Les élections régionales de 1985 eurent lieu le pour élire pour la première fois le Congrès du Territoire et les quatre conseils de région, quatre institutions créées par la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie du (dite du « statut Fabius-Pisani »). La précédente assemblée délibérante locale, l'Assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie, pour la dernière fois élue lors des élections territoriales du , a été dissoute le jour de la publication de la loi.
Face au rejet presque unanime des deux camps de sa première proposition, Edgard Pisani (nommé désormais ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie dans le gouvernement socialiste de Laurent Fabius depuis le 21 mai) prépare un nouveau statut avec le Premier ministreLaurent Fabius, le texte étant voté le : il accorde plus d'autonomie à la Nouvelle-Calédonie, avec surtout la création de quatre Régions (Nord, Centre, Sud et Îles) disposant chacune d'un conseil élu au suffrage universel à la proportionnelle de liste, la réunion de ces quatre conseils formant le Congrès du Territoire qui remplace l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie. L'exécutif appartient de nouveau au Haut-commissaire toutefois secondé par un Conseil exécutif dirigé par le président du Congrès et composé des 4 présidents de Région. Il est créé également dans chaque région un conseil consultatif coutumier, dont la réunion forme le conseil coutumier territorial. L'Assemblée territoriale est donc dissoute neuf mois après son élection, et les premières « élections régionales » sont fixées pour le 29 septembre suivant.
Le FLNKS approuve ce nouveau statut, voué pour lui à être transitoire, et décide cette fois de participer aux élections. Il présente des listes dans chaque régions, sous l'étiquette FLNKS et avec pour emblème une flèche faîtière noire dans un cercle (renvoyant au drapeau Kanaky). Elles sont menées par quatre personnalités toutes issues de l'Union calédonienne (UC), dans le Nord par Jean-Marie Tjibaou, dans le Sud par l'autre député du Territoire, Rock Pidjot, dans le Centre par Léopold Jorédié (« ministre de la Sécurité » dans le « Gouvernement provisoire de Kanaky ») et dans les Îles par Yeiwéné Yeiwéné (« porte-parole, ministre des Finances et de la Solidarité nationale » du « GPK » et bras droit de Tjibaou). Le front ne dispose que de peu de concurrents dans le camp indépendantiste, si ce n'est le parti Libération kanak socialiste (LKS) du grand-chef maréen Nidoïsh Naisseline, qui a quitté le Parti de libération kanake (Palika) en 1981 lorsque ce dernier avait décidé de quitter le Front indépendantiste pour s'opposer à la stratégie de Jean-Marie Tjibaou de rapprocher les indépendantistes du Parti socialiste métropolitain, stratégie que Nidoïsh Naisseline avait pour sa part approuvé à l'époque. Le LKS est le seul mouvement favorable à un détachement total et définitif de la France à avoir participé aux élections territoriales de 1984, et donc le seul à être représenté à l'Assemblée territoriale sortante avec 6 élus. C'est également la seule formation en dehors des deux grands blocs (FLNKS et RPCR) à présenter des listes dans les quatre régions, menées par : le maire de Poindimié Francis Poadouy (et élu territorial sortant) dans le Nord, le conseiller territorial sortant Mathias Nechero dans le Centre, l'ancien conseiller du gouvernement Tjibaou Henri Bailly dans le Sud et Nidoïsh Naisseline dans les Îles. Il est allié à la fédération locale du Parti socialiste (PS) de Jean-Paul Caillard (présent en dernière position sur la liste du Sud) et Max Chivot.
