Le statut dit « Lemoine » (du nom du secrétaire d'État), mis en place par la loi du , est ainsi fortement contesté par les deux parties. Le RPCR, quoique dans l'ensemble favorable à un certain degré d'autonomie (ce que confère largement le statut, la compétence du Territoire, de droit commun, n'excluant que les fonctions dites « régaliennes », les principes directeurs du droit du travail, l'enseignement du second cycle du second degré, l'enseignement supérieur et la communication audio-visuelle ; le conseil de gouvernement est transformé en un gouvernement du Territoire dont le président n'est plus le Haut-commissaire mais est élu par l'Assemblée territoriale, tandis que les membres de l'exécutif, nommés par ce président et qui prennent le titre de « ministres », retrouvent des compétences individuelles, ce qui n'avait plus été le cas depuis l'abrogation du statut de la loi-cadre Defferre en 1963), rejette ce statut qui semble ouvrir la porte à une possible séparation de la République française. De son côté, le FI conteste l'échéance du référendum (fixée à 5 ans maximum à partir de l'application de la loi) et le fait que la question du corps électoral soit discutable (est créé un comité État-Territoire avec notamment pour rôle de préparer les conditions dans lesquelles sera exercé le droit à l'autodétermination, alors que les indépendantistes considèrent que leurs revendications en la matière sont non négociables).
Tous les indépendantistes ne boycottent pas pour autant les élections : le parti Libération kanak socialiste (LKS), fondé par l'une des figures historiques de l'activisme d'extrême-gauche et grand-chef de Guahma à Maré, Nidoïsh Naisseline, qui a quitté le Parti de libération kanak (Palika, dont il était pourtant l'un des principaux dirigeants depuis sa création en 1975) lorsque ce dernier a lui-même décidé de se retirer du FI en pour protester contre la stratégie électorale du Front lors des élections nationales, jugée trop proche du Parti socialiste. Le LKS a donc adopté une position modérée, réformiste et légaliste qui l'a poussé à se maintenir au sein du Front indépendantiste mais également à ne pas rejoindre le FLNKS. Il défend le maintien d'une participation aux élections locales et développe défend l'obtention de l'indépendance par la négociation. Il s'est d'ailleurs allié pour ces élections à la fédération locale du Parti socialiste (PS) de Jean-Paul Caillard et Max Chivot, elle-même créée en 1981 par d'anciens membres du Parti socialiste calédonien (PSC).
Face à la radicalisation du FI devenu FLNKS, le camp anti-indépendantiste connaît lui aussi un durcissement en marge du RPCR. Une branche locale du Front national est créée en 1984 sous la houlette de l'écrivain de roman noir Alain Fournier (A.D.G.), du maire de Thio exclu de l'UC en 1976 Roger Galliot, ou encore le mélanésien François Néoeré, ancien membre de l'UC puis de l'Union multiraciale avant sa transformation en FULK en 1975. Il prône le rejet total de toute concession aux indépendantistes, mais aussi un certain anti-autonomisme et une attitude ferme face au FLNKS, appelant les éleveurs d'origine européenne à se défendre eux-mêmes s'il le faut.
Organisation du scrutin
Le nouveau régime électoral est défini par la loi no 84-756 du relative à la composition et à la formation de l'assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie et Dépendances[1]. Le scrutin a lieu au suffrage universel direct, élisant pour un mandat de cinq ans à la proportionnelle de liste 42 conseillers territoriaux (contre 36 depuis 1979), répartis en quatre circonscriptions :
Du fait du « boycott actif » du FLNKS, l'abstention est forte, même si plus d'un électeur sur deux se rend tout de même aux urnes. Elle est particulièrement élevée dans les deux circonscriptions essentiellement peuplées de Kanaks : 80,88 % sur la côte Est et 78,8 % aux Îles Loyauté[2]. Surtout, avec 70,87 % des suffrages exprimés et 34 sièges sur 42 (dont la totalité de ceux du Sud), le RPCR confirme qu'il conserve la confiance de la quasi-totalité de l'électorat anti-indépendantiste. Jean Lèques est élu président de l'Assemblée territoriale le .
Dick Ukeiwé est élu le président du gouvernement par 35 voix contre 7 abstentions, Roger Galliot du FN ayant voté pour lui mais Jean-Pierre Aïfa de la liste ULO ayant choisi de ne pas se prononcer. Il nomme ses neuf ministres (dont quatre mélanésiens) le jour même[3] :
Yves Magnier : vice-président, ministre des Ressources naturelles, de la Recherche scientifique et de l'Environnement, Porte-parole du gouvernement,
Pierre Frogier : ministre de l'Économie et des Finances, chargé des Affaires intérieures,
Delin Wéma : ministre de l'Enseignement et de la Formation professionnelle, chargé des Relations avec les communes,
Charles Lavoix : ministre de l'Équipement, du Tourisme, des Transports et des Communications,
Pierre Maresca : ministre de la Santé et des Affaires sociales,
Joseph Tidjine : ministre de la Culture et de l'Artisanat, chargé des relations avec l'Assemblée territoriale et l'Assemblée des Pays,
Denis Milliard : ministre du Travail et de l'Emploi, chargé de la Fonction publique,
Goïne Ferdinand Wamo : ministre de la Jeunesse et des Sports, chargé de l'organisation des Jeux du Pacifique.
