc.
Entretemps, l'armée française se retirait du plateau, protégée par le 1er régiment de zouaves.
Charges de Morsbronn, Brigade Michel
Autour de Morsbronn, la 4e division du général de Lartigue[5] était en danger d'être tournée par des unités d'infanterie prussiennes. Les 8e, 9e régiments de cuirassiers et deux escadrons du 6e régiment de lanciers de la brigade du général Michel furent désignés pour la dégager et se dirigèrent à vive allure vers Morsbronn.
Le général Michel tenta une action de secours, haranguant ses troupes : « Camarades, on a besoin de nous, nous allons charger l'ennemi ; montrons qui nous sommes et ce que nous savons faire, vive la France ! ».
Le terrain était parsemé de vignes et de houblonnières au bout desquelles les 32e et 94e régiments allemands s'avançaient sur deux lignes et engagèrent les cuirassiers. Le feu allemand repoussa les cuirassiers du 8e régiment de cuirassiers qui pénétraient dans Morsbronn par le nord, essuyant un feu nourri venant des maisons où les Prussiens s'étaient retranchés. Continuant leur charge, ils arrivèrent à la bifurcation de la rue principale du village. Les uns se dirigèrent à gauche vers la route de Wœrth-Haguenau, la majorité des autres, trompés par la largeur de la rue, s'y engagèrent au grand galop. Se rétrécissant progressivement jusqu'à l'église, cette rue devint une souricière où les cavaliers s'entassèrent pêle-mêle et devinrent la cible facile des tireurs prussiens. Seuls 17 cavaliers s'échappèrent en direction du sud[2].
Le 9e régiments de cuirassiers subit un sort analogue, il essuya le feu de la compagnie de pionniers et du 80e régiment allemand[2], l'escadron de tête du 9e cuirassiers se jeta dans un ravin ; les escadrons suivants, menés par le colonel François Henri Guiot de La Rochère, contournèrent l'obstacle. Les cuirassiers parvinrent à pénétrer Morsbronn et à le dégager malgré une forte résistance. Après s'être regroupés au sud du village, la cinquantaine de cavaliers survivants durent s'enfuir, réussissant à rejoindre les troupes françaises à Saverne.
À leur tour, les deux escadrons du 6e lanciers subirent les tirs du 32e régiment d'infanterie allemand et furent repoussés une première fois, la seconde charge se heurta au 13e régiment de hussards prussien qui les dispersa[2]
De l'avis de l'état-major allemand, le sacrifice de la brigade Michel permit à l'infanterie française de se retirer à travers le Niedewald.
Charge du 9e régiment de cuirassiers dans le village de Morsbronn
Charges de Froeschwiller, Brigade Bonnemains
Dans le secteur d'Elsasshausen, la brigade de cavalerie Bonnemains, constituée des quatre premiers régiments de cuirassiers, chargea des éléments de près de 11 régiments[2] d'infanterie allemande, sur un terrain constitué de vignes et de houblonnières défavorable à une action de cavalerie.
L'infanterie allemande qui resta en ligne de tirailleurs et l'artillerie allemande ouvrirent le feu sur les cavaliers. Les cuirassiers furent décimés et repoussés sans avoir pu atteindre les forces allemandes[2].
Pertes françaises
On dénombre lors de la bataille de Froeschwiller un grand nombre d'officier tués dont[6] :
État-major général :
Tués 2+1 : général Joseph Émile Colson, général Louis Alexis Emile Maire[7] et le général Noël Raoult mort le des suites de ses blessures.
