Fils d’un marchand de vins[2] qui suivait la cour, il fait ses études à Paris[3] et gagne la protection de Gaston d'Orléans, frère du roi, en lui adressant une pièce de vers[4] à l’âge de 16 ans. Ce prince le nomme contrôleur général de sa maison, puis introducteur des ambassadeurs. Le comte d’Avaux, dont il a été le condisciple, le met en relation avec plusieurs personnes de la haute société[5].
Un habitué de l'Hôtel de Rambouillet
Chaudebonne l’introduit à l’hôtel de Rambouillet. Il enseigne le beau langage et les belles manières aux habitués de cet hôtel dont il est le héros galant et badin, comme Guez de Balzac en est le héros sérieux. Quand il accompagne le duc d’Orléans, après la Journée des Dupes, en Lorraine, puis dans le Languedoc, les épîtres qu’il envoie sont un événement dans le monde des beaux-esprits dont l’a séparé la politique. Il en écrit aussi d’Espagne, où le prince l’a chargé d’une mission.
Maître d’hôtel du roi en 1639, premier commis du comte d’Avaux en 1642, aux appointements de 4 000 livres, il a encore une pension de 1 000 écus que lui fait accorder la reine. Son revenu finit par monter à 18 000 livres.
Un Précieux
Il reste jusqu’à la fin de sa vie frivole et galant, n’ayant qu’une passion sérieuse : le jeu[7]. Par son caractère, comme par son talent, Voiture est tout à fait propre à s’attirer la faveur des salons et à briller dans la société des beaux esprits de son époque qu’il emplit de sa renommée. Ses lettres y sont les oracles du goût et y font la mode de la prose.
Ce courtisan, à la poésie faite de recherche, de maniérisme et de galanterie, qui ne veut pas publier ses œuvres de son vivant, est considéré comme très habile dans les genres poétiques mineurs. Quant aux vers de bien, ils soulèvent des querelles et des partis puissants qui semblent près de faire à son sujet une Fronde littéraire. Son Sonnet à Uranie, opposé à celui de Job par Benserade, divise le monde en jobelins et uranistes lors de la querelle des jobelins et des uranistes, qui montre sous un nouveau jour l’humeur belliqueuse d'Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, qui est à la tête de ses partisans.
Son sonnet de la Belle Matineuse, opposé à celui de Malleville sur le même sujet, comme un diamant à une perle, est un échantillon de l’une de ses manières :
« Des portes du matin l’amante de Céphale
Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale,
Quand la nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d’attraits divers
Qu’il semblait qu’elle seule éclairait l’univers
Et remplissait de feu la rive orientale.
Le soleil, se hâtant pour la gloire des cieux,
Vint opposer sa flamme à l’éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l’Olympe se dore.
L’onde, la terre et l’air s’allumaient alentour,
Mais auprès de Philis on le prit pour l’aurore,
Et l’on crut que Philis était l’astre du jour. »
Voiture, dont les écrits sont représentatifs de la préciosité, prend volontiers un ton moins pompeux. Ce n’est souvent qu’un rimeur de ruelles, un mondain pour qui la littérature n’est qu’un passe-temps, mais dont toute la cour répète les chansonnettes, ses Lanturlu et ses Landriry :
« L’on jugerait par la blancheur
De Bourbon, et par sa fraîcheur, Landrirette,
Qu’elle a pris naissance des lys, Landriry. »
Mais c’est dans le rondeau que Voiture, en tant que poète, excelle. On cite celui qui a pour refrain ou clausule : « Ma foi, c’est fait », et qui donne à la fois la règle et l’exemple du genre :
« Ma foi, c’est fait de moi, car Isabeau
M’a conjuré de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême
Je lui ferais aussitôt un bateau.
En voila cinq pourtant en un monceau.
Faisons-en sept en invoquant Brodeau,
Et puis mettons, par quelque stratagème : Ma foi, c’est fait.
Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau ;
Mais cependant je suis dedans l’onzième,
Et ci je crois que je fais le douzième ;
En voilà treize ajustés au niveau. Ma foi, c’est fait. »
Assez prétentieux de sa nature, les aristocrates qu’il côtoie ne se font pas faute de le remettre, à l’occasion, à sa place en lui rappelant sa condition de fils de marchand de vins[2]. On cite ainsi le mot de Mme des Loges à propos d’un de ses proverbes : « Celui-là ne vaut rien, percez-nous en d’un autre[8] ».
Postérité de son œuvre
La réputation de Voiture lui survit et, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, va encore jusqu’à l’engouement. La querelle de Girac et de Costar à son sujet a un long retentissement. Boileau parle de lui plus d’une fois d’un ton élogieux qui contraste avec sa sévérité ordinaire. Madame de Sévigné dit : « Tant pis pour ceux qui ne l’entendent pas ! » Le difficile est en effet d’entendre Voiture, avec ses pointes, ses jeux de mots, ses équivoques et ses continuels efforts d’esprit. Ce que les lettres de son époque trouvent chez lui ingénieux, joli et charmant, peut échapper ou choquer.
Voiture a néanmoins une influence notable sur la poésie française. Tandis que Guez de Balzac la corrige par la rhétorique et la noblesse, Voiture l’assouplit et commence à lui donner la légèreté des tours, la facilité de l’expression.
Les Œuvres de Voiture ne sont réunies qu’après sa mort (Paris, 1650, in-4°) et seront fréquemment rééditées jusqu’en 1745.
↑Dates répertoriées sur le site biographique de la Bibliothèque Nationale de France.
Références
↑J. H. A. Ubicini, Œuvres de Vincent VOITURE, vol. I : Lettres et poésies, Paris, Charpentier, , p. 177.
↑ a et bCette origine roturière lui fut souvent rappelée. Cf. la scène des gardes ivres chez le duc d'Orléans : Louis Moréri, Le Grand Dictionnaire Historique : ou le mélange curieux du Sacré et Profane, vol. 8 : T-Z, Paris, J.-Baptiste Coignard, , « Voiture », p. 320.
↑On le voit en 1610 étudiant du Collège de Calvy, sous un régent nommé Louis Liger. Cf. Moreri, op. cit.
↑Laudatio funebris pia et felici memoria Henrici Magni dedicata (Paris, 1710).
↑Au sujet de la succession d'un Strozzi, qui avait institué Julie d'Angennes comme son héritière. Cf. à ce sujet Barbara Krajewska, Les salons littéraires: De l'hôtel de Rambouillet... sans précaution, éditions Jourdan, , 366 p. (ISBN9782390093121).
↑D'après Charles Paul Landon, Galerie historique des hommes les plus célèbres de tous les siècles, vol. II, Treuttel et Würtz, pour l'Imprimerie des Annales du Musée, 1805 (an iii), « Voiture ».
↑Cf. Paul Pellisson, Histoire de l'Académie ; anecdote citée par Voltaire dans Le Temple du Goût.
Vincent Voiture de l'Académie française, dans Charles Perrault, Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, chez Antoine Dezallier, 1697, tome 1, p. 73-74(lire en ligne)
Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 2047-8
Bertrand Cuvelier, « Sur les pas de l'Amiénois Vincent Voiture », Histoire et traditions du Pays des Coudriers, no 35, (lire en ligne)