Pourtant, ce gouvernement n'a qu'un contrôle limité de la situation, le FLNKS contrôlant de fait une partie du Territoire, notamment sur la côte Est et aux Îles Loyauté. Il se dote d'ailleurs d'institutions parallèles, clandestines : le , est hissé pour la première fois à la tribu de La Conception au Mont-Dore le drapeau dit « de Kanaky »[4], « Kanaky »[5] ou « indépendantiste », et le même jour un « Gouvernement provisoire de Kanaky » (GPK) est formé par Jean-Marie Tjibaou qui le préside, avec quatre membres[6] :
un ministre de l'Intérieur et des Communications, André Gopoea (cofondateur de l'UPM), chargé surtout des questions foncières.
un ministre de la Sécurité, Éloi Machoro (secrétaire général de l'UC) puis, après sa mort le , Léopold Jorédié, chargé d'organiser le boycott actif et les actions sur le terrain.
un porte-parole, ministre des Finances et de la Solidarité nationale, Yeiwéné Yeiwéné (UC), chargé de la trésorerie du mouvement indépendantiste et des questions identitaires, culturelles ou éducatives (avec les Écoles populaires kanak), ainsi que de la propagande via notamment l'Agence kanak de presse (AKP) confiée à Jean-Pierre Deteix (Comité Pierre Declercq et secrétaire général du GPK), Radio Djiido fondée en 1985 par Octave Togna (UC).
Il est élu par une « Convention nationale de Kanaky » (CNK) composée de 37 « députés » désignés par les conventions régionales des comités de lutte locaux (un comité est établi par commune initialement pour y organiser le boycott actif, les barricades, les coups de force et occupations de propriétés publiques ou privées appartenant à des Calédoniens d'origine européenne, le comité de lutte est également chargé à partir du congrès de Nakéty du de l'organisation économique et sociale). Il est pourtant contrôlé et subordonné, tout particulièrement après le congrès de Nakéty, par le bureau politique (BP) du FLNKS, composé de deux représentants par parti et « groupe de pression » formant le front. Le GPK est à partir de là chargé d'entériner les décisions du congrès et du BP, de les faire appliquer et connaître et d'administrer le mouvement indépendantiste.
Et les affrontements entre les deux camps va en empirant après les élections territoriales. Un véritable « siège de Thio » par les indépendantistes emmenés par Éloi Machoro début le : les propriétaires Caldoches sont désarmés et la gendarmerie occupée. Des heurts entre forces de l'ordre et indépendantistes ont aussi lieu à Ponerihouen et Ouvéa. Un échange de coups de feu à Ouégoa le 30 novembre fait officiellement deux morts et officieusement huit. Un éleveur caldoche est tué lors d'un affrontement sur un barrage le 2 décembre, et trois jours plus tard, dix militants indépendantistes, dont deux frères du leader du FLNKSJean-Marie Tjibaou, sont tués dans une embuscade montés par des anti-indépendantistes près de la tribu de Tiendanite à Hienghène en représailles aux incendies et aux pillages répétés de maisons de Caldoches par les militants du FLNKS dans les environs. Malgré ce drame, le FLNKS et Jean-Marie Tjibaou confirment leur mot d'ordre de lever les barrages. L'État tente de reprendre les choses en main en nommant le Edgard Pisani comme nouveau Haut-commissaire de la République. Celui-ci arrive sur le Territoire trois jours plus tard, tandis que débute l'évacuation par hélicoptères des familles Caldoches des zones contrôlées par le FLNKS : ceux restés sur place annoncent qu'il se défendront par leurs propres moyens, et Jacques Lafleur, le 23 décembre, déclare la Nouvelle-Calédonie en état de « légitime défense ». Edgard Pisani annonce le son projet « d'indépendance-association », prévoyant l'organisation en juillet d'un référendum qui donnerait le choix entre le maintien dans la République française ou la création d'un État indépendant associé à la France. Le RPCR réplique le 25 janvier suivant par la voix du président du gouvernement du Territoire Dick Ukeiwé : il propose un statut de type fédéral, tandis que l'Assemblée territoriale vote massivement contre le projet de référendum et d'« indépendance-association » le 31 mai. Le FLNKS également rejette le « plan Pisani » lors de son congrès de Nakéty le 9 février.
Le mois de est particulièrement sanglant. Le 11, Yves Tual, jeune de 17 ans, est tué par des militants indépendantistes sur la propriété de ses parents près de Thio. Cette mort entraîne de violentes émeutes anti-indépendantistes à Nouméa, pourtant jusque là épargnée par les affrontements, dans la nuit du 11 au 12 janvier. Les commerces de personnalités indépendantistes dans la capitale sont pris d'assauts, incendiés ou pillés : la pharmacie générale (appartenant à Maurice Lenormand), la station service d'André Dang, entre autres. Les manifestants loyalistes convergent vers le Haut-commissariat. Le bilan se dresse à 48 blessés et 51 interpellations. Le 12 janvier, Éloi Machoro est abattu d'une balle dans la poitrine par un membre du GIGN avec un autre militant indépendantiste, Marcel Nonnaro, dans une ferme de La Foa qu'ils occupaient. Le même jour, l'état d'urgence est déclaré et le couvre-feu installé en Nouvelle-Calédonie (ce dernier n'est levé que le 14 juin, et l'état d'urgence le 30 juin). La violence est généralisée de mars à : des affrontements se succèdent jours et nuits sur l'ensemble du Territoire dans un climat de quasi guerre civile, avec assassinats, incendies, grèves, manifestations, barrages, plasticages, sabotages, arrestations et opérations militaires.
Frédéric Angleviel, Histoire de la Nouvelle-Calédonie : nouvelles approches, nouveaux objets, Harmattan, , 350 p. (ISBN978-2-7475-9883-5, lire en ligne).