Le RPCR pour sa part ne cache pas son mécontentement, d'une part parce qu'aucune des propositions avancées dans son projet de statut fédéral de n'est retenues, d'autre part parce que le nouveau découpage favorise grandement les anti-indépendantistes, pourtant minoritaires sur l'ensemble du Territoire mais désormais sûrs d'être majoritaires, et de loin, dans deux des nouvelles régions (le Nord et les Îles), le Sud étant sûr de revenir aux anti-indépendantistes tandis que le scrutin dans le Centre est plus ouvert. Lors du débat sur la loi à l'Assemblée nationale le 20 août, Jacques Lafleur déclare à la tribune : « Nos débats se trouvent entachés d'une véritable violation de la Constitution et je me demande quelle peut être la validité de nos délibérations. [...] Je savais que les gouvernements socialistes avaient pour habitude de ne pas respecter les lois qu'ils avaient eux-mêmes fait voter, concernant la Nouvelle-Calédonie, mais je n'osais pas imaginer que l'on irait, pour forcer une terre française à devenir étrangère, jusqu'à violer la Constitution elle-même »[1]. Quoi qu'il en soit, le RPCR, une fois le statut voté, s'y résout. Il bénéficie lors de la campagne de la visite, à moins d'une semaine du scrutin, de Jacques Chirac, qui organise un grand meeting « Bleu, Blanc, Rouge » sur la Place des Cocotiers à Nouméa, suivi par plus de 7 000 personnes. Le chef de l'opposition critique le projet d'indépendance-association et le statut Fabius-Pisani (système « profondément malhonnête et indigne » selon lui), et se prononce en faveur d’un référendum d'autodétermination et de la mise en place d'une aide exceptionnelle pour favoriser le développement du territoire (programme d’équipements collectifs et création d’un centre urbain sur la Côte est). En réponse aux indépendantistes, il déclare : « Vous êtes chez vous mais nous sommes aussi chez nous car nous avons tous ici notre place dans un destin commun : Mélanésiens, Caldoches venus de la vieille Europe mais aussi Wallisiens, Tahitiens ou Asiatiques. Oui, nous sommes chez nous car nous sommes en France ! ». Jacques Lafleur mène la liste dans le Sud, le sénateur et président du gouvernement territorial sortant Dick Ukeiwé dans le Centre, Robert Frouin dans le Nord et Goïne Ferdinand Wamo dans les Îles. De plus, si la liste officielle du RPCR de Robert Frouin dans le Nord est destinée essentiellement à rassembler derrière elle l'électorat des éleveurs d'origine européenne, minoritaires dans cette province, le parti décide également de monter une deuxième liste, baptisée « Rassemblement Paix et Coutume » (RPC), dirigée par le kanakHenri Wetta (beau-frère de Jean-Marie Tjibaou mais membre depuis sa création du RPCR), destinée à canaliser les voix des mélanésiens anti-indépendantistes[2].
La FNSC et le PFK partent unis pour ces élections à travers des listes communes présentées dans le Sud, le Nord et le Centre (malgré les appels du RPCR à une alliance dans cette dernière, région charnière, afin d'éviter un trop grand éclatement de l'électorat non-indépendantiste qui favoriserait le FLNKS). Ces listes sont baptisées « Organisation politique d'alliances d'Opao » (O.P.A.O.), renvoyant au nom que prendrait la République fédérale indépendante mais associée à la France que ces formations veulent créer. Elles sont menées dans le Centre par Jean-Pierre Aïfa, dans le Sud par Gabriel Païta et dans le Nord par Issaca Poarairiwa. Un nouveau petit parti, Calédonie nouvelle, uniquement présent dans le Sud et mené par l'avocat Jean Leder (ancien membre dans les années 1970 de clubs giscardiens), fait son entrée dans le jeu politique néo-calédonien le . Il tend à reprendre le rôle délaissé par la FNSC (depuis qu'elle s'est prononcée pour une « indépendance-association ») en tant que « troisième voie » mais clairement anti-indépendantiste. Cette petite formation, où se retrouvent beaucoup de Wallisiens et Futuniens, espère capter l'électorat le plus progressiste du RPCR.
La branche locale du Front national, fondée en 1984 sous la houlette de l'écrivain de roman noir Alain Fournier (A.D.G.), du maire de Thio exclu de l'UC en 1976 Roger Galliot, ou encore du mélanésien François Néoeré, ancien membre de l'UC puis de l'Union multiraciale avant sa transformation en FULK en 1975, espère quant-à-lui canaliser les votes des éleveurs en confrontation directe avec les « Comités de lutte » du FLNKS, notamment sur la côte est. Prônant le rejet total de toute concession aux indépendantistes, mais aussi un certain anti-autonomisme et une attitude ferme face au FLNKS, appelant les éleveurs d'origine européenne à se défendre eux-mêmes s'il le faut, il espère bénéficier de l'émotion suscitée dans l'électorat anti-indépendantiste par plusieurs morts, surtout celle le 11 janvier d'Yves Tual, jeune de 17 ans, tué par des militants indépendantistes sur la propriété de ses parents près de Thio. Cette mort entraîne de violentes émeutes anti-indépendantistes à Nouméa, pourtant jusque-là épargnée par les affrontements, dans la nuit du 11 au 12 janvier. Les commerces de personnalités indépendantistes dans la capitale sont pris d'assauts, incendiés ou pillés : la pharmacie générale (appartenant à Maurice Lenormand), la station service d'André Dang, entre autres. Les manifestants loyalistes convergent vers le Haut-commissariat. Le bilan se dresse à 48 blessés et 51 interpellations, tandis que l'état d'urgence est décrété le lendemain. Le Front national espère également jouer sur le rejet du statut Fabius-Pisani chez les loyalistes. Le FN ne présente initialement que deux listes, dans les deux seules régions à avoir une population significative d'origine européenne : le Sud (menée par le Kanak François Néoeré) et le Centre (avec à sa tête le conseiller municipal de Sarraméa Jean-Charles Moglia, Roger Galliot étant présent symboliquement à l'avant-dernière place). Plus tard, à la demande de Dick Ukeiwé et afin d'éviter la dispersion des voix dans le Centre, le FN accepte de retirer sa liste dans cette Région, mais le RPCR se refuse à toute alliance avec le parti d'extrême droite[1].