Ernest Renan utilise cette page d'histoire comme métaphore de l'humanité souffrante :
« Agir pour Dieu, agir en présence de Dieu, sont des conceptions nécessaires de la vie vertueuse. Nous ne demandons pas un rémunérateur ; mais nous voulons un témoin. La récompense des cuirassiers de Reichshoffen dans l'éternité, c'est le mot du vieil empereur : « Oh ! les braves gens ! » Nous voudrions un mot de Dieu comme celui-là. Les sacrifices ignorés, la vertu méconnue, les erreurs inévitables de la justice humaine, les calomnies irréfutables de l'histoire légitiment ou plutôt amènent fatalement un appel de la conscience opprimée par la fatalité à la conscience de l'univers. C'est un droit auquel l'homme vertueux ne renoncera jamais. Dans les situations héroïques de la Révolution, la nécessité de l'immortalité de l'âme fut réclamée à peu près par tous les partis. Le souci des mémoires et des papiers justificatifs tenait, chez les hommes de ce temps, au même principe. Ils écrivaient, écrivaient, persuadés qu'il y aurait quelqu'un pour les lire. On voulait absolument un juge au-delà de la tombe ; on le demandait à la conscience du monde ou à la conscience de l'humanité »
En 1957, Marcel Pagnol, dans son roman largement autobiographique Le Château de ma mère, narre la rencontre inopinée de sa famille avec le « comte Jean de X », un vieil aristocrate balafré, propriétaire du château Saint-Antoine et survivant glorieux de la bataille de Reichshoffen, qu'il mena, selon ses dires, en tant que colonel au sein du 1er régiment de cuirassiers[9]. Ce personnage imaginaire est interprété par Georges Wilson dans l'adaptation éponyme du roman de Pagnol par Yves Robert, sortie en 1990[10]. Fictif, ce personnage désigne en réalité le comte Guy de Robien, ancien officier (chef de bataillon, il fut réincorporé lors de la guerre de 1914-1918 comme lieutenant-colonel de réserve affecté au 26e régiment d'infanterie), qui occupa bel et bien le château du temps de l'enfance de Pagnol mais n'assista jamais à la bataille.
Chansons
Une chanson, souvent accompagnée de gestes, commémore la bataille (dite) de Reichshoffen. Ses paroles sont les suivantes :
C'était un soir la bataille de Reichshoffen,
Il fallait voir les cuirassiers charger.
Attention ! Cuirassiers ! Chargez !
Et d'une main ...
Ils ont chargé nos cuirassiers héroïques
À Reichshoffen, la mort fauchant les rangs
Attention ! Cuirassiers ! Chargez !
Et d'une main ...
On continue avec le pied, le pouce, le bras...
Cette chanson existe sous une formule différente au Québec. Reichshoffen étant un nom inconnu des Québécois, il fut remplacé par « Hot chicken », un mets populaire au Canada. L'absurdité du premier vers (« C'était un soir, la bataille des Hot chickens ») donne un ton humoristique et farfelu à la chanson.
Une autre chanson, trouvée sur un carnet de chants de 1875, commémore la charge qui eut lieu à Morsbronn :
Morsbronn
1er couplet
Le jour tombait, la lutte était horrible
Les bataillons semblaient être broyés
L'airain grondait dans un fracas terrible
Et nos enfants reculaient foudroyés
Les ennemis possédaient le village
La honte au front leur devrait laisser
Et nos enfants s'écriaient pleins de rage
Ne pas mourir serait nous abaisser
Refrain
Chacun tombait plein d'espérance
En saluant le vieux drapeau
Fier il criait le front haut (bis)
Vive la France
2e couplet
Soudain le bronze observait le silence
Seul s'entend le râle des mourants
Mais tout à coup la foudre recommence
Un cri s'élève on entrouvre les rangs
Des escadrons de chevaux redoutables
Semblaient jaillir comme un torrent de fer
Et des chevaux des groupes effroyables
Devant Morsbronn partant comme un éclair
3e couplet
Le glaive au poing l'avalanche se rue
Frappant au front l'orgueilleux ennemi
Il l'engloutit dans une profonde rue
Mais qui sont donc nos soldats sans frémir
Au bout de là, la barricade est prête
Le premier rang tente de revenir
Il est trop tard le massacre s'apprête
Vieux cuirassiers il faut vaincre ou mourir
4e couplet
Hurlant tous les démons des batailles
J'étais sur le désordre et la mort
Les clairons sonnaient églar (glas ?) de funérailles
Tout est perdu mais le devoir est fait
Chacun périt et jetant ….
L'œil enflammé et les armes à la main
Et la colonne a son heure dernière
Dit nos enfants nous vengeront demain
Notes et références
↑« général Michel », sur military-photos.com (consulté le ).
↑ abcdefg et hService historique du grand Etat Major Allemand, La guerre Franco-Allemande de 1870-1871, Berlin, E. S. Mittler, (lire en ligne), Bataille de Woerth.
La Journée de Reichshoffen, avec carte et pièces officielles, par Eugène de Monzie — Palmé (Paris), 1876, disponible sur Gallica.bnf.fr — fournit une description très détaillée de tout ce qui touche à la bataille.