Organisation du scrutin
Le nouveau régime électoral est défini par la loi no 85-892 du sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie[3]. Le scrutin a lieu au suffrage universel direct, élisant pour un mandat de cinq ans à la proportionnelle de liste, selon la règle de la plus forte moyenne, les 46 élus des quatre Conseils de Région créés par cette réforme et dont la réunion forme le Congrès du Territoire. Le nombre de sièges par Conseil de Région est la suivante :
Contrairement aux élections de 1984, l'abstention est particulièrement faible, tout particulièrement dans les Régions Région Centre et Îles Loyauté (participation à 84,58 % dans ces deux collectivités). Cela est dû à la participation cette fois du FLNKS. Surtout, avec 53,48 % des suffrages exprimés et 26 sièges sur 42 (dont 17 sur 21 dans le Sud), le RPCR confirme qu'il conserve la confiance de la quasi-totalité de l'électorat anti-indépendantiste (86,86 % du vote favorable au maintien dans la France) et, plus généralement, d'une majorité de néo-calédonien. Le FLNKS pour sa part, arrive loin derrière avec, à l'échelle du Territoire, 28,76 % des voix mais 81,73 % de l'électorat indépendantiste. Le Front indépendantiste obtient de plus une majorité en nombre de votes dans les régions Nord (59,61 % et 6 sièges sur 9, contre 31,87 % et 3 élus pour les listes RPCR-RPC) et Îles Loyauté (52,13 % et 4 sièges sur 7, contre 28,04 % et 2 élus au RPCR et 19,83 % ainsi que 1 conseiller pour le LKS). Dans le Centre, la liste indépendantiste de Léopold Jorédié emporte un vote serré, avec 45,47 % des suffrages et 5 sièges sur 9, contre 41,86 % et 4 élus au RPCR de Dick Ukeiwé. Ce dernier est élu président du Congrès du Territoire (et donc du Conseil exécutif) le . Les autres membres du Conseil exécutif sont les présidents des Conseils de région, dont trois du FLNKS (Jean-Marie Tjibaou dans le Nord, Léopold Jorédié dans le Centre et Yeiwéné Yeiwéné dans les îles Loyauté) et un du RPCR (Jean Lèques dans le Sud).
Il est à noter que les deux députés démissionnent du Conseil de la Région Sud et du Congrès du Territoire pour se concentrer sur leur mandat à l'Assemblée nationale : Rock Pidjot le (remplacé par son suivant de liste Emmanuel Téin, grand chef de l'île Ouen et membre de l'UC ; Pidjot prépare son départ progressif de la politique : dans le même temps, il abandonne la présidence de l'UC, qu'il occupait depuis sa création en 1956, à Jean-Marie Tjibaou et annonce qu'il ne se représentera pas aux législatives de 1986) et Jacques Lafleur le 6 décembre (remplacé par Alain Paagalua). À peine ces installations faites, le 7 octobre, Yann Céléné Uregei, chef du FULK et « ministre des Relations extérieures » du « GPK », quitte également son mandat dans les Îles et au Congrès afin de pouvoir continuer de relayer les revendications du FLNKS auprès des instances régionales (le Forum des îles du Pacifique) et internationales (l'Assemblée générale des Nations unies qui vote le à la majorité des 3/5e de ses membres la résolution 41/41 A affirmant « le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance » et inscrivant l'archipel sur la Liste des territoires non autonomes selon l'ONU). Il est remplacé par Djubelly Wéa, militant du Palika. Plus tard, Jean Lèques, élu entretemps maire de Nouméa le , laisse le 29 janvier suivant la présidence du Conseil de la Région Sud à Pierre Frogier (il reste toutefois élu au Conseil et au Congrès). Enfin, le , le suivant de liste RPCR dans le Sud, Robert Naxue Paouta, fait son entrée dans ces deux institutions après le décès du maire du Mont-Dore Victorin Boewa.
Le scrutin dans la Région Centre provoque des critiques, notamment de la part du RPCR qui s'en prend surtout à l'OPAO. Celle-ci a connu un échec et n'obtient aucun élu. Considérée désormais comme indépendantiste par son ancien électorat, la FNSC fait les frais de la logique bipartite. N'ayant recueilli que 6,59 % des voix dans le Centre, Jean-Pierre Aïfa déclare le soir même sur la station de radio de RFO : « Il arrive un moment où les partis modérés sont laminés et ne sont plus écoutés. Vous avez la radicalisation à gauche et à droite, et les centres ne sont plus écoutés ». Jacques Lafleur a pour sa part des mots très durs à l'égard de cette formation, dénonçant sur une autre radio, celle des anti-indépendantistes (Radio Rythme Bleu), « la troisième force [...] des individus mi-hommes mi-femmes [...] qui croient aux mirages ». En effet, pour lui, la FNSC est responsable de la situation tendue pour s'être alliée avec les indépendantistes en 1982 et pour avoir maintenu sa candidature dans une Région Centre qui était véritablement l'enjeu crucial de ce scrutin (la seule où aucun des deux camps ne semblait être avantagé), permettant, selon lui, la victoire de la liste FLNKS de Léopold Jorédié qui ne l'emporte que de peu. Qui plus est, la liste RPCR dépose un recours en annulation des élections dans cette région mais Dick Ukeiwé finit par se déclarer, lors de l'installation du Conseil de Région à La Foa, « prêt à travailler, mais pas dans le cadre de la préparation à l'indépendance »[1].
Les élections législatives du (lors desquelles le RPCR rafle les deux sièges à pourvoir avec Jacques Lafleur et Maurice Nénou) voient le retour d'une majorité de droite menée par Jacques Chirac. La politique de l'État évolue donc concernant la Nouvelle-Calédonie dans un sens plus favorable aux positions anti-indépendantistes. Dès le 17 juillet suivant, le nouveau ministre de l'outre-mer, Bernard Pons, présente une réforme du « statut Fabius-Pisani », dite du « statut Pons I » : les compétences des 4 Conseils de Région sont réduites, l'Office foncier est transformé en Agence de Développement Rural et d'Aménagement Foncier (ADRAF), établissement public local qui organise la redistribution des terres non plus sur la base du domaine coutumier mais sur celui de la propriété privée, et un référendum d'autodétermination sur la question de l'indépendance, dont la participation est pour la première fois restreinte aux seules personnes pouvant justifier de trois ans de résidence (condition restrictive confirmée par le Parlement le ) est prévu.
Au Congrès de Wé (Lifou) du , le FLNKS adopte une motion établissant que le front ne participera à un référendum que si le scrutin est réservé au seul peuple kanak. Puis, face à la nouvelle politique gouvernementale, à l'acquittement définitif pour légitime défense le des « embusqués de Hienghène » (qui avaient tués dans une embuscade le , soit après la mise en place des Comités de lutte et des barricades indépendantistes, dix militants du FLNKS dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, celui-ci réagit au jugement en déclarant : « La chasse au Kanak est ouverte ») et à de nouvelles tensions (un jeune kanak de 17 ans, qui avait pris la fuite face à une opération d'enquête judiciaire sur des actes de délinquance à la tribu de Saint-Louis, est tué le , entraînant de violents affrontements entre jeunes de la tribu et gendarmes), le FLNKS retombe dans une stratégie plus clandestine et de confrontation. Il décide le de boycotter les Jeux du Pacifique sud organisés en décembre à Nouméa et le référendum. Ce dernier a lieu finalement le : l'indépendance du pays est rejetée à 98,3 % des suffrages exprimés (et 58 % des inscrits), la participation n'étant que de 59,1 % des inscrits. Deux jours plus tard, après l'annonce des résultats du référendum, le Premier ministreJacques Chirac fait une nouvelle visite sur le Territoire. Devant 20 à 25 000 personnes, il annonce sa volonté d'établir une autonomie du territoire associant toutes les tendances politiques, le maintien du pouvoir d’arbitrage de l’État, la redéfinition et le renforcement des pouvoirs des régions et la représentation du pouvoir coutumier. Il se prononce aussi pour la création de quatre collectivités, à l’Est, à l’Ouest, au Sud et dans les Iles. Ces principes sont repris dans le « Statut Pons II » du , qui accentue l'autonomie du Territoire par la transformation du Conseil exécutif dont le président est élu par les membres du Congrès et composé des présidents des conseils de Régions et 5 membres élus par le Congrès à la proportionnelle sur scrutin de liste, tandis que le nouveau découpage régional est entériné. Le Congrès du Territoire et les Conseils de Régions élus en 1985 sont alors dissous, et un nouveau scrutin est prévu pour le , soit le même jour que le premier tour de l'élection présidentielle.